Rapport final remis aux plaignants, sujets, et aux bénéficiaires statutaires du MDN

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TABLE OF CONTENTS

  1. Résumé de la plainte
  2. Conclusions
  3. Le processus d’enquête d’intérêt public de la CPPM
  4. La plainte pour ingérence
  5. Contexte factuel de la plainte.
  6. Preuves, analyses et conclusions
    1. 6.1 Allégations no 1 et no 2 : Instructions de l’Adj Eves concernant la « pause tactique » et le transfert du dossier à la Section des enquêtes générales.
    2. 6.2 Allégation no 3 : Appel du Capt Andriatz à la mère de X.. 14
  7. Glossaire des termes et abréviations utilisés dans ce rapport

I Résumé de la plainte

1. La plainte pour ingérenceFootnote 1 a été déposée à la suite d’un contrôle de bien-être d’une officière de la police militaire (PM), XFootnote 2, à son domicile. La voisine de X avait appelé l’unité de PM parce qu’elle avait découvert que les jeunes enfants de X jouaient dehors sans surveillance alors que X était endormie dans sa maison. La voisine et son mari ont eu du mal à réveiller X et ont constaté qu’elle semblait désorientée. X était connue pour ses problèmes d’alcool et venait de terminer un programme de réadaptation. Cet incident faisait suite à un incident survenu trois mois auparavant impliquant X, et qui a donné lieu à une plainte distincte pour ingérence (CPPM 2021‑012) et à une plainte pour inconduite (CPPM 2021‑017).

2. Aucune accusation n’a été déposée contre X à la suite de l’incident précédent, mais des mesures administratives ont été prises. Certains membres de l’unité de PM ont estimé que X avait bénéficié d’un traitement de faveur à cet égard et ont déposé une plainte pour ingérence et inconduite contre des membres de la chaîne de commandement de l’unité de PM. Deux des trois membres de la PM qui étaient les plaignantes dans ces plaintes sont également les plaignants dans la présente plainte pour ingérence : un caporal de la PM et son superviseur, un sergent de la PM, qui ont répondu à l’appel pour le contrôle de bien-être.

3. Les plaignants ont effectué le contrôle de bien-être de X, et aucune mesure n’a été prise à l’endroit de celle-ci. Les enfants de X n’ont pas été considérés comme étant en danger imminent. Cependant, un nouveau dossier d’enquête de la PM a été ouvert concernant X, relativement à un possible abandon d’enfant et au défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence d’un enfant, sur la base des informations fournies par la voisine qui a déclenché le contrôle de bien-être de l’enfant. Le caporal de la PM plaignant a informé l’officier de service régional du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC), qui a toutefois refusé de prendre l’affaire en charge à ce moment-là.

4. Le commandant adjoint de l’unité de PM, qui fait l’objet de la présente plainte, a appelé la mère de X pour l’aviser du contrôle de bien-être.

5. Le caporal de la PM plaignant a élaboré un plan qui prévoyait des ordonnances de communication pour obtenir des dossiers du ministère du Développement de l’enfance et de la famille et des vidéos de sécurité des magasins d’alcool de la région. À ce moment, le supérieur des plaignants, un adjudant de la PM, qui fait l’objet de la présente plainte, a envoyé un courriel suggérant de prendre une [traduction] « pause tactique » dans l’enquête sur X pour abandon d’enfant et défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence. L’adjudant de la PM a ensuite indiqué au sergent de la PM plaignant son intention de transférer l’enquête à la Section des enquêtes générales de l’unité de PM.

6. Entre-temps, le caporal de la PM plaignant a continué à recueillir des informations sur le comportement de X en tant que parent, à la fois auprès de ses voisins et du personnel du ministère du Développement de l’enfance et de la famille. Les informations complémentaires recueillies ont ensuite mené le SNEFC à prendre en charge l’enquête sur l’abandon d’enfant.

7. Les plaignants ont allégué une ingérence de la part de l’adjudant de la PM pour avoir suggéré une « pause tactique » dans l’enquête sur X et le transfert de l’enquête à la Section des enquêtes générales de l’unité de PM. Les plaignants ont également exprimé leur désaccord concernant le fait que le commandant adjoint de l’unité de PM a appelé la mère de X pour l’informer du contrôle de bien-être effectué par la police militaire auprès de sa fille.

8. Après enquête, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM ou Commission) a conclu que les allégations d’ingérence n’étaient pas fondées. Premièrement, en suggérant une « pause tactique » et en cherchant à transférer l’enquête à la Section des enquêtes générales de l’unité de PM, l’adjudant de la PM en question n’a pas tenté de clore l’enquête. Deuxièmement, au moment où il a envoyé son courriel suggérant la « pause tactique » et tenté de transférer le dossier à la Section des enquêtes générales, l’adjudant de la PM concerné n’était pas au courant des informations supplémentaires recueillies par le plaignant, qui ont persuadé le SNEFC de reprendre l’affaire. Enfin, il a été conclu qu’en parlant à la mère de X pour l’informer du contrôle de bien-être effectué auprès de sa fille, le capitaine de la PM faisant l’objet de la plainte a simplement agi en tant qu’officier désigné pour aider X et que ce contact n’a pas causé d’ingérence dans l’enquête de la PM.

9. En réponse au rapport provisoire de la CPPM dans ce dossier, le chef d’état-major de la défense (CEMD) a noté qu’étant donné que ce rapport ne contenait aucune recommandation, aucune autre mesure n’était requise dans cette affaire.

II Conclusions

Conclusion no 1 :
La CPPM conclut que l’allégation selon laquelle l’Adj Eves a entravé une enquête de la police militaire sur des allégations d’abandon d’enfant en suggérant une « pause tactique » dans l’enquête est NON FONDÉE.

Conclusion no 2 :
La CPPM conclut que l’allégation selon laquelle l’Adj Eves a entravé une enquête de la police militaire sur des allégations d’abandon d’enfant en tentant de transférer l’enquête à la Section des enquêtes générales de l’unité de police militaire est NON FONDÉE.

Conclusion no 3 :
La CPPM conclut que l’allégation selon laquelle le capitaine Andriatz a entravé une enquête de la police militaire sur X pour abandon d’enfant en appelant la mère de X est NON FONDÉE.

III Le processus d’enquête d’intérêt public de la CPPM

10. Le 3 août 2021, la présidente de la CPPM a ouvert une enquête d’intérêt public sur cette plainte, ainsi que sur les deux plaintes antérieures déposées par ces plaignants concernant le traitement par leur unité de PM d’une enquête sur X concernant l’incident initial du 10 mars 2021 : CPPM 2021‑012 et CPPM 2021‑017.

11. La divulgation des dossiers pertinents a été reçue du Bureau des Normes professionnelles du Grand Prévôt des Forces canadiennes entre le 24 août 2021 et le 20 avril 2022. Les enquêteurs de la CPPM ont mené dix-sept entrevues entre janvier et fin mars 2022.

12. La CPPM est seule habilitée à statuer sur les plaintes pour ingérence déposées en vertu de la partie IV de la Loi sur la défense nationale (LDN). Hormis le fait qu’elle prévoit que l’intimidation et l’abus d’autorité sont assimilés à l’« entrave » dans une enquête de la police militaire, la Loi ne donne aucune définition ou orientation quant à ce qui constitue une entrave. L’entrave n’est pas non plus un terme juridique pour lequel on peut s’appuyer sur d’autres lois ou la common law pour en interpréter le concept. La CPPM détermine plutôt au cas par cas ce qui constitue une entrave et, au fil des ans, a élaboré des principes sur ce qui est et ce qui n’est pas une entrave.

13. L’un de ces principes est que pour qu’il y ait ingérence dans une enquête de la police militaire, il n’est pas nécessaire que la personne en question ait eu l’intention précise d’entraver l’enquête. Il suffit d’établir que la personne savait ou aurait dû savoir qu’il y avait une enquête active ou potentielle de la police militaire, et qu’elle a ensuite agi ou omis d’agir de manière à entraver ou à compromettre cette enquête.

14.Un autre principe clé qui a été élaboré et mis en pratique de manière cohérente par la CPPM est que les conseils ou les directives fournis aux enquêteurs de la police militaire par leurs supérieurs de la police militaire ne constituent généralement pas une entrave. Cela ne veut pas dire, cependant, que les supérieurs de la police militaire ne peuvent jamais être reconnus coupables d’entrave. Les superviseurs et supérieurs de la police militaire doivent agir de bonne foi et dans un but approprié lorsqu’ils donnent des instructions ou des conseils concernant les enquêtes menées par leurs subordonnés. Le favoritisme, la partialité ou la discrimination ne constituent pas des objectifs ou des fondements appropriés pour des conseils, des directives ou d’autres interventions dans le cadre d’une enquête de la police militaire.

15. Enfin, le processus de traitement des plaintes de la CPPM étant de nature administrative, la norme de preuve pour étayer les allégations est la norme civile de preuve selon la prépondérance des probabilités (c’est-à-dire « plus probable qu’improbable »), par opposition à la norme de preuve en matière pénale de preuve, soit la preuve hors de tout doute raisonnable.

IV La plainte pour ingérence

16. La CPPM a ciblé les allégations suivantes aux fins de la présente plainte pour ingérence :

Allégation no 1 : L’adjudant Jeffrey Eves (sous-officier de l’unité responsable des Opérations de la police militaire) est intervenu de manière inappropriée dans le dossier 2021‑15730 de la police militaire en ordonnant une « pause tactique » dans la conduite de l’enquête menée par le Cpl Wheeler.

Allégation no 2 : L’adjudant Eves est intervenu de manière inappropriée dans le dossier 2021‑15730 de la police militaire en ordonnant le transfert du dossier à la Section des enquêtes générales de l’unité de police militaire.

Allégation no 3 : Le capitaine Derek Andriatz (commandant adjoint de l’unité de police militaire) a entravé le dossier 2021‑15730 de la police militaire en communiquant avec la mère de X au sujet de l’enquête à l’insu du Cpl Wheeler et sans son consentement.

V Contexte factuel de la plainte

Nom de la personne impliquée dans le dossier

Lien avec le dossier

X

Officière de l’unité de Police militaire qui a fait l’objet de l’enquête de la PM à l’origine de la plainte

Cpl Patrick BainFootnote 3

Membre de l’unité de PM

Maj Roland Russell

Commandant de l’unité de PM

Cpl Monty Wheeler

Membre de l’unité de PM/plaignant

Sgt Daniel Mongraw

Membre de l’unité de PM/plaignant

Capt Derek Andriatz

Officier de l’unité de PM/visé par la plainte

Sgt Ryan Wilson

Officier régional en service du SNEFC

Adj Jeffrey Eves

Membre de l’unité de PM/visé par la plainte

Cpl Trenh

Membre de l’unité de PM

PM 2 Dean MacKinnon

Sergent-major de l’unité de PM

Capt Evan Foster

Officier commandant du détachement régional du SNEFC

Adj William Evershed

Membre du détachement régional du SNEFC

17. Le 10 mars 2021, X, une officière de la police militaire nouvellement affectée, a tenté de prendre le volant à la sortie d’un restaurant pour retourner chez elle avec ses trois enfants. Des passants qui avaient l’impression qu’elle était en état d’ébriété l’en ont empêchée.

18. Les policiers civils qui se sont rendus sur les lieux ont déterminé que X n’avait pas « la garde et le contrôle » de son véhicule et qu’elle ne pouvait donc pas être accusée de conduite d’un véhicule à moteur en état d’ébriété. Le caporal (Cpl) Bain de la police militaire s’est ensuite rendu sur les lieux et a ramené X et ses enfants chez eux. Alors que les infractions d’ordre militaire d’ivresse et de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline ont été recommandées par le Cpl Bain, le commandant de l’unité de police militaire, le Maj Roland Russell, a choisi de traiter la conduite de X en prenant des mesures administratives.

19. Certains membres de l’unité de PM, dont le Cpl Bain et les deux plaignants dans la présente affaire – le Cpl Monty Wheeler et son superviseur, le sergent (Sgt) Daniel Mongraw – croyaient que la chaîne de commandement de l’unité de PM essayait d’étouffer l’incident impliquant X et de lui accorder un traitement préférentiel. Le 30 avril 2021, ces membres de la PM ont déposé des plaintes pour ingérence et inconduite auprès de la CPPM : dossiers 2021‑012 et 2021‑017.

20. Le 12 juin 2021, l’unité de PM reçoit un appel d’une voisine de X, qui affirme que les jeunes enfants de X se trouvent à l’extérieur de leur résidence sans surveillance. La voisine déclare être entrée chez X et l’avoir trouvée inconsciente sur le canapé. La voisine explique que son mari, qui s’est aussi rendu au domicile de X, a remarqué qu’elle semblait désorientée.

21. L’appel de la voisine a été reçu à 12 h 16 ce jour‑là (12 juin 2021). Le Cpl Wheeler et le Sgt Mongraw se rendent au domicile de X en réponse à l’appel. L’enquêteur principal, le Cpl Wheeler, arrive à 12 h 21. Il s’entretient avec X, et cette conversation est enregistrée sur le système d’enregistrement vidéo mobile du Cpl Wheeler. Le Cpl Wheeler a déterminé que X était [traduction] « dans un état stable physiquement et mentalement ». Il quitte la résidence cinq minutes plus tard, à 12 h 27. Le Cpl Wheeler a consigné cet événement dans le dossier d’enquête de la police militaire 2021‑15072.

22. Après avoir été informé de ce dernier incident impliquant X, à 12 h 58, le commandant adjoint de l’unité de PM, le capitaine Derek Andriatz, appelle la mère de X pour l’informer du contrôle de bien-être effectué auprès de sa fille.

23. Pour donner suite à cette enquête, le même jour, le Cpl Wheeler ouvre un autre dossier (événement général (EG) 2021‑15730). Dans ce dossier, il ouvre une enquête pour abandon d’enfant (article 218 du Code criminel) et défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence [sous‑alinéa 215(2)(ii) du Code criminel] à l’égard de X. Il avise également le ministère du Développement de l’enfance et de la famille.

24. Le lendemain, le 13 juin 2021, à 11 h 15, le Cpl Wheeler signale l’affaire au Sgt Ryan Wilson, l’officier de service du SNEFC pour la région. Le Sgt Wilson n’accepte pas l’enquête à ce moment-là. Le Sgt Wilson consigne dans le dossier les raisons pour lesquelles il n’accepte pas l’affaire : il estimait qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour justifier une enquête pour abandon d’enfant.

25. Le 14 juin 2021, à 8 h 17, l’Adj Jeffery Eves examine pour la première fois le dossier 2021‑15730 de la police militaire. Il l’examine de nouveau à 15 h.

26.À 16 h 55 le 14 juin, l’Adj Eves envoie un courriel au chef de quart du Cpl Wheeler, le Sgt Mongraw, indiquant : [traduction] « Je pense que les caporaux Wheeler et Trenh devraient faire une “pause tactique” jusqu’à ce que nous obtenions plus d’informations du Ministère [le ministère du Développement de l’enfance et de la famille] avant d’aller plus loin ». Entre 17 h 28 et 17 h 46, l’Adj Eves examine à nouveau le dossier.

27. À 18 h 26 le 14 juin, l’Adj Eves appelle le Sgt Mongraw sur une ligne enregistrée. Lors de cet appel téléphonique, l’Adj Eves demande que le dossier soit transmis à la Section des enquêtes générales de l’unité de PM (alors que le Cpl Wheeler et le Sgt Mongraw étaient en patrouille).

28. Au moment où le Sgt Mongraw s’entretient avec l’Adj Eves, le Cpl Wheeler parle de nouveau au téléphone avec le Sgt Wilson et lui donne de nouvelles informations sur l’affaire. Le Sgt Wilson lui dit qu’il réexaminera le dossier le lendemain, une fois que toutes les nouvelles informations auront été versées au dossier.

29. Tout au long du quart de la soirée, le Cpl Wheeler met à jour le dossier avec les informations supplémentaires qu’il a obtenues.

30. Le 15 juin 2021, à la demande du sergent-major de l’unité de PM, le premier maître de deuxième classe (Pm 2) Dean Mackinnon, le commandant régional du SNEFC, le Capt Evan Foster et l’Adj William Evershed examinent le dossier d’enquête 2021‑15730 et acceptent de prendre en charge l’enquête.

31. Cette plainte pour ingérence a été déposée le 14 juillet 2021, initialement par le Cpl Wheeler; cependant, le Sgt Mongraw s’est ensuite joint à la plainte en tant que co‑plaignant.

32. Le 3 août 2021, la présidente de la CPPM a ouvert une enquête d’intérêt public sur cette plainte, ainsi que sur les plaintes antérieures liées à l’incident du 10 mars 2021 impliquant X : dossiers 2021‑012 et 2021‑017 de la CPPM.

VI Preuves, analyses et conclusions

6.1 Allégations no 1 et no 2 : Instructions de l’Adj Eves concernant la « pause tactique » et le transfert du dossier à la Section des enquêtes générales

33. La première allégation est fondée sur un courriel envoyé par l’Adj Eves au superviseur du Cpl Wheeler (et co‑plaignant), le Sgt Mongraw, le 14 juin 2021 à 16 h 55. La partie pertinente de ce courriel se lit comme suit :

[Traduction]

En ce qui concerne le dossier EG 2021‑175702 [sic – il faut lire 15702] – le contrôle de bien-être est plus ou moins terminé (par exemple, vous avez reçu la plainte, enquêté sur la plainte, un plan d’action a été mis en place). Il s’agit essentiellement de régler les derniers détails et de conclure.

En ce qui concerne le dossier EG 2021‑17730 [sic – il faut lire 15730] – je pense que vous avez entrepris le dossier de bonne foi et que vous avez communiqué avec l’officier de service du SNEFC et le ministère du Développement de l’enfance et de la famille. Le Sgt Wilson, du SNEFC, a examiné le dossier et a saisi une zone de texte très détaillée dans le dossier sur le fait qu’il (le SNEFC) ne pense pas qu’il y ait des motifs de conclure à un abandon d’enfant. Par ailleurs, le travailleur social du ministère du Développement de l’enfance et de la famille s’est rendu sur place à plusieurs reprises au cours de la fin de semaine et n’a pas pensé que les enfants étaient en danger, sinon il les aurait immédiatement retirés de la garde du parent ou du tuteur. C’est pourquoi je pense que les caporaux Wheeler et Trenh devraient faire une « pause tactique » jusqu’à ce que nous recevions davantage d’informations du Ministère avant d’aller plus loin. Je comprends qu’ils prévoient d’établir une ordonnance de communication pour obtenir les dossiers du Ministère, mais dans quel but? Il semble qu’il n’y ait pas eu d’infraction criminelle. N’oubliez pas que le ministère du Développement de l’enfance et de la famille a le devoir de signaler à la police tout danger réel pour les enfants.

34. Pour évaluer cette allégation concernant la directive de « pause tactique », il est important de tenir compte de l’état des connaissances de l’Adj Eves au moment où il a envoyé ce courriel. X s’était endormie, et les voisins auraient eu du mal à la réveiller. Ses enfants jouaient dehors sans surveillance lorsque les voisins ont appelé la police militaire. Les caporaux Wheeler et Trenh ont répondu à l’appel pour vérifier l’état de X. Le Cpl Wheeler estime que X était manifestement fatiguée et semblait désorientée. Cependant, il n’a relevé aucun signe de consommation d’alcool, bien qu’il pense qu’elle ait pu avoir la gueule de bois.

35. Le Cpl Wheeler a informé le Sgt Wilson du SNEFC de l’affaire dans le but d’amener le SNEFC à reprendre l’enquête. Le Sgt Wilson a noté les éléments suivants dans le dossier électronique de la police militaire sur le Système d’information – Sécurité et police militaire (SISEPM) :

[Traduction]

2. Le Cpl WHEELER a déclaré qu’il avait d’abord soupçonné que [X] était inconsciente parce qu’elle avait consommé de l’alcool lorsqu’il a été informé de l’appel. Cependant, après s’être rendu au domicile, il n’a pu formuler aucune raison de penser que [X] avait consommé de l’alcool, car il n’y avait pas d’odeur d’alcool sur elle, aucun signe visuel de contenant d’alcool ouvert dans le domicile et elle n’avait pas de troubles de l’élocution. Le Cpl WHEELER a dit qu’elle semblait avoir la gueule de bois et qu’elle venait de sortir d’une cure de réadaptation pour abus d’alcool le 8 juin 2021. Le Cpl WHEELER a également mentionné que [X] était une ancienne membre de la police militaire. Le Sgt WILSON savait que [X] avait fait l’objet d’un dossier lié à l’alcool impliquant ses enfants au cours des dernières années.

4. Le Cpl WHEELER a informé le Sgt WILSON que le ministère du Développement de l’enfance et de la famille a été appelé et que des agents du Ministère se sont rendus au domicile le 12 juin 2021 afin d’assurer la sécurité des trois enfants. Après évaluation, les enfants ont été autorisés à rester dans la résidence avec [X] et n’ont pas été considérés comme étant en danger immédiat.

5. Bien que l’ordre 2‑381.1 du Gp PM (Normes – Infractions de nature grave et délicate) prévoit que les infractions graves dont un enfant est la victime doivent être transmises au SNEFC, l’évaluation des informations ne suggère pas qu’il s’agisse d’une infraction grave commise à l’encontre d’un enfant, étant donné que l’on n’a pu constater que la personne visée par l’enquête était endormie, ce qui a fait que les enfants ont été laissés sans surveillance pendant un court laps de temps. Le SNEFC prendrait normalement la responsabilité de l’enquête pour un dossier impliquant un membre de la PM; cependant, ce dossier était simplement le résultat d’un appel de contrôle de bien-être, auquel les patrouilleurs de la PM et les agents du ministère du Développement de l’enfance et de la famille ont répondu et ont déterminé que toutes les parties dans la résidence (y compris les enfants) n’étaient pas en danger. Pour cette raison, le [SNEFC] a refusé de prendre l’enquête en charge à ce stade.

36. L’entrée dans le SISEPM susmentionnée est datée du 13 juin 2021 à 11 h 7. Le Cpl Wheeler a poursuivi son enquête en s’entretenant avec les voisins de X, ainsi qu’avec le personnel du ministère du Développement de l’enfance et de la famille. Cela a permis d’obtenir des informations supplémentaires sur le comportement de X en tant que parent. Après une nouvelle conversation avec les voisins de X et avec le personnel du ministère du Développement de l’enfance et de la famille, le Cpl Wheeler a recueilli des informations significatives suggérant une négligence parentale de la part de X. Cette fois, le SNEFC a accepté de prendre en charge le dossier. Le Sgt Wilson a fait l’entrée suivante dans le SISEPM le 14 juin 2021 à 17 h 30 :

[Traduction]

2. Le paragraphe 2. h. de l’ordre 2‑381.1 du Gp PM (Normes – Infractions de nature grave et délicate) prévoit que les infractions graves dont un enfant est victime doivent être signalées au SNEFC; de même, le paragraphe 2. s. prévoit que les infractions commises par un membre de la police militaire ou un officier de la police militaire nommé en vertu de l’article 156 de la Loi sur la défense nationale (LDN) doivent être signalées au SNEFC. Les nouvelles informations fournies au Sgt WILSON constituent des motifs suffisants pour que le [SNEFC] accepte de prendre l’enquête en charge.

3. Le 15 juin 2021, le cmdt et l’Adj du [SNEFC] ont examiné l’événement général (EG) et ont convenu avec le Sgt WILSON que le [SNEFC] assumait la responsabilité de l’enquête.

37. D’autres informations recueillies par le Cpl Wheeler ont été consignées dans un courriel adressé au Sgt Mongraw le 15 juin 2021, à 5 h 44, qui a été transmis une minute plus tard à l’Adj Eves en réponse au courriel sur la « pause tactique » que ce dernier lui avait envoyé la veille. Dans ce courriel du 15 juin, le Sgt Mongraw et le Cpl Wheeler ont présenté à l’Adj Eves des informations similaires à celles fournies au Sgt Wilson du SNEFC concernant les capacités parentales de X. Le message adressé par le Sgt Mongraw à l’Adj Eves se conclut comme suit :

[Traduction]

En tout respect, en raison de ces nouvelles informations, je ne peux pas, en toute bonne foi, faire une « pause tactique » dans cette enquête, comme le suggère l’Adj EVES. J’ai observé de nombreux problèmes de sécurité et de santé sur lesquels je ne peux pas fermer les yeux. J’ai l’obligation morale et éthique de poursuivre cette enquête. J’ai l’impression que la chaîne de commandement commet une entrave et pourrait commettre une obstruction relativement à l’enquête que je mène en vertu du Code criminel (lorsque le capitaine ANDRIATZ a communiqué avec la famille de X sans me consulter). J’ai établi des relations avec toutes les parties concernées, et j’ai assuré la liaison avec le SNEFC tout au long de ce processus, conformément à notre ordre du groupe. Je n’ai pas de conflit d’intérêts, car je n’étais pas impliqué dans la rencontre précédente de X lorsqu’elle faisait partie de la police militaire.

Cette affaire devrait faire l’objet d’une enquête approfondie de la part du SNEFC sur la base de ces nouvelles informations, mais si ce n’est pas le cas, je resterai l’enquêteur principal.

38. Ainsi, alors qu’au départ, il ne semblait pas y avoir de motifs pour poursuivre une enquête sur l’abandon d’enfant, des informations supplémentaires recueillies par le Cpl Wheeler auprès des voisins de X et du ministère du Développement de l’enfance et de la famille, puis communiquées au SNEFC et à l’Adj Eves, ont semblé fournir de tels motifs. Toutefois, il convient de noter que l’Adj Eves n’a eu connaissance de ces informations supplémentaires qu’après avoir envoyé son courriel suggérant une « pause tactique » le 14 juin 2021 à 16 h 55. Si l’on tient uniquement compte des éléments de preuve présentés à l’Adj Eves au moment de l’envoi de son courriel, il ne semblait pas y avoir, à ce moment-là, de motifs justifiant les mesures envisagées par le Cpl Wheeler, à savoir des mandats de perquisition pour obtenir des bandes vidéo des magasins d’alcool de la région et une ordonnance de communication visant les dossiers pertinents du ministère du Développement de l’enfance et de la famille. Ce point de vue est conforme à l’évaluation initiale du dossier par le Sgt Wilson au nom du SNEFC.

39. Pour évaluer cette allégation, il est également important de noter les termes utilisés par l’Adj Eves dans son courriel du 14 juin 2021. Le message ne demande pas l’arrêt de l’enquête. Il suggère plutôt d’attendre des informations complémentaires de la part du ministère du Développement de l’enfance et de la famille, ce qui a précisément été le cas. L’Adj Eves a fait remarquer que le ministère du Développement de l’enfance et de la famille a déjà l’obligation de signaler à la police toute situation dans laquelle il existe « un réel danger pour les enfants ». À ce titre, il s’est interrogé sur la nécessité de préparer une ordonnance de communication en vue de la divulgation de dossiers du ministère du Développement de l’enfance et de la famille. Le message se termine par la promesse d’appeler le Sgt Mongraw peu après, à 18 h.

40. L’Adj Eves a effectivement appelé le Sgt Mongraw et lui a parlé à 18 h 26. Au cours de cette conversation, l’Adj Eves a indiqué qu’il transférerait le dossier d’enquête (EG no 2021‑15730) à la Section des enquêtes générales de l’unité de PM – les caporaux Wheeler et Trenh et le Sgt Mongraw étaient alors en patrouille. Cette déclaration d’intention de l’Adj Eves est à la base de la deuxième allégation de cette plainte. Cette directive de transférer la responsabilité du dossier à la Section des enquêtes de l’unité de PM a été confirmée par l’Adj Eves dans un courriel envoyé le soir même du 14 juin 2021, à 19 h 36. Dans ce message, l’Adj Eves a également demandé au Sgt Mongraw de veiller à ce que toutes les étapes de l’enquête et un plan d’enquête soient consignés dans le dossier. Une fois encore, cette directive suggère que l’Adj Eves ne cherchait pas à mettre fin à une enquête sur cette affaire, à l’ignorer ou à l’étouffer de quelque manière que ce soit. En l’occurrence, comme cela est indiqué ci-dessus, l’enquête a été reprise par le SNEFC après que le Cpl Wheeler a obtenu de nouvelles informations auprès des voisins de X et du ministère du Développement de l’enfance et de la famille.

41. Pour justifier le transfert du dossier à la Section des enquêtes de l’unité de police militaire, l’Adj Eves a notamment indiqué que c’est le quart de patrouille du Sgt Mongraw qui avait déjà traité avec X dans le cadre de l’incident du 10 mars 2021. Il a également suggéré que le Cpl Wheeler avait des antécédents personnels avec X qui n’ont pas été divulgués. Au cours de l’appel téléphonique avec le Sgt Mongraw, l’Adj Eves a en outre déclaré avoir l’impression qu’on avait une dent contre X. Lors de son entrevue avec la CPPM, l’Adj Eves a déclaré, à la lumière de ce qui précède, qu’il pensait que le Cpl Wheeler était [traduction] « très partial ».

42. Un autre facteur à prendre en compte pour évaluer le caractère raisonnable des actions de l’Adj Eves, qui a suggéré une « pause tactique » et demandé le transfert du dossier à la Section des enquêtes de l’unité de PM, est le manque relatif d’expérience du Cpl Wheeler à l’époque : il avait à peine deux ans d’expérience en tant que membre de la police militaire. En outre, les infractions au Code criminel que sont l’abandon d’enfant et le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence ne sont pas des infractions qui donnent couramment lieu à des inculpations et sont difficiles à prouver.

43. Les informations qui précèdent indiquent que les instructions de l’Adj Eves concernant la « pause tactique » et le transfert du dossier d’enquête en question étaient raisonnables et ont été données pour des raisons légitimes, et non dans le but d’entraver ou d’arrêter l’enquête, qui, en tout état de cause, a été poursuivie par le SNEFC. Il convient de noter que cette enquête du SNEFC n’a pas abouti à une inculpation de X.

Conclusion no 1 :
La CPPM conclut que l’allégation selon laquelle l’Adj Eves a entravé une enquête de la police militaire sur des allégations d’abandon d’enfant en suggérant une « pause tactique » dans l’enquête est NON FONDÉE.

Conclusion no 2 :
La CPPM conclut que l’allégation selon laquelle l’Adj Eves a entravé une enquête de la police militaire sur des allégations d’abandon d’enfant en tentant de transférer l’enquête à la Section des enquêtes générales de l’unité de police militaire est NON FONDÉE.

6.2 Allégation no 3 : Appel du Capt Andriatz à la mère de X

44. Il est vrai que le commandant adjoint de l’unité de PM, le Capt Andriatz, a appelé la mère de X à 12 h 58 le 12 juin 2021, le jour même où la police militaire a procédé à un contrôle de bien-être au domicile de X. Le Capt Andriatz l’a fait pour informer la mère de X de l’événement.

45. Le Capt Andriatz était l’officier désigné pour aider X et, en tant que tel, avait soutenu X au cours des difficultés qu’elle avait vécues récemment. Le Capt Andriatz avait développé une bonne relation avec la mère de X. Les parents de X s’étaient occupés des enfants pendant que X suivait un traitement pour sa dépendance à l’alcool. En effet, X venait tout juste de rentrer chez elle après avoir suivi un traitement contre la dépendance avant le contrôle de bien-être de la police militaire du 12 juin 2021, et ses parents venaient de la quitter ce matin-là pour rentrer chez eux en Alberta. Compte tenu de son implication préalable auprès de X et de sa mère, il semblait tout à fait naturel que le Capt Andriatz communique avec la mère de X pour l’informer des faits nouveaux.

46. Il était tout à fait légitime et approprié que le Capt Andriatz et d’autres membres de la direction de l’unité de PM s’inquiètent du bien-être de X et de celui de ses enfants. Cette préoccupation légitime n’a pas cessé parce que X faisait l’objet d’une enquête pour une éventuelle inconduite d’ordre militaire ou pénal.

47. Il convient également de noter que le Capt Andriatz disposait d’informations limitées, car il n’avait pas encore été informé de la nouvelle enquête criminelle du Cpl Wheeler pour abandon d’enfant (EG no 2021-15730) au moment où il a effectué cet appel. Il n’était au courant que du contrôle de bien-être effectué par le Cpl Wheeler et le Sgt Mongraw. Il n’y a pas non plus de raison de penser qu’il aurait dû être au courant de cette enquête complémentaire au moment de son appel à la mère de X. L’intention du Capt Andriatz était seulement d’informer la mère de X en vue de s’assurer que X bénéficie d’un soutien approprié pour faire face à ses problèmes. Même si le Capt Andriatz avait eu connaissance de la nouvelle enquête criminelle, il est difficile de voir comment le fait d’appeler la mère de X pour l’informer du contrôle du bien-être aurait pu entraver cette enquête.

Conclusion no 3 :
La CPPM conclut que l’allégation selon laquelle le capitaine Andriatz a entravé une enquête de la police militaire sur X pour abandon d’enfant en appelant la mère de X est NON FONDÉE.

Examen de la lettre de réponse du chef d’état-major de la défense

48. Après avoir examiné tous les renseignements et documents pertinents à cette plainte, les membres de la Commission ont commencé la préparation du rapport provisoire. Conformément à l’article 250.39 de la LDN, le rapport provisoire a été produit le 25 août 2023 et transmis au ministre de la Défense nationale, au chef d’état-major de la défense, au juge-avocat général et au GPFC.

49. Conformément au paragraphe 250.51(1) de la LDN, le CEMD est tenu d’informer le ministre et la présidente de toute mesure qui a été ou sera prise à l’égard de cette plainte. Le 26 octobre 2023, la CPPM a reçu la lettre de réponse du CEMD (datée du 20 octobre 2023) pour donner suite au rapport provisoire de la CPPM.

50. Dans sa lettre de réponse, le CEMD a noté qu’étant donné qu’aucune recommandation n’a été formulée dans cette affaire, aucune mesure n’est requise par le CEMD en ce qui concerne cette plainte.

51. Conformément au paragraphe 250.53(1) de la LDN, les membres de la Commission ont préparé le présent rapport final après avoir examiné la lettre de réponse du CEMD.

Ottawa, le 27 novembre 2023

Document original signé par :


Bonita Thornton B.A. LL.B, CD.
Membre de la Commission

Document original signé par :


Ron Kuban, Ph.D., CD.
Membre de la Commission

Glossaire des termes et abréviations utilisés dans ce rapport

Adj

Adjudant

Capt

Capitaine

CEMD

Chef d’état-major de la défense

cmdt

Commandant

Cpl

Caporal

CPPM ou Commission

Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire

EG

Événement général

Gp PM

Groupe de la Police militaire

LDN

Loi sur la défense nationale

Maj

Major

Sgt

Sergent

SISEPM

Système d’information – Sécurité et police militaire

SNEFC

Service national des enquêtes des Forces canadiennes

PM

Police militaire

PM 2

Premier maître de deuxième classe

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