Enquête d'intérêt public Whelan (CPPM 2024-047) - Décision de mener une enquête d'intérêt public
Le 3 décembre 2024
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Le 29 octobre 2024, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM) a reçu une plainte pour inconduite du lieutenant-général Steve Whelan (le plaignant) concernant le traitement d’une enquête de la police militaire sur une inconduite sexuelle dont il était le sujet.
Pour les raisons qui suivent, j’ai décidé de mener une enquête d’intérêt public sur cette plainte.1
Contexte
La plainte concerne une enquête sur une inconduite sexuelle menée en 2021-2022 par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC). Le 20 juillet 2022, la police militaire a porté des accusations contre le plaignant en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale (LDN) (« [t]out acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline »), et une cour martiale a été convoquée. Le 2 octobre 2023, les accusations ont été retirées.
Le plaignant affirme que l’enquête du SNEFC a été entachée d’irrégularités, de manque de professionnalisme et d’incompétence. Il cite plusieurs exemples de pratiques inférieures aux normes de la part des membres du SNEFC, notamment: avoir documenté de manière inadéquate les interactions avec la victime présumée; avoir fait preuve de partialité en faveur de la victime présumée; ne pas avoir posé de questions cruciales lors des entrevues; avoir traité les éléments de preuve de manière inappropriée; ne pas avoir enquêté de manière adéquate les conflits d’intérêts potentiels des témoins; ne pas avoir interrogé des témoins clés; et ne pas avoir correctement mené et divulgué l’entrevue d’un témoin.
Le plaignant suggère que certaines lacunes pourraient avoir été délibérées en raison d’une influence inappropriée de la part de la chaîne de commandement et d’un désir d’obtenir une conclusion spécifique. Il qualifie les accusations portées contre lui [traduction] « [d’]accusations forcées ». Il nomme le grand prévôt des Forces canadiennes (GPFC) et son adjointe (GPAFC) parmi les personnes visées par sa plainte. Il affirme qu’ils n’ont pas supervisé correctement l’enquête du SNEFC. Il croit également que la GPAFC lui a fourni de fausses informations, dénaturant les faits de son affaire.
Le plaignant affirme également que des [traduction] « fuites médiatiques » ont eu lieu dans son cas, alors que l’enquête était en cours. Il affirme que le GPFC et la GPAFC n’ont pas enquêté sur ces « fuites » ni ordonné une évaluation d’impact pour déterminer si elles ont porté atteinte à ses droits. Il suggère que ce manquement présumé peut indiquer une complicité dans la facilitation des « fuites médiatiques ».
Le plaignant demande à la CPPM de [traduction] « mener un examen indépendant et approfondi, libre de toute surveillance interne de la police militaire [des Forces canadiennes] ». Il soutient que puisque la plainte comprend des allégations contre le GPFC et la GPAFC, ces derniers ne devraient pas être impliqués dans le processus de révision.
Le 3 décembre 2024, j’ai accordé la demande de prolongation de délai pour déposer une plainte présentée par le plaignant.
Considérations pertinentes pour la détermination de l’enquête d’intérêt public
En vertu de la LDN, j’ai un large pouvoir discrétionnaire pour décider si la CPPM devrait ternir une enquête d’intérêt public. La LDN stipule comme suit :
- 250.38 (1) S’il l’estime préférable dans l’intérêt public, le président peut, à tout moment en cours d’examen d’une plainte pour inconduite ou d’une plainte pour ingérence, faire tenir une enquête par la Commission et, si les circonstances le justifient, convoquer une audience pour enquêter sur cette plainte.2
Les facteurs suivants, qui ne sont pas exhaustifs, ont été reconnus par la CPPM comme étant pertinents pour les décisions relatives à la tenue des enquêtes d’intérêt public à l’égard des plaintes :
- La gravité de la conduite alléguée;
- Les questions de nature systémique soulevées dans la plainte;
- L’implication des cadres supérieurs ou des hauts gradés militaires;
- L’intérêt du public relativement aux questions liées à la plainte;
- Des considérations procédurales qui feraient en sorte qu’il serait plus juste, crédible, cohérent ou efficace de traiter la plainte comme une affaire d’intérêt public.
Tous ces facteurs ne sont pas pertinents dans tous les cas. Ceux qui le sont pour cette plainte sont examinés ci-dessous, fournissant la justification de ma décision.
La gravité des allégations
Les allégations contenues dans cette plainte sont importantes. Si elles s’avèrent fondées, elles pourraient constituer un manquement délibéré d’enquêter correctement l’allégation grave d’inconduite sexuelle, et ce, peut-être parce que l’enquête a été menée dans le but de parvenir à une conclusion prédéterminée. De plus, les allégations « [d’]accusations forcées » et de « fuites médiatiques » intentionnelles compromettent l’intégrité de l’enquête et l’indépendance de la police militaire si elles ne sont pas examinées.
L’inconduite sexuelle dans les Forces canadiennes est un problème significatif qui exige des enquêtes rigoureuses. Cependant, il serait problématique, que dans le cadre d’une enquête sur des allégations d’inconduite sexuelle, la police militaire soit, consciemment ou inconsciemment, entachée de biais à l’encontre des victimes ou des suspects. Cette plainte soulève ces préoccupations dans un cas important. Il serait préférable qu’un organe de surveillance externe, comme la CPPM, examine si la police militaire a fait preuve de partialité dans le traitement des allégations contre le plaignant.
Les questions de nature systémique
Le 28 octobre 2024, la CPPM a reçu une lettre du plaignant, par l’intermédiaire de son avocat, demandant [traduction] « une vaste enquête systémique » sur les [traduction] « enquêtes portant sur des accusations d’inconduite sexuelle contre des officiers supérieurs ». J’ai répondu le 6 novembre 2024, notant que la CPPM n’a pas le mandat législatif de mener une enquête systémique indépendante. Cependant, le cas échéant, la CPPM examine et traite les questions de nature systémique dans le contexte des plaintes qu’elle examine.
Outre les préoccupations systémiques relevées dans la lettre du 28 octobre 2024, le plaignant déclare que les accusations portées contre lui ont été retirées principalement en raison de [traduction] « problèmes de preuves [...], soulignant les malversations et l’incompétence systémiques dans le processus d’enquête ». Il note dans sa plainte que les défaillances sont nombreuses : un manque d’intégrité et de diligence en matière de preuves, ainsi qu’une incompétence et partialité dans la manière dont l’enquête a été menée.
Bien qu’une enquête systémique indépendante ne relève pas de la compétence de la CPPM, les questions de nature systémique qui sont directement liées à la plainte sont pertinentes pour mon analyse. Elles soulèvent de préoccupations sérieuses sur les défaillances systémiques dans l’évaluation correcte et impartiale des éléments de preuve dans l’enquête, non seulement au niveau du SNEFC, mais potentiellement aussi au sein de la police militaire de manière plus générale.
Les questions de nature systémique soulevées dans cette plainte militent en faveur d’une enquête d’intérêt public.
L’implication du personnel d'encadrement
Le plaignant cite comme personnes visées par la plainte le GPFC et la GPAFC, entre autres. Il fait également référence à plusieurs reprises à des liens potentiels avec la chaîne de commandement, faisant ainsi allusion à l’implication d’autres cadres supérieurs ou hauts gradés militaires. Cette implication peut faire craindre qu’une affaire soit traitée différemment pour cette raison, en particulier dans des institutions soucieuses de leur grade comme l’armée. Cela constitue une autre raison pour laquelle la CPPM devrait mener cette enquête.
L’intérêt du public
L’enquête et la poursuite engagée contre le plaignant ont été largement rapportées dans les médias, tant à l’échelle régionale que nationale. Outre la large couverture médiatique de l’enquête et le retrait des accusations, une affaire civile en cours a également attiré l’attention des médias.
Enfin, en raison de la gravité générale de cette plainte, il est dans l’intérêt du public de traiter les préoccupations qu’elle soulève dans un forum public plus large plutôt que celui communément utilisé pour enquêter sur les plaintes concernant la conduite de la police militaire.
Compte tenu de ces considérations, il est dans l’intérêt du public que la CPPM mène une enquête en vertu du paragraphe 250.38 (1) de la LDN plutôt que de transférer la plainte au chef d’état-major de la Défense pour qu’elle la traite en première instance.
Décision
Pour ces raisons, je désigne cette plainte pour inconduite, CPPM 2024-047, comme une enquête d’intérêt public de la CPPM.
En déclarant une enquête d’intérêt public, je décide également que le rapport final de cette affaire sera rendu public, sous réserve de la nécessité de protéger les renseignements personnels particulièrement sensibles.
De plus, la gravité des questions soulevées dans cette plainte pourrait justifier la tenue d’audiences publiques. Déclarer une audience d’intérêt public permettrait à la CPPM de contraindre les témoins à coopérer et d’émettre des assignations à comparaitre pour obtenir des documents. Toutefois, à ce stade, je considère qu’il est plus rapide et dans l’intérêt public de mener une enquête d’intérêt public sans audience. Je suis prête à revoir cette décision si les circonstances l’exigent, ce qui peut inclure une coopération volontaire insuffisante dans l’enquête d’intérêt public sure cette plainte.
La CPPM va maintenant commencer son enquête sur cette affaire. Comme la CPPM n’a pas encore reçu la divulgation complète demandée concernant cette plainte, elle ne peut pas notifier les personnes qui pourraient être visées par son enquête, à l’exception des personnes identifiées par le plaignant. Des notifications supplémentaires seront faites, le cas échéant, lorsque la divulgation aura été reçue du Bureau des normes professionnelles du GPFC.
SIGNÉE à Ottawa, Ontario, ce 3e jour de décembre 2024.
Document original signé par :
Me Tammy Tremblay, M.S.M., C.D., LL.M.
Présidente
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