Enquête d'intérêt public concernant l'unité de Police militaire (CPPM-2021-012, CPPM-2021-017, CPPM-2021-026) - Décision de mener une enquête d'intérêt public

Le 3 août 2021

Liste de distribution

Nos dossiers : CPPM 2021-012, 2021-017 et 2021-026
Décision de mener une enquête d'intérêt public

J'ai examiné les faits allégués conformément au paragraphe 250.38 de la Loi sur la défense nationale (LDN) afin de déterminer s'il était dans l'intérêt public de demander à la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire du Canada (CPPM ou Commission) de faire tenir une enquête d'intérêt public (EIP) sur ces plaintes. La présente expose les motifs qui m'amènent à conclure que la tenue d'une EIP est recommandée.

Trois plaintes connexes sont en cause : deux plaintes pour ingérence (CPPM 2021-012 et 2021‑026) et une plainte pour inconduite (CPPM 2021-017). Les plaintes 2021-012 et 2021‑017 découlent des mêmes faits, comprennent les mêmes allégations et se rapportent à la même enquête de la police militaire (PM) : dossier d'événement général (EG) no 2021-5616. L'autre plainte pour ingérence (CPPM 2021-026) se rapporte à une enquête différente de la PM (EG no 2021-15730). Cependant, ce dossier d'enquête porte sur le même sujet que le dossier EG no 2021-5616, et les plaignants qui ont adressé cette plainte à la CPPM sont également les plaignants qui ont déposé les deux plaintes susmentionnées à la CPPM. Étant donné ces éléments communs, les trois plaintes décrites ci-dessus sont traitées conjointement pour le moment.

En raison de préoccupations sérieuses et crédibles concernant d'éventuelles représailles, la CPPM n'utilise pas les noms des plaignants dans sa correspondance sur ces dossiers. Toutefois, la CPPM note que les plaignants ont l'intérêt requis pour déposer leurs plaintes respectives.

Un examen des trois plaintes permet d'identifier un total de six personnes visées par les plaintes à l'heure actuelle.

L'identification des personnes visées par les plaintes ne signifie pas que la Commission considère ou a des raisons de croire que la conduite de ces personnes présente des lacunes. Le fait d'être identifié comme faisant l'objet d'une plainte vise à garantir que les personnes dont les actions ont été mises en cause bénéficient des droits procéduraux appropriés.

La Commission tirera ses conclusions et formulera ses recommandations sur le bien-fondé des allégations soulevées dans ces plaintes lorsqu'elle préparera son rapport final, après avoir mené une enquête complète et équitable et avoir donné l'occasion à toutes les parties de fournir des renseignements et des explications sur les événements et les mesures prises. Les personnes identifiées par la Commission comme personnes visées par la plainte seront avisées de la plainte et de ma décision de faire tenir une EIP par la Commission.

Contexte factuel

CPPM 2021-012 et 2021-017

Le 10 mars 2021, ████, officier des opérations de la PM nouvellement affecté au détachement de la PM d'une Base des Forces canadiennes (PM) locale, a été interceptée alors qu'████ voulait conduire son véhicule en ayant les facultés affaiblies à la sortie d'un restaurant avec ses trois enfants à bord.

Des clients du restaurant, ainsi que le service de police locale et un membre de la PM de la PM, sont intervenus pour l'en empêcher. ████ avait fait monter ses enfants à bord de la voiture, mais on l'a empêchée de s'installer sur le siège du conducteur. Selon les plaintes, les clés de ████ étaient sur le contact, et ████ a déclaré qu'████ avait l'intention de conduire ████-même et ses enfants à la maison.

Toujours selon les plaintes, le service de police locale aurait, par courtoisie professionnelle, laissé la PM s'occuper de l'affaire. Selon le dossier d'enquête de la PM, le dossier d'événement général (EG), les policiers locale ont conclu que les éléments permettant de porter une accusation en vertu de l'article 320.14 du Code criminel pour avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule en ayant les facultés affaiblies n'étaient pas présents.

On a demandé ████ d'effectuer l'alcootest au moyen d'un appareil de détection approuvé (ADA), et après plusieurs tentatives infructueuses, il a été déclaré qu'████ avait échoué l'alcootest. Le policier militaire qui est intervenu a reconduit ████ et ses enfants chez eux. La police locale a fourni une déclaration à la PM sur l'incident.

Les policiers militaires assignés ont reçu l'ordre de compléter le dossier avant la fin de leur quart de travail dans la mesure du possible. L'enquêteur principal a recommandé que les accusations - d'ivresse et de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline - soient portées en vertu de la LDN : alinéa 97(2)b) et paragraphe 129(3), respectivement.

Le lendemain matin, l'enquêteur principal du dossier a reçu l'ordre de supprimer toute opinion de son récit (dans le dossier EG), et il a été constaté que le récit et la déclaration de l'enquêteur avaient été modifiés.

Il est également allégué qu'à plusieurs reprises dans les jours qui ont suivi l'événement, l'enquêteur a été convoqué devant le commandant (cmdt) du détachement de la PM et le sergent-major (SM) du détachement, et il a été informé qu'aucune accusation ne serait portée en vertu de la LDN et que l'affaire serait traitée sur le plan administratif.

L'enquêteur a également été avisé que, si la décision susmentionnée était divulguée à un tiers, il serait sévèrement réprimandé.

Les plaintes énoncent également qu'aucune note dans le dossier de la PM n'indique que l'affaire a été transmise au Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC), qui a compétence pour enquêter sur les infractions commises par les policiers militaires conformément aux ordres applicables de la PM.

Rien n'indique non plus que le Bureau des Normes professionnelles (NP) du Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC) – ait été informé. Un membre de la PM du détachement a pris l'initiative de signaler l'incident au SNEFC ██.

Par la suite, le SM aurait présumément contacté chaque policier militaire individuellement, dans le but de savoir qui avait signalé l'événement au SNEFC ██. Le SM aurait également supposément menacé ceux qui avaient demandé leur libération pour être réaffectés hors de la zone géographique.

Les plaignants ont demandé que le caractère confidentiel et délicat dans le traitement de ces plaintes soit respecté; et ils ont également demandé qu'une enquête d'intérêt public (EIP) soit entreprise par la CPPM concernant ces dites plaintes.

CPPM 2021-026

Cette plainte concerne une ingérence présumée dans une enquête concernant le bien-être des enfants de ████ (dossier EG n° 2021-15730).

Le 13 juin 2021, des membres de la police militaire ont procédé à une visite afin de vérifier le bien-être de ████ après avoir été contactés par une voisine qui s'inquiétait de la négligence apparente de ses enfants.

La voisine a remarqué que les trois enfants, tous âgés de moins de sept ans, avaient été laissés à l'extérieur sans surveillance pendant une longue période. Elle a également déclaré qu'████-même et les enfants avaient essayé de réveiller ████, sans succès, et que ████ ne s'était réveillée que lorsqu'████ a été avisée par le mari de la voisine que les policiers militaires étaient en route.

À leur arrivée, les policiers militaires ont trouvé ████ en train de rassembler ses enfants à l'intérieur. Les policiers militaires affirment avoir noté des « signes subtils de négligence » à l'égard des enfants, mais ils n'ont pas cru à ce moment-là que les enfants étaient en danger immédiat, et ils n'ont donc pas jugé qu'il y avait une justification suffisante pour retirer les enfants de la garde de ████. Les policiers militaires ont cependant observé que ████ semblait avoir la gueule de bois.

Après cette visite, les policiers militaires ont contacté la voisine qui leur a indiqué que ████ semblait intoxiquée ce matin-là et qu'████ venait tout juste de terminer un programme de réhabilitation. Les parents de ████ ont gardé les enfants pendant qu'████ suivait le programme. Cependant, les parents sont partis le matin du jour auquel les policiers militaires ont procédé à une visite pour vérifier le bien-être de ████. Les policiers militaires ont signalé l'incident aux SEF (Services à l'enfance et à la famille), qui leur ont indiqué que ce n'était pas la première fois que ████ laissait les enfants sans surveillance de cette façon. Les SEF ont également indiqué qu'ils effectueraient des contrôles ponctuels trois fois par jour pour vérifier l'état de ████ et de ses enfants.

Les policiers militaires en question ont également signalé l'affaire au SNEFC ██, mais celui-ci a refusé d'exercer sa compétence parce qu'il n'a pas jugé l'affaire suffisamment grave pour engager la compétence du SNEFC, et allégué comme motif secondaire que ████ ne faisait plus partie de la PM à cette période.

À la fin de leur quart de service, l'un des plaignants a appris que le commandant adjoint (cmdtA) de l'UPM avait contacté la famille de ████ pour l'aviser de la visite dont ████ avait fait l'objet pour s'assurer de son bien-être.

Les policiers militaires chargés de l'affaire ont poursuivi l'enquête et ont mené une entrevue avec les deux voisins. Au cours de cette entrevue, les policiers militaires ont pris connaissance de multiples et graves cas de négligence apparente à l'égard des enfants. Ces cas étaient en grande partie liés à l'incapacité de ████ de répondre correctement aux besoins des enfants en raison d'une consommation d'alcool chronique.

À son retour au travail le lendemain (14 juin 2021), l'un des policiers militaires a été informé par sa chaîne de commandement que les supérieurs de l'UPM avaient discuté de l'affaire et conclu à l'absence d'infraction. L'Adjudant responsable des opérations policières (Adj Ops police), qui était le subordonné direct de ████, a conseillé au policier militaire de faire une « pause tactique » dans l'enquête. Par la suite, l'Adj Ops police a mentionné à l'un des membres de la PM que l'enquête serait retirée de la section des patrouilles de l'UPM et transférée à la Section des enquêtes générales.

Entre-temps, l'un des policiers militaires concernés, en consultation avec certains de ses collègues, a préparé et fait parvenir un courriel (par l'intermédiaire de son superviseur) en réponse à la directive de l'Adj Opérations policières requérant de faire une « pause tactique ». Dans ce message, le policier militaire faisait part de son refus à mettre l'enquête sur pause compte tenu de sa gravité et indiquait qu'il mettrait fin à celle-ci uniquement si le SNEFC reprenait l'enquête.

Le SNEFC ██ a finalement repris l'enquête, après que le policier militaire concerné ait contacté ses bureaux pour demander qu'on reconsidère la décision antérieure à la lumière des renseignements obtenus auprès des voisins de ████. Peu de temps après, on a appris que la X avait de nouveau été trouvée en état d'ébriété et que ses enfants lui avaient été retirés.

Le 13 juillet 2021, le policier militaire a appris qu'il faisait l'objet d'une enquête disciplinaire d'unité (EDU) pour insubordination, apparemment en rapport avec le courriel susmentionné. Le policier militaire allègue que l'EDU est une mesure de représailles à la suite de sa plainte antérieure auprès de la CPPM – CPPM 2021-017 (voir ci-dessus). Les mesures de représailles contre les plaignants sont expressément interdites en vertu de la partie IV de la LDN (par. 250.18(3) et 250.19(3)).

Considérations pertinentes relatives à la décision de tenir une enquête d'intérêt public

Le paragraphe 250.38(1) de la LDN stipule que la présidente de la CPPM peut demander à la Commission de procéder à une EIP « [s]'il l'estime préférable dans l'intérêt public ». Un tel libellé législatif accorde à la présidente un large pouvoir discrétionnaire quant à l'exercice de sa compétence en matière d'intérêt public (IP) dans un cas donné.

Cependant, aussi large que puisse être ce pouvoir discrétionnaire, une lecture téléologique de la loi peut fournir quelques lignes directrices. L'examen des dispositions relatives à l'IP dans le contexte de l'ensemble de la procédure légale concernant le traitement des plaintes contre la police militaire nous offre un aperçu de l'intention législative qui sous-tend le pouvoir de l'IP. Deux caractéristiques prépondérantes distinguent une d'EIP, dont le processus diffère du processus d'examen régulier des plaintes, en particulier en ce qui concerne une plainte pour inconduite :

  1. la possibilité de contourner le GPFC dans le processus de traitement d'une plainte pour inconduite;
  2. lorsque la CPPM mène une EIP, l'enquête se déroule d'une manière plus publique (les rapports finaux de l'EIP sont rendus publics par la CPPM; et il est également possible de convoquer une audience publique).

On peut inférer que le législateur a prévu qu'il pourrait y avoir des cas où la confiance du public serait mieux servie par une procédure plus indépendante et transparente.

Dans cette perspective, les facteurs suivants semblent être les plus pertinents :

  1. la gravité inhérente de l'inconduite alléguée;
  2. l'implication de problèmes systémiques au sein de la police militaire (liés, par exemple, aux politiques, à la formation, au leadership, etc.);
  3. l'attention antérieure des médias et du public (ou, vraisemblablement, la perspective probable d'une telle attention) concernant la plainte ou les circonstances qui l'entourent;
  4. plus particulièrement dans le cas des plaintes pour inconduite, les facteurs concernant les parties à la plainte ou l'historique de la procédure, qui suggèrent qu'il serait plus équitable, crédible, utile ou autrement souhaitable et dans l'intérêt du public, que la plainte contourne le GPFC et soit traitée directement et immédiatement par la CPPM.

Je vais maintenant examiner les questions soulevées dans les présentes plaintes à la lumière des quatre facteurs énumérés ci-dessus.

Considérations pertinentes à être prise en compte pour la tenue d'une EIP

  1. Gravité inhérente

    Les allégations ci-dessus témoignent d'une tentative délibérée de la part de la direction d'un

    détachement de la PM de dissimuler l'inconduite d'un de ses officiers et de lui accorder un traitement de faveur en raison de son statut. De plus, dans le cas des dossiers CPPM 2021-012 et 017, bien qu'il ait été informé de l'incident sous-jacent à ces dossiers, le détachement régional du SNEFC n'est pas intervenu et a omis de reprendre l'enquête sur l'EG no 2021-5616, nonobstant le mandat du SNEFC d'enquêter sur toutes les infractions commises par des membres de la PM.

    Il est également allégué que la direction du détachement de la PM a déployé des efforts considérables pour faire pression sur ses membres et les intimider afin qu'ils coopèrent à cette dissimulation présumée de la vérité.

    De telles allégations de dissimulation et de traitement de faveur fondé sur le statut personnel touchent le cœur de la confiance du public envers la police militaire. À ce titre, cette plainte doit être considérée comme très sérieuse.

  2. Problèmes systémiques

    Ces plaintes soulèvent des questions quant à l'intégrité du Système d'information – Sécurité et police militaire (SISEPM), dans la mesure où il est allégué que des modifications substantielles ont été apportées aux notes inscrites au dossier d'un enquêteur de la PM sans que l'auteur/enquêteur en soit informé ou y consente. De plus, le SISEPM ne permet pas de suivre facilement les modifications apportées ni de savoir qui les a effectuées. Ce problème est apparu dans de nombreux cas au fil des ans. C'est une question qui a le potentiel de miner la surveillance efficace de la police militaire.

  3. L'intérêt manifesté par le public et les médias

    Bien qu'il ne semble pas y avoir à l'heure actuelle de couverture médiatique de ces événements, dans le cas des plaintes CPPM 2021-012 et 017, il est allégué que l'incident du 10 mars 2021 (EG 2021-5616) est connu de tous les organismes d'exécution de la loi locaux. Ainsi, le fait que cette population soit au courant de l'incident favorise quelque peu la désignation d'intérêt public, mais dans une moindre mesure que si l'affaire avait été reprise par les médias.

  4. Considérations relatives au processus

    Cette considération concerne, en partie, les situations où la plainte porte sur des questions comportant une certaine sensibilité ou impliquant des membres de haut rang de la chaîne de commandement. Une plainte peut remettre en question les ordres et les décisions des hauts gradés. Toutefois, les préoccupations soulevées dans ces plaintes se limitent à un détachement local de la PM et à un détachement régional du SNEFC.

    Il existe toutefois d'autres considérations liées au processus. La rapidité et l'efficacité soutiennent fortement la désignation d'intérêt public par la CPPM. Autrement, il pourrait être nécessaire pour la CPPM de retarder son traitement de la plainte pour ingérence pendant que le GPFC traite la plainte pour inconduite en première instance, conformément à la procédure normale par défaut. Lorsque la présidente de la CPPM procède à la désignation d'IP, les plaintes pour inconduite et pour ingérence peuvent être traitées par la CPPM plus rapidement et en même temps. À cet égard, il faut se rappeler que l'article 250.14 de la LDN enjoint à la CPPM d'agir avec célérité dans la mesure où les considérations d'équité le permettent.

    Un autre avantage de la désignation d'IP est qu'elle permet d'éviter une situation dans laquelle la CPPM et le GPFC arrivent à des conclusions différentes.

    Compte tenu des considérations susmentionnées de rapidité et de cohérence des résultats, ces facteurs liés au processus soutiennent fortement une désignation d'intérêt public.

Conclusion

Étant donné les circonstances de cette affaire, je conclus qu'il est préférable dans l'intérêt public de faire tenir une enquête d'intérêt public sur ces plaintes par la Commission. La Commission va maintenant aviser les personnes visées par la plainte qui ont été identifiées et va commencer son enquête.

FAIT à Ottawa, en Ontario, le 3 août 2021

Document original signé par :
Hilary C. McCormack
Présidente

Liste de distribution :

Ministre de la Défense nationale
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Major-général George R. Pearkes
101, promenade du Colonel-By
Ottawa (Ontario)  K1A 0K2

Chef d'état-major de la défense
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Major-général George R. Pearkes
101, promenade du Colonel-By
Ottawa (Ontario)  K1A 0K2

Juge-avocat général
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Major-général George R. Pearkes
101, promenade du Colonel-By
Ottawa (Ontario)  K1A 0K2

Grand Prévôt des Forces canadiennes
Quartier général de la Défense nationale
2200, chemin Walkley
Ottawa (Ontario)  K1A 0K2

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