Décision - CPPM-2011-004 - 26 octobre 2011

DANS L’AFFAIRE d’une plainte relative à la conduite déposée en vertu de l’article 250.18 de la Loi sur la défense nationale
par M. Shaun Fynes et Mme Sheila Fynes

Décision de recommander le financement de la représentation juridique des plaignants, M. Shaun Fynes et Mme Sheila Fynes

CPPM 2011-004 (Fynes) Audience d’intérêt public tenue en vertu du
paragraphe 250.38(1) de la Loi sur la défense nationale

Introduction

Le 26 septembre 2011, les plaignants, Shaun et Sheila Fynes, ont déposé une requête par laquelle ils demandent à la Commission de recommander que des fonds publics soient octroyés pour assurer leur représentation juridique au cours de l’audience d’intérêt public qui doit se tenir sur leur plainte. Pour fournir des détails sur leur situation financière, les plaignants ont déposé des affidavits au soutien de la requête, ainsi qu’un affidavit supplémentaire, qui a été déposé le 17 octobre 2011.

Le 5 octobre 2011, l’avocat du ministère de la Justice, Me Alain Préfontaine, a déposé des observations écrites en réponse à la requête pour le compte du gouvernement du Canada.

À la conférence préparatoire tenue le 19 octobre 2011, l’avocat des plaignants, le colonel (retraité) Michel Drapeau, a présenté des observations verbales au soutien de la requête. L’avocate des personnes visées par la plainte, Me Elizabeth Richards, du ministère de la Justice, n’a pas présenté de position sur cette requête. L’avocat du gouvernement du Canada, Me Préfontaine, a informé à l’avance la Commission qu’il ne présenterait pas d’observations verbales pour compléter ses observations écrites, et il n’a pas assisté à la conférence préparatoire. Ses observations écrites ont été versées au dossier.

Décision

Après avoir examiné les observations verbales et écrites présentées par les parties et par le gouvernement du Canada, ainsi que la preuve écrite déposée au soutien de la requête, j’ai décidé de recommander que le gouvernement du Canada octroie des fonds pour assurer la représentation juridique des plaignants afin de leur permettre de participer pleinement à l’audience.

1) Pouvoir de faire une recommandation concernant l’octroi de fonds

Pour les motifs énoncés par la Cour fédérale dans l’affaire Jones c. Canada (Commission des plaintes du public contre la GRC)Note de bas de page 1 et par la Commission dans sa décision de recommander l’octroi de fonds dans les audiences d’intérêt public concernant l’AfghanistanNote de bas de page 2, il a été établi que la Commission jouit du pouvoir discrétionnaire de recommander l’octroi de fonds permettant d’assurer la représentation juridique d’une partie à ses audiences. Comme l’a déclaré la juge Reed dans l’affaire Jones, la décision que prend la Commission de recommander l’octroi de fonds est une question qui relève « entièrement de son pouvoir discrétionnaire » et il lui appartient d’établir les facteurs pertinents à l’égard de cette décisionNote de bas de page 3.

Le principe directeur est que lorsque les facteurs à examiner pour prendre une décision discrétionnaire ne sont pas énoncés dans la législation, le décideur peut établir les facteurs pertinents, à la lumière du but et de l’objet de la loi en cause :

[traduction] Dans l’arrêt Electric Power & Telephone Act (P.E.I.), ReNote de bas de page 4, la Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard a statué que lorsque la loi est muette quant aux facteurs qu’un décideur administratif doit prendre en considération, le décideur jouit du pouvoir discrétionnaire d’établir les facteurs pertinents. Toutefois, ces facteurs doivent être liés au but et à l’objet de la loi qui confère ce pouvoirNote de bas de page 5.

2) Les facteurs pertinents et leur application en l’espèce

Les motifs de la juge Reed dans l’affaire Jones fournissent des lignes directrices utiles quant aux facteurs pertinents se rapportant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission au sujet d’une recommandation relative à l’octroi de fonds.

a) La qualité du processus d’audience

L’un des facteurs qui, selon la juge Reed, serait « crucial en ce qui concerne la Commission » consiste à savoir « si la représentation juridique des plaignants améliorerait la qualité des débats »Note de bas de page 6. Je conviens qu’assurer le bon déroulement de l’audience est un facteur crucial. À l’instar des audiences en cause dans l’affaire Jones, la présente audience devrait durer plusieurs semaines, comporter beaucoup d’éléments de preuve, soit des documents et des témoignages, et traiter de questions complexesNote de bas de page 7. Pour ces raisons, et comme c’était le cas dans l’affaire Jones, il serait difficile voire impossible pour des plaignants non représentés de s’occuper d’une telle instance. Assurer la représentation juridique des plaignants contribuera au bon déroulement de l’audience et en améliorera la qualité.

b) Droit de participation prévu par la loi

En vertu de l’article 250.44 de la Loi sur la défense nationaleNote de bas de page 8, les plaignants ont le droit de se faire accorder « toute latitude de présenter des éléments de preuve à l’audience, d’y contre-interroger les témoins et d’y faire des observations, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat ».

Dans l’affaire Jones, la juge Reed a examiné un article de la Loi sur la GRCNote de bas de page 9 dont s’inspire l’article 250.44 et qui, à tous égards pertinents en l’espèce, y est identique. Elle a écrit :

Aux termes du paragraphe 45.45(5), la Commission a l’obligation de s’assurer que « les parties [y compris un plaignant] et toute personne » ont « toute latitude » de présenter des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de faire des observations. Si la Commission considère que, pour les besoins de la présente enquête, la meilleure façon pour les plaignants d’avoir « toute latitude » consiste à retenir les services d’un avocat, elle peut recommander à l’État de payer les honoraires de cet avocat. La Commission peut aussi le faire d’une manière publique plutôt que privée si elle le désireNote de bas de page 10. [Je souligne]

En l’espèce, je suis convaincu que l’« entière latitude » de participer à laquelle les plaignants ont droit en vertu de la Loi sur la défense nationale ne peut être assurée que par une représentation juridique. Vu la complexité des questions, du volume prévu de communication de documents et du nombre prévu de témoins, les plaignants ne pourraient simplement pas, sans l’aide d’un avocat, exercer leur droit prévu par la loi de contre-interroger, de présenter des éléments de preuve pertinents et de faire des observations utiles à la Commission.

La preuve par affidavit qui m’a été présentée, et qui n’a été contestée ni par les parties ni par l’avocat du gouvernement du Canada, me convainc que M. et Mme Fynes ne pourraient payer leur représentation juridique si des fonds public ne leur sont pas octroyés. Ils gagnent un revenu moyen, ils n’ont pas d’actifs ni de placements importants, et ils ont des enfants, dont un fils autiste qu’ils aident financièrement. Le coût global de leur représentation juridique à l’audience, même aux tarifs réduits que leur avocat se propose de facturer, se situerait entre 125 000 $ et 200 000 $. Je suis convaincu que, sans octroi de fonds publics, les Fynes ne pourraient se permettre cette dépense et ne pourraient être représentés. Étant donné la durée prévue de l’instance, il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que les plaignants puissent trouver un avocat qui voudrait ou pourrait les représenter pro bono.

Par ailleurs, et même en cette époque de compressions budgétaires nécessaires, du point de vue du gouvernement cette dépense n’est pas excessive. D’ailleurs, ce serait en réalité un prix relativement faible à payer pour assurer que la présente audience d’intérêt public se déroule convenablement, que les droits prévus par la loi des plaignants puissent être exercés et que l’équité et l’apparence d’équité puissent être préservéesNote de bas de page 11.

Dans ses observations, Me Préfontaine met en garde contre le fait d’adopter une « logique circulaire » qui aboutirait à une conclusion selon laquelle, en raison des droits de participation que confère l’article 250.44 de la Loi sur la défense nationale, il faut toujours recommander l’octroi de fonds publics pour toutes les parties et « toute autre personne qui jouit du même droit de participation »Note de bas de page 12.

J’estime que l’article 250.44 n’établit pas de quelle façon exercer le pouvoir discrétionnaire de recommander l’octroi de fonds publics. Comme la juge Reed l’a conclu dans l’affaire Jones, le droit de participation conféré par l’article 250.44 est plutôt un facteur pertinent dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de faire une recommandation d’octroi de fondsNote de bas de page 13. Cela ne signifie pas que la prise en compte du droit de participation que prévoit la loi aboutira automatiquement à une recommandation d’octroi de fonds pour toutes les personnes jouissant d’un droit de participation. Au contraire, pour qu’une recommandation soit justifiée, il doit être prouvé que, dans le contexte d’une audience déterminée, le droit de participation ne peut être exercé convenablement sans représentation juridique et que les personnes qui demandent que l’on recommande l’octroi de fonds publics ne peuvent, sans cela, assurer le coût de leur propre représentation juridique. Tel qu’indiqué ci-dessus, tous ces points ont été établis en l’espèce.

c) Équité et égalité de représentation

L’équité est un facteur supplémentaire à examiner dans le contexte d’une décision sur l’opportunité de recommander l’octroi de fonds.

Pour que l’audience puisse réaliser son objectif de favoriser l’intérêt public, l’équité à l’audience est un aspect primordial. Dans le contexte des audiences telles que la présente, l’équité peut exiger l’égalité de représentation. Dans l’affaire Jones, la juge Reed a fait la remarque suivante : « [i]l existe de nombreux appuis au soutien de l’affirmation que les plaignants/demandeurs seront très désavantagés s’ils ne sont pas représentés aux frais de l’État puisque les parties ne seront pas sur un pied d’égalité »Note de bas de page 14 [Je souligne].

Elle ajoute :

Selon moi, lorsque des décideurs entendent une partie qui est représentée par un avocat consciencieux, chevronné et très compétent, caractéristiques qui s’appliquent, comme nous le savons tous par expérience, à Me Whitehall, ils préfèrent que la partie adverse soit sur un pied d’égalité. Ils préfèrent que toutes les parties soient représentées. Une représentation égale permet habituellement de prendre de meilleures décisions, et ce plus facilementNote de bas de page 15. [Je souligne]

Les mêmes considérations s’appliquent en l’espèce. L’avocate du ministère de la Justice, Me Richards, qui a été en mesure de confirmer à la conférence préparatoire qu’elle agissait maintenant pour toutes les personnes visées par la plainte, a déjà informé la Commission dans sa demande d’ajournement de la conférence préparatoire qu’à titre d’actuels ou anciens membres des Forces canadiennes, toutes les personnes visées avaient le droit de demander une représentation juridique aux frais de l’État conformément à la politique applicable du Conseil du Trésor, qui peut leur conférer le droit d’être représentés par le ministère de la Justice ou un avocat externe.

Les commentaires de la juge Reed au sujet d’un « avocat consciencieux, chevronné et très compétent » s’appliquent pleinement à Me Richards, qui a déjà comparu devant la Commission et qui représentera les personnes visées en l’espèce. Sans octroi de fonds publics, les plaignants n’auront pas d’autre choix que de comparaître sans être représentés. L’apparence d’inégalité qui résultera d’une situation dans laquelle une partie est représentée par un avocat très compétent aux frais de l’État et l’autre partie, après avoir exprimé le souhait d’être représentée, est privée d’une représentation juridique pour cause d’absence d’octroi de fonds publics, aurait une incidence négative sur le processus d’audience et sur la confiance du public à l’égard du rôle de surveillance indépendante de la Commission.

Me Préfontaine a soutenu que l’égalité de représentation est déjà atteinte dans ce cas. Il cite le rôle de l’avocat de la Commission et le fait que le « modèle de représentation en jeu dans une instance contradictoire, comme un procès, ne s’applique pas à une audience d’investigation tenue par la Commission pour enquêter sur une plainte relative à la conduite »Note de bas de page 16.

Je conviens que la présente instance de la Commission est de la nature d’une investigation plutôt que d’une décision. Toutefois, aux fins de la présente requête, il ne s’agit pas d’un motif pour s’abstenir de recommander l’octroi de fonds pour payer un avocat.

Dans l’affaire Jones, la juge Reed traitait aussi d’une instance d’investigation ou « inquisitoire » plutôt que décisionnelle ou « contradictoire ». Elle a conclu que ces catégories ne diminuent pas l’importance pour l’instance de la représentation juridique des parties :

[20] La nature de l’enquête est un autre argument invoqué par l’avocat de la GRC au soutien de l’affirmation que la Commission n’a pas le pouvoir de faire une recommandation semblable à celle qui est visée par l’espèce. L’avocat soutient que l’enquête n’est pas de nature contradictoire, que les plaignants sont à l’origine de l’enquête mais ne sont pas directement touchés puisque ce sont les membres nommés de la GRC qui sont exposés à un risque, et que l’avocat de la Commission soumet la preuve à la Commission, fondamentalement comme un procureur de la poursuite.

[21] Cette énumération me paraît incomplète. […] Même si l’enquête n’est pas contradictoire en théorie, elle présente beaucoup de caractéristiques d’une procédure contradictoire, comme le droit de toutes les parties de contre-interroger les témoins, la désignation des plaignants comme des " parties ", l’impossibilité pour la Commission d’interdire la présence de tous les avocats dans la salle d’audience (l’une des suggestions des demandeurs) ou d’empêcher le contre-interrogatoire des témoins (une autre suggestion des demandeurs). […]

[22] L’enquête est publique; elle s’apparente à de nombreux égards à une procédure contradictoire; la Commission ne peut pas la transformer en une simple investigation; la Commission ne peut pas interdire la présence d’avocats agissant pour le compte des personnes qui comparaissent devant elle; elle ne peut pas empêcher le contre-interrogatoire des témoins. Je ne suis pas convaincue qu’on peut conclure, vu la nature de l’enquête, qu’une représentation juridique indépendante des plaignants est un élément dont la Commission ne devrait pas se préoccuperNote de bas de page 17. [Je souligne]

Même en tenant compte de la nature de l’instance, qui est dictée par la loi elle-même, le législateur a jugé opportun, à l’article 250.44, de conférer un droit de participation aux parties. Le plaignant et la personne visée par la plainte sont les seuls que la loi désigne expressément comme des partiesNote de bas de page 18. Dans ce régime législatif, il est clair que les deux sont réputés avoir un intérêt réel et direct dans une audience.

Dans ce contexte, sembler assimiler les intérêts des plaignants à ceux de la Commission et soutenir que le rôle de l’avocat de la Commission est de favoriser leur droit de participer, est aussi erroné que de proposer d’assimiler les intérêts des personnes visées par la plainte à ceux de la Commission et de suggérer que l’avocat de la Commission peut faire valoir leurs droits de participation. Comme son titre l’indique clairement, l’avocat de la Commission est l’avocat de la Commission. À ce titre, il doit présenter autant d’informations que possible à la Commission et en vérifier l’exactitude afin d’assurer que des conclusions peuvent être tirées et des recommandations formulées sur la base d’une information complète et exacte. Les plaignants et les personnes visées ont chacune leurs propres intérêts distincts dans l’instance et le législateur a reconnu que ces intérêts exigent des droits de participation spécifiques et égaux.

De plus, comme l’a souligné le colonel Drapeau dans ses observations verbales à la conférence préparatoire, la loi et les règlements applicables attribuent un rôle important à toutes les parties au processus d’audience et prévoient une [traduction] « participation pleine, entière et significative »Note de bas de page 19. En vertu de la Loi sur la défense nationale, les parties peuvent présenter des éléments de preuve, tant documentaires que de vive voix, contre-interroger des témoins et faire des observationsNote de bas de page 20. Les Règles de procédure des audiences de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaireNote de bas de page 21 prévoient de plus que les parties peuvent déposer des documents, présenter des requêtes, participer à des conférences préparatoires et demander la délivrance de brefs d’assignation.

Pour tous ces motifs, je conviens avec la juge Reed que la Commission a un intérêt légitime à l’égard de la question de la représentation juridique des plaignants.

3) L’arrêt Caron

Me Préfontaine souligne aussi que les facteurs à examiner pour décider de l’opportunité de recommander l’octroi de fonds publics dans des instances comme la présente sont énumérés dans l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. CaronNote de bas de page 22. Il ajoute que les facteurs énumérés dans l’arrêt Caron dénotent que la Commission ne devrait pas recommander l’octroi de fonds pour payer des avocats aux plaignants.

En premier lieu, comme l’a fait valoir le colonel Drapeau dans ses observations verbalesNote de bas de page 23, j’estime que l’arrêt Caron n’a pas d’application directe en l’espèce. Cet arrêt traitait des circonstances limitées d’un litige dans lequel les intérêts de la justice exigeaient qu’un tribunal délivre une ordonnance pour contraindre le gouvernement à accorder une provision pour frais, par opposition à la situation actuelle où il est demandé à la Commission de faire une recommandation d’octroi de fonds. Contrairement à l’arrêt Caron, il ne s’agit pas ici d’un cas où l’on envisage de faire intrusion dans des questions qui relèvent généralement des fonctions législatives ou exécutives du gouvernementNote de bas de page 24. La présente Commission ne peut que recommander que des fonds publics soient octroyés. Le gouvernement devra ensuite évaluer cette recommandation et prendre sa propre décision.

Toutefois, j’estime que même si le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Caron s’appliquait, une recommandation d’octroi de fonds publics serait quand même justifiée dans l’espèce. D’ailleurs, dans la mesure où les facteurs retenus dans l’arrêt Caron pourraient servir de lignes directrices pour la présente Commission dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, j’estime qu’ils étayent la formulation d’une recommandation d’octroi de fonds dans ce cas.

Au sujet du premier facteur énuméré dans l’arrêt CaronNote de bas de page 25, soit une véritable incapacité à payer leur propre avocat et de l’absence d’autres options réalistes pour soumettre les questions en cause au tribunal, je conclus que les plaignants « n’ont véritablement pas les moyens » de couvrir les frais de leur représentation. De plus, j’estime qu’il n’existe aucune autre option réaliste pour soumettre les questions et le point de vue des plaignants au tribunal. Tel qu’indiqué ci-dessus, les intérêts des parties ne sont pas représentés par l’avocat de la Commission; leur participation est essentielle au processus, et l’étendue de leur participation n’est pas aussi limitée que ce que Me Préfontaine suggère.

Au sujet du deuxième facteur énuméré dans l’arrêt Caron – soit que la « demande » vaut prima facie d’être instruite et « qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers »Note de bas de page 26 – je conclus que les intérêts des plaignants en l’espèce respectent cette condition. À l’heure actuelle, on ne connaît pas les conclusions qui peuvent être tirées ou les recommandations qui peuvent être faites en fin de compte au sujet des allégations figurant dans la plainte. Il s’agit d’une décision qui sera prise en fonction de la preuve présentée à l’audience. Toutefois, il a déjà été établi que les questions soulevées dans la plainte sont suffisamment sérieuses pour justifier la tenue d’une audience dans l’intérêt publicNote de bas de page 27. Les plaignants ont clairement un intérêt direct à l’égard des questions soulevées, étant donné que les enquêtes en cause concernaient le décès de leur fils et la façon dont les plaignants eux-mêmes étaient traités par les Forces canadiennes. La Loi sur la défense nationale reconnaît leur droit de participer au processus. Dans les circonstances, il serait contraire aux intérêts de la justice qu’ils ne puissent pas participer juste parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de retenir les services d’un avocat.

Le troisième facteur énuméré dans l’arrêt Caron est que les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchéesNote de bas de page 28. À cet égard, je conclus que les questions soulevées en l’espèce sont d’intérêt public et dépassent les intérêts individuels des plaignantsNote de bas de page 29. Je conclus en outre que la pleine participation des plaignants est aussi en soi dans l’intérêt public de manière à assurer que l’audience d’intérêt public se déroule convenablement et que toutes les questions soient pleinement révélées devant la Commission. Je conclus aussi que plusieurs des questions soulevées dans la présente plainte, notamment en ce qui a trait à l’indépendance et l’impartialité de la police militaire, n’ont pas encore été tranchées.

Enfin, l’arrêt Caron donne à penser que des fonds publics devraient n’être accordés que lorsque leur absence « entraînerait une grave injustice pour l’intérêt public »Note de bas de page 30 [souligné dans l’original]. Tel est le cas en l’espèce. Le régime de surveillance indépendante mis en place par la partie IV de la Loi sur la défense nationale vise à favoriser la confiance du public dans la police militaire et, à ce titre, ce régime favorise l’intérêt public. Par définition, les audiences d’intérêt public sont convoquées parce qu’il est dans l’intérêt public de traiter de questions soulevées au moyen de ce processusNote de bas de page 31. La confiance du public dans le processus, et ainsi la capacité du processus à réaliser son objet, dépendront à leur tour de la capacité des parties à exercer le droit que confère la loi de participer à l’instance. Si le processus ne peut pas fonctionner convenablement parce que l’une des parties ne peut exercer son droit de participation en raison de l’absence d’accès à une représentation juridique qui serait par ailleurs nécessaire, l’intérêt public qui justifiait la tenue de l’audience en premier lieu est touché.

Les propos suivants de la juge Reed s’appliquent ici :

Le plaignant est peut-être à l’origine de l’enquête, mais il agit, dans un cas comme celui qui nous occupe, comme représentant de l’intérêt public, cet intérêt public étant de s’assurer que les policiers ne dépassent pas les limites de ce qui constitue une conduite décente. L’intérêt public est aussi important que les intérêts privés des membres de la GRC dans leur emploi et leur réputationNote de bas de page 32.

Par conséquent, je conclus que la condition générale de l’arrêt Caron, à savoir que l’absence de financement « entraînerait une grave injustice pour l’intérêt public », est également respectée et qu’il est dans l’intérêt public de financer la représentation juridique des plaignants dans la présente affaire.

Recommandation

Pour tous ces motifs, j’ai décidé de recommander au gouvernement du Canada de financer la représentation juridique des plaignants. Je recommande que ce financement soit accordé aux tarifs horaires réduits suggérés dans la requête : 175 $ pour le colonel Drapeau et 100 $ pour Me Juneau. Je recommande que ce financement soit accordé pour chaque avocat pour les quarante heures de préparation demandées, ainsi que pour le temps consacré à assister à l’audience, avec deux heures supplémentaires de préparation pour chaque jour d’audience. Compte tenu du volume de documents en cause, je considère que le nombre d’heures demandées est raisonnable, et que fournir une aide financière à cette hauteur est nécessaire afin de permettre aux plaignants de participer à la présente audience d’intérêt public sur les enquêtes liées au décès de leur fils.

Dans la correspondance adressée à la Commission, Me Préfontaine, à titre d’avocat du gouvernement du Canada, a indiqué que le gouvernement [traduction] « examinera la recommandation de la Commission, si cette dernière décide d’en faire une ». J’accepte sans réserve la garantie de Me Préfontaine selon laquelle cette recommandation de la Commission sera examinée, malgré la position qu’il a adoptée dans ses observations.

PAR LES PRÉSENTES, IL EST RECOMMANDÉ que le gouvernement du Canada finance la représentation juridique des plaignants à la présente audience, conformément aux tarifs et au nombre d’heures indiqués dans les présents motifs.

FAIT à Ottawa (Ontario) le 26 octobre 2011.

Document original signé par
Glenn M. Stannard, O.O.M.
Président

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