Enquête d'intérêt public de la greffière (CPPM‑2020‑013) – Décision de mener une enquête

Le 20 octobre 2020

Liste de distribution

1.  Conformément à l'article 250.38 de la Loi sur la défense nationale, je me suis demandé s'il était dans l'intérêt public de faire tenir une enquête d'intérêt public (EIP) sur cette plainte par la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire du Canada (la CPPM ou la Commission). La présente décision expose les raisons qui m'ont menée à conclure qu'une EIP est la meilleure façon de procéder dans le cas présent.

La plainte

2.  La Commission a déposé une plainte pour inconduite le 10 septembre 2020. Le plaignant est la Commission elle-même, qui est représentée par son greffier. La présente plainte concerne la conduite de deux policiers militaires de première ligne qui ont interrogé des témoins, et qui ont déterminé l'opportunité de porter des accusations criminelles ainsi que d'autres accusations et la manière de procéder à cet égard. Les trois autres personnes visées par la plainte sont les deux superviseurs des policiers de première ligne qui étaient responsables d'approuver leurs plans d'enquête et la conduite générale de leurs activités relativement aux questions qui ont été portées à leur attention, ainsi que le commandant du détachement de la police militaire de Kingston.

3.  La plainte pour inconduite découle d'une interaction entre deux étudiants du Collège militaire royal du Canada (CMR). Un élève-officier (élof) de sexe féminin du CMR s'est rendue au détachement de la police militaire de Kingston pour signaler qu'elle aurait été harcelée par un élof de sexe masculin. Elle a confié à la police militaire que l'élof de sexe masculin en question souffrait visiblement d'une maladie mentale et qu'il posait un danger pour sa personne. En réponse aux craintes qu'elle a soulevées pour sa sécurité, il semblerait, à la lumière des renseignements disponibles, qu'on lui a dit de chercher à obtenir une ordonnance d'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

4.  L'élof de sexe masculin s'est rendu à son tour au détachement de la police militaire de Kingston pour se plaindre qu'il avait donné de l'argent à l'élof de sexe féminin dans l'espoir de développer une relation amoureuse avec elle, ce qui ne s'est pas produit. La police militaire a été en mesure d'observer les problèmes de santé mentale de ce dernier, mais a conclu qu'il devait probablement être accusé de l'infraction de sollicitation de services sexuels. Six jours plus tard, l'élof de sexe masculin a tenté de se suicider. Après une deuxième tentative de suicide, il a été placé sous respirateur artificiel et, aux dernières nouvelles, sa vie est encore maintenue artificiellement.

5.  Dans une entrevue subséquente avec l'élof de sexe féminin, la police militaire a informé cette dernière qu'elle devrait elle-même répondre à un certain nombre d'accusations criminelles, y compris des infractions d'ordre sexuel. Aucune accusation n'a été portée contre elle, mais elle a plus tard fait clairement comprendre qu'elle sentait qu'on la blâmait pour la situation avec l'élof de sexe masculin. Bien que l'enquêteur de la police militaire ait conclu qu'aucun acte criminel n'avait été explicitement identifié dans le cadre de la relation entre les deux élof, la police militaire a recommandé que des accusations soient portées contre l'élof de sexe féminin. Or, la Couronne a décidé de ne pas intenter de poursuite.

6.  Les actes posés par les cinq policiers militaires soulèvent les questions suivantes :

  1. Les membres de la police militaire qui ont été en contact avec un membre des Forces armées canadiennes qui souffrait d'une maladie mentale ont-ils pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour gérer la situation?
  2. Les membres de la police militaire qui ont été informés d'une allégation et qui ont eu à leur disposition des éléments de preuve concernant une situation qui semblait correspondre à du harcèlement criminel ont-ils enquêté de manière raisonnable sur l'affaire?
  3. Les membres de la police militaire qui ont été informés par une plaignante qu'elle craignait pour sa sécurité parce qu'elle était harcelée par un homme ont-ils pris des mesures raisonnables dans les circonstances?
  4. L'enquête sur les infractions d'ordre sexuel qui auraient été commises par l'élof de sexe féminin a-t-elle été raisonnablement conçue et réalisée?
  5. Les superviseurs de la police militaire, ont-ils assuré une surveillance adéquate des questions de santé mentale et de sécurité personnelle ainsi que des enquêtes concernant les allégations de harcèlement criminel et les infractions d'ordre sexuel?

Mesures prises aux fins d'enquête et examen de la plainte

7.  La Commission a appris l'existence de la présente plainte pour inconduite par l'entremise d'une plainte pour ingérence. Un des membres de la police militaire du détachement de Kingston s'est plaint qu'un officier supérieur a mis fin à une enquête par la police militaire sur une omission de signaler une tentative de suicide au CMR. La plainte pour ingérence est traitée dans le cadre d'une enquête distincte, qui a été déléguée à un membre à temps partiel de la Commission. Le dossier d'événements généraux concernant l'ingérence alléguée a été examiné. Les dossiers d'événements généraux liés aux enquêtes de la police militaire concernant les deux élof ont également été examinés.

8.  Selon le paragraphe 250.26(1) de la Loi sur la défense nationale, le Grand prévôt des Forces canadiennes (le GPFC) est chargé d'enquêter en première instance sur les plaintes pour inconduite déposées contre les membres de la police militaire. Ces enquêtes sont généralement menées par le Bureau des Normes professionnelles. Si le plaignant est insatisfait de la façon dont le GPFC a disposé de la plainte, il peut demander à la Commission d'en faire l'examen. Les procédures sont différentes lorsque le président de la Commission décide de faire tenir une EIP. Le paragraphe 250.38(5) de la Loi sur la défense nationale prévoit que le grand prévôt n'effectuera pas l'examen de première instance de cette plainte pour inconduite. C'est plutôt la Commission qui procédera à l'enquête en première instance.

Considérations pertinentes à la décision de tenir une EIP

9.  Le pouvoir de la Commission de mener une enquête d'intérêt public se fonde sur la Loi sur la défense nationale, en vertu de laquelle j'ai un très large pouvoir discrétionnaire pour amener la Commission à tenir une EIP.

10.  Aux termes du paragraphe 250.38(1) de la Loi sur la défense nationale, le président de la CPPM peut décider en tout temps de faire tenir une EIP à l'égard d'une plainte si les circonstances le justifient :

S'il l'estime préférable dans l'intérêt public, le président peut, à tout moment en cours d'examen d'une plainte pour inconduite ou d'une plainte pour ingérence, faire tenir une enquête par la Commission et, si les circonstances le justifient, convoquer une audience pour enquêter sur cette plainte.

11.  Bien que ce pouvoir discrétionnaire soit large, j'ai pris en compte les meilleures pratiques de la Commission et son mandat lorsqu'elle examine la question de savoir si, dans un cas en particulier, il serait préférable dans l'intérêt public de faire tenir une EIP. Lorsque la CPPM mène une EIP, le processus diffère du processus d'examen des plaintes pour inconduite ordinaire, en ce que l'enquête se déroule d'une manière plus publique. La Commission rend le rapport final entièrement public, notamment les détails de l'information obtenue au cours de l'enquête, de même que les conclusions et recommandations de la Commission concernant la plainte. La Commission est aussi en mesure de fournir des mises à jour au public à mesure qu'avance l'enquête.

12.  Pour déterminer s'il faut faire tenir une EIP par la CPPM, il y a plusieurs points à garder à l'esprit. Au premier chef parmi ceux-ci se trouvent le mandat de la CPPM, soit d'enquêter sur les plaintes concernant la conduite des membres de la police militaire, et son objectif, soit, par l'intermédiaire de sa surveillance du processus de traitement des plaintes, de promouvoir et d'assurer les normes de conduite les plus rigoureuses au sein de la police militaire et de renforcer la confiance du public envers la police militaire.

13.  Pour déterminer s'il est dans l'intérêt public de faire tenir une EIP par la CPPM, il faut examiner chaque cas individuellement, dans le contexte de chaque plainte. Néanmoins, il est aussi utile d'examiner les facteurs pris en considération dans les décisions passées de mener des EIP.

14.  En me fondant sur le mandat de la CPPM et sur ces décisions passées, j'estime que les considérations d'intérêt public pertinentes comprennent les suivantes :

Faits pertinents

15.  Je dois souligner dès le départ qu'en déterminant s'il faut faire tenir une EIP par la Commission dans le cas qui nous occupe, je n'évalue aucunement dans la présente décision les réponses aux questions soulevées dans la plainte. Comme la Commission n'a pas encore commencé son enquête ni interrogé de témoin, je limite aussi la discussion dans cette décision aux faits de base qui me permettent de décider s'il faut faire tenir une EIP.

16.  Un fait important que j'ai pris en compte pour décider de faire tenir une EIP dans le cadre de la présente affaire est qu'il existe des indications que la police militaire a été en mesure de constater, à plusieurs occasions, qu'un membre des Forces armées canadiennes (FAC) avait de graves problèmes de santé mentale. Un policier militaire qui a rencontré le membre des FAC a remarqué que quelque chose n'allait pas. Plus tard, ce membre des FAC a tenté de se suicider à deux reprises, et on ignore s'il se remettra des blessures qu'il s'est lui-même infligées.

17.  Comme deuxième facteur important à prendre en considération, notons l'allégation de harcèlement portée à l'attention de la police militaire. Ce harcèlement aurait vraisemblablement été d'une nature telle que la victime aurait été trop perturbée pour assister à ses cours au CMR. La police militaire n'a toutefois pas intenté de procédures pour l'infraction de harcèlement criminel. La victime du harcèlement s'est fait dire qu'elle pouvait demander une ordonnance d'engagement en vertu de l'article 810 du Code criminel (appelé un « engagement de ne pas troubler l'ordre public »).

18.  Un troisième élément important à prendre en compte est le fait qu'on a envisagé de porter des accusations criminelles contre la victime présumée du harcèlement. Elle a perçu cela comme une façon de blâmer la victime pour une infraction parce que celle-ci a été commise. Bien qu'aucune accusation n'ait été portée, cela semble être dû à la décision du procureur de la Couronne de refuser d'y donner suite. Les accusations semblent avoir été recommandées par la police militaire.

Considérations d'intérêt public applicables au cas présent

19.  Pour décider de tenir une EIP, j'ai examiné les questions soulevées dans la présente plainte à la lumière des facteurs d'intérêt public suivants :

La nature et la gravité des questions

20.  L'une des questions sérieuses que soulève la plainte pour inconduite concerne la réponse de la police militaire aux problèmes de santé mentale. La plainte vise une personne qui avait apparemment de graves problèmes de santé mentale et qui est entrée en contact avec un membre de la police militaire. Ce contact a eu lieu dans le cadre d'un entretien assez approfondi. Six jours après l'entretien, cette personne a tenté de se suicider.

21.  Il est important de rappeler le contexte dans lequel la police militaire a dû traiter les comportements suicidaires et les problèmes de santé mentale parmi les cadets du CMR. Le public a pris conscience de la problématique liée au suicide au CMR en 2016 lorsque trois élèves-officiers se sont suicidés. Cette situation a entraîné la création d'une commission d'enquête sur la question du suicide au CMR, qui a publié son rapport en juillet 2018, soit quelques mois seulement avant les événements qui ont donné lieu à la présente plainte pour inconduite.

22.  Une EIP sur cette question aiderait à déterminer si la police militaire était consciente du risque de suicide au CMR. Dans la négative, cela soulèverait des questions à propos des politiques et des procédures de la police militaire dans la foulée du rapport de la commission d'enquête de juillet 2018. L'un des objectifs de ce rapport aurait été d'attirer l'attention sur les problèmes de santé mentale au sein du CMR. Une EIP permettrait de déterminer si cela a donné lieu à des changements dans la façon dont la police militaire traite pareilles questions.

23.  Une autre question sérieuse que soulève la plainte pour inconduite concerne le statut juridique actuel de l'élof de sexe féminin. Selon un examen du dossier d'enquête de la police militaire, une infraction de « crimes sexuels autres » prétendument commise par l'élof de sexe féminin était « fondée » Cela signifie qu'après une enquête policière, il a été déterminé que l'infraction signalée s'est produite ou a été tentée. La mention « fondée » pourrait avoir des répercussions négatives à long terme pour l'élof de sexe féminin si, par exemple, elle demandait une habilitation de sécurité et que son dossier était examiné. Une EIP permettrait de vérifier si la mention « fondée » existe toujours et, dans l'affirmative, de déterminer les motifs pour lesquels une telle mention figure dans le dossier de l'élof de sexe féminin.

L'incidence des questions sur la confiance du public envers la police militaire

24.  Un aspect de la plainte qui pourrait avoir une incidence sur la confiance du public envers la police militaire est la manière dont l'allégation avancée par l'élof de sexe féminin selon laquelle elle était harcelée a été traitée par la police militaire. L'élof de sexe féminin a fourni des renseignements à la police militaire qui, selon elle, indiquaient qu'elle était victime de harcèlement. Une EIP pourrait déterminer l'étendue de l'enquête de la police militaire sur ses allégations.

25.  La ligne de conduite adoptée par la police militaire peut soulever des questions sur la confiance du public envers elle. L'élof de sexe féminin a fait ce que tous les citoyens sont encouragés à faire, à savoir s'adresser à la police lorsqu'ils pensent être victimes d'une infraction criminelle. Elle a également fourni à la police des éléments de preuve documentaires qui, selon elle, établissent le harcèlement présumé. Le but de s'adresser à la police dans ces circonstances est vraisemblablement que cette infraction présumée fasse l'objet d'une enquête ou que d'autres mesures soient prises à cet égard. Si les choses ne se passent pas ainsi, la confiance dans l'utilité de signaler un incident à la police peut être ébranlée. Une EIP pourrait examiner qu'elle a été la réponse de la police militaire à l'allégation de harcèlement et si cette réponse encouragerait d'autres victimes de crimes à porter plainte auprès de la police.

26.  Une autre question concernant la confiance du public envers la police militaire est la réponse de la police militaire à l'élof de sexe féminin lorsque celle-ci a indiqué qu'elle avait peur de son collègue masculin. Il s'agit également d'une situation que les citoyens sont encouragés à signaler à la police, dans ce cas, pour leur propre protection. Une EIP pourrait permettre d'examiner si des mesures ont été prises par la police militaire pour assurer la protection de l'élof de sexe féminin et si ces mesures étaient nécessaires. Comme pour la réponse à l'allégation de harcèlement, une EIP pourrait examiner si la réponse de la police militaire à la crainte éprouvée par l'élof de sexe féminin encouragerait d'autres personnes craignant pour leur sécurité à faire part de leurs préoccupations à la police.

Les questions de nature systémique liées aux processus et aux politiques de la police militaire soulevées par les allégations

27.  La plainte soulève des questions non pas à l'égard d'un seul membre de la police militaire, mais plutôt à l'égard des actes posés par plusieurs membres de la police militaire de première ligne et de leurs superviseurs. En ce sens, les allégations soulèvent des questions de nature systémique liées aux processus et aux politiques de la police militaire. Une EIP pourrait servir à déterminer quels sont les processus et les politiques en place et comment ils sont mis en œuvre en lien avec les domaines de la santé mentale et du harcèlement. Pareille enquête permettrait d'approfondir la question de savoir comment les membres de la police militaire sont formés pour gérer de tels cas. De plus, l'enquête permettrait de connaître le degré de connaissance du détachement de la police militaire de Kingston sur des sujets tels que la stratégie de prévision du suicide des FAC, le Manuel de l'Opération HONOUR et le Code de déontologie de la police militaire.

28.  Le caractère récurrent de la question de la santé mentale en lien avec la police militaire a été exposé lorsque la Commission a traité de la question du suicide au sein des FAC lors de l'audience d'intérêt public Fynes, et de la question de la santé mentale dans son ensemble dans une plainte anonyme en 2017. Cette plainte portait sur les nouvelles restrictions imposées aux membres de la police militaire dans l'exercice de leurs pouvoirs d'agent de la paix lorsqu'ils se retrouvent en présence d'une personne sur une propriété militaire en situation de crise de santé mentale. Bien qu'il lui ait été demandé d'effectuer une EIP dans cette affaire, la Commission a conclu qu'il ne s'agissait pas d'une plainte pour inconduite valable car elle portait sur une politique et non sur l'exercice de « fonctions de nature policière ».

29.  La Commission n'a pas exercé son pouvoir de faire tenir une EIP dans le cadre de la plainte anonyme, mais a estimé que la plainte soulevait des questions importantes relatives à la conduite de la police militaire au Canada. De plus, même si la Commission ne possède pas le pouvoir légal de mener une enquête sur les directives ou les ordres de la police militaire dans l'abstrait, elle a affirmé qu'elle « aura probablement plus à dire à ce sujet ». En revanche, les faits connus relatifs à la présente plainte révèlent que la plainte pour inconduite pourrait être valable parce que les membres de la police militaire concernés menaient une enquête. Ils exerçaient clairement des « fonctions de nature policière » tout en traitant avec une personne ayant des problèmes de santé mentale. Par conséquent, ce dossier permet d'aborder les politiques et procédures de la police militaire concernant les personnes atteintes d'une maladie mentale, ce qui n'était pas le cas dans la plainte anonyme.

L'intérêt manifesté auparavant par le public pour ces événements

30.  Je note également que la question du suicide au CMR suscite depuis longtemps l'intérêt du public. La couverture médiatique sur la question du suicide au CMR remonte au moins à 2003, lorsque le corps d'un élève-officier a été retrouvé près du collège et que son décès a été considéré comme un suicide. Sa famille continue de faire pression pour qu'une enquête plus approfondie soit menée sur sa mort. En 2016, trois cadets se sont suicidés. Les dirigeants des FAC ont réagi en demandant la création d'une commission d'enquête sur la question du suicide au collège. À la suite de la publication du rapport de la commission d'enquête en juillet 2018, la question a été largement couverte par un certain nombre de médias nationaux. Dans les articles de presse, on a également souligné que, malgré la stratégie de prévention du suicide des FAC dévoilée en 2017, le nombre de suicides au sein des FAC en 2018 est resté comparable à celui de 2017.

Les questions qui sont des sujets de préoccupation ou d'importance plus large pour le public

31.  La question du suicide en général dans les FAC est suffisamment préoccupante pour inciter le Directeur – Protection de la santé de la Force du ministère de la Défense nationale à produire un rapport annuel sur le sujet, le plus récent étant intitulé Rapport de 2019 sur la mortalité par suicide dans les Forces armées canadiennes (de 1995 à 2018). Les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada ont élaboré une Stratégie conjointe de prévention du suicide. Les problèmes de santé mentale suscitent également une inquiétude croissante au sein du grand public. Cette préoccupation est prise en compte dans les nombreuses ressources qui sont maintenant disponibles pour aider à traiter pareils problèmes, comme le portail du gouvernement du Canada Espace mieux-être Canada. Ces ressources, ainsi que d'autres, témoignent d'une reconnaissance croissante de la nécessité de parler ouvertement des questions touchant la santé mentale.

32.  Le traitement réservé aux femmes au sein des FAC est également un sujet de préoccupation et d'importance pour le public. L'image publique quant au traitement réservé aux femmes dans les FAC a été soulevée le 25 novembre 2019 lorsque la Cour fédérale du Canada a entériné le règlement d'un recours collectif dans lequel des allégations de harcèlement sexuel, d'agression sexuelle ou de discrimination fondée sur le sexe, le genre, l'identité de genre ou l'orientation sexuelle (appelé « inconduite sexuelle ») avaient été portées en lien avec le service militaire et/ou l'emploi au sein du ministère de la Défense nationale. Commentant le règlement, le Chef d'état-major de la défense a déclaré ce qui suit : « Nous vous rassurons que ces histoires nous ont affectés fortement et durablement, et elles n'ont fait que renforcer notre engagement en faveur du changement ».

33.  Les FAC ont lancé l'opération HONOUR en réponse à la publication, en mars 2015, du rapport de l'ancienne juge de la Cour suprême Marie Deschamps intitulé Examen externe sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes. Ce rapport documente une culture au sein de l'armée dans laquelle les femmes avaient peur de signaler des allégations de harcèlement ou d'agression sexuelle parce qu'elles craignaient que leur carrière soit compromise ou qu'elles ne seraient pas crues par la chaîne de commandement. Aux termes de l'Opération HONOUR, tous les membres des FAC doivent fournir du soutien et faciliter davantage la fourniture de services aux membres des FAC touchés par un comportement sexuel dommageable et inapproprié. Une EIP pourrait examiner comment les membres de la police militaire nommés dans la plainte ont répondu à l'allégation de harcèlement sexuel à la lumière des directives énoncées dans le cadre de l'Opération HONOUR.

34.  Le fait que la police militaire a envisagé de porter des accusations contre l'élof de sexe féminin est une question qui est liée à l'Opération HONOUR. Cette possibilité a été perçue par l'élof de sexe féminin comme un exemple de condamnation de la victime. Le Manuel de l'Opération HONOUR définit la « condamnation de la victime » comme suit :

Une personne qui se demande comment la personne victime d'un crime aurait pu se comporter différemment ou faire des choix différents pour éviter la situation peut être considérée comme s'adonnant à un certain degré de condamnation de la victime. La remise en question de ce qu'une victime aurait pu faire différemment pour empêcher qu'un crime ne se produise peut laisser entendre que la faute du crime lui revient plutôt qu'à l'agresseur.

35.  L'élof de sexe féminin a écrit au membre de la police militaire qui l'avait interrogée qu'elle sentait qu'on lui faisait porter le blâme pour la situation concernant l'élof de sexe masculin. Selon elle, c'est exactement le genre de scénario qui décourage les femmes de signaler des situations de harcèlement. Une EIP permettrait d'examiner la base juridique et factuelle des accusations qu'on a recommandé de porter contre l'élof de sexe féminin.

36.  Bien que ce facteur ne soit pas déterminant, je considère que le fait que certaines des questions relatives à la présente plainte touchent à des sujets qui suscitent beaucoup d'intérêt de la part du public en général est une raison supplémentaire justifiant l'importance de rendre accessible au public l'enquête et les conclusions sur ces questions par l'entremise d'une EIP.

37.  Le processus d'EIP convient parfaitement à l'établissement d'un juste équilibre par la Commission entre la nécessité de maintenir la transparence et la responsabilisation envers le public, d'un côté, et la nécessité de protéger les renseignements personnels de ceux et celles qui ont vécu certains des événements décrits dans la plainte et qui ne souhaitent pas voir leur identité rendue publique, d'un autre côté. Par conséquent, la Commission s'assurera de prendre des mesures appropriées pour protéger les renseignements personnels de ces personnes pendant la conduite de son EIP, tout en respectant les principes d'ouverture, d'équité et de transparence.

38.  Étant donné les considérations d'intérêt public présentes dans cette affaire, notamment les questions de nature systémique soulevées, la nature et la gravité des allégations et le risque de perceptions négatives qui pourraient avoir une incidence sur la confiance du public envers la police militaire ou même décourager la dénonciation par d'autres victimes ou plaignants potentiels, il est dans l'intérêt public de faire tenir une EIP par la Commission.

Personnes visées par la plainte

39.  En examinant les documents mis à ma disposition, j'ai déterminé que la présente plainte pour inconduite devrait porter sur cinq personnes. Deux d'entre elles sont les membres de la police militaire de première ligne qui ont interrogé des témoins et déterminé s'il y avait lieu de porter des accusations criminelles ou d'autres accusations et établi la manière de procéder. Deux autres personnes étaient les superviseurs des deux membres de première ligne, responsables d'approuver leurs plans d'enquête et l'orientation générale de leurs activités en rapport avec les problèmes au CMR qui avaient été portés à leur attention. Le cinquième sujet était le commandant du détachement de la police militaire de Kingston, qui était responsable du commandement des actions des membres de première ligne et de surveillance.

40.  Il est important de souligner qu'à ce stade, l'identification des personnes visées par la plainte ne signifie pas que la Commission considère la conduite de ces personnes comme répréhensible. Au contraire, ce n'est qu'à la conclusion de son enquête que la Commission sera en mesure de déterminer si des aspects de la plainte sont fondés et, le cas échéant, d'établir la responsabilité de chaque personne visée par rapport à toute lacune identifiée.

41.  Être visé par une plainte ne doit pas être considéré comme être accusé dans une affaire criminelle. Plutôt que d'indiquer que la Commission a des raisons de croire que les personnes en question ont pris part à une conduite inappropriée ou que leur travail présentait des lacunes, être identifié comme personne visée par une plainte signifie simplement que la personne a joué un rôle dans les tâches ou le comportement qui fait l'objet de la plainte.

42.  La Commission tirera ses conclusions et formulera ses recommandations sur le bien-fondé des allégations soulevées dans cette plainte lorsqu'elle préparera son rapport final, après avoir mené une enquête complète et équitable et avoir donné l'opportunité à toutes les parties de fournir des renseignements et des explications sur les événements et les mesures prises. Les nouvelles personnes identifiées par la Commission comme personnes visées par la plainte seront avisées de la plainte et de ma décision de faire tenir une EIP par la Commission. Chacune des personnes visées par la plainte aura la possibilité, au cours de l'enquête de la Commission, de participer à des entrevues avec les enquêteurs de la Commission afin d'expliquer son rôle dans la conduite et/ou la supervision des diverses enquêtes concernant les élèves-officiers du CMR.

Conclusion

43.  Étant donné les circonstances de cette affaire, je conclus qu'il est préférable dans l'intérêt public de faire tenir une enquête d'intérêt public sur cette plainte par la Commission. La Commission va maintenant aviser les personnes visées par la plainte qui ont été identifiées et va commencer son enquête.

FAIT à Ottawa, en Ontario, le 20 octobre 2020

Original signé par

Hilary C. McCormack
Présidente


Liste de distribution :

Ministre de la Défense nationale
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Major-général George R. Pearkes
101, promenade du Colonel-By
Ottawa (Ontario) K1A 0K2
Chef d'état-major de la défense
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Major-général George R. Pearkes
101, promenade du Colonel-By
Ottawa (Ontario) K1A 0K2
Juge-avocat général
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Major-général George R. Pearkes
101, promenade du Colonel-By
Ottawa (Ontario) K1A 0K2
Grand prévôt des Forces canadiennes
Quartier général de la Défense nationale
2200, chemin Walkley
Ottawa (Ontario) K1A 0K2
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