Détermination de la portée de l’enquête d’intérêt public et de la compétence de la CPPM

COMMISSION D’EXAMEN DES PLAINTES CONCERNANT LA POLICE MILITAIRE

RELATIVEMENT À une enquête d’intérêt public menée en vertu du paragraphe 250.38(1) de la Loi sur la défense nationale
relativement à une plainte anonyme concernant le traitement de détenus en Afghanistan

CPPM 2015‑005 (Anonyme) Enquête d’intérêt public

Introduction

  1. Le 4 novembre 2015, la présidente de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (la CPPM ou la Commission) a décidé de mener une enquête d’intérêt public (EIP) sur cette plainte anonyme concernant le traitement de détenus en Afghanistan. La présidente a expliqué dans la décision que les prochaines étapes pour la Commission dans l’EIP seraient d’obtenir la divulgation de toute la documentation pertinente que la Police militaire (PM) a en sa possession, de déterminer ensuite la portée de l’enquête et d’identifier les personnes visées par la plainte.
  2. La Commission a maintenant obtenu la divulgation des dossiers de la PM concernant les enquêtes pertinentes. Suite à son examen de cette documentation, la Commission a déterminé la portée de sa compétence pour enquêter sur les divers aspects de la plainte et elle a identifié les personnes visées par la plainte. La présente décision énonce la portée des questions qui feront l’objet de l’EIP que mènera la Commission et explique pourquoi la Commission n’est pas légalement autorisée à formuler des conclusions et des recommandations relativement à certains aspects de la plainte qui ne relèvent pas de sa compétence.
  3. La plainte

  4. Le 12 février 2015, la Commission a reçu une plainte anonyme concernant la conduite de membres de la Force opérationnelle 3‑10 de la Compagnie (cie) de Police militaire stationnée à l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan (KAF) en décembre 2010 et janvier 2011.
  5. La plainte allègue que le commandant (cmdt) de la Compagnie de PM a mené des exercices dans le Centre de transfert des détenus (CTD) dans le but de terroriser les détenus. D’après la plainte, les exercices avaient d’abord impliqué des entrées dynamiques dans des cellules avoisinantes aux cellules occupées par des détenus, puis des exercices avaient aussi eu lieu dans des cellules occupées par des détenus. Il est allégué qu’à au moins une occasion, des membres de la PM sont entrés dans les cellules, armés d’équipement policier et de pistolets de 9 mm, ont plaqué les détenus au mur et au sol et ont appliqué des clés de bras. Le(ou la) plaignant(e) affirme que la tension était tellement énorme depuis les deux mois précédents que plusieurs détenus ont déféqué et uriné sur place.
  6. Le(ou la) plaignant(e) poursuit en indiquant que le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) a mené une enquête et a interrogé près de trente membres de la PM « pour porter de sérieuses accusations » contre le cmdt de la Compagnie de PM. Il(ou elle) affirme que les accusations ont été remises au commandant de la Force opérationnelle des Forces armées canadiennes (FAC) (la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan (FOI‑Afg) qui, d’après les allégations, les aurait ignorées.
  7. Le(ou la) plaignant(e) allègue aussi qu’en octobre 2012, un membre de la chaîne de commandement (C d C) de la PM aurait été chargé de faire enquête sur les événements; il(ou elle) souligne cependant le fait qu’à ce jour, aucune accusation n’a été portée contre le cmdt de la Compagnie de PM et aucune cour martiale n’a été convoquée.
  8. Dans ses décisions antérieures concernant cette affaire, la Commission a conclu que la plainte soulève des préoccupations tant à propos de la conduite des membres de la PM qui auraient ordonné ou mené les exercices au CTD qu’à propos de la tenue des enquêtes ultérieures et des résultats de celles‑ci. À cet égard, le cœur de la plainte semble concerner le fait qu’aucune mesure n’a été prise à la suite des exercices et que la personne ou les personnes responsables n’ont pas été traduites en justice.
  9. Mesures prises pour lancer l’enquête et obtenir la divulgation de la documentation pertinente

  10. Lorsque la Commission a initialement reçu la plainte, elle a demandé des renseignements supplémentaires à la Police militaire et a obtenu la confirmation que le SNEFC avait mené une enquête sur un incident lié à un exercice mené au CTD à Kandahar en janvier 2011.
  11. La Commission a ensuite tenté de communiquer avec les cinq personnes de référence dont le nom figurait dans la lettre de plainte. Certaines de ces personnes ont refusé de fournir des renseignements à la Commission, d’autres n’ont pu être jointes que plusieurs mois plus tard, et d’autres encore ont fourni des renseignements confirmant le fait qu’un incident était survenu au CTD pendant la période visée.
  12. En septembre 2015, le président par intérim de la Commission a rendu une décision qui concluait que la Commission était autorisée à accepter une plainte anonyme et à prolonger le délai de dépôt d’une telle plainte et qui prolongeait le délai de dépôt de la plainte dans cette affaire. Le 4 novembre 2015, la présidente de la Commission a décidé de mener une EIP relativement à cette plainte.
  13. Le 6 novembre 2015, soit deux jours après avoir rendu la décision de mener une EIP, la Commission a écrit au Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC), le chef de la Police militaire, pour lui demander la divulgation de toute la documentation se rapportant à la plainte. Plus particulièrement, la Commission a demandé la divulgation du dossier d’enquête concernant l’enquête du SNEFC, ainsi que du rapport préparé suite à l’enquête de 2012 menée par la C d C de la PM.
  14. Le 18 décembre 2015, la Commission a été avisée que le SNEFC effectuait une évaluation de son enquête de 2011 pour déterminer s’il était nécessaire d’effectuer une enquête additionnelle sur certaines questions. À ce stade, la Commission avait l’impression que l’on continuait à préparer la divulgation de la documentation et qu’on lui fournirait sous peu une indication approximative de la date à laquelle la divulgation lui serait transmise.
  15. Le 11 janvier 2016, la Commission a reçu une lettre du GPFC dans laquelle celui‑ci l’avisait officiellement que le SNEFC effectuait une évaluation de son enquête de 2011 à la lumière des renseignements contenus dans la plainte anonyme dans le but de déterminer si toutes les mesures appropriées avaient été prises dans l’enquête initiale du SNEFC. Le GPFC a alors avisé la Commission qu’aucune divulgation ne serait fournie avant la fin de cette évaluation.
  16. La Commission a immédiatement engagé des discussions avec le Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes (Gp PM FC) afin d’obtenir des renseignements sur les délais prévus pour compléter l’évaluation et de vérifier si une divulgation serait fournie à la Commission dans l’intervalle.
  17. Au début de février 2016, la Commission a été avisée que le SNEFC acheminerait probablement sous peu le dossier à des procureurs militaires pour un examen préalable au dépôt d’accusations. La Commission a été avisée que l’examen pourrait durer de nombreuses semaines et que l’enquête serait considérée comme étant en cours pendant cette période. En réponse, la Commission a insisté sur le fait que le dossier d’enquête pour l’enquête menée par le SNEFC en 2011 devrait lui être remis dans les plus brefs délais.
  18. La Commission a depuis appris que le 24 novembre 2015, le cmdt du SNEFC avait ordonné un examen du dossier de l’enquête menée par le SNEFC en 2011 et que l’examen avait été complété le 10 février 2016. Après avoir reçu le document détaillant les résultats de l’examen, le cmdt du SNEFC a confié au bureau du SNEFC de la région centrale la tâche d’obtenir de la documentation et des renseignements supplémentaires et de soumettre à nouveau le dossier pour un examen préalable au dépôt d’accusations, si les circonstances le justifiaient.
  19. À la fin de février 2016, la Commission a été avisée que la nouvelle enquête du SNEFC ne serait pas conclue aussi rapidement que prévu. Le dossier de l’enquête de 2011 n’avait toujours pas été divulgué à la Commission, car la Police militaire indiquait être préoccupée par la possibilité que l’EIP de la Commission puisse nuire à l’enquête du SNEFC ou à des éventuelles poursuites. La Police militaire a demandé que la Commission accepte que diverses restrictions soient imposées à la tenue de son enquête afin d’éviter un tel risque.
  20. La Commission n’était pas prête à accepter des restrictions qui auraient risqué de retarder indéfiniment son enquête, ou de compromettre l’indépendance de son enquête. De longues négociations avec la Police militaire ont eu lieu afin de tenter d’obtenir dès que possible la divulgation du dossier de l’enquête menée par le SNEFC en 2011. Cependant, un désaccord persistait sur les conditions que la Police militaire pouvait légitimement imposer quant au déroulement de l’EIP de la Commission avant de fournir la divulgation demandée. Les parties ont enfin conclu un accord et un protocole concernant la tenue d’enquêtes concomitantes par la Commission et le SNEFC a été signé le 2 juin 2016.
  21. Le 8 juin 2016, la Commission a reçu la divulgation du mandat et du rapport de l’enquête menée par la C d C de la PM en 2012. Le 10 juin 2016, la Commission a reçu la divulgation du dossier complet de l’enquête menée par le SNEFC en 2011.
  22. Le 8 juin 2016, la Commission a été avisée que le SNEFC avait décidé de clore sa nouvelle enquête sur cette affaire, que le dossier ne serait pas soumis à des procureurs militaires pour un examen préalable au dépôt d’accusations et qu’aucune accusation ne serait portée. Le dossier a été clos le 10 juin 2016. Le Groupe de la Police militaire a ensuite examiné le dossier pour expurger certains renseignements.
  23. Le 26 août 2016, la Commission a reçu la divulgation du dossier de la nouvelle enquête du SNEFC.
  24. En examinant la documentation divulguée, la Commission a identifié de la documentation supplémentaire dont elle aurait besoin pour mener son enquête. Une demande de divulgation additionnelle a été envoyée au GPFC le 22 juillet 2016. Une partie de la documentation demandée a été reçue le 29 septembre 2016, tandis que le reste a été reçu le 17 octobre 2016.
  25. En tout, la documentation obtenue par la Commission jusqu’à maintenant comprend plus de 3 000 pages, ainsi que plus de 25 enregistrements sonores et vidéo.
  26. Le 14 janvier 2016, la présidente de la Commission a codélégué ce dossier à Michel Séguin, membre de la Commission. Par conséquent, la présidente et le membre de la Commission (le panel de la Commission) mèneront conjointement cette enquête d’intérêt public et prépareront les rapports provisoire et final relatifs à cette plainte.
  27. Lorsque la Commission a reçu la divulgation de la documentation et des dossiers pertinents, le panel de la Commission a commencé à les examiner dans le but de déterminer la portée de l’EIP et d’identifier les personnes visées par la plainte.
  28. Faits pertinents

  29. Afin de déterminer la portée de sa compétence pour enquêter sur chaque aspect de cette plainte, la Commission doit examiner comment la loi qui définit sa compétence s’applique aux faits particuliers de cette affaire.
  30. Même si la Commission a examiné à ce jour un volume assez important de documentation, il convient de noter qu’elle n’a pas encore interrogé les témoins ni déterminé quelle autre documentation pourrait s’avérer nécessaire pour formuler des conclusions concernant le fond de la plainte. Ainsi, la Commission limite la discussion dans cette décision aux faits de base permettant de déterminer sa compétence.
  31. Le rapport de la Commission comprendra un examen détaillé de l’information que renferme le matériel examiné et des renseignements recueillis au moyen d’entrevues avec les témoins. C’est à cette étape que le panel de la Commission, ayant reçu tous les renseignements et éléments de preuve pertinents, sera en mesure de formuler des conclusions concernant le fond de la plainte et des recommandations, le cas échéant.
  32. Les faits de base que la Commission a réussi à établir en examinant la documentation sont décrits ici. Il s’agit des faits que la Commission prend en considération pour déterminer sa compétence pour enquêter sur chaque aspect de la plainte.
  33. Premièrement, l’examen de la documentation a permis de confirmer que la Compagnie de PM avait effectivement mené des exercices au CTD à Kandahar pendant la période indiquée dans la plainte. La documentation divulguée a également permis de confirmer que les personnes qui avaient ordonné et mené les exercices étaient principalement des membres de la Police militaire, mais pas exclusivement, car certains autres membres des FAC étaient également en poste au CTDD.
  34. En ce qui a trait à la chaîne de commandement au moment de ce déploiement, le cmdt de la Compagnie de PM relevait directement de la chaîne de commandement des FAC en théâtre, c.‑à‑d. le commandant de la FOI‑Afg des FAC pour ce déploiement. Ce déploiement en théâtre précédait la restructuration de la Police militaire en avril 2011, ayant donné lieu au commandement direct des membres de la PM par le GPFC (le chef de la police militaire) dans de nombreuses circonstances. Par conséquent, la Compagnie de PM déployée au moment des événements visés par la plainte ne se trouvait pas sous le commandement du GPFC, mais plutôt du commandant de la Force opérationnelle des FAC.
  35. La Compagnie de PM était responsable du fonctionnement du CTD. Les détenus qui y étaient incarcérés étaient uniquement des Afghans soupçonnés d’être des insurgés; ils n’étaient pas membres des FAC et n’étaient pas des ressortissants canadiens faisant l’objet d’une enquête ou ayant été condamnés pour des violations du Code de discipline militaire. La Compagnie de PM n’était pas responsable de la prise de décisions à l’égard de la capture, de la mise en liberté ou du transfert des détenus. Ces décisions revenaient à la chaîne de commandement des FAC.
  36. La documentation divulguée à la Commission a également confirmé qu’après la conduite des exercices, le SNEFC a enquêté sur l’affaire. Contrairement à la Compagnie de PM, le SNEFC ne relèvait pas de la chaîne de commandement des FAC. Le détachement du SNEFC déployé en théâtre relevait plutôt du cmdt du SNEFC qui relevait à son tour du GPFC.
  37. Le SNEFC a clos son enquête en avril 2011. À l’époque, le SNEFC a décidé de ne porter aucune accusation, mais de permettre au commandant de la FOI‑Afg des FAC de décider des mesures appropriées à prendre. En novembre 2015, le SNEFC a décidé de faire un examen de son enquête antérieure et en février 2016, le SNEFC a décidé de procéder à des démarches supplémentaires dans cette enquête. En juin 2016, le SNEFC a décidé de ne pas soumettre le dossier à un procureur militaire aux fins d’un examen préalable au dépôt d’accusations et de ne pas porter d’accusations relativement aux exercices menés en 2010‑2011 au CTD à Kandahar.
  38. L’enquête menée en 2012 à la demande de la C d C de la Police militaire était une enquête sommaire dont le but était d’enquêter des lacunes alléguées dans le leadership de la PM pendant le déploiement de la rotation en question. Elle ne visait pas à enquêter les exercices qui auraient eu lieu et n’a formulé aucune conclusion à leur égard. Il ne s’agissait pas d’une enquête criminelle.
  39. La compétence de la Commission

  40. La plainte déposée à la Commission comporte trois allégations distinctes :
    1. la chaîne de commandement de la Compagnie de PM en Afghanistan a indûment ordonné la tenue d’un ou de plus d’un exercice inapproprié ou illégal impliquant des détenus, et les membres de la PM impliqués ont pris part à une conduite inappropriée ou illégale;
    2. le SNEFC n’a pas mené une enquête adéquate sur l’affaire ou a indûment omis de porter des accusations;
    3. le membre de la PM ayant mené l’enquête ultérieure pour la C d C de la PM n’a pas mené une enquête adéquate sur l’affaire ou a indûment omis de faire la lumière sur l’affaire ou de porter des accusations.
  41. Afin de déterminer si elle a la compétence, aux termes de la loi, d’enquêter sur cette plainte, la Commission doit examiner séparément chacune des allégations et déterminer si celles-ci sont liées à une conduite qui relève de la liste des fonctions que la Commission a le mandat d’examiner et d’enquêter.
  42. Les questions qui relèvent de la compétence de la Commission ont été établies par le Parlement dans la Loi sur la défense nationaleNote 1 (la LDN), la loi qui a créé la Commission, et par le gouverneur en conseil dans un Règlement qui définit de façon précise la conduite de la Police militaire pouvant faire l’objet de plaintes en vertu de la LDN.
  43. Le paragraphe 250.18(1) de la Loi sur la défense nationale stipule que seules les plaintes qui concernent l’exercice des fonctions de nature policière énumérées dans le Règlement pris par le gouverneur en conseil peuvent être déposées à l’égard de la conduite de la Police militaire.
  44. Le Règlement qui définit les fonctions de nature policière pouvant faire l’objet d’une plainte s’intitule le Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires.Note 2 Ce règlement énonce la liste suivante :
    2. (1) Pour l’application du paragraphe 250.18(1) de la Loi, « fonctions de nature policière » s’entend des fonctions ci-après lorsqu’elles sont accomplies par un policier militaire :
    1. enquêter;
    2. prêter assistance au public;
    3. exécuter les mandats ou autres actes de procédure judiciaire;
    4. gérer les éléments de preuve;
    5. porter des accusations;
    6. participer à l’instance;
    7. faire respecter la loi;
    8. donner suite aux plaintes; et
    9. arrêter ou détenir des personnes.Note 3
  45. Le Règlement prévoit aussi les exceptions suivantes à la liste :
    Il est entendu que les fonctions exercées par le policier militaire qui se rapportent à l’administration ou à la formation, ou aux opérations d’ordre militaire qui découlent de coutumes ou pratiques militaires établies ne sont pas comprises parmi les fonctions de nature policière.Note 4
  46. La Cour fédérale du Canada a déterminé que cette liste d’exceptions exclut certaines fonctions de la définition de fonctions de nature policière qui feraient autrement partie de la liste prévue par le Règlement.Note 5 Ainsi, même si une fonction exercée par un membre de la Police militaire figure à la liste des fonctions de nature policière, l’exercice de cette fonction ne pourra pas faire l’objet d’une plainte si elle se rapporte à l’un des domaines suivants :
    1. l’administration;
    2. la formation; ou
    3. les opérations d’ordre militaire qui découlent de coutumes ou pratiques militaires établies.
  47. La Commission doit examiner si chacune des allégations énoncées dans cette plainte se rapporte à l’une des fonctions énumérées et, dans l’affirmative, si elle fait partie des exceptions énumérées. La réponse à ces questions permettra de déterminer les éléments sur lesquels la Commission peut enquêter en l’espèce.
  48. La Commission souligne que cette détermination à l’égard de sa compétence concerne uniquement les faits particuliers de la présente affaire, car des circonstances différentes pourraient entrainer une analyse et une décision différentes.
  49. A)  Allégation 1 : Les exercices menés au Centre de transfert des détenus

  50. La Commission conclut que la conduite des membres de la Police militaire ayant ordonné ou mené les exercices au CTD fait partie, à première vue, des fonctions de nature policière énumérées dans le Règlement, car elle se rapporte directement aux fonctions énumérées à l’alinéa 2(1)(i) du Règlement, « arrêter ou détenir des personnes ».Note 6
  51. La question à laquelle on doit répondre en l’espèce est celle de savoir si cette conduite relève d’une des fonctions exclues de la compétence de la Commission par le Règlement.
  52. La Cour fédérale du Canada a répondu à cette question dans la décision Amnesty International.Note 7 Dans cette affaire, Amnesty International avait déposé des plaintes en 2007 et en 2008, alléguant que des membres de la Police militaire avaient transféré des détenus afghans aux autorités afghanes, malgré un risque connu que ces détenus seraient torturés. Le procureur général du Canada avait contesté la compétence de la Commission pour enquêter sur ces plaintes.
  53. Dans sa décision, la Cour fédérale a conclu que « la détention des insurgés en Afghanistan » n’est pas une fonction sur laquelle la Commission a la compétence d’enquêter, car elle se rapporte aux opérations d’ordre militaire qui découlent de coutumes ou pratiques militaires établies, et, par conséquent, elle fait partie des fonctions exclues par le Règlement.Note 8
  54. Dans l’affaire Amnesty International, les plaintes concernaient la participation des membres de la PM au transfert de détenus. Or, c’était la chaîne de commandement des FAC, et non la Police militaire, qui prenait les décisions à l’égard du transfert des détenus.Note 9 En l’espèce, la plainte concerne la conduite des membres de la PM dans le cadre de leur traitement des détenus, pendant que ceux-ci étaient sous leur garde. Les membres de la PM étaient responsables des opérations quotidiennes du centre de détention, mais le cmdt de la Compagnie de PM demeurait sous le commandement de la chaîne de commandement des FAC.
  55. Dans la décision rendue dans l’affaire Amnesty International, la Cour fédérale a cité la responsabilité des FAC à l’égard des décisions concernant le transfert des détenus, mais n’a pas fondé sa décision sur ce fait. La Cour fédérale a plutôt déclaré catégoriquement que « la capture, la détention et le transfert des insurgés en Afghanistan » font partie des fonctions exclues de la compétence de la Commission.Note 10 Même si les allégations contenues dans la plainte en l’espèce peuvent sembler présenter un lien plus direct avec des fonctions qui relèvent de la responsabilité de la Police militaire, la décision de la Cour fédérale empêche la Commission de conclure qu’elle peut avoir compétence pour statuer sur la conduite liée au traitement des détenus afghans capturés dans le cadre des opérations militaires menées dans ce pays.
  56. Dans la décision, le juge Harrington se penche sur le Rapport du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et les services d’enquête de la police militaire (le rapport Dickson).Note 11 Il écrit :
    Tel que précisé dans le rapport Dickson, la police militaire n’a pas pour rôle principal d’enquêter sur les infractions d’ordre militaire. La plupart des policiers militaires exercent plusieurs fonctions assignées par le commandant :

    Les policiers militaires ont des responsabilités très larges que l’on peut diviser en quatre domaines principaux : les fonctions policières, les fonctions de sécurité, les fonctions de détention et le soutien direct aux opérations militaires. L’exercice des fonctions policières est semblable à ce qui se fait dans les autres forces policières, et inclut le maintien de l’ordre, la prévention du crime, et la conduite d’enquêtes. Les fonctions de sécurité incluent celles liées à la sécurité du personnel, du matériel, de l’information et des technologies de l’information, ainsi que les fonctions reliées aux service [sic] de renseignements militaires. Les policiers militaires exercent aussi des fonctions de détention associées aux prisons militaires ou aux casernes de détention de campagne dont on peut avoir besoin durant les opérations.

    C’est dans les opérations sur le terrain que se trouvent les fonctions de temps de guerre les plus importantes de la police militaire. En outre, les policiers militaires exercent des fonctions opérationnelles qui incluent, entre autres choses, la sécurité de la zone arrière du champ de bataille et de sites particuliers, la reconnaissance d’itinéraire ainsi que le contrôle de la circulation pour les mouvements tactiques, le contrôle des réfugiés, la garde des prisonniers de guerre et diverses tâches de défense directe dans des secteurs donnés tels que les aérodromes. En résumé, la prépondérance de la mission opérationnelle fait en sorte que les fonctions opérationnelles l’emportent sur les autres fonctions lorsque les policiers militaires sont déployés avec des forces sur le terrain, que ce soit durant des opérations réelles ou à l’entraînement.Note 12

    [Le juge Harrington souligne.]

  57. Ayant examiné ce rapport ainsi que le rapport de la Commission d’enquête sur la Somalie,Note 13 le juge Harrington a conclu que ces rapports avaient établi que la garde de prisonniers de guerre ou de détenus en théâtre de guerre était une fonction opérationnelle ou une fonction qui se rapporte aux opérations d’ordre militaire.Note 14 Après avoir conclu que le paragraphe 2(2) du Règlement vise à exclure certaines fonctions de la définition des fonctions de nature policière, même si elles sont expressément énumérées au paragraphe 2(1),Note 15 le juge Harrington a conclu que la capture, la détention et le transfert d’insurgés afghans sont exclus de la définition des fonctions de nature policière qui peuvent être examinées par la Commission parce qu’ils se rapportent à des opérations d’ordre militaire qui découlent de coutumes ou pratiques militaires établies.Note 16
  58. Indépendamment des autres différences qui existent entre les faits de la présente plainte et ceux en litige dans l’affaire Amnesty International, la conclusion générale de la Cour fédérale concernant la détention des détenus afghans, writ large, couvre les circonstances de la présente affaire. Bien que certains faits puissent être distingués, le raisonnement que le juge Harrington a choisi d’adopter pour arriver à sa conclusion fait en sorte que cette conclusion s’applique tout autant à la présente affaire qu’à l’affaire Amnesty International. Il faut donc conclure dans ce cas, comme dans l’affaire Amnesty International, que la détention de ressortissants afghans, tout comme leur capture et leur transfert ou leur libération, faisait partie des opérations militaires et relève donc de l’exclusion prévue au paragraphe 2(2) du Règlement et ne fait pas partie des questions qui peuvent être examinées par la Commission.
  59. Par conséquent, lorsque la capture d’un détenu fait partie d’une opération d’ordre militaire établie, la détention, la libération ou le transfert du détenu qui en résulte fera également partie de l’opération militaire, comme l’a déclaré la Cour fédérale à l’égard des détenus afghans. À l’inverse, si la capture ou l’arrestation d’une personne ne fait pas partie d’une opération d’ordre militaire, comme ce serait par exemple le cas d’une arrestation faite en vue de faire appliquer le Code de discipline militaire ou pour d’autres fins reliées au maintien de l’ordre ou à l’application de la loi, la nature des fonctions exercées devrait être analysée différemment. En l’espèce, l’analyse présentée dans la décision antérieure de la Cour fédérale est directement applicable.
  60. La Commission est consciente du fait que la décision en l’espèce peut donner l’impression que les agissements de la Police militaire relativement au traitement de détenus étrangers pendant des opérations en théâtre ne sont soumis à aucun examen détaillé ou surveillance externe. Cela n’est pas tout à fait exact. Il existe des mécanismes de responsabilisation par le biais d’enquêtes du SNEFC sur les infractions possibles au Code de discipline militaire ou à d’autres lois; enquêtes pouvant faire l’objet d’un examen par la Commission si celle-ci reçoit une plainte à ce sujet. Néanmoins, en vertu des lois et de la jurisprudence actuelles, il n’existe aucun mécanisme de surveillance indépendant et direct qui serait exercé par un organisme externe aux forces armées et qui pourrait examiner à fond la conduite des membres de la PM dans le cadre du traitement des détenus étrangers sous leur garde, du moins dans le contexte de la présente plainte.
  61. Cela dit, en l’absence de directives contraires venant de tribunaux supérieurs et dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Commission s’estime liée par la jurisprudence actuelle qui a déterminé de façon spécifique sa compétence concernant le traitement des détenus afghans. La Commission estime qu’une décision différente n’est pas possible en l’espèce. La Commission est liée par la lettre de la loi et du Règlement et elle se doit de suivre la décision de la Cour fédérale qui porte directement sur la question. La Commission ne peut donc pas conclure qu’elle a compétence à l’égard de l’allégation qui concerne les exercices qui auraient été menés par les membres de la Police militaire au CTD.
  62. Le Règlement mentionne une autre exception aux fonctions de nature policière qui peuvent faire l’objet d’une plainte à la Commission : les fonctions qui se rapportent à la « formation » sont aussi expressément exclues.
  63. Étant donné que la Cour fédérale a déjà déterminé dans l’affaire Amnesty International que la détention des détenus afghans est exclue de la compétence de la Commission car elle se rapporte à des opérations d’ordre militaire, il n’est pas nécessaire que la Commission examine la question de savoir si l’exclusion reliée à la formation pourrait s’appliquer aux faits en l’espèce. Par conséquent, la Commission ne formule aucune conclusion et ne se prononce pas dans la présente sur la nature des exercices menés au CTD et sur la question de savoir si l’exclusion en matière de formation aurait pu s’appliquer pour exclure la conduite de ces exercices de la compétence de la Commission.
  64. B)  Allégation 2 : L’enquête du SNEFC et la décision de ne pas porter d’accusations

  65. L’allégation se rapportant à l’enquête du SNEFC concerne essentiellement l’omission de porter des accusations. Comme l’indiquent les décisions de la Commission de prolonger le délai de dépôt de la plainte et de mener une EIP sur la plainte, l’essence de cet aspect de la plainte est une allégation que le SNEFC aurait mené une enquête inadéquate qui n’a pas permis de découvrir les renseignements pertinents sur les exercices, ou que le SNEFC, ayant découvert des renseignements suffisants, aurait pris une décision inappropriée à l’égard du dépôt des accusations.
  66. À l’opposé d’autres unités de la Police militaire, le SNEFC a le pouvoir de porter des accusations en vertu du Code de discipline militaire. Une plainte concernant le défaut de porter des accusations est, par conséquent, une plainte qui se rapporte à la conduite des membres du SNEFC.
  67. Les fonctions « enquêter » et « porter des accusations » sont expressément énumérées dans le Règlement à titre de fonctions de nature policière qui relèvent de la compétence de la Commission. Aucune des exceptions se rapportant à l’administration, à la formation ou aux opérations d’ordre militaire ne s’applique à cet aspect de la plainte, car le mandat du SNEFC est d’enquêter sur des infractions criminelles ou militaires pour faire respecter la loi. Les actions des membres du SNEFC dans la tenue de telles enquêtes et dans la prise de décisions à l’égard du dépôt d’accusations s’inscrivent donc clairement dans la conduite de nature policière qui est assujettie à un examen par la Commission.
  68. Dans l’affaire Amnesty International, une plainte avait également été déposée concernant une allégation que la Police militaire aurait omis d’enquêter sur les officiers des FAC responsables de donner des ordres concernant le transfert des détenus aux autorités afghanes. La Cour fédérale a conclu que cet aspect de la plainte relevait de la compétence de la Commission.Note 17
  69. Le juge Harrington a indiqué expressément que « la conduite d’une enquête au sens du Règlement comporte l’omission d’enquêter ».Note 18 Le même raisonnement s’applique à la fonction « porter des accusations » qui figure dans le Règlement. Par conséquent, une plainte qui allègue l’omission indue de porter des accusations se rapporte à une des fonctions énumérées dans le Règlement et relève donc de la compétence de la Commission.
  70. Ainsi, une plainte selon laquelle une enquête inadéquate aurait été menée ou selon laquelle des membres de la PM n’auraient pas enquêté sur certains aspects se rapporte également à l’une des fonctions énumérées et fait clairement partie des matières sur lesquelles la Commission a compétence d’enquêter.
  71. Par conséquent, la Commission conclut qu’elle a compétence pour enquêter sur tous les aspects des allégations formulées à l’égard de l’enquête menée par le SNEFC en 2011 et de la décision du SNEFC de ne pas porter d’accusations.
  72. C)  Allégation 3 : L’enquête menée par la chaîne de commandement de la Police militaire

  73. La plainte allègue que la chaîne de commandement de la PM a mené en 2012 une enquête sur les exercices au CTD et s’objecte au fait qu’en dépit des diverses enquêtes, aucune accusation n’a été portée.
  74. La tenue d’une enquête, si elle est menée par un membre de la PM (comme ce fut le cas dans la présente enquête), fait partie des fonctions de nature policière que la Commission a compétence pour examiner. Cependant, les fonctions qui se rapportent à l’administration sont exclues par le Règlement. Vu la nature de cette enquête, la Commission doit déterminer si celle-ci se rapporte à « l’administration » et donc ne relève pas de la compétence de la Commission.
  75. Pour déterminer cette question, la Commission a examiné le mandat et le rapport d’enquête, ainsi que les ordonnances et directives pertinentes et applicables à l’enquête.
  76. Sur la base de cet examen, la Commission a conclu que l’enquête menée était une forme d’enquête administrative appelée enquête sommaire. D’après les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, une enquête sommaire peut être ordonnée par un commandant dans le but d’enquêter sur des questions relatives à son unité ou concernant des membres qui relèvent de son commandement.Note 19 Il est spécifiquement interdit de se servir d’une enquête sommaire pour enquêter sur des infractions criminelles ou militaires.Note 20
  77. Dans cette affaire, l’enquête sommaire a été ordonnée en septembre 2012 par le GPFC qui était en fonction à ce moment, pour enquêter sur des lacunes alléguées dans le leadership de la Police militaire pendant le déploiement en question (FO 3‑10). Les questions devant faire l’objet de conclusions qui étaient énoncées dans le mandat de l’enquête se rapportaient toutes à des questions d’administration, d’organisation et de formation, dont la composition de la Compagnie de PM, l’entraînement préalable au déploiement, les protocoles de communication, les Instructions permanentes d’opération (IPO), etc. Le mandat stipulait expressément que l’enquête sommaire devait être suspendue en cas de réception d’éléments de preuve qui seraient considérés comme étant liés à des allégations d’infractions criminelles ou militaires.
  78. Le rapport de l’enquête sommaire mentionnait l’enquête menée par le SNEFC en l’espèce à quelques reprises, mais ne formulait aucune conclusion concernant les exercices menés au CTD.
  79. Après avoir examiné la définition des fonctions de nature policière qui relèvent de la compétence de la Commission ainsi que les exceptions citées dans le Règlement, la Commission conclut qu’elle n’a pas compétence pour enquêter sur la tenue et les résultats de l’enquête sommaire en l’espèce.
  80. Il s’agissait d’une enquête administrative portant sur des questions purement internes, analogue aux enquêtes menées en milieu de travail pour régler des problèmes liés au personnel ou à l’organisation. L’enquête ne se rapportait pas aux fonctions d’application de la loi ou autres fonctions de nature policière exercées par la Police militaire.
  81. Cela dit, certains des renseignements révélés par l’enquête sommaire pourraient bien être pertinents pour l’enquête d’intérêt public de la Commission. Lors de son examen de l’enquête menée par le SNEFC et de la décision du SNEFC de ne pas porter d’accusations, la Commission pourra prendre en considération tous les renseignements pertinents susceptibles de faire la lumière sur les événements et leur contexte.
  82. La portée de l’enquête d’intérêt public et les personnes visées par la plainte

  83. En raison des limites imposées à la compétence de la Commission par la loi et le Règlement, tels qu’interprétés par la Cour fédérale du Canada, la Commission n’est pas autorisée à formuler des conclusions et recommandations à l’égard de la conduite de tout membre de la PM ayant ordonné ou mené les exercices au CTD, ou à l’égard de la conduite du membre de la PM ayant mené l’enquête administrative en 2012.
  84. Par conséquent, l’enquête d’intérêt public de la Commission sera centrée sur la tenue de l’enquête du SNEFC et la décision du SNEFC de ne pas porter d’accusations.
  85. La Commission devra toutefois enquêter sur les incidents survenus au Centre de transfert des détenus pour être en mesure de formuler des conclusions éclairées quant à de l’enquête du SNEFC et à sa décision de ne pas porter d’accusations, y compris pour déterminer si le SNEFC a recueilli des renseignements suffisants, si son enquête présente des lacunes et si la décision de ne pas porter d’accusations était appropriée dans les circonstances.
  86. Par conséquent, la portée de l’EIP comprendra la collecte de tous les renseignements sur les faits sous-jacents (c.‑à‑d., la conduite des exercices) et le contexte, le cas échéant, que la Commission jugera nécessaires pour formuler les conclusions qui s’imposeront à l’égard de la conduite des membres du SNEFC et pour formuler des recommandations, si nécessaire.
  87. Cependant, étant donné que la Commission est autorisée uniquement à formuler des conclusions et des recommandations relativement à l’enquête du SNEFC et à sa décision concernant le dépôt d’accusations, seuls les membres du SNEFC impliqués dans l’enquête ou dans la décision de ne pas porter d’accusations ou responsables de l’enquête ou de la décision en raison de leurs fonctions peuvent être nommés à titre de personnes visées par la plainte.
  88. La Commission est consciente du fait que cette situation peut sembler être une anomalie dans une affaire comme la présente. Bien que le(ou la) plaignant(e) contestait manifestement le fait qu’aucune accusation n’ait été portée et qu’aucune cour martiale n’ait été convoquée malgré l’enquête menée par le SNEFC, il est également évident qu’un aspect important de la plainte se rapportait à la conduite des membres de la PM ayant ordonné ou mené les exercices au CTD. D’après le libellé de la plainte, ce sont ces personnes qui, selon les allégations du (ou de la) plaignant(e), étaient responsables de la conduite inappropriée et auraient dû être traduites en justice.
  89. En l’espèce, le résultat final, voulu ou non, des limites imposées à la portée de la compétence de la Commission fait en sorte que des personnes dont la conduite a motivé la plainte du (ou de la) plaignant(e) ne peuvent pas être nommées à titre de personnes visées par la plainte, tandis que les personnes ayant tenté d’enquêter sur cette même conduite doivent être nommées à titre de personnes visées par la plainte.
  90. La Commission tient à souligner ici que le fait que les membres du SNEFC impliqués dans l’enquête ou dans la décision de ne pas porter d’accusations, ainsi que les membres responsables de l’enquête ou de la décision, aient été nommés à titre de personnes visées par la plainte ne signifie pas que la Commission a conclu que leur conduite présente des lacunes.
  91. Ce n’est qu’à la conclusion de son enquête que la Commission sera en mesure de déterminer si l’enquête du SNEFC présentait des lacunes, si la décision de ne pas porter d’accusations était inappropriée ou déraisonnable, et, au cas où des lacunes ou problèmes auraient été relevés, si les personnes visées par la plainte en étaient responsables. La Commission n’est pas actuellement en mesure de se prononcer sur ces questions. L’identification des personnes visées par la plainte ne se veut pas une indication des conclusions qui seront éventuellement formulées.
  92. Les personnes visées par une plainte déposée à la Commission diffèrent des accusés dans une affaire criminelle. Ces derniers, bien qu’ils soient présumés innocents, ont été inculpés car l’État a des motifs de croire qu’ils sont impliqués dans le crime. Les personnes visées par une plainte dans le cadre d’une enquête menée par la Commission se trouvent dans une situation différente. Elles ne sont pas nommées parce que la Commission croit qu’elles ont participé à une conduite inappropriée ou que leur travail présente des lacunes. Elles sont nommées uniquement sur la base de leur participation aux tâches ou à la conduite faisant l’objet de la plainte.
  93. Ainsi, si une plainte allègue qu’une enquête était inadéquate, les policiers impliqués seront nommés à titre de personnes visées par la plainte, même si aucune information confirmant que l’enquête était effectivement inadéquate n’a été obtenue. Le fait de nommer les personnes visées par une plainte et de les aviser de cette désignation permet à la Commission d’aviser ces personnes que leur conduite a fait l’objet d’une plainte et que des conclusions seront formulées relativement à des événements auxquels elles ont participé.
  94. Chacune des personnes nommées à titre de personnes visées par la plainte aura la possibilité, pendant l’EIP de la Commission, de participer à des entrevues avec les enquêteurs de la Commission pour expliquer son rôle dans l’enquête du SNEFC et dans la décision de ne pas porter d’accusations.
  95. En l’espèce, en s’appuyant sur son examen de la documentation, la Commission a identifié six personnes visées par la plainte, dont quatre enquêteurs du détachement du SNEFC en théâtre qui ont dirigé ou participé à l’enquête de 2011, le commandant du détachement du SNEFC en théâtre et le commandant adjoint au QG SNEFC pendant la période pertinente.
  96. Conclusion

  97. Suite à un examen du droit applicable qui détermine la compétence de la Commission en l’espèce, la Commission a conclu que la portée de la présente EIP se limitera à formuler des conclusions et des recommandations à l’égard des allégations concernant l’enquête du SNEFC et la décision de ne pas porter d’accusations. La Commission n’est pas autorisée à formuler des conclusions ou des recommandations à l’égard de la conduite des membres de la PM ayant participé aux exercices menés au CTD, ni à l’égard de la conduite du membre de la PM ayant mené l’enquête administrative ultérieure.
  98. La Commission comprend que la portée limitée des conclusions et recommandations peut sembler être une anomalie, en particulier pour le (ou la) plaignant(e) et toute autre personne ayant des préoccupations similaires concernant les exercices menés au CTD. Cette portée limitée découle de la loi et du règlement, tel qu’ils ont été interprétés par les tribunaux et tel qu’applicables en l’espèce.
  99. La Commission mènera une enquête rigoureuse et approfondie sur toutes les questions qui relèvent de sa compétence. À ce titre, elle enquêtera sur les incidents survenus au CTD afin de bien cerner le contexte global et tous les renseignements accessibles au SNEFC, et de formuler les conclusions et recommandations nécessaires à l’égard de la conduite de l’enquête du SNEFC et de la décision de ne pas porter d’accusations.

FAIT à Ottawa (Ontario) le 27 février 2017.


Original signé par :
________________________
Hilary C. McCormack
Présidente

Original signé par :
________________________
Michel Séguin, O.O.M.
Membre de la Commission

Date de modification :