Enquête d'intérêt public d’incendie de maison-tentative de meurtre (CPPM‑2016‑027) – Décision de mener une enquête d'intérêt public

Le 28 septembre, 2023

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Le 18 juillet 2016, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM) a reçu une plainte pour inconduite en lien avec la conduite d’une enquête de la Police militaire concernant un incendie à la résidence de l’ex‑conjointe du plaignant et de leurs trois enfants mineurs.

Pour les raisons qui suivent, j’ai décidé que la CPPM mènera une enquête d’intérêt public sur la plainte.

Contexte

La plainte concerne l’enquête du bureau régional de l’Ouest du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) sur l’incendie survenu en juillet 2015 à la résidence de l’ex‑conjointe du plaignant et de leurs trois enfants mineurs. Elle concerne également une deuxième enquête à propos d’une lettre rédigée par l’ex‑conjointe.

Le plaignant soutient que l’enquête du bureau régional de l’Ouest du SNEFC sur l’incendie n’a « pas été menée avec professionnalisme et diligence raisonnable » [traduction]. Le plaignant soutient également que, même si les enquêteurs savaient que l’incendie avait pu être déclenché délibérément et qu’ils entretenaient des soupçons quant à l’implication de son ex-conjointe, ils « semblaient n’avoir aucune considération pour la sécurité des enfants » [traduction], qui ont eu par la suite des visites non supervisées avec elle.

Conformément au régime législatif pour le traitement des plaintes concernant la Police militaire, la plainte a d’abord été examinée et enquêtée par le chef de la Police militaire, le Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC), et plus particulièrement le Bureau des Normes professionnelles (NP) du GPFC.

En août 2016, le plaignant a informé un membre du bureau régional de l’Ouest du SNEFC que son fils se rappelait que son ex-conjointe aurait envoyé une lettre accompagnée de 10 000 $ en argent comptant à un ami. Ce dernier aurait retourné l’argent à l’ex-conjointe le lendemain.

Le 24 octobre 2016, le plaignant a envoyé un courriel au membre du bureau régional de l’Ouest du SNEFC pour l’informer que l’ami avait trouvé ladite lettre.

Le 11 novembre 2016, la lettre a été fournie au bureau régional de l’Ouest du SNEFC. La lettre avait été écrite sur de la papeterie d’un centre de villégiature local où l’ex‑conjointe et les enfants avaient séjourné les jours précédant l’incendie. La personne avait écrit qu’au moment où l’ami recevrait la lettre, elle serait morte ou en prison. La lettre était signée du prénom de l’ex-conjointe.

Le bureau régional de l’Ouest du SNEFC a entamé une enquête distincte sur la lettre et les NP ont suspendu leur enquête sur la plainte pour inconduite. Le 6 juillet 2017, le bureau régional de l’Ouest du SNEFC a conclu son enquête sur la lettre et déterminé qu’elle n’avait pas permis de découvrir de l’information nouvelle ou pertinente à propos de l’incendie. Il a également conclu que le contenu de la lettre était ambigu et qu’elle ne contenait aucune menace directe de se faire mal ou de faire mal à autrui, et qu’il ne pouvait déterminer quand la lettre avait été rédigée ni par qui. Les NP ont ensuite repris leur enquête sur la plainte pour inconduite.

Le 11 décembre 2017, les NP ont informé le plaignant que ses allégations n’étaient pas fondées.

Le 18 janvier 2018, le plaignant a envoyé un courriel à la CPPM contenant de l’information supplémentaire à propos de sa plainte. La CPPM a considéré qu’il s’agissait d’un renvoi pour examen, et a suspendu l’enquête pendant que les NP examinaient l’information.

Après avoir examiné l’information, les NP ont informé la CPPM en janvier 2018 que l’enquête du SNEFC ne serait pas rouverte, mais qu’elle serait considérée comme une nouvelle plainte. En avril 2018, le Bureau du GPFC a déterminé que l’enquête concernant l’incendie a été menée « de manière professionnelle et avec diligence raisonnable… aucune enquête supplémentaire ne sera entreprise au sujet de cette plainte, compte tenu de toutes les circonstances, étant donné qu’aucune enquête supplémentaire n’est nécessaire » [traduction].

La CPPM a repris l’examen de la plainte en avril 2018 et a entamé l’examen de la divulgation de la preuv. Entre avril et octobre 2018, dans le cadre de son enquête, la CPPM a présenté de nouvelles demandes de divulgation aux NP. C’est en octobre 2018, en réponse à une demande de divulgation supplémentaire et de précisions concernant la consultation de la Police militaire auprès des procureurs de la Couronne, que les NP ont informé la CPPM que l’enquête sur l’incendie n’avait pas été renvoyée à la Couronne. Les NP avaient alors indiqué que même si l’enquête n’avait pas été rouverte, le SNEFC examinait le dossier.

Pendant que la CPPM procédait à l’analyse des dossiers d’enquête de la Police militaire, de sérieuses questions ont été soulevées alors que la sécurité des enfants mineurs devenait de plus en plus préoccupante.

C’est ainsi que le 22 novembre 2018, Hilary McCormack, la présidente de la CPPM à l’époque, a contacté le GPFC et l’a informé que, selon elle, les dossiers d’enquête contenaient de l’information indiquant la commission d’une ou plusieurs infractions criminelles qui pourraient justifier une enquête policière plus approfondie et des poursuites à l’encontre de l’ex-conjointe. La présidente a recommandé de transférer le dossier à service de police civile de juridiction compétente. Le GPFC a décidé de renvoyer le dossier pour un nouvel examen à une autre équipe d’enquête du bureau régional de l’Ouest du SNEFC et a nommé un inspecteur de la GRC en détachement avec le SNEFC comme enquêteur principal.

Le 21 janvier 2019, la présidente a suspendu l’examen de la plainte en attendant la fin de la nouvelle enquête et de toute procédure judiciaire qui pourrait en découler.

La nouvelle enquête du bureau régional de l’Ouest du SNEFC a mené à des accusations d’incendie criminel et de tentative de meurtre à l’encontre de l’ex-conjointe du plaignant. Le 4 février 2023, elle a été reconnue coupable de toutes les accusations devant la Cour du Banc du Roi de l’Alberta. Après que la Cour ait rendu sa décision, en tant que nouvelle présidente de la CPPM, j’ai repris l’examen de la plainte le 10 mars 2023, et repris l’enquête de la CPPM sur les allégations du plaignant.

Considérations pertinentes pour la détermination d’une enquête d’intérêt public

En vertu de la Loi sur la Défense nationale (LDN), je dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider si la CPPM devrait poursuivre une enquête d’intérêt public. La LDN prévoit que :

250.38(1) S’il l’estime préférable dans l’intérêt public, le président peut, à tout moment en cours d’examen d’une plainte pour inconduite ou d’une plainte pour ingérence, faire tenir une enquête par la Commission et, si les circonstances le justifient, convoquer une audience pour enquêter sur cette plainte.

Les facteurs suivants, qui ne sont pas exhaustifs, ont été reconnus par la CPPM comme étant pertinents pour les décisions relatives à la tenue des enquêtes d’intérêt public:

Les facteurs mentionnés plus haut ne sont pas nécessairement pertinents dans tous les cas. Ceux qui le sont pour cette plainte sont examinés ci-dessous et permettent d’étayer les raisons de la décision.

Gravité des allégations

Les allégations de la plainte sont graves. Si les allégations sont fondées, elles constitueront un manquement à l’obligation d’enquêter sur un acte criminel des plus graves, qui a compromis la sécurité de jeunes enfants.

Les faits recueillis par la CPPM en 2018 des enquêtes initiales du bureau régional de l’Ouest du SNEFC concernant l’incendie et la lettre entre 2015 et 2017 ont fourni des preuves circonstancielles substantielles et convaincantes à l’encontre de l’ex-conjointe, qui aurait délibérément déclenché l’incendie et envoyé la lettre et l’argent à son ami dans le cadre d’une tentative de meurtre-suicide. Cependant, les enquêtes initiales du bureau régional de l’Ouest du SNEFC n’ont pas réussi à démontrer si l’incendie avait délibérément été allumé par l’ex-conjointe ou s’il existait un lien entre la lettre et l’incendie, malgré les éléments de preuve.

La gravité de cette affaire est exacerbée par le fait que le Bureau des NP n’aurait remarqué aucun problème lors de l’examen des enquêtes initiales du bureau régional de l’Ouest du SNEFC, après le dépôt de la plainte. En janvier 2018, après avoir examiné l’information supplémentaire fournie par le plaignant, les NP ont également informé la CPPM que l’enquête ne serait pas rouverte. En avril 2018, le Bureau du GPFC a déterminé que l’enquête avait été menée de manière professionnelle et avec diligence raisonnable, et qu’aucune enquête supplémentaire ne serait nécessaire. En octobre 2018, en réponse à l’une des demandes de la CPPM pour une divulgation additionnelle de la preuve, les NP ont indiqué que le dossier était en cours d’examen.

Après avoir déterminé que la preuve aux dossiers d’enquête de la Police militaire indiquait de possibles infractions criminelles, la présidente McCormack a rencontré le GPFC en novembre 2018 et l’enquête du SNEFC a été rouverte.

Implications systémiques

Dans le présent cas, de graves questions ont été soulevées quant au défaut d’évaluer correctement les éléments de preuve, à tous les niveaux du bureau régional de l’Ouest du SNEFC.

De plus, il existe une grave préoccupation concernant l’omission du bureau des NP de noter les problèmes apparents dans l’enquête initiale du bureau régional de l’Ouest du SNEFC sur l’incendie, et l’enquête connexe concernant la lettre.

Implication des cadres supérieurs

Les membres de la Police militaire ayant mené les enquêtes sur l’incendie et la lettre n’étaient pas haut gradés. Toutefois, au moment des enquêtes, le Bureau des NP était sous le commandement direct du GPFC, au nom duquel il exerce d’importants pouvoirs délégués dans le traitement des plaintes concernant la Police militaire en vertu de la LDN.

Intérêt public

La mise en accusation et la poursuite criminelle de l’ex-conjointe ont été largement reportées dans les médias, tant au niveau régional que national. Le fait que les questions liées à cette plainte ont été soulevées dans le domaine public, est une considération qui favorise une enquête d’intérêt public par la CPPM.

Enfin, compte tenu de la gravité des allégations, il est dans l’intérêt public d’examiner les préoccupations soulevées dans cette plainte, dans un forum public.

Décision

Pour toutes ces raisons, je désigne le dossier de la plainte CPPM 2016-027 comme une enquête d’intérêt public.

En déclarant une enquête d’intérêt public, je décide également que le Rapport final de cette affaire sera rendu public (sous réserve de la nécessité de protéger les renseignements personnels sensibles, comme l’identité des enfants).

Conformément à mon pouvoir d’enquête sur toute question liée à une plainte, après avoir examiné les éléments de preuve au dossier, j’ai également décidé d’enquêter sur la question suivante :

  1. Si le bureau des NP a omis de procéder à un examen adéquat des enquêtes du bureau régional de l’Ouest du SNEFC visées par la présente plainte.

De plus, la gravité des questions soulevées dans cette plainte pourrait justifier la tenue d’audiences publiques. Déclarer une audience d’intérêt public donne à la CPPM le pouvoir de contraindre les témoins à coopérer et émettre des assignations à comparaitre pour produire des documents. Toutefois, à l’heure actuelle, je considère qu’il est plus rapide et dans l’intérêt public de procéder à une enquête d’intérêt public sans audience. Je suis prête à revoir cette décision si les circonstances l’exigent, notamment une coopération volontaire insuffisante dans le cadre de l’enquête en cours sur la plainte.

La CPPM poursuivra son enquête sur cette plainte, notamment en avisant les membres de la police militaire visés par la plainte qu’elle est désormais une enquête d’intérêt public.

SIGNÉ à Ottawa (Ontario), ce 28e jour de septembre 2023.

Document original signé par :

Me Tammy Tremblay, M.S.M., C.D., LL.M.
Présidente

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