Décision rendue sur la demande de distribution du rapport intérimaire de la CPPM aux plaignants

Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire

Relativement À une plainte pour inconduite présentée en vertu de l’article 250.18 de la Loi sur la défense nationale par M. Shaun Fynes et Mme Sheila Fynes.

Décision concernant la demande de faire des observations sur le rapport intérimaire

CPPM 2011-004 (Fynes) audience d’intérêt public en vertu du
paragraphe 250.38(1) de la Loi sur la défense nationale

Le 5 novembre 2012, le colonel (ret) Michel Drapeau, avocat des plaignants, a demandé à la Commission de fournir une copie du rapport intérimaire aux plaignants en même temps et de la même manière qu’au ministre, au chef d’état-major de la Défense ou au sous-ministre, au JAG et au Grand Prévôt des Forces canadiennes, conformément à l’article 250.48 de la Loi sur la défense nationale.Note de bas de page 1 Il a aussi demandé qu’on leur remette une copie de l’avis d’action qui sera transmis à la Commission par le Grand Prévôt des Forces canadiennes, le chef d’état-major de la Défense ou le sous-ministre de la Défense nationale après réception et examen du rapport intérimaire en vertu de l’article 250.51 de la LDN. En outre, il a demandé que les plaignants soient autorisés à faire des observations sur le rapport intérimaire et l’avis d’action, et que ces observations soient prises en considération par la Commission dans le cadre de la rédaction du rapport final.

Dans sa demande, le colonel (ret) Drapeau aborde la question du cadre législatif régissant le rapport intérimaire, l’avis d’action et le rapport final. Il décrit l’avis d’action comme étant un droit exclusif de faire des observations sur le rapport intérimaire de la CPPM et soutient que ce cadre législatif viole et bafoue les principes de common law que sont l’équité procédurale et la justice naturelle. Il ajoute que la procédure énoncée dans la LDN constitue un privilège unilatéral ex parte accordé au MDN et aux FC qui fait en sorte que les parties ont des droits procéduraux inégaux.

Le colonel (ret) Drapeau soutient que l’équité procédurale est un principe de justice fondamental enchâssé dans l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 2 ainsi que le paragraphe 2(e) de la Déclaration canadienne des droitsNote de bas de page 3. Il indique en outre que l’équité procédurale, dans cette dimension constitutionnelle, prime sur toutes les autres lois, y compris la Loi sur la défense nationale, qui est la loi habilitante conférant à la CPPM le mandat d’enquêter sur les plaintes pour inconduite présentées contre la police militaire. Pour cette raison, il fait valoir qu’il revient à la Commission de considérer toute disposition inconstitutionnelle comme invalide ou inopérante pour en annuler l’effet dans la mesure de leur incompatibilité. S’il est déterminé que le mandat de la Commission ne permet pas à celle-ci de décider de la validité constitutionnelle des dispositions de la LDN, le colonel (ret) Drapeau renvoie la Commission à l’article 250.48 de la LDN, qui prévoit la participation égale des deux parties au rapport intérimaire et au rapport final.

Le 16 novembre 2012, l’avocat du ministère de la Justice, M. Alain Préfontaine, a fourni une réponse écrite dans laquelle il s’est opposé à la demande des plaignants. Il est difficile de savoir si ces observations ont été présentées au nom des personnes visées par la plainte, du Grand Prévôt des Forces canadiennes, du ministère de la Défense nationale, du gouvernement du Canada ou de tous les intervenants ou de quelques-uns d’entre eux seulement. Dans le passé, M. Préfontaine a présenté des observations dans la présente affaire au nom du gouvernement du Canada, mais il a aussi comparu au nom des personnes visées par la plainte lors d’un témoignage devant la CommissionNote de bas de page 4. Aucune observation n’a été reçue précisément au nom des personnes visées par la plainte.

Dans ses observations, M. Préfontaine soutient que le mandat de la Commission ne porte pas sur le règlement des plaintes ou des différends entre les parties; la Commission a plutôt été créée pour enquêter sur les plaintes concernant la conduite des membres de la police militaire et pour formuler des constatations et des recommandations sur ces plaintes. Par conséquent, précise M. Préfontaine, la Commission ne possède pas la compétence nécessaire pour examiner la validité constitutionnelle de l’article 250.48 de la LDN.

M. Préfontaine soutient que le Parlement avait pour objectif que les parties et les représentants institutionnels (le ministère de la Défense nationale, les Forces canadiennes et la police militaire) soient traités différemment et que leurs droits et obligations soient par conséquent différents. À l’étape de l’audience, il fait observer que les parties possèdent des droits participatifs en application de l’article 250.44 de la LDN, contrairement aux représentants institutionnels qui n’en ont pas. À la fin de l’audience, toutefois, les rôles s’inversent, et ce sont les représentants institutionnels qui sont chargés de répondre aux constatations et aux recommandations formulées dans le rapport intérimaire en vertu de l’article 250.48 de la LDN. En outre, M. Préfontaine affirme que le fait que les parties ne doivent recevoir que le rapport final en vertu de l’article 250.53(2) de la LDN – et non pas le rapport intérimaire en vertu de l’article 250.48 – démontre clairement que le Parlement les a consciemment exclus de l’étape du rapport intérimaire. En toute logique, M. Préfontaine soutient que cette exclusion signifie que la loi a délibérément préséance sur tout droit participatif des parties pendant l’étape du rapport intérimaire. Pour ces raisons, il affirme qu’il n’existe aucun fondement juridique pour acquiescer à la demande des plaignants.

Décision

Je fais observer tout d’abord que la présente décision s’applique seulement à la demande de faire des observations sur le rapport intérimaire et de recevoir l’avis d’action et de formuler des observations sur celui-ci.

J’ai examiné les observations présentées par le colonel (ret) Drapeau au nom des plaignants en appui à la demande ainsi que celles de M. Préfontaine à l’encontre de celle-ci. Je conclus qu’une partie ne dispose, en vertu de la LDN, d’aucun droit constitutionnel ou autre pour formuler des observations sur un rapport intérimaire ou un avis d’action.

Le colonel (ret) Drapeau fait référence à la décision rendue par la Cour suprême de Terre-Neuve-et Labrador, Division de première instance, dans l’affaire Woolworth Canada c. Terre-Neuve (Commission des droits de la personne)Note de bas de page 5, en appui à son argument selon lequel les deux parties doivent jouir du même droit de consulter le rapport intérimaire et de formuler des observations sur celui-ci. Au cœur de la plainte de partialité dans cette affaire est le fait que la Commission des droits de la personne a donné à une partie le rapport de l’enquêteur et l’occasion de formuler des observations sur le fait qu’elle devrait ou non nommer une commission d’enquête. En d’autres mots, la Commission des droits de la personne a décidé de faire appel à l’arbitrage d’une commission pour entendre la plainte, une décision qui a une incidence sur les droits de toutes les parties, tout en invitant uniquement une de ces parties à présenter des observations avant que la décision ne soit rendue.

Dans les circonstances, la décision donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il faut prendre note, toutefois, que la procédure relative au rapport intérimaire a manifestement un objectif, une substance et un effet différents.

La Commission ne fournit par le rapport intérimaire aux parties à l’audience afin de solliciter des commentaires et des observations au sujet de ses constatations et recommandations. Elle est plutôt tenue par la loi de communiquer ses constatations et recommandations à certains représentants de la police militaire et du ministère de la Défense nationale pour qu’ils puissent déterminer les mesures à prendre pour donner suite à celles-ci. L’avis d’action ne constitue pas un moyen de fournir des commentaires éditoriaux susceptibles de modifier les décisions de la Commission ou d’influer sur celles-ci. Il s’agit plutôt d’un moyen d’informer la Commission soit des mesures qui seront prises, le cas échéant, pour donner suite aux constatations et recommandations, soit des motifs d’une décision de ne pas intervenir. La Commission peut ensuite formuler des commentaires sur les mesures prévues ou sur la décision de ne pas intervenir dans son rapport final.

Ni les plaignants ni les personnes visées par la plainte n’ont un droit prévu par la loi ou un droit constitutionnel de commenter le rapport intérimaire ou l’avis d’action. Il est donc faux de dire, comme on le fait valoir à l’appui de la demande, qu’une partie a des droits que l’autre n’a pas. Comme le soutient l’avocat du ministère de la Justice, le rapport intérimaire et l’avis d’action sont destinés aux « représentants institutionnels » et non aux parties. Ce sont aux institutions qu’il revient de déterminer les mesures à prendre, le cas échéant, pour donner suite aux constatations et aux recommandations que je vais faire. Si les institutions décident de ne pas intervenir, ce sont elles qui doivent justifier leur décision. Aucune disposition législative ne prévoit la participation d’autres parties à cette étape.

Dans la présente affaire, les personnes visées par la plainte (c’est-à-dire le Grand Prévôt des Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale) ont toutes été représentées par la même équipe d’avocats du ministère de la Justice et du gouvernement au cours de l’audience. Cette situation pourrait préoccuper les plaignants, car elle est susceptible de donner l’impression que le rapport intérimaire n’est remis qu’à une partie. Il y a donc lieu de signaler que le cumul de mandats de la part des avocats du ministère de la Justice ne doit pas donner lieu à une situation où les personnes visées par la plainte ont accès au rapport de la Commission avant les plaignants. Il ne faut pas non plus que ce cumul soit utilisé pour donner aux personnes visées par la plainte l’occasion de formuler des commentaires au sujet du contenu de l’avis d’action. Les avocats du ministère de la Justice intervenant dans cette affaire doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour voir à ce qu’aucune irrégularité de ce genre ne se produise. Cela dit, le cumul de mandats ne doit pas, à lui seul, constituer des motifs suffisants pour conclure qu’il faut accorder aux plaignants le droit de commenter le rapport intérimaire et l’avis d’action.

En ce qui concerne les arguments d’ordre constitutionnel soulevés par les plaignants, il a été soutenu que l’équité procédurale et le traitement égal sont des principes de justice fondamentale protégés par la Charte. C’est sur ce fondement que le colonel (ret) Drapeau m’a demandé de conclure que les dispositions contestées de la Loi sur la défense nationale sont sans effets, dans la mesure de l’incompatibilité des dispositions en cause avec ces principes. M. Préfontaine, qui soutient que la Commission n’a pas la compétence nécessaire de se prononcer sur cette question, s’est fortement opposé à ces observations.

L’article 7 de la Charte stipule ce qui suit :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.Note de bas de page 6

Comme l’a déclaré le juge en chef Lamer (tel était alors son titre) dans le Renvoi sur la B.C. Motor Vehicle Act, « les principes de justice fondamentale [...] constituent non pas un intérêt protégé, mais plutôt un modificatif du droit de ne pas se voir porter atteinte à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne. »Note de bas de page 7 Les principes de justice fondamentale reposent en partie sur la justice naturelle et l’équité procédurale : ils ne donnent pas lieu pour autant à des droits constitutionnels. Le droit constitutionnel prévu à l’article 7 peut seulement être invoqué dans les cas où il y a eu ou pourrait y avoir atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une personne. Dans la présente affaire, il est difficile de concevoir comment on pourrait penser que les intérêts des parties à une audience d’intérêt public font l’objet d’une menace d’atteinte telle qu’il serait justifié d’invoquer le droit en cause garanti par la Charte.

L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne s’applique pas non plus dans la présente affaire. Le droit à une audition équitable prévu à cet alinéa s’applique lorsqu’il faut déterminer les droits et les obligations d’un individu.Note de bas de page 8 La présente Commission n’a pas pour mandat d’imposer une responsabilité criminelle ou civile et ne peut pas rendre une ordonnance touchant les droits et obligations juridiques des parties. Comme le seul mandat de la Commission est de formuler des recommandations, les conditions nécessaires pour invoquer les droits prévus à l’article 7 de la Charte ou à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne sont pas remplies.

En ce qui concerne les droits procéduraux, y compris le droit à l’équité, les principes d’équité ont été appliqués tout au long des procédures pour permettre aux parties d’exercer pleinement leur droit de participer. Chaque partie a eu l’occasion de présenter des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de faire des observations. Les constatations et recommandations de la Commission se fonderont sur les témoignages entendus au cours de l’audience d’intérêt public à laquelle les deux parties ont pleinement participé. Le processus dans le cadre duquel les autorités gouvernementales informent la Commission de leur réponse prévue à l’égard des constatations et recommandations au moyen de l’avis d’action est un processus distinct qui ne prévoit pas les mêmes droits de participation pour toutes les parties.

Je conclus qu’aucun manquement aux obligations liées à la justice naturelle ou à l’équité procédurale n’a été commis en permettant seulement aux représentants institutionnels à qui le rapport intérimaire a été remis de formuler, au moyen d’un avis d’action, des commentaires au sujet des constatations et recommandations. Dans un même ordre d’idée, aucun manquement n’a été commis en refusant aux parties à l’audience le droit de recevoir et de commenter l’avis d’action. Le processus ne prive personne injustement d’un droit fondamental prévu par la Charte, la Déclaration canadienne des droits ou les principes généraux du droit administratif. Il n’est donc pas nécessaire de discuter dans le détail des arguments d’ordre constitutionnel et juridictionnel soulevés par le colonel (ret) Drapeau et M. Préfontaine.

Pour tous ces motifs, je conclus que ni la loi ni la constitution ne prévoient le droit de formuler des commentaires au sujet du rapport intérimaire ou de recevoir et de commenter l’avis d’action.

J’ordonne donc le refus de la demande des plaignants de se voir accorder le droit de commenter le rapport intérimaire de la Commission et de recevoir et de commenter l’avis d’action.

Fait à Ottawa (Ontario) le 29 novembre 2012.

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Glenn M. Stannard, O.O.M.
Président


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