Enquête d'intérêt public Fortin (CPPM‑2023‑006) - Décision de mener une enquête d'intérêt public

Le 20 avril 2023

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Le 17 janvier 2023, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM) a reçu une plainte pour inconduite du mgén Dany Fortin (le plaignant). La plainte concerne le traitement d’une enquête du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) portant sur une agression sexuelle. Par suite de l’enquête du SNEFC, le plaignant a été poursuivi pour agression sexuelle. Il a été acquitté lors de son procès.

Pour les raisons qui suivent, j’ai décidé de faire tenir par la CPPM une enquête d’intérêt public sur cette plainte.1

Contexte de la plainte

L’agression sexuelle aurait eu lieu en 1988 au Collège militaire royal de Saint-Jean, au Québec, alors que le plaignant et la victime présumée étaient élèves‑officiers. L’enquête du SNEFC a débuté en mars 2021 et, le 11 mai 2021, le SNEFC a transmis le dossier d’enquête au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) du Québec. Le plaignant a été accusé d’agression sexuelle par le DPCP le 18 août 2021.

Le 5 décembre 2022, le plaignant a été acquitté de l’accusation d’agression sexuelle. Le 9 janvier 2023, le DPCP a annoncé qu’il ne porterait pas la décision de la Cour en appel.

Le plaignant affirme avoir été victime d’une enquête policière biaisée et partiale. Il affirme avoir été inculpé sur la base d’éléments de preuve insuffisants. En outre, la poursuite engagée contre lui aurait été le résultat de pressions indues pour croire la victime présumée et accepter ses allégations comme étant véridiques au détriment du plaignant.

Le 25 janvier 2023, la CPPM a soumis une demande de divulgation au Bureau des normes professionnelles du Grand Prévôt des Forces canadiennes concernant ce dossier de plainte pour inconduite. Plus particulièrement, la CPPM a demandé une copie du dossier d’enquête du SNEFC portant sur l’allégation d’agression sexuelle contre le plaignant (dossier d’événement général (EG) 2021‑5656). Cette demande a été faite afin de prendre en compte toute information pertinente dans cette affaire.

Le 31 mars 2023, le Bureau des normes professionnelles a répondu à cette demande en ne divulguant à la CPPM qu’une copie du rapport d’enquête de la police militaire, soit un document de quelques pages ne contenant qu’un résumé de l’enquête. La CPPM n’a pas reçu en divulgation le dossier d’enquête complet en question au moment de la rédaction de cette lettre de décision, malgré ses efforts de suivi. Étant donné que la CPPM a l’obligation de donner suite aux plaintes dont elle est saisie avec célérité2, j’ai décidé de procéder à l’examen de la question de savoir si je devrais faire tenir par la CPPM une enquête d’intérêt public sur cette plainte sur la base des informations disponibles à ce jour.

Considérations pertinentes pour la détermination de l’enquête d’intérêt public

En vertu de la Loi sur la défense nationale (LDN), j’ai un large pouvoir discrétionnaire pour décider si la CPPM devrait tenir une enquête d’intérêt public. La LDN stipule comme suit :

250.38 (1) S’il l’estime préférable dans l’intérêt public, le président peut, à tout moment en cours d’examen d’une plainte pour inconduite ou d’une plainte pour ingérence, faire tenir une enquête par la Commission et, si les circonstances le justifient, convoquer une audience pour enquêter sur cette plainte.3

Les facteurs suivants, qui ne sont pas exhaustifs, ont été reconnus par la CPPM comme étant pertinents pour les décisions relatives à la tenue des enquêtes d’intérêt public à l’égard des plaintes :

Tous ces facteurs ne sont pas pertinents dans tous les cas. Ceux qui le sont pour cette plainte sont examinés ci-dessous.

L’agression sexuelle est une infraction criminelle en vertu du Code criminel du Canada. Une personne accusée de cette infraction criminelle grave risque potentiellement d’être poursuivie, condamnée et emprisonnée pendant une durée maximale de 10 ans4 Il s’ensuit qu’une plainte qui soulève des préoccupations concernant le défaut d’enquêter correctement sur les allégations d’agression sexuelle est grave.

Cette plainte allègue que le SNEFC est partial en faveur des victimes. Les Forces armées canadiennes, et en particulier la police militaire, ont fait l’objet d’un examen public minutieux en ce qui concerne leur traitement des cas d’inconduite sexuelle, y compris en ce qui concerne la fourniture d’un soutien adéquat et l’accès aux recours judiciaires pour les victimes d’inconduite sexuelle. Ce sont là des enjeux importants. Cependant, il serait également problématique si, en réponse à cette surveillance accrue du public et des médias, les enquêtes de la police militaire sur les agressions sexuelles deviennent, consciemment ou non, entachées de biais à l’encontre des victimes ou des suspects. Cette plainte soulève directement cette question, et ce dans une affaire très médiatisée. Il serait préférable qu’un organe de surveillance externe, comme la CPPM, examine la question de savoir si la police militaire a fait preuve de partialité dans le traitement de la plainte d’agression sexuelle contre le plaignant.

L’implication des cadres supérieurs ou des hauts gradés militaires dans une plainte peut donner lieu à des inquiétudes qu’une affaire soit traitée différemment pour cette raison, en particulier dans les institutions ayant le réflexe hiérarchique, comme l’armée. Il s’agit là d’un autre élément qui milite en faveur d’une enquête par la CPPM.

Je note également que le plaignant a récemment déposé une déclaration devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, désignant plusieurs cadres supérieurs et hauts gradés militaires, dont le Grand Prévôt des Forces canadiennes, comme défendeurs. Cela constitue une autre raison pour laquelle la CPPM devrait mener cette enquête.

L’enquête et la poursuite engagée contre le plaignant ont été largement rapportées dans les nouvelles et dans les médias à l’échelle nationale, de même que son retrait simultané du Groupe de travail fédéral sur la distribution des vaccins contre la COVID‑19, au sein de l’Agence de la santé publique du Canada.

Le fait que les questions relatives à cette plainte ont été soulevées dans le domaine public est un élément qui milite en faveur de la tenue d’une enquête publique par la CPPM.

Compte tenu de ces considérations, j’estime qu’il est préférable, dans l’intérêt public, que la CPPM ouvre immédiatement une enquête sur cette plainte pour inconduite, plutôt que la transférer au Grand Prévôt des Forces canadiennes pour traitement en première instance.

Décision

Pour les raisons qui précèdent, je désigne par la présente cette plainte pour inconduite, CPPM 2023‑006, comme une enquête d’intérêt public de la CPPM.5

La CPPM va maintenant commencer son enquête sur cette affaire. Comme la CPPM n’a pas reçu la divulgation demandée du Bureau des normes professionnelles du Grand Prévôt des Forces canadiennes concernant cette plainte, elle n’est pas en mesure d’aviser les personnes qui pourraient être visées par son enquête, autre que la personne identifiée par le plaignant. Les autres personnes potentiellement visées par la plainte seront avisées, le cas échéant, lorsque la divulgation aura été reçue du Bureau des normes professionnelles du Grand Prévôt des Forces canadiennes.

SIGNÉE à Ottawa (Ontario), le 20e jour d’avril 2023.

Document original signé par :

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Me Tammy Tremblay, MSMCDLL.M.
Présidente


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