Enquête d'intérêt public Fortin (CPPM‑2023‑006) – Décision sur la demande de prolongation de délai pour déposer une plainte

Non désigné sous l’autorité de la présidente de la CPPM en date du 2 mai 2023.

PAR COURRIEL

Le 12 avril 2023

Major‑général Dany Fortin

Notre dossier : CPPM 2023‑006
Demande de prolongation de délai pour déposer une plainte

Mgén Fortin,

La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM) a reçu votre plainte par courriel le 17 janvier 2023. La plainte concerne le traitement d’une enquête du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) portant sur une agression sexuelle remontant à plusieurs années.

Une plainte doit être déposée au courant de l’année suivant la survenance de l’incident en question.1 Étant donné que votre plainte porte sur la conduite de membres de la police militaire qui s’est produite il y a plus d’un an, je ne peux accorder une prolongation de délai que s’il est raisonnable de le faire.

Afin d’avoir en main toute l’information pertinente à l’examen de votre demande de prolongation de délai, la CPPM a soumis une demande de divulgation au Bureau des normes professionnelles du Grand Prévôt des Forces canadiennes le 25 janvier 2023. Plus particulièrement, la CPPM a demandé une copie du dossier d’enquête du SNEFC portant sur l’allégation d’agression sexuelle contre vous (dossier d’événement général (EG) 2021‑5656).

Le 31 mars 2023, le Bureau des normes professionnelles a répondu à cette demande en ne divulguant à la CPPM qu’une copie du rapport d’enquête de la police militaire, soit un document de quelques pages ne contenant qu’un résumé de l’enquête. Le Bureau des normes professionnelles soutient dans sa réponse que les informations contenues dans ce rapport sont suffisantes pour statuer sur la présente demande de prolongation, et que, par conséquent, la divulgation du dossier d’enquête complet n’est pas nécessaire.

Je tiens à exprimer mon désaccord avec cette décision puisqu’il est inapproprié pour le Bureau des normes professionnelles de se prononcer sur les exigences de la CPPM en matière d’information pour statuer sur les questions dont elle est saisie. Il ne tient qu’à la CPPM de déterminer la pertinence et l’étendue des informations nécessaires pour accomplir son mandat. Toutefois, compte tenu que la CPPM a l’obligation de donner suite aux plaintes dont elle est saisie avec célérité2, j’ai décidé de procéder à l’examen de votre demande de prolongation de délai sur la base des informations disponibles à ce jour.

Dans l’examen de votre demande de prolongation de délai, j’ai porté une attention particulière aux facteurs suivants : la compétence de la CPPM; la durée du délai et l’explication que vous avez fournie; s’il y a des questions défendables à soumettre dans cette affaire; le préjudice potentiel pour les membres de la police militaire visés par la plainte, et l’intérêt de la justice.

Pour les raisons qui suivent, j’accueille votre demande de prolongation de délai.

Votre plainte

Dans votre plainte, vous expliquez que le SNEFC a mené une enquête contre vous à la suite d’une allégation d’agression sexuelle en mi‑mars 2021. Le membre de la police militaire visé par la plainte était l’enquêteur principal au dossier. Le 11 mai 2021, le SNEFC a transmis le dossier d’enquête au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Vous avez été accusé d’agression sexuelle par le DPCP le 18 août 2021.

Le procès a commencé le 19 septembre 2022 et s’est conclu par un verdict de non-culpabilité le 5 décembre 2022. Le DPCP a confirmé qu’il ne ferait pas appel de la décision de la Cour le 9 janvier 2023.

Dans votre plainte, vous affirmez que le SNEFC a mené une enquête biaisée en faveur de la présumée victime et motivée, en partie, par d’importantes pressions politiques internes et externes. Vous affirmez, entre autres, que le SNEFC a transmis un dossier d’enquête contre vous au DPCP en l’absence d’éléments de preuve suffisants.

Date des événements à l’origine de la plainte

Votre plainte soulève des allégations de mauvaise gestion d’une enquête portant sur une agression sexuelle menée par des membres du SNEFC en lien avec le dossier d’événement général (EG) 2021‑5656.

Les événements à l’origine de votre plainte se sont principalement produits entre mi‑mars et mi‑août 2021. Vous avez donc déposé votre plainte environ 17 à 22 mois après la date de la conduite qui fait l’objet de votre plainte.

Comme mentionné ci-dessus, votre plainte porte sur la conduite de la police militaire qui s’est produite il y a plus d’un an, je dois donc accorder une prolongation de délai pour que la plainte soit traitée.3

Les allégations ne sont pas clairement en dehors de la compétence de la CPPM

La compétence de la CPPM se limite aux plaintes concernant la conduite d’un membre de la police militaire dans l’exercice des « fonctions de nature policière », comme prescrit dans le Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires4 (le Règlement). Votre plainte concernant le traitement d’une enquête par les membres du SNEFC semble relever de la compétence de la CPPM, car elle porte sur la conduite d’une « enquête » telle qu’énumérée à l’alinéa 2(1)a) du Règlement.

Votre explication du délai est raisonnable dans les circonstances

J’ai considéré votre explication du délai à porter plainte auprès de la CPPM, à savoir que vous étiez occupé avec d’autres procédures connexes.

Vous avez été accusé d’un chef d’accusation d’agression sexuelle le 18 août 2021, et vous avez été acquitté le 5 décembre 2022. Le DPCP a confirmé qu’il ne ferait pas appel de la décision de la Cour le 9 janvier 2023. Ainsi, vous avez indiqué que vous étiez concentré sur la préparation de votre défense en vue du procès et sur le processus judiciaire pendant pratiquement toute la période intermédiaire.

J’estime que votre explication justifie raisonnablement le délai pour déposer votre plainte et que ce retard n’est pas excessif dans les circonstances.

La plainte comporte des questions défendables

Lorsque j’examine des demandes de prolongation de délai pour déposer une plainte, l’un des facteurs que je prends en considération est de déterminer si la demande ou la plainte comporte des « questions défendables ».5 Une question défendable doit être fondée sur des manquements allégués dans la conduite de policiers militaires lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions de nature policière.

Dans votre plainte, vous soulevez des préoccupations concernant le défaut d’enquêter correctement sur les allégations d’agression sexuelle, une infraction criminelle du Code criminel du Canada passible d’une peine d’emprisonnement maximal de 10 ans.6 Vous affirmez, entre autres, que le SNEFC a mal géré l’enquête ; était généralement biaisé en faveur de la présumée victime; n’a pas assuré le suivi aux « contradictions importantes » dans l’histoire de la présumée victime; et a transmis le dossier d’enquête contre vous au DPCP en l’absence d’éléments de preuve suffisants. Ce sont là de questions défendables selon moi puisque l’on s’attend à ce que les membres de la police militaire s’acquittent de leurs fonctions de nature policière conformément aux meilleures pratiques et aux politiques de la police militaire, et tout manquement à cet égard pourrait constituer une inconduite.

Par conséquent, j’estime que vous avez des questions défendables à soumettre qui militent en faveur d’une prolongation du délai de prescription pour déposer votre plainte.

Préjudice minime pour les membres de la police militaire visés par la plainte

En général, pour les plaintes déposées en dehors du délai prescrit, un certain degré de préjudice aux membres de la police militaire visés par la plainte est présumé sur la base de la mémoire défaillante et de la perte potentielle des dossiers pertinents. De plus, il est raisonnable qu’ils ne s’attendent pas à faire face à des plaintes au sujet de leur conduite après la fin du délai de prescription d’un an.

Toutefois, le préjudice en l’espèce est atténué par l’existence d’un dossier d’enquête et par le fait que les procédures judiciaires connexes ont conclu récemment.

L’intérêt de la justice exige que le délai de prescription soit prolongé

En règle générale, lorsque la CPPM examine l’intérêt de la justice, nous nous demandons si la plainte comprend des allégations d’inconduite grave; si les questions ont le potentiel de nuire à la confiance envers la police militaire ou le processus de règlement des plaintes; si la plainte implique ou soulève des doutes au sujet de l’intégrité des officiers supérieurs militaires ou des cadres supérieurs du ministère de la Défense nationale; et s’il est probable que les questions en cause aient des répercussions marquées sur les pratiques et les procédures de la police militaire.

Dans le présent cas, vous affirmez que le SNEFC a mené une enquête inadéquate sur une allégation d’agression sexuelle contre vous. Vous affirmez que cette enquête était biaisée en faveur de la présumée victime et motivée, en partie, par d’importantes pressions politiques internes et externes exercées sur les Forces armées canadiennes et le SNEFC. Vous indiquez qu’il y avait « clairement et sans équivoque » des éléments de preuve insuffisants pour établir l’identité de l’auteur présumé de l’agression sexuelle dans cette affaire, mais que le SNEFC a néanmoins transmis le dossier d’enquête au DPCP. Ainsi, vous affirmez qu’il existe une pression au sein du SNEFC pour croire les victimes présumées d’agression sexuelle et pour porter des accusations dans ces cas.

Vous indiquez que la mauvaise gestion de l’enquête du SNEFC a nui à votre réputation personnelle et professionnelle. Cette affaire a également eu de graves répercussions sur votre vie familiale, vos finances et votre carrière, notamment en vous empêchant d’obtenir un emploi à l’extérieur des Forces canadiennes. En effet, vous indiquez que vous avez été retiré du poste de vice-président de la logistique et des opérations que vous occupiez dans le cadre d’un détachement à l’Agence de la santé publique du Canada, à la suite de l’enquête sur les allégations portées contre vous. De plus, cette affaire a suscité une attention médiatique considérable, notamment en ce qui concerne le dépôt de cette plainte.

Comme tenu des préoccupations soulevées dans votre plainte, notamment la prétendue partialité du SNEFC dans la conduite d’une enquête, il est dans l’intérêt de la justice que les allégations contenues dans cette plainte fassent l’objet d’une enquête, car la conséquence de ne pas le faire pourrait contribuer à l’érosion de la confiance du public dans la police militaire.

Conclusion

Compte tenu de toutes les informations disponibles, j’estime qu’il est raisonnable dans les circonstances de prolonger le délai de prescription pour le dépôt de votre plainte.

Votre demande de prolongation de délai est donc accordée.

Veuillez noter qu’en accueillant votre demande de prolongation de délai, je ne fais aucune conclusion concernant le bien-fondé de votre plainte.

Je vous prie de recevoir mes salutations distinguées.

Document original signé par :

________________________________
Me Tammy Tremblay, MSMCDLL.M.
Présidente

cc GPFC

Date de modification :