Rapport final de la présidente concernant le dossier Enquête d'intérêt public Fortin (CPPM‑2023‑006)
RAPPORT FINAL
À la suite d’une enquête d’intérêt public menée conformément à
l’article 250.53 de la Loi sur la défense nationale sur une plainte
pour inconduite déposée par le Mgén (retraité) Dany Fortin
concernant la conduite de l’Adj Denise Hachey, du Sgt Keven Léonard,
de l’Adjum Danny Parent
et du Capt Thierry Paré du Service national des enquêtes
des Forces canadiennes, région de l’Est
Dossier : CPPM 2023-006
Ottawa, le 27 novembre 2025
Me Tammy Tremblay, MSM, CD, LL.M.
Présidente
Table des matières
- APERÇU
- PROCESSUS D’ENQUÊTE D’INTÉRÊT PUBLIC DE LA CPPM
- ANALYSE
- Les allégations d’agression sexuelle ne nécessitent pas de corroboration, mais l’enquête policière n’a pas été menée de façon raisonnablement approfondie
- Des éléments de preuve potentiellement contradictoires n’ont pas été raisonnablement évalués ou ont été négligés
- L’enquête du SNEFC a été compromise par une vision tunnel et a montré des signes de partialité
- La crédibilité d’un témoin, le Mgén T., a été mise en doute par l’enquêteur de la police militaire
- La décision de transmettre le dossier d’enquête au DPCP du Québec a été raisonnablement appuyée par les éléments de preuve disponibles
- Affirmation selon laquelle la police militaire a tenté de construire un récit prédéterminé et de « [traduction] colmater des brèches » n’est pas étayée par les éléments de preuve
- RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS ET DES RECOMMANDATIONS
Question n° 2 : L’enquête du SNEFC RE a-t-elle été influencée par des considérations externes ?
Ⅰ Aperçu
1. Le 17 janvier 2023, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (CPPM) a reçu une plainte pour inconduite du major-général (MgénNote de bas de page 1) [retraité] Dany Fortin. La plainte concerne le traitement d’une enquête du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC), qui a abouti à des poursuites contre lui pour agression sexuelle. Il a finalement été acquitté lors de son procès.
2. Le Mgén (retraité) Fortin affirme que l’enquête de la police militaire (PM) était biaisée et partiale. Il soutient que les accusations ont été portées en dépit de preuves insuffisantes et affirme que les poursuites ont été influencées par des pressions externes indues pour accepter aveuglément comme étant véridiques les allégations de la victime présumée à son détriment.
3. En avril 2023, j’ai lancé une enquête d’intérêt public (EIP) sur la plainte du Mgén (retraité) Fortin. Compte tenu de la gravité des allégations, de l’implication présumée de cadres et d’officiers supérieurs militaires et de l’intérêt public relativement aux questions liées à la plainte, j’ai déterminé qu’une enquête publique était justifiée pour assurer la transparence, la responsabilisation et la confiance du public dans le processus de surveillance de la police militaireNote de bas de page 2.
4. Sur la base des renseignements contenus dans la plainte, j’ai identifié les deux questions suivantes :
Question n° 1 : Les enquêteurs du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, région de l’Est (SNEFC RE) ont-ils mené une enquête approfondie et rigoureuse sur la plainte d’agression sexuelle déposée contre le Mgén (retraité) Fortin ?
Question n° 2 : L’enquête du SNEFC RE a-t-elle été influencée par des considérations externes ?
5. Cette EIP a relevé de graves lacunes dans la conduite de l’enquête du SNEFC sur la plainte déposée contre le Mgén (retraité) Fortin. Bien que les éléments de preuve n’étayent pas l’allégation d’influence externe indue, l’enquête a néanmoins été compromise par une vision en tunnel, des signes de partialité, une supervision insuffisante et un manquement au respect des principes fondamentaux d’enquête. Ces lacunes ne constituent pas de simples erreurs administratives; elles représentent des manquements importants qui minent la confiance du public envers la police militaire.
6. Pour répondre à ces préoccupations, j’ai formulé des recommandations visant à renforcer la capacité d’enquête et à garantir que les enquêtes futures soient menées avec impartialité, rigueur et transparence. Ces recommandations visent non seulement à remédier aux lacunes spécifiques relevées dans cette affaire, mais également à renforcer la responsabilisation institutionnelle et à accroitre la confiance dans la capacité de la police militaire à exercer ses fonctions de manière juste et efficace.
7. Conformément à l’article 250.51 de la Loi sur la défense nationale (LDN)Note de bas de page 3, la Grande Prévôt des Forces canadiennes (GPFC) est tenue d’informer à la fois le ministre et moi-même de toute mesure prise ou à prendre concernant cette plainte. Le 14 octobre 2025, la GPFC a transmis une notification en réponse au rapport provisoire de la CPPM, soumis le 17 juillet 2025. Cette notification incluait des commentaires sur les conclusions et recommandations de la CPPM. Sur les seize recommandations formulées, j’estime que seulement trois ont été pleinement acceptées par la GPFC, dix ont été partiellement acceptées et trois n’ont pas été acceptées du tout.
8. Bien que bon nombre des commentaires de la GPFC expriment une intention générale d’harmoniser les politiques et procédures de la police militaire avec les meilleures pratiques policières canadiennes, ils manquent de précision. Les réponses n’indiquent pas clairement quelles politiques et procédures de la police militaire seraient examinées, ni comment les mises à jour proposées refléteraient les recommandations. Plusieurs réponses ne traitent que partiellement les recommandations, laissant des lacunes importantes et ne fournissant pas de réponses significatives ou complètes. Une réponse plus complète et transparente à chaque élément de chaque recommandation aurait mieux démontré la responsabilisation institutionnelle et la volonté de mettre en œuvre des changements significatifs.
Ⅱ Processus d’enquête d’intérêt public de la CPPM
Contexte de la plainte
9. L’agression sexuelle aurait eu lieu entre janvier et avril 1988 au Collège militaire royal de Saint-Jean (CMR Saint Jean), au Québec, alors que le Mgén (retraité) Fortin et la victime présumée (ci-après désignée sous le nom de « XNote de bas de page 4 ») étaient élèves-officiers. L’enquête du SNEFC a débuté en mars 2021 et, en mai 2021, le SNEFC a transmis le dossier d’enquête au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCPNote de bas de page 5) du Québec. Le Mgén (retraité) Fortin a été accusé d’agression sexuelleNote de bas de page 6 par le DPCP le 18 août 2021. Le 5 décembre 2022, le Mgén (retraité) Fortin a été acquitté. Le 9 janvier 2023, le DPCP a annoncé qu’il ne porterait pas la décision de la Cour en appel.
10. Le 15 mars 2023, le Mgén (retraité) Fortin a déposé une déclaration devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, désignant plusieurs cadres et officiers supérieurs militaires, dont le GPFC de l’époque, Mgén Simon Trudeau, le lieutenant-colonel (Lcol) Eric Leblanc, commandant (cmdt) du SNEFC au moment de l’enquête du SNEFC RE, et l’adjudante (Adj) Denise Hachey, membre du SNEFC RE impliquée dans l’enquête visant le Mgén (retraité) Fortin.
11. En octobre 2023, le Mgén (retraité) Fortin a retiré sa plainte. Le retrait est survenu le lendemain de la publication d’une déclaration commune du Mgén (retraité) Fortin et du ministère de la Défense nationale (MDN) indiquant que les poursuites judiciaires entamées en mars 2023 avaient été résolues.
12. Après mûre réflexion, j’ai décidé de poursuivre l’EIP malgré le retrait de la plainteNote de bas de page 7. La justification sous-jacente à ma décision initiale du 20 avril 2023 de lancer une EIP demeure valable et inchangée. La gravité des allégations, l’implication présumée de cadres supérieurs et de membres du personnel de la PM, et les enjeux d’intérêt public soulevés par la plainte continuent de justifier un examen indépendant. De plus, les enjeux fondamentaux d’inconduite policière soulevés dans la plainte n’ont pas été résolus et ils ne sont pas devenus sans objet lors de la conclusion de la poursuite civile connexe engagée par le Mgén (retraité) Fortin. Un règlement privé entre un particulier et le MDN ne nie pas et ne peut pas nier l’intérêt public distinct de veiller à ce que la PM s’acquitte de ses fonctions de façon équitable, impartiale et conforme aux normes déontologiques.
Demandes de divulgation
13. Le 25 janvier 2023, la CPPM a demandé au Bureau des normes professionnelles (NP) du GPFC de fournir le rapport d’enquête du SNEFC concernant l’allégation d’agression sexuelle contre le Mgén (retraité) Fortin (ci-après le « dossier d’enquête policière »).
14. Le 31 mars 2023, le Bureau des NP a fourni une copie du « rapport d’enquête de la police militaire », un document de quelques pages ne contenant qu’un résumé de l’enquête. La CPPM a reçu une version caviardée du dossier d’enquête policière (Événement général (EG) 2021-5656Note de bas de page 8) le 19 juin 2023.
15. Le dossier d’enquête contenait énormément de caviardages, notamment pour masquer des renseignements personnels. Le 16 août 2023, j’ai demandé que les caviardages, notamment des renseignements personnels, des renseignements sur la victime ou des renseignements sur les jeunes, et tout autre renseignement non protégé par le secret professionnel de l’avocat, soient levés et qu’un nouveau dossier non caviardé soit fourni à la CPPM. Le 5 septembre 2023, la CPPM a reçu un dossier dans lequel certains des caviardages en question ont été levés.
16. Le 26 septembre 2023, j’ai demandé que les caviardages restants, autres que ceux protégés par le secret professionnel de l’avocat, soient levés. La Grande Prévôt adjointe des Forces canadiennes (GPAFC) de l’époque, qui occupe aujourd’hui le poste de GPFC, a répondu le 3 octobre 2023 que les caviardages étaient dus à des préoccupations concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRPNote de bas de page 9) et que le bureau du GPFC adoptait une approche axée sur la victime en ne divulguant pas les renseignements personnels sur X après l’avoir consultée à ce sujet.
17. La position adoptée par la GPAFC de l’époque est déroutante, car la CPPM a le mandat législatif d’enquêter sur les plaintes. De plus, la LPRP prévoit expressément ce type de divulgationNote de bas de page 10. En outre, rien dans la LDN n’autorise le GPFC à ne pas divulguer les renseignements personnels dans les documents qu’il fournit à la CPPM.
18. Comme l’a fait remarquer la Cour fédérale du Canada dans l’arrêt Garrick c. Amnesty International Canada, « [s]i la Commission n’a pas entièrement accès aux documents pertinents, lesquels sont essentiels aux enquêtes, elle ne peut pas mener une enquête complète et indépendanteNote de bas de page 11 ».
19. La CPPM ne peut pas intenter de poursuites pour tous les cas où le GPFC refuse de divulguer des renseignements. Dans cette affaire, bien que la CPPM n’ait pas été en mesure d’obtenir un dossier d’enquête policière complet non caviardé, la plupart des caviardages ont été levés, ce qui lui a permis de remplir son mandat. Entre mars 2023 et juillet 2025, la CPPM a demandé des renseignements supplémentaires et les a reçus dans la plupart des cas. La CPPM a reçu au total plus de 1 000 pages de preuve documentaire de la part du Bureau des NP du GPFC, du Mgén (retraité) Fortin, de témoins et d’autres.
Phase des entrevues
20. J’ai déterminé que les membres suivants du SNEFC RE représenteraient les personnes visées par cette EIP :
- a) le sergent (Sgt) Keven Léonard – enquêteur principal;
- b) l’Adj Denise Hachey – enquêtrice assistante;
- c) l’adjudant-maître (Adjum) Danny Parent – commandant adjoint (cmdtA) et gestionnaire de cas;
- d) le capitaine (Capt) Thierry Paré – cmdt détenant le pouvoir d’approbation finale au moment concerné
21. La CPPM a invité toutes les personnes visées par cette EIP à se présenter à une entrevue. L’Adj Hachey et le Sgt Léonard ont décliné l’invitation, et l’Adjum Parent et le Capt Paré ont accordé une entrevue en novembre 2024.
22. Les témoins suivants ont fourni des renseignements à la CPPM (ils sont présentés selon l’ordre chronologique des entrevues réalisées par la CPPM) :
- le Mgén (retraité) Dany Fortin;
- X, plaignante dans l’enquête criminelle du SNEFC visant le Mgén (retraité) Fortin. Il est à noter qu’en février 2024, X a communiqué avec la CPPM de son propre gré. En mars 2024, la CPPM lui a indiqué qu’une entrevue n’était pas nécessaire à ce moment-là, car elle avait accès à ses entrevues précédentes avec la PM et elle souhaitait minimiser le risque de nouveau traumatisme. Cependant, X a exprimé son intérêt à participer à une entrevue qui a été menée par la suite en avril 2024;
- le brigadier-général (Bgén) (retraité) Alan Mulawyshyn, chef d’état-major du chef d’état-major de la défense au moment du dépôt de la plainte pour agression sexuelle contre le Mgén (retraité) Fortin;
- le Bgén (retraité) Dyrald Cross, superviseur immédiat de X lorsqu’elle a déposé sa plainte contre le Mgén (retraité) Fortin;
- Mme Jody Thomas (retraitée), sous-ministre de la Défense nationale au moment du dépôt de la plainte;
- le général (Gén) (retraité) Wayne EyreNote de bas de page 12, chef d’état-major de la défense par intérim au moment du dépôt de la plainte;
- M. Christopher Pallister, inspecteur de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) détaché auprès du SNEFC en tant que conseiller aux cas graves lors du dépôt de la plainte;
- le Bgén Simon TrudeauNote de bas de page 13, Grand Prévôt des Forces canadiennes au moment du dépôt de la plainte;
- Me Diane Legault, procureure du DPCP du Québec, qui a engagé des poursuites contre le Mgén (retraité) Fortin pour agression sexuelle.
23. Ces entrevues ont eu lieu entre avril 2024 et novembre 2024, sauf pour le Mgén (retraité) Fortin, qui a d’abord été interviewé par les enquêteurs de la CPPM en octobre 2023 et de nouveau en mai 2024. La CPPM a également demandé à passer en entrevue le Lcol Eric Leblanc, qui occupait le poste de cmdt du SNEFC à l’époque. Cependant, après avoir répondu initialement à la CPPM, il n’a pas répondu aux autres demandes d’entrevue. Il convient de noter que, dans son cadre législatif actuel, la CPPM ne peut pas obliger de témoins à comparaître dans le cadre d’une EIP. La décision du Lcol Leblanc de ne pas participer est donc notée.
Ⅲ Analyse
Norme de contrôle applicable à la conduite alléguée
24. On s’attend à ce que les membres de la PM, dans l’exercice de leurs fonctions, respectent des normes élevées de service pour maintenir la confiance et le respect du public. Le Code de déontologie de la police militaireNote de bas de page 14, les ordres de la police militaire et les avis en matière de politique de la police énoncent les procédures et les normes éthiques que les membres de la PM doivent suivre ou appliquer.
25. Lors de l’examen d’une plainte pour inconduite, la CPPM doit déterminer si la conduite reprochée aux membres de la PM correspond à celle d’un policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Le droit n’exige pas une conduite parfaite ou optimale de la part des membres de la PMNote de bas de page 15.
26. Le caractère raisonnable de la conduite du membre de la PM doit être apprécié à la lumière de l’ensemble de la situation et des faits connus au moment de l’inconduite alléguée, y compris leur niveau de connaissance et les pratiques d’enquête ou d’application de la loi en vigueurNote de bas de page 16.
27. Mon rôle est d’examiner la preuve et de déterminer si la conduite des personnes visées par la plainte était raisonnable. Pour ce faire, je dois d’abord appliquer une norme de preuve fondée sur la prépondérance des probabilités pour déterminer les faits. En d’autres termes, je dois déterminer ce qui s’est passé. Ensuite, je dois évaluer si les actions des membres de la PM étaient raisonnables.
Question n° 1 : Les enquêteurs du SNEFC RE ont-ils mené une enquête approfondie et rigoureuse sur la plainte d’agression sexuelle déposée contre le Mgén (retraité) Fortin ?
28. J’ai divisé cette question en six sous-questions en fonction des renseignements contenus dans la plainte :
- La PM a t elle agi sur une allégation non corroborée?
- Les preuves potentiellement contradictoires ont-elles été raisonnablement évaluées ou négligées?
- La PM a t elle montré des signes de partialité dans le cadre de son enquête?
- Le traitement d’un témoin a t il risqué de compromettre l’intégrité de son témoignage?
- La décision de transmettre le dossier d’enquête au DPCP du Québec a t elle été raisonnablement appuyée par la preuve disponible identifiant le Mgén (retraité) Fortin comme l’auteur présumé?
- La PM a t elle tenté de construire un récit prédéterminé et de « [traduction] colmater des brèches » dans l’affaire?
A. Les allégations d’agression sexuelle ne nécessitent pas de corroboration, mais l’enquête policière n’a pas été menée de façon raisonnablement approfondie
29. Dans sa plainte, le Mgén (retraité) Fortin affirme que X a dit avoir parlé à deux personnes après l’incident allégué, mais aucun n’a corroboré son allégation pendant l’enquête du SNEFC.
30. Premièrement, il est important de noter qu’en vertu du droit canadien, les allégations d’agression sexuelle n’ont pas besoin d’être corroborées pour aboutir à une condamnationNote de bas de page 17. La police peut engager une procédure judiciaire sur la base de la déclaration du plaignant si elle fournit des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise. Cependant, cela ne dispense pas la police de mener une enquête complète et approfondie. L’objectif de toute enquête policière est de rechercher la vérité et de recueillir tous les éléments de preuve et renseignements pertinents. C’est cette exigence de rigueur qui n’a pas été raisonnablement respectée.
31. L’ordre de la Police militaire des Forces canadiennes (PM FC) 2-340, intitulé « Politique sur les enquêtes de la Police militaire », souligne l’importance de mener des enquêtes approfondies et complètes par la PM. Le paragraphe 4 exige que les membres de la PM enquêtent sans parti pris ni préjudice et que l’identification et l’élimination des suspects soient fondées sur des preuves objectives et des motifs raisonnables. De plus, le paragraphe 14 exige que les membres de la PM mènent des enquêtes impartiales, approfondies, complètes et rigoureuses et s’assurent de recueillir tous les éléments de preuve pertinents, qu’ils soient inculpatoires ou disculpatoiresNote de bas de page 18.
32. Lorsqu’il s’agit d’allégations d’agression sexuelle remontant à plusieurs années, comme pour l’affaire en question, il est rare que des éléments matériels soient accessibles. De plus, les souvenirs des témoins potentiels peuvent s’être estompés, ou leurs souvenirs des événements passés peuvent être confus ou teintés par d’autres incidents de leur passé. Les enquêteurs doivent donc s’efforcer de cerner les éléments de preuve qui corroborent ou contredisent les allégations du plaignant et, en fin de compte, leur crédibilité.
Omission d’identifier tous les témoins potentiels
33. Dans l’affaire en question, les enquêteurs du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, région du Centre (SNEFC RC), soit la lieutenante (Lt) McMillan, et le maître de 2e classe (M 2) McLachlan, qui faisant office de preneur de notes, ont passé X en entrevue le 15 mars 2021. Au début de l’entrevue, X a dit aux enquêteurs que c’était la troisième fois qu’elle partageait les détails de son allégation. Elle a déclaré qu’elle avait d’abord divulgué les détails à son cmdt de l’époque, le Bgén Cross. Elle a ensuite signalé l’incident à la PM, plus précisément à l’officier de service de la police militaire (OSPM) « Adam », qui lui a demandé de fournir tous les détails de l’incident alléguéNote de bas de page 19.
34. X a nommé trois autres témoins potentiels au cours de son entrevue avec le SNEFC RC : Mme M., sa colocataire à l’époque, qui aurait pu être témoin de l’incident allégué; le Mgén T., un élève-officier senior avec qui elle sortait à l’époque et à qui elle avait divulgué ce qui s’était passé la nuit de l’incident allégué; et la colonelle (Col) M., son amie de longue date qu’elle avait rencontrée au cours de sa première année au CMR et à qui elle avait divulgué l’incident allégué trois ou quatre ans avant de le signaler à la PM. X a également dit aux enquêteurs qu’elle ne s’attendait pas à ce que Mme M. ou le Mgén T., deux témoins clés, corroborent son allégation. Ainsi, au cours de cette entrevue, X a mentionné au total cinq témoins potentiels : le Bgén Cross, « Adam », Mme M., le Mgén T. et la Col M.
35. Le 18 mars 2021, l’enquête a été transférée du SNEFC RC au SNEFC RE en raison du lieu de l’agression sexuelle alléguée. Le Sgt Léonard a été nommé enquêteur principal, et l’Adj Hachey, enquêtrice assistante.
36. Le même jour, soit le 18 mars 2021, le Sgt Léonard et l’Adj Hachey ont examiné le dossier d’enquête policière (Événement général 2021-5656) « dans son intégralité », et le Sgt Léonard a ajouté une entrée au rapport indiquant qu’ils attendaient la réception de toutes les preuves au dossier du SNEFC RC afin de les examiner avant de mener d’autres entrevues. Un disque contenant l’enregistrement audio et vidéo de l’entrevue de X avec le SNEFC RC du 15 mars 2021 a été envoyé au Sgt Léonard le 23 mars 2021.
37. Le 25 mars 2021, le Sgt Léonard a été ajouté en copie conforme dans un courriel envoyé par l’inspecteur Pallister de la GRC au Capt Paré. L’inspecteur Pallister avait été détaché auprès du SNEFC à titre de conseiller aux cas graves. Ses responsabilités comprenaient la préparation de mises à jour hebdomadaires sur l’état des enquêtes jugées prioritaires ou très médiatisées pour le GPFC. Il a fréquemment communiqué avec les enquêteurs pour obtenir des mises à jour sur ces dossiers précis. Dans son courriel, il a indiqué que le GPFC l’avait informé que X avait signalé l’agression sexuelle alléguée au Mgén Cadieu. Par conséquent, le Mgén Cadieu représentait un sixième témoin potentiel que les enquêteurs pouvaient interroger au sujet de ce qui avait été divulgué concernant l’incident allégué.
38. Entre le 7 et le 9 avril 2021, l’Adj Hachey et l’enquêteur du SNEFC RE, le caporal (Cpl) Garceau, ont passé en revue l’entrevue de X du 15 mars 2021 réalisée par le SNEFC RC. Des cinq témoins potentiels mentionnés par X au cours de cette entrevue, ils n’en ont noté que quatre, soit le Bgén Cross, Mme M., le Mgén T. et la Col M. (« Adam » a été omis). Le dossier d’enquête policière ne contient pas de transcription ou de résumé détaillé de cette importante entrevue de deux heures et demie, seulement un résumé superficiel de six points sur une page. Ce défaut de documenter adéquatement la déclaration principale de X constitue une grave lacune dans l’enquête. De plus, rien n’indique que le Sgt Léonard, l’enquêteur principal, a examiné l’enregistrement de la déclaration originale de X. Au minimum, en tant qu’enquêteur principal, il aurait dû revoir l’intégralité de la déclaration initiale de X.
39. Comme il a été mentionné précédemment, X a indiqué que, lorsqu’elle a appelé la PM pour signaler son allégation, l’OSPM « Adam » lui a demandé des renseignements détaillés. Cependant, les enquêteurs du SNEFC n’ont pas tenté de l’identifier, de l’interroger ou de vérifier si l’appel avait été enregistré. Dans le cadre de cette EIP, le Bureau des NP a confirmé qu’« Adam » était un commissionnaire travaillant au centre de répartition de l’unité de PM et non un OSPM lorsque X a appelé pour signaler sa plainte. Compte tenu des incohérences ultérieures dans les déclarations de X, il était important de savoir ce qu’elle a dit à « Adam ».
40. Par conséquent, sur les six personnes nommées comme témoins potentiels en mars 2021, le SNEFC n’en a interrogé que quatre :
- a) Mme M. a été interviewée à trois reprises. La première fois était le 14 avril 2021. L’entrevue s’est faite au téléphone, et elle n’a pas été enregistrée. La deuxième fois était le 17 juin 2021. Mme M. a communiqué avec l’Adj Hachey pour ajouter des détails à sa déclaration précédente. Cette conversation n’a pas non plus été enregistrée. La troisième entrevue téléphonique du 13 janvier 2022 a donné lieu à un enregistrement audio.
- b) La Col M., le 16 avril 2021. Cette entrevue téléphonique a donné lieu à un enregistrement audio.
- c) Le Bgén Cross, le 19 avril 2021. Cette entrevue téléphonique a donné lieu à un enregistrement audio. Au cours de son entrevue, le Bgén Cross a mentionné un septième témoin potentiel, une personne surnommée « Paunch », dont il est question dans les paragraphes ci-dessous.
- d) Le Mgén T., qui a d’abord eu une conversation téléphonique non enregistrée avec l’Adj Hachey et le Mgén T., le 15 avril 2021. Après quoi il s’est présenté à une entrevue en personne le 20 avril 2021, qui a donné lieu à un enregistrement audio et vidéo.
Défaut d’enregistrer les entrevues téléphoniques
41. Les ordres de la PM FC 2-350 et 2-353 énoncent les politiques et les procédures à suivre lorsque les membres de la PM interagissent avec des victimes et des témoins, et pendant les entrevues et les interrogatoires, respectivement. Cependant, les ordres de la PM FC 2-350 (Interactions avec des victimes et des témoins) et 2-353 (Entrevue et interrogation) ne sont pas encore promulgués. Les Consignes et procédures techniques de la Police militaire (CPTPM) applicables prévoient qu’il est préférable d’effectuer un enregistrement audio ou vidéo, mais ce n’est pas obligatoire. Le paragraphe 10 des CPTPM, chapitre 7, annexe E, indique que la politique de la PM consiste à enregistrer toutes les entrevues d’enquête, à moins que le témoin refuse de participer dans de telles conditionsNote de bas de page 20.
42. Le dossier d’enquête policière ne fournit aucune indication que Mme M. s’est opposée à l’enregistrement et n’offre aucune justification pour expliquer cette omission. En tant qu’enquêteur principal, le Sgt Léonard avait la responsabilité professionnelle de s’assurer que ces entrevues téléphoniques étaient enregistrées par l’Adj Hachey afin d’assurer leur exactitude et leur fiabilité. Son manquement ainsi que celui de l’Adj Hachey représentent des lacunes importantes dans le respect des procédures d’enquête de base. En outre, leurs supérieurs avaient le devoir de signaler l’omission pendant l’examen du dossier et d’exiger que les raisons pour lesquelles ils n’avaient pas effectué d’enregistrement soient consignées dans le dossier d’enquête.
Recommandation n° 1 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes donne les instructions formelles suivantes à tous les enquêteurs de la police militaire, et en particulier à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard :
- Toutes les entrevues d’enquête, qu’elles soient menées en personne, par téléphone ou par vidéoconférence, doivent être enregistrées.
- Lorsque l’enregistrement n’est pas possible, une justification claire et documentée doit être incluse dans le dossier d’enquête.
- Les superviseurs doivent évaluer ces justifications dans le cadre de leurs responsabilités de surveillance. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Mesures à prendre. Les politiques et procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. »
- La réponse fournie par la GPFC est trop vague pour être considérée comme une acceptation complète. La recommandation de la CPPM était explicite : elle demandait que tous les enquêteurs de la police militaire, en particulier l’Adj Hachey et le Sgt Léonard, reçoivent des instructions formelles concernant l’enregistrement obligatoire de toutes les entrevues d’enquête. Cependant, la réponse de la GPFC manque de précision. Elle ne fait pas référence aux pratiques d’enregistrement des entrevues et ne reconnaît pas les deux membres visés par la plainte mentionnés dans la recommandation.
- Le langage utilisé est non contraignant; des expressions telles que [traduction] « sont à examiner » et « le cas échéant » suggèrent une intention d’étudier la question plutôt qu’un engagement concret à agir.
- Pour ces raisons, je considère que cette recommandation n’est pas entièrement acceptée.
Preuves fournies par des témoins pendant l’enquête du SNEFC
43. Lors de son entrevue avec le SNEFC, le 14 avril 2021, Mme M. a dit à l’Adj Hachey qu’elle ne se souvenait pas d’une agression sexuelle ayant eu lieu pendant qu’elle fréquentait le CMR Saint Jean à la fin des années 1980, ni d’un incident impliquant le Mgén (retraité) Fortin et X. Elle a ajouté qu’elle ne disait pas qu’il n’y a jamais eu d’incident, mais qu’elle avait ses propres enjeux à l’époque et que ses souvenirs de ces années étaient « [traduction] flousNote de bas de page 21 ». Lors d’une conversation téléphonique de suivi en juin 2021 avec l’Adj Hachey, on a demandé à Mme M. ce qu’elle entendait par « [traduction] Je ne dis pas qu’il n’y a jamais eu d’incident ». Selon le dossier d’enquête policière, elle a déclaré ce qui suit :
[Traduction] Lorsqu’elle est allée au CMR, les femmes venaient tout juste d’entrer dans un rôle non traditionnel et elles devaient avoir une certaine tolérance à l’égard de l’inconduite sexuelle des hommes et de la façon dont ils les traitaient. De plus, plusieurs années tard, elle a entendu de nombreuses femmes, collègues et amies, parler de ce qu’elles avaient vécu et elle n’était pas surprise que [X] ait été victime d’une agression sexuelleNote de bas de page 22.
44. Lors d’une troisième entrevue téléphonique enregistrée, le 13 janvier 2022, l’Adj Hachey a demandé à Mme M. si sa déclaration était toujours exacte quant à ce qu’elle voulait dire par « [traduction] Je ne dis pas qu’il n’y a jamais eu d’incident ». Mme M. a répondu par l’affirmative, ajoutant qu’elle ne pouvait pas dire si l’incident allégué s’était produit ou non, mais qu’en se fondant sur son expérience, elle s’était rendu compte que ce n’était pas rare que des choses de cette nature se produisent à l’époque, plus que la moyenne.
45. La Col M. a déclaré lors de son entrevue avec le SNEFC, le 16 avril 2021, qu’elle n’était pas au courant de l’incident entre X et le Mgén (retraité) Fortin pendant son séjour au CMR, mais qu’elle « [traduction] savait que quelque chose s’était passé » et que X ne voulait pas en parler à ce moment-là. Plusieurs années plus tard, X lui a parlé de l’allégation en détail. Elle l’a encouragée à le dénoncer.
46. Lors de son entrevue avec le SNEFC, le 19 avril 2021, le Bgén Cross a déclaré que X lui avait parlé en détail de l’incident allégué lors d’une réunion de suivi, le 3 mars 2021, et qu’elle avait informé le Mgén T., son petit ami à l’époque, de l’incident le soir où il s’était produit et que X croyait que le Mgén T. pourrait avoir communiqué les détails de l’incident à une personne surnommée « PaunchNote de bas de page 23 ». Lors d’une entrevue de suivi avec le SNEFC, le 20 avril 2021, X a déclaré aux enquêteurs que « Paunch » était le meilleur ami du Mgén T à l’époque. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait parlé de l’incident à « Paunch » à l’époque, elle a répondu par la négativeNote de bas de page 24.
47. Le SNEFC a passé le Mgén T. en entrevue en personne, le 20 avril 2021, après avoir passé X en entrevue plus tôt ce jour-là. Il n’a pas corroboré la déclaration de X. Il a affirmé qu’il ne se souvenait d’aucune discussion avec X concernant une agression sexuelle, ni par le Mgén (retraité) Fortin, ni par quiconque d’autre. « Paunch » n’a jamais été mentionné lors de l’entrevue du Mgén T. Étant donné le manque de corroboration du Mgén T., il aurait été prudent d’interroger « Paunch » pour évaluer ce qui a été partagé avec lui, le cas échéant.
48. Le Mgén Cadieu a été retenu comme témoin potentiel au début de l’enquête du SNEFC par l’inspecteur Pallister. Le 9 avril 2021, l’Adj Hachey a écrit dans le dossier d’enquête policière qu’elle avait communiqué avec X « [traduction] pour confirmer le nom de plusieurs témoins potentiels mentionnés » lors de l’entrevue initiale de X. Cette conversation téléphonique n’a pas été enregistrée et sa durée n’a pas été inscrite dans le dossier d’enquête policière. Selon la même entrée, lorsqu’on lui a demandé si elle avait parlé au Mgén Cadieu, X « [traduction] a reconnu qu’elle savait qui il était, mais qu’elle ne se souvenait pas d’avoir eu une conversation sur l’incident avec luiNote de bas de page 25 ». Aucun autre détail ou contexte n’est fourni sur ce sujet.
49. Cependant, le 29 avril 2022, l’Adj Hachey a envoyé un courriel à X pour clarifier le rôle du Mgén Cadieu dans l’affaire et pour savoir si elle lui avait parlé directement de sa plainte. X a répondu que le Mgén Cadieu n’avait joué aucun rôle dans l’affaire, mais qu’elle avait communiqué avec lui pour obtenir des conseils sur le processus, sans discuter des détails de son casNote de bas de page 26 . Cela soulève des questions sur la nature de leur(s) conversation(s), des questions qui auraient pu être abordées si le SNEFC avait passé le Mgén Cadieu en entrevue lorsqu’il a été retenu comme témoin potentiel par l’inspecteur Pallister le 25 mars 2021. De plus, X n’a jamais été interrogée sur les divergences apparentes entre ses déclarations du 9 avril 2021 et du 29 avrilv2022 concernant le Mgén Cadieu.
50. Interroger tous les témoins potentiels retenus constitue l’une des étapes d’enquête qu’un agent de police raisonnable prendrait, surtout lorsque la liste est si courte. Ces entrevues auraient pu être utiles pour déterminer si l’allégation de X pouvait être corroborée, d’autant plus que les deux témoins clés interrogés, soit Mme M. et le Mgén T., n’ont pas corroboré son allégation. Ces étapes d’enquête auraient fourni aux enquêteurs des renseignements supplémentaires à prendre en considération pour déterminer s’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’infraction alléguée avait été commise. Les éléments de preuve recueillis dans le cadre d’une enquête plus approfondie et plus complète auraient également pu être pris en compte par le DPCP du Québec dans son évaluation visant à déterminer si le seuil de « perspective raisonnable de condamnation » a été atteint pour lancer une accusation et une poursuite.
51. Le fait de ne pas tenter d’interroger trois témoins potentiels, soit « Adam », « Paunch » et le Mgén Cadieu, soulève des préoccupations quant à savoir si les enquêteurs du SNEFC ont accepté sans discernement les déclarations de X et ont prématurément mis fin à leur enquête, ou si ces omissions reflètent des occasions d’enquête manquées ou négligées. Le dossier d’enquête policière ne fournit aucune explication, note ou documentation indiquant pourquoi ces personnes n’ont pas été interrogées ni pourquoi aucune démarche en ce sens n’a été entreprise. Bien que la police ait le pouvoir discrétionnaire de décider qui interroger, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit être justifié et documenté dans le dossier. L’ordre de la PM FC 2 340.1, intitulé « Évaluations d’enquête et pouvoir discrétionnaire en matière d’enquête », requiert des membres de la PM qu’ils consignent dans leurs carnets de notes et dans le rapport d’enquête connexe tous les renseignements concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d’enquêteNote de bas de page 27.
Recommandation n° 2 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes prenne des mesures supplémentaires pour s’assurer que les membres de la police militaire documentent systématiquement dans les dossiers d’enquête tous les exercices de pouvoir discrétionnaire importants, y compris les raisons pour lesquelles un témoin potentiel n’a pas été interrogé, et que cette documentation fasse l’objet d’un examen par un superviseur. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a déclaré ce qui suit : « [traduction] Mesures à prendre. Les politiques et procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. »
- La réponse fournie par la GPFC est trop vague pour être considérée comme une acceptation complète. La recommandation de la CPPM était précise : elle demandait à la GPFC de prendre des mesures supplémentaires pour s’assurer que les membres de la police militaire documentent systématiquement dans les dossiers d’enquête tous les exercices de pouvoir discrétionnaire importants, y compris les raisons pour lesquelles un témoin potentiel n’a pas été interrogé, et que cette documentation fasse l’objet d’un examen par un superviseur. Or, la réponse de la GPFC manque de précision. Elle ne fait pas référence aux pratiques de documentation, aux décisions discrétionnaires ni à la supervision. Le langage utilisé est non contraignant; des expressions telles que [traduction] « sont à examiner » et « le cas échéant » suggèrent une intention d’examiner la question plutôt qu’un engagement concret à agir.
- De plus, la réponse ne démontre pas de responsabilisation, puisqu’elle ne précise ni la manière ni le moment où l’examen sera effectué, ni la norme qui en guidera la mise en œuvre. Ainsi, elle ne peut raisonnablement être interprétée comme une acceptation complète de la recommandation.
Défaillances en matière de supervision et de surveillance
52. Les éléments de preuve disponibles indiquent que l’enquête du SNEFC a souffert d’une supervision inadéquate, d’une surveillance insuffisante et d’une gestion de cas déficiente, surtout en ce qui concerne l’attribution des tâches et la conservation des documents.
53. L’ordre de la PM FC 2-500, intitulé « Gestion des enquêtes », stipule que les enquêteurs sont responsables de la qualité des enquêtes qui leur sont confiées, mais que les superviseurs de tous les niveaux ont le devoir de superviser le travail de leurs subordonnés et de consigner leurs observations et commentaires dans le Système d’information – Sécurité et police militaire (SISEPM). L’ordre de la PM FC 2-500 prévoit ce qui suit :
- 17. Les enquêteurs sont responsables individuellement de la qualité des enquêtes qui leur sont attribuées et de la préparation des rapports d’enquêtes. Les enquêtes comprenant des faits ou des allégations complexes nécessitent une supervision active et éclairée. L’autorité approbatrice finale est l’ultime responsable de la qualité de l’enquête; toutefois, cela ne change rien au fait que les superviseurs de tous les niveaux doivent superviser le travail de leurs subalternes, conserver une pleine connaissance de la situation des enquêtes menées par leurs subalternes et offrir des conseils et une expertise, s’il y a lieu.
- 18. Les superviseurs de tous les niveaux doivent consigner leurs observations et leurs commentaires dans le SISEPM sous « Commentaires du superviseur ». Ces commentaires doivent comprendre les conseils détaillés fournis aux enquêteurs et les avantages secondaires liés à la démonstration de la supervision pendant l’enquête. Les commentaires du superviseur doivent aussi comprendre les directives relatives à la réalisation, à la vitesse, au débit et à l’orientation de l’enquête, y compris les motifs de ces directives. Conformément à l’article 250.19 de la LDN, les conseils et les directives de tous les jours concernant les enquêtes ne sont pas considérés comme de l’ingérenceNote de bas de page 28 (gras de l’auteur).
54. Lors de son entrevue avec la CPPM, le 1er novembre 2024, le Capt Paré, cmdt du SNEFC RE, a déclaré qu’il avait parlé avec l’Adjum Parent, cmdtA du SNEFC RE, pour s’assurer que l’allégation soit évaluée, dès sa réception, et qu’une personne soit nommée pour mener l’enquête. Le Sgt Léonard a été désigné comme enquêteur principal parce qu’il avait effectué son programme de stage au SNEFC et, au meilleur de sa mémoire, l’Adj Hachey était arrivée au SNEFC à l’été 2020. Elle effectuait son stage au SNEFC au moment de l’enquêteNote de bas de page 29. Le Capt Paré a dit qu’il croyait que le Sgt Léonard avait suivi un cours sur les agressions sexuelles avec la Police provinciale de l’Ontario ou au Collège de police de l’Ontario, à Aylmer, en Ontario, et qu’il était donc considéré comme étant déjà formé dans le domaine. Il a expliqué que c’était la raison pour laquelle ils l’avaient nommé enquêteur principal de l’affaire, et l’Adj Hachey, enquêtrice assistante, afin qu’elle acquière de l’expérience dans le cadre de son programme de formationNote de bas de page 30.
55. Pourtant, la participation documentée du Sgt Léonard à cette enquête, à titre d’enquêteur principal, apparaît limitée, et l’on ne sait dans quelle mesure une supervision ou une orientation active et éclairée a été assurée auprès de l’Adj Hachey. En tant qu’enquêteur principal, il lui incombait de veiller à ce que toutes les étapes d’enquête raisonnables soient prises. S’assurer que tous les témoins potentiels retenus sont interrogés est une pratique policière courante dans les enquêtes et ne nécessite pas de formation spécialisée dans les enquêtes sur les agressions sexuelles. Toutefois, à titre d’enquêteur des Forces canadiennes formé dans le domaine des enquêtes sur les agressions sexuelles, le Sgt Léonard devait mettre à profit ses connaissances et ses compétences, notamment pour repérer et signaler les incohérences dans les déclarations de X. Ce manquement représente une importante lacune pour l’enquête.
56. Le dossier d’enquête policière ne comprend pas de résumés détaillés ou de transcriptions des déclarations des témoins, ce qui a entravé l’efficacité de la gestion des cas. Bien que les résumés d’entrevues du SNEFC comprennent certains détails, ils ne sont pas suffisamment complets et omettent complètement certains des témoins potentiels retenus. Par exemple, l’entrevue initiale de deux heures et demie avec X est condensée en une seule page, résumée séparément par les enquêteurs du SNEFC RC, puis par les enquêteurs du SNEFC RE. L’absence de résumés détaillés a conduit à des pistes d’enquête manquées ou insuffisamment explorées, telles qu’ « Adam » et « Paunch », et les divergences entre les déclarations n’ont pas été traitées.
57. De plus, les sommaires préparés par les enquêteurs du SNEFC, à la suite des entrevues téléphoniques de la Col M. et du Bgén Cross, mentionnent une heure de début de l’entrevue, mais pas l’heure à laquelle elle s’est terminée, ce qui complexifie l’évaluation de la durée, à moins de consulter l’enregistrement complet ou le préambule à l’entrevue.
58. L’absence de résumés détaillés nuit considérablement à la surveillance d’un superviseur. L’Adjum Parent a dit aux enquêteurs de la CPPM que les superviseurs se fient aux rapports d’entrevue du SISEPM pour évaluer les enquêtes et fournir des conseils aux enquêteurs. Leur capacité à fournir des directives est directement liée à la qualité de ces rapports. Sans résumés ou transcriptions détaillés, les superviseurs ne peuvent pas cerner les divergences dans les renseignements. Bien qu’ils pourraient passer en revue les enregistrements des entrevues, il ne serait pas pratique de s’attendre à ce qu’ils le fassent pour toutes les entrevues, surtout pour les longues entrevues comme celle de X.
Recommandation n° 3 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes exige que les enquêteurs de la police militaire préparent des résumés ou des transcriptions d’entrevues complets, exacts et détaillés. Ces documents doivent clairement indiquer les faits essentiels, les témoins potentiels et les pistes d’enquête, et être correctement documentés et annotés dans le dossier d’enquête. Cette pratique doit être imposée comme norme de responsabilité en matière d’enquête et faire l’objet de l’examen régulier par un superviseur. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : [traduction] « Mesures à prendre. Il s’agit de la pratique/procédure de la PM actuelle. Les politiques et les procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. »
- La réponse de la GPFC n’accepte pas clairement la recommandation. Alors que la recommandation de la CPPM prévoit une exigence obligatoire selon laquelle les enquêteurs de la police militaire doivent préparer des résumés ou des transcriptions complets, exacts et détaillés des entrevues, la réponse de la GPFC est insuffisante. Elle indique qu’il s’agit de la pratique actuelle et que les politiques et procédures sont à examiner et à mettre à jour « le cas échéant », en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. Ce langage est vague et non contraignant, et il ne confirme pas si les pratiques actuelles répondent pleinement à la portée de la recommandation détaillée.
- La réponse de la GPFC ne traite pas non plus des aspects clés de la recommandation, tels que les normes de documentation, la révision par la supervision et la responsabilisation. Elle n’identifie pas quelles politiques et procédures de la police militaire seront examinées et mises à jour, ni comment ces mises à jour permettront de réaliser l’objectif de la recommandation.
- Sans engagement direct à mettre en œuvre les mesures spécifiques énoncées, la réponse ne peut raisonnablement être interprétée comme une acceptation complète. Cela est décevant étant donné que l’enquête menée par le SNEFC RE dans cette affaire a révélé que les pratiques et procédures existantes n’ont pas été respectées, ce qui souligne l’importance de la recommandation.
Recommandation n° 4 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes mette en œuvre des mesures supplémentaires s’assurer que les superviseurs de tous les niveaux documentent systématiquement leurs observations et leurs directives dans le Système d’information – Sécurité et police militaire, sous le titre « Commentaires du superviseur » dans chaque dossier d’enquête. Ces entrées doivent comprendre des directives claires, précises et applicables pour les enquêteurs, conformément à l’ordre 2-500 de la Police militaire des Forces canadiennes, afin de renforcer la responsabilisation, d’assurer une supervision significative et de préserver l’intégrité du processus d’enquête. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a déclaré ce qui suit : « [traduction] Mesures à prendre. Les politiques et procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. »
- Je considère que cette recommandation n’a pas été clairement acceptée. La recommandation de la CPPM exigeait des mesures spécifiques et contraignantes afin de garantir que les superviseurs documentent systématiquement leurs observations et fournissent des directives claires et concrètes aux enquêteurs au sein du Système d’information – Sécurité et police militaire, conformément à l’ordre 2-500 PM FC. Cependant, la réponse de la GPFC – à savoir, « [l]es politiques/procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes » – est vague et non contraignante. Elle ne fait aucune référence à la documentation de supervision, au Système d’information – Sécurité et police militaire ou à l’ordre 2-500 PM FC.
- L’utilisation d’un langage conditionnel, comme [traduction] « sont à examiner » et « le cas échéant », suggère une intention générale d’envisager des améliorations plutôt qu’un engagement ferme à mettre en œuvre les mesures spécifiques recommandées. Par conséquent, la réponse ne peut raisonnablement être interprétée comme une acceptation complète.
59. Lors de son entrevue avec la CPPM, le 20 septembre 2024, l’inspecteur Pallister a noté que pendant son mandat avec le SNEFC, entre 2019 et 2021, il a identifié la documentation et la responsabilisation comme des défis clés auxquels le SNEFC est confronté. Il a affirmé que les enquêteurs du SNEFC ne documentaient souvent que les résultats positifs, omettant ainsi les tentatives infructueuses ou les résultats négatifs. Par exemple, lorsqu’ils ne parviennent pas à joindre une personne, les efforts déployés en ce sens ne sont pas documentésNote de bas de page 31.
60. L’inspecteur Pallister a également dit aux enquêteurs de la CPPM que les rapports du SNEFC étaient rédigés dans un style très militaire, avec de nombreux acronymes, et manquaient souvent de renseignements détaillés, ce qui les rendait difficiles à comprendre. Pour remédier à ce manque de détails, il a développé un modèle axé sur les tâches en tenant compte des pratiques de la GRC. Toutefois, il a déclaré qu’il était difficile de démontrer qu’il y avait effectivement une surveillance des supérieurs, car ceux-ci utilisaient souvent des énoncés génériques affirmant qu’ils avaient examiné le dossier dans son intégralité. L’inspecteur Pallister a ajouté qu’il avait tendance à sonder les superviseurs en leur demandant s’ils confirmaient qu’aucun problème n’avait été relevé dans le dossier. Il s’est assuré que les superviseurs commencent à signer électroniquement et à horodater les zones de texte dans le SISEPM après les avoir examinées. Cependant, rien dans le dossier d’enquête policière n’indique que cette pratique était en vigueur pendant l’enquête du SNEFC.
61. L’inspecteur Pallister a signalé qu’il avait donné cinq ou six conférences officielles sur la documentation et la responsabilisation aux cmdt des unités du SNEFC, ainsi que plusieurs conférences informelles à certaines unités du SNEFC lorsqu’il visitait leurs bureaux. Il a également effectué deux visites dans toutes les unités du SNEFC à l’échelle nationale, afin d’expliquer ces éléments et d’ainsi permettre aux membres du SNEFC de mieux contextualiser leurs dossiers et de les rendre plus logiques et compréhensibles. Lorsqu’on lui a posé la question, il a supposé qu’il avait probablement donné certaines de ces conférences avant le début de l’enquête du SNEFC visant le Mgén (retraité) Fortin, mais qu’il ne s’en souvenait pas exactement. Il n’a pas non plus été en mesure de dire s’il avait parlé aux enquêteurs du SNEFC affectés à l’affaire avant ou pendant leur enquête.
Défaillances de la gestion des dossiers
62. Le dossier d’enquête policière ne fait pratiquement aucune mention de la gestion de cas ou de la supervision effectuée par l’équipe du SNEFC, y compris le rôle joué par le Sgt Léonard à titre d’enquêteur principal. Bien que le dossier contienne deux zones de texte « Suivi » dans le SISEPM, une seule, saisie par l’Adjum Parent, le 5 mai 2021, a été créée avant que des accusations soient portées contre le Mgén (retraité) Fortin. Cette entrée ne faisait référence qu’à huit corrections administratives ou mineures que les enquêteurs devaient effectuer et ne faisait pas preuve d’une surveillance importante des décisions d’enquête ou d’une quelconque orientation.
63. Au cours de son entrevue avec les enquêteurs de la CPPM, l’Adjum Parent a déclaré qu’il ne travaillait qu’à temps partiel pour des raisons personnelles pendant cette enquête. Il a d’ailleurs précisé qu’il n’était pas impliqué à 100 % dans les enquêtes en cours à ce moment-là. Il a également indiqué qu’il n’était pas le « chef d’équipe » de l’enquête criminelle du SNEFC visant le Mgén (retraité) Fortin. Il a expliqué qu’il avait une double responsabilité au sein de l’unité à l’époque : il était cmdtA et gestionnaire de cas, mais le Capt Paré assumait la responsabilité de gestionnaire de cas en son absence.
64. Comme il a été mentionné précédemment, l’Adjum Parent a écrit la première zone de texte « Suivi » en mai 2021, quelques jours avant que l’enquête ne soit transmise au DPCP pour une vérification préalable à l’accusation. Il a également signé le carnet de notes de l’Adj Hachey à trois reprises au cours de l’enquête. Le Capt Paré a également examiné le carnet de notes de l’Adj Hachey à deux reprises vers la fin de l’enquête. Il a fait remarquer qu’elle n’avait pas consigné certaines des étapes d’enquête qu’elle avait suivies et il a écrit la deuxième (et dernière) zone de texte « Suivi » dans le SISEPM.
65. L’approche adoptée par ces deux officiers supérieurs du SNEFC dans la gestion conjointe de cette enquête demeure nébuleuse et n’est pas documentée autrement que par le dossier d’enquête policière. Notamment, aucun des deux officiers n’a examiné le carnet de notes du Sgt Léonard. L’Adj Hachey a signé le carnet de notes du Sgt Léonard, malgré le fait qu’il était l’enquêteur principal désigné et qu’elle était chargée de l’aider. Bien que cette étape ait pu être destinée à assurer une certaine surveillance, un examen approprié de son carnet de notes par un superviseur, et non un subordonné, était nécessaire. L’absence de cette surveillance représente une occasion manquée d’assurer un examen plus rigoureux du rôle d’enquête du Sgt Léonard et de renforcer la responsabilisation.
Cette enquête n’a pas été gérée en tant que cas grave
66. Cette enquête du SNEFC n’a pas été gérée en tant que cas grave. La gestion des cas graves est un processus formel et structuré conçu pour coordonner les ressources, gérer les éléments de preuve et organiser des enquêtes complexes. Elle est utilisée dans les crimes majeurs et nécessite un haut niveau de planification et de collaboration entre les équipes d’enquête. À mon avis, l’utilisation d’une méthode de gestion des cas graves aurait probablement permis d’éviter bon nombre des lacunes relevées dans le présent rapport.
67. Au début d’une enquête, les enquêteurs du SNEFC devraient évaluer la situation pour déterminer si on estime qu’il serait approprié d’appliquer le modèle de la gestion des cas graves. Bien que les postes d’enquêteur principal et d’enquêtrice assistante aient été adoptés dans cette affaire, les principes pertinents régissant les rôles et les responsabilités, et surtout ceux de l’enquêteur principal, du gestionnaire de cas et du chef d’équipe, n’ont pas été adéquatement appliqués ou définis.
68. Bien que le SNEFC dispose déjà d’un certain nombre de policiers civils détachés qui servent de conseillers aux cas graves, une approche plus systématique est nécessaire pour relever les défis uniques des enquêtes sur les agressions sexuelles au sein des FAC. Étant donné que les enquêteurs du SNEFC occupent leurs affectations en alternance et traitent beaucoup moins de cas que leurs homologues civils, ils ont peu d’occasions de développer une certaine expertise. Une approche structurée comme le cadre de gestion des cas graves améliorerait la cohérence et l’efficacité des enquêtes. Il y a aussi un besoin évident de mentorat plus structuré et de formation continue.
Recommandation n° 5 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes élabore et mette en œuvre une politique officielle qui définit clairement les situations et les infractions nécessitant une gestion des cas graves. Cette politique doit garantir que tous les membres de la police militaire reçoivent une formation continue sur la gestion des cas graves tout au long de leur carrière. (Non acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Mesures à prendre. Les politiques/procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. »
- Je considère que cette recommandation n’est pas acceptée. La CPPM a recommandé que la GPFC élabore et mette en œuvre une politique officielle définissant clairement les situations et les infractions nécessitant une gestion des cas graves, et non simplement la mise à jour de politiques ou procédures existantes de la police militaire. Bien que la mise à jour d’une politique existante puisse, dans certains cas, constituer l’élaboration et la mise en œuvre d’une nouvelle politique, la réponse manque de clarté et de détails pour permettre une telle interprétation. Elle ne précise pas quelles politiques et procédures de la police militaire seront examinées et mises à jour.
- Cela est particulièrement préoccupant, car le GPFC de l’époque avait accepté en 2021 une recommandation indiquant qu’une mise à jour à l’Ordre PM FC sur la gestion des cas graves était en cours. Cependant, à la date du présent rapport, aucun ordre PM FC sur la gestion des cas graves n’existe. La réponse ne traite pas non plus de la question de savoir si les membres de la police militaire recevront une formation continue sur la gestion des cas graves tout au long de leur carrière, ce qui est un élément essentiel de la recommandation.
- Enfin, l’utilisation de termes conditionnels tels que [traduction] « sont à examiner » et « le cas échéant » suggère une intention générale d’envisager des améliorations plutôt qu’un engagement concret à mettre en œuvre les mesures spécifiques recommandées. À ce titre, la réponse de la GPFC ne peut raisonnablement être interprétée comme acceptée.
69. La CPPM a souligné à maintes reprises l’importance de la formation sur la gestion des cas graves pour les membres et les superviseurs de la PM dans divers dossiers de plainte (p. ex. les dossiers CPPM 2006-032, 2006-033, 2006-037, 2011-046 et 2018-014). Cette recommandation a été réitérée dans le Rapport final du dossier CPPM 2015-005 (EIP anonyme, recommandation n° 7), publié en septembre 2021. À ce moment-là, le GPFC a accepté cette recommandation, déclarant qu’« [u]ne mise à jour de l’Ordre PM FC sur la gestion des cas graves est en cours ». Cependant, l’ordre de la PM FC sur la gestion des cas graves n’a pas encore été mis en œuvre, ce qui souligne la nécessité d’une action immédiate et d’une responsabilisation dans la mise en œuvre de cette réforme cruciale.
Recommandation n° 6 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes élabore et mette en œuvre un programme structuré de mentorat et de développement du leadership pour les enquêteurs de la police militaire, en mettant particulièrement l’accent sur les enquêtes complexes et délicates. Bien que la pratique actuelle consistant à détacher des policiers expérimentés provenant de services de police civils offre un soutien précieux, ce programme devrait officialiser et élargir les possibilités de mentorat, en s’appuyant à la fois sur des policiers civils détachés et sur des membres expérimentés de la police militaire. Le programme devrait comprendre des critères de sélection clairs pour les mentors, des rôles et des attentes formels ainsi que des mécanismes pour assurer la continuité entre les affectations. Il devrait être appuyé par une politique écrite et faire l’objet d’un suivi quant à son impact sur la qualité des enquêtes, la cohérence et le transfert des connaissances institutionnelles. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a déclaré ce qui suit : « [traduction] Mesures déjà prises. Il existe un cadre structuré, fondé sur des politiques, pour le mentorat et le développement du leadership dans l’ensemble des affectations du SNEFC – mettant l’accent sur les compétences en matière d’enquête, le professionnalisme et le transfert de connaissances – grâce à la sélection formelle des formateurs, à des rôles de mentorat définis, à des évaluations régulières et à des détachements. »
- Je considère cette recommandation comme partiellement acceptée. Bien que la GPFC semble accepter la recommandation en faisant référence à un cadre structuré et fondé sur des politiques pour le mentorat et le développement du leadership, la réponse demeure insuffisante à un examen plus approfondi.
- La recommandation de la CPPM préconise un programme complet applicable à tous les enquêteurs de la police militaire; toutefois, le cadre décrit par la GPFC ne s’applique qu’à certains enquêteurs — ceux affectés au SNEFC.
- Le SNEFC détient le droit de premier refus pour toutes les allégations impliquant des infractions graves ou sensibles, ce qui signifie que les unités de police militaire locales peuvent mener ces enquêtes lorsque le SNEFC choisit de ne pas enquêter.
- De plus, la réponse n’aborde pas la manière dont la continuité du mentorat et du développement du leadership est maintenue lors des affectations, ni ne précise les mécanismes en place pour surveiller et évaluer l’impact du programme sur la qualité des enquêtes et le transfert des connaissances institutionnelles. La portée limitée de la réponse de la GPFC ne répond pas à l’objectif de la recommandation visant à institutionnaliser le mentorat et le développement du leadership à tous les niveaux. Par conséquent, la réponse ne peut être considérée comme une acceptation complète de la recommandation.
B. Des éléments de preuve potentiellement contradictoires n’ont pas été raisonnablement évalués ou ont été négligés
70. La plainte note que le juge qui a présidé le procès pénal, le juge Richard Meredith, a écrit dans sa décision qu’il y avait de multiples « contradictions importantes » dans l’histoire de X qui soulèvent, au minimum, des questions sur la fiabilité de ses souvenirs des événements et sur la possibilité qu’elle ait exagéré des éléments importants de sa version des faits à la police.
71. Les déclarations de X à la PM contiennent des incohérences importantes que les enquêteurs du SNEFC n’ont pas examinées de manière adéquate dans le cadre de leur enquête. Le SNEFC a passé X en entrevue à trois reprises entre le 15 mars 2021 et le 13 octobre 2021. Certains aspects de sa version des faits ont évolué au fil de ces entrevues, et d’importants changements ont été relevés dans ses déclarations au fil du temps.
Absence d’examen des divergences dans la version des faits de X
72. Dans sa déclaration initiale au SNEFC, le 15 mars 2021, X a dit aux enquêteurs qu’elle avait « [traduction] une mémoire photographique », affirmant qu’elle pouvait se souvenir de tous les détails de l’agression sexuelle alléguée et voir le Mgén (retraité) Fortin « [traduction] clairement » lors de l’incident. Le résumé de sa déclaration préparé par la M 2 McLachlan dans le dossier d’enquête policière comprend le passage suivant : « [traduction] elle pouvait clairement reconnaître le Mgén Fortin en raison de l’éclairage des lampadaires provenant de la fenêtre à côté de son litNote de bas de page 32 ». Cependant, un deuxième résumé de la même entrevue, qui a été préparé par le Cpl Garceau, après avoir examiné l’enregistrement de l’entrevue avec l’Adj Hachey, entre le 7 et le 9 avril 2021, ne comprend aucun détail sur l’infraction elle-mêmeNote de bas de page 33.
73. Lors d’une deuxième entrevue avec le SNEFC, le 20 avril 2021, qui a donné lieu à un enregistrement audio et vidéo et qui a duré près d’une heure, l’Adj Hachey a demandé à X si elle pouvait décrire les organes génitaux de l’agresseur. Elle a répondu : « [traduction] Non, certainement pas. Il faisait sombre, assez sombre. » X a ensuite précisé que même s’il y avait suffisamment de lumière pour qu’elle reconnaisse les gens, elle n’en voyait pas suffisamment pour voir ce niveau de détailNote de bas de page 34. Cela soulève des questions sur la quantité de lumière qui se trouvait dans la pièce au moment de l’incident, et à savoir s’il y en avait suffisamment pour permettre à X de reconnaître sans aucun doute le Mgén (retraité) Fortin comme étant l’assaillant. Les enquêteurs du SNEFC n’ont pas abordé cette divergence.
74. De plus, ses souvenirs des attouchements du Mgén (retraité) Fortin lors de l’agression sexuelle alléguée étaient moins clairs lors de la deuxième entrevue que lors de la première, tenue le 15 mars 2021, où elle avait pu les décrire en détail. Au cours de sa deuxième entrevue, elle a dit à l’Adj Hachey qu’elle ne pouvait pas dire « à 100 % » ce que le Mgén (retraité) Fortin avait fait parce qu’elle était désorientée par toutes les questionsNote de bas de page 35. Lorsqu’on lui a demandé si le Mgén (retraité) Fortin avait tenté de l’embrasser, X a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas.
75. Les divergences dans les souvenirs de X ne signifient pas qu’elle n’était pas crédible; elles mettent plutôt en évidence les difficultés potentielles de X à faire appel à ses souvenirs et sa fiabilité en tant que témoin. La crédibilité et la fiabilité sont des concepts complètement distincts. La crédibilité se rapporte à la véracité d’un témoin, tandis que la fiabilité renvoie à sa capacité à se souvenir et à relater les incidents avec précisionNote de bas de page 36. Compte tenu des répercussions bien documentées des traumatismes sur la mémoire, les enquêteurs du SNEFC auraient dû reconnaître ces divergences, engager X dans une discussion approfondie pour les comprendre dans leur contexte et tenir compte de cette évaluation dans leur prise de décision avant de transmettre le dossier au procureur de la Couronne pour une vérification préalable à l’accusation. Un agent de police raisonnable dans des circonstances semblables aurait reconnu les effets du traumatisme sur les souvenirs de la présumée victime et ajusté les démarches de l’enquête en conséquence pour en assurer l’équité et l’exactitude.
76. Le fait de ne pas corriger ces divergences à l’étape de l’enquête nuit également aux plaignants d’agressions sexuelles. Lors du procès, les avocats de la défense sont susceptibles d’examiner de près ces incohérences pour contester la fiabilité des plaignants d’agression sexuelle à titre de témoins. Sans une approche tenant compte des traumatismes qui reconnaît comment la fragmentation de la mémoire et le rappel différé peuvent se produire, les enquêtes de la PM risquent de rendre les plaignants plus vulnérables aux attaques à leur crédibilité, ce qui peut affaiblir les éléments de preuve du procureur et finalement saper la confiance dans le processus de justice.
77. Les incohérences dans les déclarations de la plaignante étaient importantes et auraient dû être examinées plus en profondeur par les enquêteurs. Il ne s’agissait pas simplement de trous de mémoire, mais d’une incapacité à poser des questions de suivi, à documenter les divergences et à évaluer leurs répercussions sur la fiabilité de la déclaration. Bien que le traumatisme puisse avoir une incidence sur les souvenirs des incidents, il ne supprime pas l’obligation d’évaluer la preuve de façon juste et minutieuse. Cette responsabilité revient aux enquêteurs. À la lumière de ces préoccupations, je recommande à la fois une formation améliorée et des protocoles d’enquête clairs pour veiller à ce que ces situations soient traitées de façon appropriée dans les affaires futures.
Recommandation n° 7 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes mette en œuvre une formation obligatoire et continue, sur les enquêtes tenant compte des traumatismes pour tous les membres du SNEFC qui mènent des enquêtes dont les plaignants pourraient avoir subi des traumatismes. Cette formation devrait comprendre de l’information sur les effets des traumatismes sur la mémoire, la distinction entre la crédibilité et la fiabilité, et la façon d’aborder les incohérences lors des entrevues d’une manière qui soit à la fois impartiale et fondée sur des données probantes. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : [traduction] « Mesures déjà prises. Formation obligatoire déjà en vigueur. »
- Je considère que cette recommandation comme partiellement acceptée. Bien que la réponse de la GPFC indique qu’une forme de formation obligatoire existe, elle ne confirme pas ni ne fournit de détails démontrant que la formation répond aux exigences spécifiques de contenu, de portée et de continuité énoncées dans la recommandation. Par exemple, la recommandation précise que la formation doit être continue, mais la réponse ne clarifie pas si la formation existante est continue ou s’il s’agit d’une exigence ponctuelle, ni ne confirme si la formation couvre les sujets spécifiques identifiés dans la recommandation (effets du traumatisme sur la mémoire, distinction entre crédibilité et fiabilité, et gestion des incohérences lors des entrevues de manière équitable et fondée sur des données probantes). Sans cette précision, la réponse ne peut être considérée comme une acceptation complète de la recommandation.
Recommandation n° 8 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes établisse des protocoles d’enquête clairs pour guider les membres du SNEFC dans la façon de documenter, de soulever et d’évaluer les incohérences dans les déclarations des plaignants. Ces protocoles devraient contribuer à garantir que les divergences sont examinées de manière impartiale et qu’elles sont traitées de manière appropriée avant d’envoyer des affaires aux procureurs. Toutes ces évaluations devraient être documentées dans le dossier d’enquête afin de favoriser la transparence et la surveillance. (Non acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Mesures déjà prises. Les membres de la PM reçoivent une formation comme indiqué dans le cours d’enquête de la PM. »
- La recommandation de la CPPM préconise la mise en place de protocoles d’enquête clairs pour guider les membres du SNEFC dans la façon de documenter, de soulever et d’évaluer les incohérences dans les déclarations des plaignants. Elle souligne la nécessité d’un traitement impartial et fondé sur des éléments de preuve des divergences avant la transmission au procureur, avec une documentation complète des évaluations afin de garantir la transparence et la supervision. En revanche, la réponse de la GPFC (« Mesures déjà prises. Les membres de la PM reçoivent une formation comme indiqué dans le cours d’enquête de la PM ») ne confirme pas l’existence de protocoles formels, ni ne traite des pratiques de documentation ou des mécanismes de supervision. Se référer à une formation générale ne démontre pas que les garanties procédurales spécifiques recommandées sont en place. Par conséquent, la réponse ne peut raisonnablement être interprétée comme une acceptation de la recommandation.
Omission d’obtenir des notes au cours de l’enquête
78. X a également révélé lors de son entrevue avec le SNEFC RC, le 15 mars 2021, qu’elle avait des notes personnelles concernant l’incident. En fait, elle avait un carnet avec elle pendant cette entrevue et on pouvait la voir prendre des notes lorsque les enquêteurs n’étaient pas dans la salle. L’enquêtrice du SNEFC RC, la Lt McMillan, qui a mené l’entrevue, a demandé à X une copie de ses notes à la fin de l’entrevue. X a accepté et la Lt McMillan a indiqué qu’elle ferait une copie de ses notes en sortant de l’entrevue. Cependant, les notes n’étaient pas incluses dans le dossier d’enquête policière.
79. Pendant son EIP, la CPPM a demandé au Bureau des NP une copie des notes de X sur son entrevue du 15 mars 2021. Le Bureau des NP a répondu que « [traduction] les notes n’ont pas été photocopiées ou fournies » et que la Lt McMillan « [traduction] une fois hors caméra a tenté d’en obtenir une copie, mais [X] n’a pas voulu les donner, car il s’agissait de son agenda personnel, qui contenait des détails sur de nombreux autres enjeux personnels dans sa vie et d’autres incidents ». Le Bureau des NP a fourni à la CPPM une correspondance électronique entre l’Adj Hachey et la Lt McMillan qui portait sur les notes de X. Selon ce courriel, le 8 avril 2021, l’Adj Hachey a demandé à la Lt McMillan si elle avait fait une photocopie des notes de X. La Lt McMillan a répondu qu’après l’entrevue, elle avait demandé à X de lui remettre les notes qu’elle avait apportées à l’entrevue. Cependant, elle a indiqué que X « [traduction] n’était pas encore prête à remettre ses notes pour le momentNote de bas de page 37 ». Cette correspondance électronique n’a pas été numérisée dans le dossier d’enquête policière sur le SISEPM et rien n’indique que l’Adj Hachey a tenté d’obtenir les notes de X.
Recommandation n° 9 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes rappelle à tous les membres de la police militaire, mais en particulier à l’Adj Hachey, leur obligation de s’assurer que tous les courriels liés à une enquête en leur possession sont rapidement numérisés et ajoutés dans le dossier d’enquête en question dans le Système d’information – Sécurité et police militaire. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Mesures à prendre. Les politiques et procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. »
- La recommandation de la CPPM demandait une mesure spécifique et immédiate : que la GPFC rappelle à tous les membres de la police militaire, en particulier à l’Adj Hachey, leur obligation de numériser et d’ajouter rapidement tous les courriels liés à l’enquête dans le dossier d’enquête pertinent. Il s’agissait d’une directive opérationnelle ciblée visant à améliorer la documentation et la responsabilisation. Cependant, la réponse de la GPFC (« Mesure à prendre. Les politiques et procédures de la police militaire sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes ») est vague et non contraignante. Elle ne fait pas référence à la question spécifique de la documentation des courriels, n’identifie pas quelles politiques et procédures de la police militaire seront examinées et mises à jour, ni ne mentionne le membre visé par la plainte nommé dans la recommandation. L’utilisation d’un langage conditionnel comme [traduction] « sont à examiner » et « le cas échéant » suggère une intention générale d’envisager des changements de politique plutôt qu’un engagement clair à mettre en œuvre l’action recommandée. Par conséquent, la réponse ne peut raisonnablement être interprétée comme une acceptation complète de la recommandation.
80. Les notes de X avaient une valeur probante évidente et les enquêteurs n’ont pas cherché activement à les obtenir auprès d’elle pendant leur enquête. Les déclarations de X à la police contenaient des incohérences, et il était donc d’autant plus important d’examiner et de comparer ses notes écrites sur l’incident avec ses déclarations. Ses notes auraient pu fournir un contexte plus détaillé ou une voie d’enquête.
81. Comme il a été mentionné dans les paragraphes précédents, X a d’abord signalé l’agression sexuelle alléguée au Bgén Cross, son superviseur immédiat à l’époque. Lors de son entrevue avec le SNEFC, le 19 avril 2021, le Bgén Cross a déclaré à plusieurs reprises qu’il faisait référence aux notes qu’il avait prises lors de ses conversations avec X. Toutefois, on ne lui a pas demandé de fournir une copie de ces notes. Le résumé de son entrevue dans le dossier d’enquête policière ne mentionne pas que le Bgén Cross a révélé l’existence de notes. Au lieu de cela, le résumé est présenté en quatre points et l’énoncé général indique que : « [traduction] [X] a donné au Bgén Cross les mêmes détails sur l’agression sexuelle qu’elle avait donnés au SNEFC RCNote de bas de page 38 ». Le résumé ne précise pas la nature de ces détails et omet les divergences entre la version des faits du Bgén Cross dans sa déclaration au SNEFC et celle de X, dont il est question ci-dessous.
82. Le 2 mai 2022, soit plus d’un an après l’entrevue avec le Bgén Cross et près de neuf mois après le dépôt de l’accusation contre le Mgén (retraité) Fortin, l’Adj Hachey a envoyé un courriel au Bgén Cross pour lui demander une copie des notes personnelles qu’il avait prises lors d’une rencontre avec X le 3 mars 2021. L’Adj Hachey a reçu les notes en question le 5 maiv2022. Me Legault, la procureure de la Couronne qui a engagé des poursuites contre le Mgén (retraité) Fortin, a expliqué lors de son entrevue avec la CPPM que la défense avait demandé les notes du Bgén Cross avant le procès. Elle a ensuite demandé à l’Adj Hachey d’obtenir lesdites notes. Lorsqu’on lui a demandé, Me Legault a déclaré qu’elle ignorait que le Bgén Cross avait des notes sur d’autres réunions avec X concernant l’allégation contre le Mgén (retraité) Fortin. Elle se souvient d’avoir envoyé une copie d’une lettre de la défense à l’Adj Hachey, le 3 mars 2022, et de lui avoir demandé d’obtenir la divulgation demandée. Elle ne se souvenait pas non plus d’avoir demandé seulement les notes du Bgén Cross du 3 mars 2021.
83. Les enquêteurs du SNEFC n’ont pas obtenu les notes du Bgén Cross au cours de la phase initiale de l’enquête. Il s’agissait d’une étape d’enquête raisonnable et nécessaire, surtout compte tenu de la valeur probante potentielle de la déclaration contemporaine d’un témoin clé.
Recommandation n° 10 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes rappelle aux enquêteurs du SNEFC, et en particulier à l’Adj Hachey, qu’ils sont tenus d’obtenir tous les éléments de preuve potentiellement probants, y compris les notes contemporaines des plaignants et des témoins, le plus tôt possible au cours d’une enquête. (Acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : [traduction] « Mesures à prendre. Tous les membres de la PM doivent être rappelés dans le cadre du programme de mentorat en cours. »
- Je considère cette recommandation comme acceptée.
Défaut d’examiner adéquatement les divergences entre la version des faits du Bgén Cross et celle de X
84. Le Bgén Cross avait déclaré aux enquêteurs du SNEFC lors de son entrevue du 19 avril 2021 que X était venu à son bureau le 25 février 2021 pour demander des conseils et lui avait révélé qu’elle avait été victime de trois incidents d’inconduite sexuelle, dont un impliquant le Mgén (retraité) Fortin, mais n’avait fourni aucun détail. Il a ensuite eu une deuxième conversation, qui a duré quatre heures, avec X, le 3 mars 2021, au cours de laquelle elle a fourni des détails sur l’incident allégué, affirmant qu’elle s’était réveillée et avait trouvé le Mgén (retraité) Fortin « [traduction] nu », allongé sur elle.
85. Cependant, dans ses déclarations au SNEFC, le 15 mars 2021 et le 20 avril 2021, X avait déclaré que le Mgén (retraité) Fortin était « [traduction] habillé » lorsqu’elle s’était réveillée, et qu’il avait baissé son pantalon. Ce n’est que lors d’une troisième entrevue avec X, le 13 octobre 2021, que l’Adj Hachey a interrogé X sur les divergences entre ses déclarations et celles du Bgén Cross. Cela s’est produit deux mois après le dépôt de l’accusation contre le Mgén (retraité) Fortin et six mois après que la divergence a été relevée. Cette troisième entrevue avec X visait à clarifier ce qu’elle avait dit au Bgén Cross lorsqu’elle lui avait signalé l’incident. X a déclaré qu’elle ne voulait pas donner de détails sur l’allégation au Bgén Cross, mais qu’il continuait à lui mettre de la pression et lui demandait de préciser « [traduction] chaque détail », ce qui l’a rendue mal à l’aise. Elle a ajouté qu’elle avait alors commencé à répondre « [traduction] oui » aux questions du Bgén Cross au lieu de lui donner des détails sur ce qui s’était passé. Elle a également précisé que le Bgén Cross lui avait indiqué ce qui s’était passéNote de bas de page 39.
86. Lorsqu’on lui a demandé si elle se souvenait d’avoir dit au Bgén Cross comment le Mgén (retraité) Fortin était habillé lorsqu’elle l’a vu pour la première fois, X a répondu que non. L’Adj Hachey lui a ensuite demandé de décrire comment le Mgén (retraité) Fortin lui est apparu lorsqu’elle a ouvert les yeux et l’a vu pour la première fois. Elle a dit qu’il était habillé et que ses parties génitales étaient exposées. Lorsqu’on lui a demandé si elle aurait utilisé les mots « [traduction] était nu » pour décrire le Mgén (retraité) Fortin, lorsqu’elle a signalé l’incident au Bgén Cross, X a répondu par la négative, ajoutant qu’il avait commencé à lui poser des questions et qu’elle s’était simplement « [traduction] ferméeNote de bas de page 40 » parce qu’à peu près au même moment, elle lui avait également signalé deux autres situations distinctes de nature sexuelle. Les enquêteurs n’ont pas interrogé X sur ces autres incidents dans le cadre de leur enquête.
87. Les enquêteurs du SNEFC n’ont pas interrogé X sur les détails des deux autres incidents d’inconduite sexuelle. S’il est vrai que la décision de dénoncer officiellement les auteurs de ces autres cas relevait uniquement de X, les enquêteurs du SNEFC avaient néanmoins le devoir de s’assurer, dans la mesure du possible, que ses souvenirs de l’incident faisant l’objet de l’enquête n’étaient pas confondus avec les autres incidents qu’elle avait divulgués au Bgén Cross. Un enquêteur compétent en matière d’agression sexuelle aurait obtenu ces renseignements de X tout en prenant les mesures appropriées pour minimiser le risque de retraumatisation.
88. Les enquêteurs n’ont pas organisé une entrevue de suivi avec le Bgén Cross pour aborder les divergences et obtenir ses notes avant d’envoyer le dossier d’enquête au DPCP aux fins d’examen. Cela aurait été une étape d’enquête raisonnable et nécessaire. Se fier uniquement aux éclaircissements ultérieurs de X, sans revenir sur la version des faits du Bgén Cross, était insuffisant dans les circonstances.
Recommandation n° 11 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes ordonne à tous les membres de la police militaire d’identifier et de documenter dans le dossier d’enquête toute divergence dans les déclarations susceptibles de révéler de nouvelles pistes d’enquête. Les directives ou les décisions des superviseurs liées à ces divergences doivent également être clairement documentées afin de soutenir la responsabilisation et la surveillance. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : [traduction] « Aucune mesure identifiable requise. La politique actuelle de la PM inclut cette directive à l’intention des superviseurs. »
- La recommandation de la CPPM demandait à la GPFC d’ordonner à tous les membres de la police militaire d’identifier et de documenter les divergences dans les déclarations susceptibles de révéler de nouvelles pistes d’enquête, et de veiller à ce que toute directive ou décision de supervision liée à ces divergences soit clairement consignée dans le dossier d’enquête. La réponse de la GPFC (« Aucune mesure identifiable requise. La politique actuelle de la PM inclut cette directive à l’intention des superviseurs ») suggère que la substance de la recommandation est déjà intégrée dans la politique existante. Cependant, la réponse ne cite pas de dispositions précises correspondant à la recommandation et ne confirme pas si tous les membres de la police militaire — et non seulement les superviseurs — sont explicitement tenus de respecter cette pratique. Elle ne précise pas non plus si les décisions de supervision sont systématiquement documentées de manière à soutenir la responsabilisation et la surveillance. En raison du caractère vague de la réponse, elle ne peut raisonnablement être interprétée comme une acceptation complète de la recommandation. Je considère cette recommandation comme partiellement acceptée.
C. L’enquête du SNEFC a été compromise par une vision tunnel et a montré des signes de partialité
89. Au cours de son entrevue du 6 octobre 2023 avec la CPPM, le Mgén (retraité) Fortin a affirmé que le SNEFC a fait preuve d’un parti pris en faveur des victimes et que « [traduction] les conseils venant d’en haut », à savoir « [traduction] nous croyons les victimes », ont influencé l’enquête. Il a ajouté qu’il a observé cette influence dans les questions posées par l’Adj Hachey, dans celles qui n’ont pas été posées et dans celles qui ont probablement été posées, mais qui n’ont pas été enregistrées. Il a affirmé que l’Adj Hachey n’a jamais tenté d’établir avec certitude l’identité de la personne qui aurait commis l’agression sexuelle lors de son entrevue avec X, et qu’elle a ignoré une déclaration de X concernant un incident antérieur de nature sexuelle qu’elle avait vécu dans son enfance, ce qui l’a amené à se demander si X aurait pu confondre plusieurs événements.
90. Le Mgén (retraité) Fortin a dit aux enquêteurs de la CPPM que l’enquête du SNEFC avait été « [traduction] précipitée », non pas dans le sens où elle avait été menée en quelques mois, mais plutôt parce qu’une grande partie de la preuve n’avait pas été prise en compte. Il a affirmé que les notes du Bgén Cross n’ont jamais été demandées pendant l’enquête et que les notes de X n’ont jamais été obtenues. Il a également ajouté que les éléments de preuve contradictoires n’ont pas été examinés et que certaines entrevues n’ont pas été enregistréesNote de bas de page 41. Le Mgén (retraité) Fortin croit également que le SNEFC a fait preuve de « [traduction] harcèlement du témoin » lors de son entrevue du Mgén T.
Préjugés inconscients et vision en tunnel
91. Le paragraphe 14 de l’ordre de la PM FC 2-340 mentionné ci-dessus exige que les membres de la PM mènent des enquêtes impartiales. Elle demande expressément aux membres de la PM de ne pas laisser des préjugés ou une vision en tunnel influencer des enquêtesNote de bas de page 42.
92. Dans le contexte d’enquêtes criminelles, la vision en tunnel peut être définie comme « une tendance des intervenants du système de justice, notamment des agents de police ou des procureurs, à se concentrer sur une certaine théorie relative à une affaire et à écarter ou à sous-estimer les éléments de preuve qui contredisent cette théorieNote de bas de page 43 ». Cela mène à « … un filtrage inconscient de la preuve qui permettra de “monter un dossier” contre un certain suspect, tout en écartant ou en supprimant des éléments de preuve tendant à innocenter ce même suspectNote de bas de page 44 ». La vision en tunnel peut être considérée comme une forme de préjugés inconscients.
93. La Cour suprême du Canada (CSC) a reconnu et accepté judiciairement que les préjugés inconscients chez certaines personnes peuvent conduire à des préjugés innés ou à des idées préconçues dont ils ne sont peut-être pas conscientsNote de bas de page 45. Les préjugés inconscients peuvent être fondés sur des attitudes implicites ou des stéréotypesNote de bas de page 46.
94. Un enquêteur juste et impartial doit faire preuve d’objectivité. Cependant, tout porte à croire que les enquêteurs du SNEFC ont souffert d’une vision en tunnel et de préjugés inconscients dans la conduite de l’enquête. Selon les éléments de preuve, les enquêteurs semblent s’être principalement appuyés sur le récit de X, et n’ont pas exploré d’autres sources d’information, telles qu’« Adam », « Paunch » et le Mgén Cadieu. Ils ont également rejeté ou sous-estimé des éléments de preuve qui n’étaient pas cohérents avec le récit de X, sans compter qu’ils ont ignoré des divergences dans son témoignage. Dans le cadre d’une enquête sur une agression sexuelle remontant à plusieurs années, il est essentiel d’explorer toutes les sources d’information pertinentes. Le manque de documentation appropriée dans le dossier d’enquête policière a également empêché les cadres supérieurs de détecter ou d’empêcher la possibilité d’une vision en tunnel.
95. Par exemple, dans le résumé préparé par l’Adj Hachey, le 16 avril 2021, après avoir passé en entrevue la Col M., elle a écrit que « [traduction] les détails fournis par [X] à la Col [M.] corroboraient la plainte présentée au SNEFCNote de bas de page 47 », et dans le résumé d’entrevue préparé par le Cpl Garceau, après que l’Adj Hachey a passé le Bgén Cross en entrevue, le 19 avril 2021, il a écrit que « [traduction] le Bgén Cross a collaboré avec [sic] l’information fournie par X […] et n’avait aucune information supplémentaire pour faire progresser l’enquêteNote de bas de page 48 ». Ces deux déclarations concernant la corroboration sont de nature générale et ne fournissent pas un compte rendu complet et informatif de ce que X a dit à la Col M. et au Bgén Cross. Plus important encore, il ne mentionnait aucune divergence entre les versions des faits et donnait l’impression contraire aux lecteurs.
96. Des préjugés inconscients et une vision en tunnel pourraient expliquer pourquoi X n’a pas été interrogée concernant les incohérences dans ses déclarations et pourquoi les enquêteurs lui ont posé des questions sur des témoins potentiels, mais n’ont pas communiqué avec ces personnes directement pour une entrevue, comme le Mgén Cadieu, ou pour une entrevue de suivi, comme le Bgén Cross.
97. La vision en tunnel pourrait également expliquer pourquoi l’Adj Hachey a indiqué dans le dossier d’enquête policière, après avoir passé en entrevue le Mgén T., le 20 avril 2021, qu’il n’était « [traduction] pas communicatif » lorsque ses souvenirs d’événements ne correspondaient pas à ceux de X. À cet égard, lors de son entrevue du 15 mars 2021, X a dit aux enquêteurs du SNEFC qu’après l’incident allégué, elle était allée voir le Mgén T., son petit ami à l’époque, et lui avait dit ce qui s’était passé. Le Mgén T. lui aurait dit qu’il parlerait au Mgén (retraité) Fortin pour s’assurer que cela ne se reproduise pas. Le Mgén T. a déclaré au cours de son entrevue qu’il ne se souvenait pas de cela. L’Adj Hachey lui a alors dit qu’elle ne voulait pas s’engager dans une confrontation, déclarant :
[Traduction] […] J’essaie de voir les choses de son point de vue : elle dit qu’elle est allée voir son petit ami après avoir été agressée sexuellement et qu’elle lui a fourni des détails sur l’agression, et vous, qui étiez son petit ami, vous ne vous souvenez pas de la conversation? Est-ce possible que vous ayez eu les facultés affaiblies à ce moment-là? En raison de l’alcool, par exemple, si c’était à la suite d’une fête? […] Ce n’est pas que je ne trouve pas cela difficile à croire, j’essaie juste de m’imaginer aller voir mon petit ami pour lui expliquer ce qui m’est arrivé pour qu’il me réponde : « Je ne me souviens pas que tu m’aies dit que tu t’es fait agresser sexuellement ». Je ne dis pas que vous êtes allé voir Dany Fortin ou pas, vous avez essayé de gérer la situation, mais vous ne vous souvenez pas qu’elle vous ait dit s’être fait agresser sexuellement? (gras de l’auteur)
98. À la suite des commentaires de l’Adj Hachey, le Mgén T. a déclaré qu’il ne se souvenait pas que X ne soit jamais venue dans sa chambre pour lui dire : « [traduction] J’ai été agressée sexuellement. » Il a également déclaré qu’il n’avait jamais eu de discussions avec X dans les années qui ont suivi l’incident allégué au sujet d’un acte criminel de ce genre. Il ne se souvient d’aucun incident précis entre X et le Mgén (retraité) Fortin.
99. Un agent de police raisonnable aurait maintenu son objectivité au cours de son enquête, évalué toutes les preuves de façon impartiale et, dans ce type d’entrevue, aurait évité de poser des questions suggestives. Lorsque la police interroge une personne qu’elle croit suspecte d’un crime, l’entrevue devient un interrogatoire. Dans ce contexte accusatoire, les enquêteurs sont généralement autorisés à utiliser un large éventail de tactiques, y compris poser des questions suggestives, pour contester les dénégations d’un suspect, révéler des incohérences et obtenir une confession. Dans ce cas-là, l’Adj Hachey n’interrogeait pas un suspect. Elle passait en entrevue le Mgén T., un témoin nommé par X. L’objectif principal d’une entrevue avec un témoin est d’obtenir un souvenir fidèle et exact des événements. Cependant, l’Adj Hachey a utilisé un outil conçu pour l’interrogatoire des suspects pendant une entrevue avec un témoin, où la priorité doit être de préserver l’intégrité de la mémoire du témoin. En outre, les commentaires formulés par l’Adj Hachey au cours de l’entrevue peuvent avoir été le résultat d’un manque d’expérience. Comme il a été mentionné précédemment, cette enquête était probablement sa première enquête sur une agression sexuelle.
100. La vision en tunnel, les préjugés inconscients ou l’établissement d’hypothèses au sujet de la preuve sont apparents dans de nombreuses étapes d’enquête manquées ou négligées décrites plus haut dans le présent rapport relativement à la sous-question 1, notamment : l’omission d’identifier et d’interroger « Adam » et « Paunch »; l’omission de mener plus d’une entrevue avec le Bgén Cross lorsque des divergences sont apparues entre sa version des faits et celle de X, et l’omission d’obtenir ses notes avant que le dossier d’enquête ne soit transféré au DPCP; l’omission de questionner X sur les incohérences dans ses déclarations et l’omission d’obtenir ses notes; et l’omission de passer en entrevue le Mgén Cadieu pour confirmer ce que X lui avait dit à propos de l’incident. Dans ces cas, les enquêteurs du SNEFC RE ont soit supposé qu’ils disposaient d’éléments de preuve suffisants, soit simplement manqué ou négligé des possibilités d’enquête en raison de leur manque d’expérience ou de l’absence de documentation adéquate dans le dossier d’enquête policière, ce qui a empêché les cadres supérieurs de détecter et d’empêcher la possibilité d’une vision en tunnel. Comme il a été mentionné dans le présent rapport, les rapports d’entrevue du SISEPM ne contenaient pas beaucoup de détails pertinents que les résumés ou les transcriptions des témoins auraient pu fournir.
Recommandation n° 12 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes mette en œuvre une formation ciblée pour tous les membres de la police militaire sur les préjugés inconscients, les biais cognitifs et la vision en tunnel, en accordant une attention particulière au renforcement de l’objectivité de l’enquête et de la pensée critique dans la prise de décision. Les membres de la police militaire visés par la plainte devraient être tenus de participer à cette formation. La formation devrait outiller les membres à détecter, à évaluer de façon critique et à atténuer les effets de ces préjugés tout au long du processus d’enquête afin de maintenir l’impartialité, de préserver l’intégrité de l’enquête et de respecter les normes professionnelles de police. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : [traduction] « Aucune mesure identifiable requise. Tous les membres de la PM suivent la formation RCSP [Réseau canadien du savoir policier] sur les préjugés inconscients. Cette formation est également dispensée dans le cadre du NQ [niveau de qualification] 3/du cours de PM – Patrouiller subalterne (001.05). »
- La recommandation de la CPPM demandait la mise en œuvre d’une formation ciblée pour tous les membres de la police militaire sur les préjugés inconscients, les biais cognitifs et la vision en tunnel, en mettant l’accent sur le renforcement de l’objectivité des enquêtes et de la pensée critique. Elle précise que la formation doit être obligatoire, complète et conçue pour aider les membres à détecter et à atténuer les préjugés tout au long du processus d’enquête. La réponse de la GPFC, indiquant qu’« aucune mesure identifiable [n’est] requise » puisque tous les membres de la PM suivent déjà une formation sur les préjugés inconscients dans le cadre des programmes existants, suggère qu’une formation pertinente est en place. Cependant, la réponse ne confirme pas si la formation aborde explicitement les biais cognitifs et la vision en tunnel, ni si le contenu est adapté au contexte des enquêtes ou inclut les composantes de pensée critique mises en avant dans la recommandation. Sans confirmation que la formation répond pleinement à la portée et à l’intention de la recommandation, la réponse reflète un alignement partiel, et non une acceptation complète. Je considère cette recommandation comme partiellement acceptée.
D. La crédibilité d’un témoin, le Mgén T., a été mise en doute par l’enquêteur de la police militaire
101. Le Mgén (retraité) Fortin a affirmé que la crédibilité de l’un des témoins, le Mgén T., a été « [traduction]mise en doute » par l’Adj Hachey au cours de l’enquête. Dans sa plainte, il déclare : « [traduction] Un individu, qui était clairement en désaccord avec [X], a réfuté les insinuations des enquêteurs selon lesquelles il n’avait peut-être pas été honnête, et sa crédibilité a ensuite été mise en doute dans le rapport du SNEFC, puisque sa version des faits ne correspondait clairement pas au parti pris manifeste de l’enquêtrice envers [X]. »
102. Lors de son entrevue avec la CPPM, le 6 octobre 2023, le Mgén (retraité) Fortin a déclaré que les enquêteurs du SNEFC étaient partiaux parce qu’ils continuaient à interroger le Mgén T., lui demandant, « [traduction] que voulez-vous dire, vous ne vous en souvenez pasNote de bas de page 49? » en faisant référence à l’incident d’agression sexuelle allégué et au fait que X lui en aurait parlé.
103. Selon le dossier d’enquête policière, le 15 avril 2021, l’Adj Hachey a contacté le Mgén T. par téléphone. Comme il a été mentionné précédemment, cette conversation n’a pas été enregistrée, et je dois donc me fier à l’entrée du dossier d’enquête policière qui dit :
- [Traduction] À 14 h 37, le 15 avril 2021, l’Adj Hachey a contacté M. [T] (Mgén retraité) pour lui demander s’il se souvenait de certains détails liés à cette cette [sic] enquête. Il a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’un événement précis qui constituerait une agression sexuelle, mais qu’il ne se sentait pas à l’aise de discuter de cette question au téléphone, et il a accepté de rencontrer les enquêteurs en personne pour une entrevue. L’entrevue aura lieu à 18 h 00, le 20 avril 21Note de bas de page 50… (gras de l’auteur)
104. Cette entrée n’indique pas la durée de l’appel et ne précise pas de quels détails l’Adj Hachey voulait que le Mgén T. se souvienne. Je suppose qu’elle lui a demandé s’il se souvenait que X lui avait parlé de l’incident allégué et s’il pouvait fournir des détails à ce sujet. Le Mgén T. constituait un témoin clé nommé par X lors de son entrevue avec le SNEFC. Non seulement cet appel aurait dû être enregistré, mais il aurait dû être fait dans le but de l’informer que le SNEFC avait reçu cette plainte, qu’il avait été nommé comme témoin potentiel, et que le SNEFC voulait le rencontrer pour une entrevue afin d’en discuter.
105. Le 16 avril 2021, l’Adj Hachey a passé en entrevue la Col M., que X avait nommée comme étant son amie de longue date. X avait dit aux enquêteurs qu’elle avait divulgué l’agression sexuelle alléguée à la Col M. trois ou quatre ans avant de le signaler à la PM. Au cours de son entrevue, la Col M. a fourni des renseignements négatifs sur le Mgén T., y compris une allégation selon laquelle il avait harcelé X quotidiennement lorsqu’il était son superviseur au cours de ses deux dernières années de service. L’Adj Hachey a demandé à la Col M. des détails sur le harcèlement allégué, puis lui a dit qu’elle appréciait les renseignements, ajoutant :
[Traduction] Cela me permet de mieux comprendre pourquoi il [le Mgén T.] était hésitant à nous parler. Parce que j’ai, j’ai du mal à lui parler et maintenant j’ai une meilleure idée de ce qu’il pense peut-être de cette enquête. Peut-être qu’il pense que c’est à propos de ce harcèlement, et c’est pourquoi il a hésité à me parlerNote de bas de page 51…
106. Ce commentaire de l’Adj Hachey était non seulement inapproprié, mais il suggère également un préjugé possible ou une prédisposition négative contre le Mgén T. avant même son entrevue. De plus, rien dans le dossier d’enquête policière n’indique que le Mgén T. était « hésitant » à parler au SNEFC ou que les enquêteurs avaient « de la difficulté » à lui parler. Cependant, comme il a été mentionné précédemment, l’appel téléphonique du 15 avril 2021 entre l’Adj Hachey et le Mgén T. n’a pas été enregistré. Le résumé de cet appel téléphonique mentionne seulement que le Mgén T. « ne se sentait pas à l’aise de discuter de cette question au téléphone ». Cela réitère ma recommandation sur la nécessité d’enregistrer électroniquement les appels téléphoniques, car, lorsqu’ils sont effectués correctement, ils fournissent un enregistrement précis des mots, des inflexions, de l’humeur et du ton de la conversationNote de bas de page 52.
107. Le 20 avril 2021, l’Adj Hachey et le Sgt Léonard ont passé X en entrevue quelques heures avant de passer le Mgén T en entrevue. Au cours de cette entrevue, X a déclaré que le Mgén T. n’avait probablement pas parlé au Mgén (retraité) Fortin après l’incident allégué, parce qu’il n’aimait pas les affrontements. Elle a ajouté qu’il était bouleversé après qu’elle a rompu avec lui quelque temps après l’année scolaire. X ne croyait pas qu’il allait maintenant appuyer son allégation contre le Mgén (retraité) Fortin.
108. Lorsque les enquêteurs du SNEFC ont passé le Mgén T. en entrevue, le 20 avril 2021, il a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’un incident entre X et le Mgén (retraité) Fortin, ni que X ne lui avait jamais parlé d’un tel incident. Il n’y a pas de résumé ou de transcription détaillée de l’entrevue dans le dossier d’enquête policière. L’entrevue (audio et vidéo) de 47 minutes est résumée en moins d’une page dans le dossier d’enquête.
109. La déclaration du Mgén T. était importante pour les enquêteurs du SNEFC afin de potentiellement corroborer l’allégation de X. Confirmer que X avait divulgué l’infraction au Mgén T. au moment de l’incident aurait eu plus de poids pour corroborer son allégation que ses déclarations à d’autres témoins au cours des dernières années, comme la Col M. et le Bgén Cross.
110. Lorsque la crédibilité d’un témoin est mise en doute, un enquêteur raisonnable tentera de faire en sorte que le témoin s’engage à suivre une version précise des événements pendant la phase de collecte d’information de l’entrevue. Un enquêteur raisonnable pourra le faire sans avoir l’air de contester ou d’accuser le témoin ou de laisser entendre qu’il ment, à moins qu’il n’y ait des raisons valables de le faire.
111. Dans ce cas, l’Adj Hachey a changé la dynamique de l’entrevue avec le Mgén T. lorsqu’elle a déclaré : « [Traduction] Je ne veux pas être conflictuelle; … j’essaie de voir les choses de son point de vue [à X] : elle dit qu’elle est allée voir son petit ami après avoir été agressée sexuellement, qu’elle a fourni des détails sur l’agression, et vous, qui étiez son petit ami, vous ne vous souvenez pas de la conversation […] » Le fait d’entamer une conversation en disant « Je ne veux pas être conflictuelle » signale non seulement une attente inappropriée que le témoin ne soit pas coopératif, mais, plus important encore, ses propos subséquents démontrent un net abandon de la neutralité de l’enquête. En adoptant explicitement le point de vue de la plaignante (en essayant « de voir les choses de son point de vue »), l’Adj Hachey est passée du rôle d’enquêtrice impartiale à celui d’une personne ayant un parti pris. Cette technique d’interrogation est un exemple du biais de confirmation et de la vision en tunnel qui ont miné l’intégrité de cette enquête, car elle ne visait pas à tester la mémoire d’un témoin objectivement, mais plutôt à contester son incapacité à confirmer un récit prédéterminé. Cette approche était fondamentalement inappropriée, ce qui n’a pas échappé au Mgén T. à ce moment-là.
112. L’Adj Hachey aurait plutôt dû aborder la question en demandant simplement au Mgén T. s’il disait (a) qu’il ne se souvenait pas d’une telle conversation, ou (b) qu’il était certain que la conversation n’avait jamais eu lieu. Comme il a été mentionné précédemment, Mme M., qui était la colocataire de X au moment de l’infraction alléguée, a également déclaré lors de son entrevue initiale du 14 avril 2021 avec l’Adj Hachey qu’elle ne se souvenait d’aucun incident impliquant X et le Mgén (retraité) Fortin pendant qu’elle était élève-officière au CMR, mais l’Adj Hachey a seulement noté dans le dossier d’enquête policière « [traduction] qu’elle ne disait pas qu’il n’y a jamais eu d’incident, mais qu’elle avait ses propres enjeux à l’époque et que ses souvenirs de ces années étaient “flousNote de bas de page 53” ». Cela révèle une norme incohérente et biaisée en ce qui concerne l’évaluation des souvenirs des témoins.
113. Il aurait peut-être été plus utile de clarifier correctement le récit du Mgén T pour évaluer, et peut-être remettre en question, sa crédibilité à mesure que l’enquête progressait ou lors d’un procès subséquent. L’inverse pourrait également être vrai. Une déclaration qui est discutable aujourd’hui peut s’avérer très crédible à mesure que de nouveaux éléments de preuve sont connus ou pourrait même orienter l’enquête dans une direction différente.
114. Les notes sur l’entrevue du Mgén T dans le dossier d’enquête policière semblent tenter de le discréditer, notamment en soulignant qu’il n’était pas « [traduction] disposé à fournir des réponses aux enquêteurs », une conclusion qui correspond au récit préexistant, et qui nécessitait donc que son témoignage soit rejeté. Le rapport ne donne aucun poids à la possibilité qu’il ait dit la vérité lorsqu’il a déclaré que X ne lui avait jamais révélé qu’elle avait été agressée sexuellement par le Mgén (retraité) Fortin.
115. Comme il a été mentionné précédemment, l’Adj Hachey et le Sgt Léonard ont tous deux refusé d’être interrogés par la CPPM. Cependant, il existe de nombreux éléments de preuve qui laissent croire, selon la prépondérance des probabilités, que ce témoin n’a pas été traité comme un agent de police raisonnable l’aurait fait dans des circonstances semblables. Il est plus que probable que les enquêteurs du SNEFC se soient fait une opinion du Mgén T. avant de le passer en entrevue, en se basant sur les opinions précédemment fournies à son sujet par X et la Col M.
116. Ces opinions préconçues au sujet du Mgén T. peuvent avoir été formées en raison de préjugés inconscients et d’une vision en tunnel, ou en permettant à X et à la Col M. d’entacher leur perspective ou il peut même s’agir d’une combinaison de ces facteurs. Des enquêteurs raisonnables auraient été en mesure de garder l’esprit ouvert avant leur entrevue avec le Mgén T. et d’éviter de réagir aux hypothèses ou aux opinions des autres. Les enquêteurs du SNEFC ne l’ont pas fait dans le cadre de cette affaire et, par conséquent, ont rejeté sa déclaration et sa crédibilité en tant que témoin.
Recommandation n° 13 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes fournisse à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard une formation de mise à jour sur les entrevues de témoins et les techniques d’entrevue. (Acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : [traduction] « Mesures à prendre. »
- La réponse de la GPFC manque de détails et ne précise pas les mesures à prendre. Cependant, comme la recommandation est très spécifique — à savoir, fournir à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard une formation de recyclage sur les entrevues de témoins et les techniques d’entrevue — je la considère comme acceptée.
E. La décision de transmettre le dossier d’enquête au DPCP du Québec a été raisonnablement appuyée par les éléments de preuve disponibles
117. Dans sa plainte, le Mgén (retraité) Fortin affirme que le SNEFC RE a transmis le dossier d’enquête policière (EG 2021-5656) au DPCP du Québec le 11 mai 2021, « [traduction] même s’il n’y avait clairement et sans équivoque aucune preuve suffisante pour établir l’identité de l’auteur présuméNote de bas de page 54 ».
Compétence dans l’affaire en question
118. L’agression sexuelle alléguée a eu lieu entre janvier et avril 1988. C’était avant l’adoption et l’entrée en vigueur du projet de loi C-25, qui a modifié la LDNNote de bas de page 55, afin d’accorder aux cours martiales la compétence à l’égard des infractions d’agression sexuelle commises au Canada par des personnes assujetties au Code de discipline militaire. Avant le projet de loi C-25, ces infractions relevaient exclusivement du système de justice pénale civil. Cette affaire devait donc être traitée par le système de justice civil. De plus, l’infraction alléguée a été commise au Collège militaire royal de Saint Jean dans la province de Québec.
119. Le Québec se sert d’un système de vérification préalable à l’accusation, aussi appelé « tamisageNote de bas de page 56 ». La vérification préalable à l’accusation est un processus au cours duquel un procureur de la Couronne travaillant pour le DPCP examine le dossier d’enquête policière et tous les éléments de preuve disponibles pour déterminer s’il existe une « perspective raisonnable de condamnation » et s’il serait dans l’intérêt du public d’entamer des poursuitesNote de bas de page 57. Une « perspective raisonnable de condamnation » est un test objectif. La norme est plus élevée qu’un simple « cas prima facie », mais elle ne nécessite pas une probabilité de condamnation pour aller de l’avantNote de bas de page 58. Ainsi, au Québec, c’est le procureur de la Couronne, et non la police, qui prend la décision finale de porter des accusations.
Transmission du dossier au DPCP pour la vérification préalable à l’accusation
120. Selon le dossier d’enquête policière, le 7 mai 2021, l’Adj Hachey a transmis le dossier d’enquête pour la vérification préalable à l’accusation au DPCP de Saint Jean-sur Richelieu, au Québec, aux fins d’examen par le procureur. Cependant, en raison de l’emplacement du Mgén (retraité) Fortin et de X, le dossier a été transféré au DPCP de Gatineau, au Québec, et, le 25 mai 2021, l’Adj Hachey a été informée que le DPCP avait reçu le dossier et que Me Legault avait été affectée à l’affaire à titre de procureure de la CouronneNote de bas de page 59.
121. La décision de transmettre le dossier relève du pouvoir discrétionnaire d’enquête de la police, qui est au cœur des fonctions de nature policière. Dans la décision R. c. BeaudryNote de bas de page 60, la CSC a affirmé que les policiers ont le pouvoir discrétionnaire de décider comment mener une enquête et s’il y a lieu de déposer des accusations. La CSC a soulevé plusieurs points clés au sujet de ce pouvoir discrétionnaire. Premièrement, la police a le devoir de faire respecter la loi et peut choisir la manière de mener des enquêtes ou de porter des accusations contre des particuliers. Deuxièmement, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas illimité; il doit être étayé par des normes juridiques et des motifs valables. Troisièmement, la police ne peut pas se fier uniquement aux pratiques ou aux politiques courantes pour justifier ses actions; celles-ci peuvent fournir un contexte, mais l’accent doit être mis sur ce qu’un agent raisonnable ferait dans une même situationNote de bas de page 61. L’examen de la conduite de la procureure de la Couronne ne relève pas de mon mandat ni de ma compétence. Mon rôle se limite à évaluer si les membres de la PM en question avaient des motifs raisonnables de croire qu’une infraction avait été commise et que le suspect, en l’occurrence le Mgén (retraité) Fortin, était responsable. De plus, je dois déterminer s’ils possédaient suffisamment de preuves pour renvoyer l’affaire au DPCP.
Preuve dans le dossier d’enquête policière (EG 2021-5656)
122. Avant de transférer le dossier au DPCP en mai 2021 pour la vérification préalable à l’accusation, le SNEFC a effectué les étapes d’enquête suivantes selon le sommaire de cas final du dossier d’enquête policière préparé par l’Adj Hachey, le 18 août 2021Note de bas de page 62 :
- a) Le 15 mars 2021, les enquêteurs du SNEFC RC ont mené une entrevue avec X, au cours de laquelle X a nommé le Mgén (retraité) Fortin comme étant le suspect responsable de l’agression sexuelle.
- b) X a déclaré qu’elle avait informé son petit ami à l’époque, le Mgén T. « [traduction] de l’agression et il a déclaré qu’il parlerait au Mgén (retraité) Fortin et s’assurerait qu’il la laisse tranquille. Elle n’a jamais parlé de l’incident ni informé personne d’autre à l’époque, par crainte de représailles et d’être retirée du CMR. »
- c) Lorsque le dossier a été transféré du SNEFC RC au SNEFC RE, les enquêteurs ont mené une entrevue avec Mme M. (colocataire de X à l’époque) et le Mgén T. (petit ami de X à l’époque). « [Traduction] Cependant, aucune information n’a été obtenue pour corroborer ou élucider l’enquête. »
- d) Les enquêteurs ont mené des entrevues avec la Col M. (amie de longue date de X) et le Bgén Cross (superviseur de X au moment où elle a signalé sa plainte pour agression sexuelle) « [traduction] qui ont été nommés par [X] comme témoins à qui elle avait précédemment signalé l’agression sexuelle ainsi que les détails de l’incident. Les deux membres ont corroboré les détails et les déclarations fournis aux enquêteurs du SNEFC par la victime. »
- e) Le 19 avril 2021, les enquêteurs ont communiqué avec le Mgén (retraité) Fortin « [traduction] et lui ont demandé de prendre part à une entrevue volontaire sous avertissement, à laquelle il a refusé de participer après avoir parlé avec un avocat ».
123. Mis à part ces cinq points, le sommaire de cas final ne fournit aucun autre renseignement sur les résultats de l’enquête. Comme il a été mentionné précédemment, le SNEFC RE a omis de prendre certaines mesures raisonnables supplémentaires qu’un enquêteur raisonnable aurait prises. Leur enquête souffrait également d’un manque de documentation adéquate et de supervision, de préjugés inconscients et d’une vision en tunnel. Toutefois, les enquêteurs ont conclu que leur enquête avait permis de découvrir « [traduction] suffisamment d’éléments de preuve » pour aller de l’avant : ils ont obtenu une déclaration de X, qui a nommé le Mgén (retraité) Fortin comme étant l’auteur, et ils ont interrogé des témoins, dont deux, selon eux, qui « [traduction] ont corroboré les détails et les déclarations fournis aux enquêteurs du SNEFC par X ».
124. Avant que des accusations ne soient portées en août 2021, une étape d’enquête supplémentaire a été réalisée par le SNEFC RE, à savoir une entrevue de suivi avec la Col M., le 17 juin 2021, pour obtenir des précisions sur les déclarations précédentes qu’elle a fournies.
125. Le 16 août 2021, le DPCP du Québec a décidé de porter des accusations contre le Mgén (retraité) Fortin. Au cours de son entrevue avec la CPPM, Me Legault a été interrogée pour savoir si la police devait avoir un motif raisonnable de croire avant de transférer une affaire au DPCP aux fins d’examen. Elle a répondu qu’on s’attend à ce que les policiers s’assurent qu’une infraction a été commise avant de leur demander (à la Couronne) d’évaluer le dossier. Me Legault a déclaré qu’elle croyait avoir suffisamment de preuves pour convaincre un juge de la culpabilité du Mgén (retraité) Fortin. Elle a également indiqué qu’aucune tentative n’avait été faite pour influencer l’examen de l’enquête ou les recommandations du DPCP.
126. Le 19 août 2021, l’Adj Hachey a écrit les « remarques finales » de l’enquête qui se lisent comme suit : « [Traduction] L’enquête menée par le SNEFC RE a révélé suffisamment de preuves pour accuser le Mgén Fortin d’un chef d’accusation d’agression sexuelle […]. Le 18 août 21, le Mgén Fortin a été arrêté conformément à un mandat d’arrêt et relâché sur une promesse de comparaître avec engagement. Sa première comparution devant le tribunal a eu lieu le 20 septembre 2021. Le dossier est clos. »
127. Le 20 août 2021, le Lcol Eric Leblanc, cmdt du SNEFC, a écrit une lettre au vice chef d’état-major de la défense et au CEMD pour les informer que le dossier d’enquête policière (EG 2021-5656) avait été examiné par le DPCP, que l’enquête avait recueilli suffisamment de preuves pour déposer une accusation d’agression sexuelle contre le Mgén (retraité) Fortin, et que l’enquête était terminée. Une copie du rapport d’information de la PM, un document de cinq pages, était jointe à la lettre.
128. Il est difficile de déterminer avec certitude que les lacunes relevées dans le présent rapport auraient modifié l’évaluation de la police ayant permis de déterminer qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le Mgén (retraité) Fortin avait commis l’infraction alléguée. Il n’est pas non plus possible d’affirmer de manière définitive qu’un policier raisonnable ayant examiné les mêmes éléments de preuve serait parvenu à une conclusion différente.
129. La décision de renvoyer un dossier à un procureur n’est pas, et ne devrait pas être, fondée sur une certitude d’obtenir une condamnation. Il y a une tension inhérente dans le discours public : la police est critiquée à la fois pour avoir transmis des dossiers comportant peu d’éléments de preuve, et lorsqu’elle choisit de ne pas le faire, une décision qui peut empêcher qu’une affaire ne soit jamais examinée par un procureur. Le processus d’examen préalable au dépôt d’accusation sert de mécanisme de protection pour gérer cette tension. La police enquête et renvoie; les procureurs évaluent et décident de manière indépendante.
130. Au cours des dernières années, les services de police du Canada, y compris la police militaire, ont été critiqués pour avoir mis fin prématurément à des enquêtes sur des agressions sexuelles. Depuis, les politiques et les pratiques soulignent de plus en plus l’importance de mener des enquêtes approfondies et de consulter les procureurs, plutôt que de laisser la police prendre seule des décisions quant à la viabilité d’une affaire.
131. Bien qu’il ne s’agisse pas du dossier le plus solide et qu’il ait été compromis par les lacunes d’enquête que j’ai relevées, on ne peut pas dire que la décision de le renvoyer au DPCP était en soit e déraisonnable. Les enquêteurs avaient reçu une plainte directe d’une victime. S’ils avaient décidé de ne pas envoyer le dossier au DPCP pour obtenir une opinion indépendante d’un procureur, on aurait pu leur reprocher de ne pas avoir pris la plainte au sérieux.
132. Ultimement, il est impossible d’affirmer avec certitude qu’une enquête parfaite aurait changé la décision de la police de transmettre le dossier. Les enquêteurs du SNEFC ont exercé leur pouvoir discrétionnaire dans le respect du cadre juridique existant. Comme la décision finale de porter des accusations revenait au DPCP, qui disposait de tous les éléments de preuve, y compris leurs faiblesses, je ne peux conclure que les policiers militaires visés par la plainte ont déraisonnablement transmis le dossier pour un examen indépendant par la Couronne.
Observation : non-respect des ordres de la PM FC 2-126.7 et 2-126.8
133. Comme il a été mentionné précédemment, l’Adj Hachey a rédigé le sommaire de cas final pour cette affaire. L’ordre de la PM FC 2-126.7, intitulé « Rédaction de sommaires de cas et de sommaires de la poursuite », exige que chaque rapport sur l’événement général (EG) comprenne un sommaire de cas, et l’enquêteur principal est responsable de la préparation de ce sommaire. Le paragraphe 18 précise que les sommaires de cas doivent résumer brièvement l’incident faisant l’objet de l’enquête ainsi que les résultats de l’enquête. Non seulement ce sommaire de cas n’a-t-il pas été préparé par l’enquêteur principal, le Sgt Léonard, mais il ne mentionnait pas non plus les résultats de l’enquête.
134. Le paragraphe 2 de l’ordre de la PM FC 2-126.8, intitulé « Remarques finales », stipule que « [c]’est à l’enquêteur principal que revient la responsabilité de rédiger le CO [Remarques finales] ». Comme nous l’avons indiqué précédemment, le Sgt Léonard a été désigné comme enquêteur principal, et l’Adj Hachey, comme enquêtrice assistante, mais c’est elle qui a rédigé le sommaire du cas et les remarques finales de l’enquête, ce qui renforce les observations que j’ai formulées dans le présent rapport concernant la nécessité d’une bonne gestion du cas, car les rôles et les responsabilités n’étaient pas clairement définis. Une bonne gestion de cas aurait permis de veiller à ce que l’enquête soit menée de manière efficace et efficiente.
Recommandation n° 14 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes demande à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard de revoir les ordres de la police militaire des Forces canadiennes 2 126.7 (Rédaction de sommaires de cas et de sommaires de la poursuite) et 2-126.8 (Remarques finales) afin de renforcer leur connaissance des procédures appropriées pour la rédaction des sommaires de cas et des remarques finales dans le Système d’information – Sécurité et police militaire. (Acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Mesures à prendre. »
- Bien que la réponse de la GPFC manque de détails sur les mesures qui seront prises, compte tenu de la spécificité et de la portée limitée de la recommandation – à savoir demander à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard de revoir des ordres précis de la PM des FC – je la considère comme acceptée.
Recommandation n° 15 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes modifie les ordres de la police militaire des Forces canadiennes 2-126.7 (Rédaction de sommaires de cas et de sommaires de la poursuite) et 2-126.8 (Remarques finales) pour inclure un contrôle de la qualité obligatoire. Cette procédure doit exiger que le superviseur responsable vérifie officiellement et atteste électroniquement dans le Système d’information – Sécurité et police militaire que l’enquêteur principal désigné a personnellement rédigé le sommaire du cas et les remarques finales. (Partiellement acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Mesures à prendre. Les politiques et procédures de la PM sont à examiner et à mettre à jour, le cas échéant, en fonction des meilleures pratiques policières canadiennes. »
- Je considère cette recommandation comme partiellement acceptée. Bien que la GPFC ait indiqué que [traduction] « des mesures [seront] prises », la réponse demeure vague. Elle ne précise pas quelles politiques et procédures de la police militaire seront examinées et mises à jour. Le CPPM a recommandé une modification concrète — un contrôle de qualité obligatoire — à intégrer aux ordres 2-126.7 et 2-126.8 PM FC, mais ceux-ci ne sont pas mentionnés dans la réponse de la GPFC.
- L’affirmation de la GPFC selon laquelle les politiques et procédures de la PM seront examinées et mises à jour [traduction] « le cas échéant, en fonctions aux meilleures pratiques policières canadiennes » suggère une intention générale d’envisager des changements, mais ne confirme pas si la modification spécifique sera apportée ni si le processus de vérification et d’attestation sera mis en œuvre. Le langage conditionnel (« le cas échéant ») et l’absence de toute référence directe au mécanisme de contrôle de qualité indiquent que la réponse ne correspond que partiellement à la recommandation, plutôt que de constituer une acceptation claire et complète.
F. Affirmation selon laquelle la police militaire a tenté de construire un récit prédéterminé et de « [traduction] colmater des brèches » n’est pas étayée par les éléments de preuve
135. Je ne considère pas que cet aspect de l’allégation, à savoir que la PM a tenté de construire un récit prédéterminé et de « colmater des brèches » dans l’affaire, soit étayé par la preuve disponible.
136. Dans sa plainte, le Mgén (retraité) Fortin déclare ce qui suit :
[Traduction] L’enquêtrice semble avoir eu de multiples discussions téléphoniques avec X et avec l’une des personnes interrogées précédemment qui n’avait pas été témoins de l’incident allégué, à la suite de l’accusation portée le 18 août 2021, dans le but de construire un récit prédéterminé et d’essayer de « colmater les brèches » dans l’affaireNote de bas de page 63.
137. Lors de son entrevue avec les enquêteurs de la CPPM le 6 octobre 2023, le Mgén (retraité) Fortin a déclaré qu’il avait passé en revue de nombreuses heures d’entrevues du SNEFC avec X et d’autres témoins. Il a observé que l’Adj Hachey faisait parfois des commentaires tels que « [traduction] comme nous en avons discuté avant l’enregistrement ». Le Mgén (retraité) Fortin a soulevé des préoccupations quant au moment où ces déclarations officieuses ont été faites, déclarations qui n’ont pas été divulguéesNote de bas de page 64.
138. Le Mgén (retraité) Fortin a également exprimé des préoccupations au sujet du manque d’information qui leur a été fourni, à lui et à son avocat, ainsi que du manque apparent de coopération de la part du bureau de la procureure (qui est responsable de la divulgation). Le Mgén (retraité) Fortin a souligné qu’il avait reçu des chaînes de courriels au lieu de rapports et d’enregistrements, qu’il considérait comme des « bribes » de divulgation. Ce sont des préoccupations légitimes qui ont renforcé les soupçons du Mgén (retraité) Fortin selon lesquels la PM essayait de construire (et de divulguer) un récit prédéterminé.
139. Selon le Mgén (retraité) Fortin, certaines informations et discussions qui ont eu lieu pendant l’enquête du SNEFC n’ont pas été enregistrées ou notées, dans le but de « [traduction] colmater les brèches » et que X « [traduction] a été amenée à se souvenir de certains éléments de preuves ». Il a également relevé comme exemple de « [traduction] colmatage de brèches » une entrevue téléphonique enregistrée avec Mme M. par l’Adj Hachey. Il a expliqué qu’au cours de la conversation, l’enquêtrice tente de suggérer à Mme M. qu’elle était peut-être la colocataire de X avant la date qu’elle avait indiquée dans sa déclarationNote de bas de page 65.
Preuve concernant la date à laquelle X et Mme M. étaient colocataires : 1987 ou 1988
140. Comme il a été mentionné précédemment, le 13 octobre 2021, près de deux mois après le dépôt de l’accusation contre le Mgén (retraité) Fortin, l’Adj Hachey a mené une entrevue de suivi avec X pour discuter de la conversation qu’elle a eue avec le Bgén Cross au sujet de l’incident allégué.
141. L’Adj Hachey a noté dans son carnet de police qu’avant qu’elle et X n’entrent dans la salle d’entrevue, X lui avait dit qu’elle avait de nouvelles informations sur l’agression sexuelle présumée. L’Adj Hachey a répondu qu’il serait préférable d’en discuter « [traduction] devant la caméraNote de bas de page 66 », ce qui était la bonne chose à faire. L’ajout de cette information dans son carnet de notes lui a également permis de conserver une trace de ce dont elles avaient discuté.
142. Vers la fin de cette entrevue avec X, l’Adj Hachey lui a demandé si elle avait autre chose à ajouter, en faisant référence à une discussion qu’elles avaient eue avant le début de l’entrevue officielle. X a ensuite révélé que, grâce à une thérapie, de nouveaux détails « [traduction] venaient à être révélés » et que l’incident impliquant le Mgén (retraité) Fortin aurait pu se produire aussi tôt qu’en octobre 1987. Elle se demandait maintenant quand elle et Mme M. avaient été colocataires. À la suite de cette déclaration de X, il était raisonnable que l’Adj Hachey interroge à nouveau Mme M. pour confirmer la période de leur colocation. Le but de cette entrevue de suivi était de clarifier l’information et de recueillir des détails supplémentaires. Il s’agissait là d’une étape d’enquête raisonnable. Cela a également conduit l’Adj Hachey à demander les dossiers scolaires de X et du Mgén (retraité) Fortin pour déterminer le moment où ils étaient tous les deux au CMR. Il convient de noter que ces tâches n’ont pas été achevées avant janvier 2022.
143. Le 13 janvier 2022, l’Adj Hachey a envoyé un courriel à X lui demandant de préciser qui étaient ses colocataires au CMR entre 1987 et 1988 pour chaque session de cours. X a répondu qu’elle vérifierait ses albums scolaires, mais qu’elle était certaine que le Mgén (retraité) Fortin était dans sa deuxième année et qu’elle était dans sa première année au moment de l’incident allégué.
144. Le même jour (le 13 janvier 2022), l’Adj Hachey a mené une entrevue audio de moins de 14 minutes avec Mme M. afin de vérifier à quel moment elle avait été en colocation avec X au CMR. Mme M. a déclaré qu’elle se souvenait avoir été en colocation avec X de janvier à mai 1988. L’Adj Hachey lui a demandé s’il était possible qu’elles aient été colocataires plus tôt à l’automne 1987, c’est à dire de septembre à décembre 1987, et Mme M. a répondu « non ».
145. Au cours de cette entrevue avec Mme M., l’Adj Hachey lui a fait quelques commentaires au sujet des discussions qu’elles avaient eues avant l’entrevue. Comme il a été mentionné précédemment, le Mgén (retraité) Fortin a légitimement remis en question la raison pour laquelle il n’avait reçu aucune divulgation au sujet de ces conversations. De plus, l’Adj Hachey n’avait pas ajouté de notes dans le dossier d’enquête policière pour expliquer ce dont il avait été question. Comme il est indiqué dans les paragraphes précédents, il s’agit d’une lacune de l’enquête du SNEFC et une recommandation a été formulée à cet égard.
146. Bon nombre des mesures d’enquête prises après que le dépôt de l’accusation contre le Mgén (retraité) Fortin, soit le 18 août 2021, auraient dû être prises pendant la phase initiale de l’enquête.
147. Dans le cadre d’une enquête portant sur un incident ayant eu lieu plusieurs années auparavant, il n’est pas rare que certains renseignements soient inexacts en raison du passage du temps et de l’érosion naturelle ou du mélange des souvenirs. Dans le cadre de cette enquête, le bureau de la procureure n’a pas été en mesure de révéler les éléments de preuve auxquels il n’avait pas accès. L’absence de notes détaillées, de rapports ou d’enregistrements de certaines des entrevues menées par les enquêteurs du SNEFC RE représente une lacune dans leur enquête et reflète un manque de compétence quant à l’importance de mener une enquête approfondie et bien documentée. Cependant, je ne considère pas que ces lacunes, selon la prépondérance des probabilités, constituent une tentative de « [traduction] colmater des brèches » dans l’affaire ou d’établir un récit prédéterminé.
Conclusion n° 1 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire conclut que, selon la prépondérance des probabilités, les enquêteurs du SNEFC RE n’ont pas mené une enquête approfondie et rigoureuse (dossier de l’événement général 2021 5656) sur la plainte d’agression sexuelle déposée contre le Mgén (retraité) Fortin, et que leur enquête souffrait de vision en tunnel et présentait des signes de partialité.
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : [traduction] « Aucune mesure identifiable requise. »
Question n° 2 : L’enquête du SNEFC RE a-t-elle été influencée par des considérations externes ?
148. Les éléments de preuve dont je dispose ne permettent pas de conclure que des considérations externes ont influencé l’enquête du SNEFC. Voici pourquoi.
149. Au moment où l’allégation d’agression sexuelle a été faite contre lui, le Mgén (retraité) Fortin, un officier supérieur des FC, avait été détaché à l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) à titre de vice-président de la logistique et des opérations. À ce titre, il a dirigé la distribution du vaccin contre la COVID 19 au Canada. L’enquête du SNEFC et les poursuites engagées contre lui ont été largement relayées par les médias nationaux, tout comme son retrait simultané, en mai 2021, du groupe de travail sur la distribution du vaccin contre la COVID 19 de l’ASPC.
150. Dans sa plainte, le Mgén (retraité) Fortin affirme qu’il existe actuellement un « mantra » au sein des Forces canadiennes, à savoir « [traduction] Nous croyons les victimes », ce qui, à son avis, a eu une influence importante sur l’enquête du SNEFCNote de bas de page 67. Il affirme que l’enquête du SNEFC a été motivée « [traduction] en partie par la pression politique et publique importante » visant à s’assurer que les Forces canadiennes et le SNEFC étaient perçus comme « faisant quelque chose » contre plusieurs officiers supérieurs des Forces canadiennes qui faisaient alors l’objet d’une enquête pour inconduite sexuelle.
151. Pour évaluer si des considérations externes ont influencé l’enquête, j’ai examiné des centaines de pages de documents liés à cet aspect des allégations du Mgén (retraité) Fortin, ainsi que plusieurs heures d’enregistrements audio et vidéo d’entrevues. Les enquêteurs de la CPPM ont interrogé plusieurs témoins clés, dont le Mgén (retraité) Fortin, afin de recueillir des renseignements et des preuves.
152. Le 6 octobre 2023, les enquêteurs de la CPPM ont interrogé le Mgén (retraité) Fortin, qui a déclaré ce qui suit dès le départ :
« Donc, lorsqu’une allégation a été faite à mon endroit et puis qu’on m’a averti le 17 mars 2021, je me doute que c’est très politisé, mais c’est seulement lorsque certains documents m’ont été fournis que j’ai vu à quel point il y avait toute cette magouille, cette manigance en arrière […]
Et puis je vais terminer en disant que les deux histoires sont un peu mêlées : le fait que j’ai été relevé de l’agence santé publique et puis que j’accuse le gouvernement de m’avoir relevé sans "[traduction] l’application régulière de la loi, la présomption d’innocence" […] et puis qu’on est allé avec "[traduction] une seule allégation historique" et puis qu’on a détruit la carrière de quelqu’unNote de bas de page 68. » (gras de l’auteur)
153. Lorsque les enquêteurs de la CPPM lui ont demandé s’il avait des preuves précises que la décision de l’inculper était motivée par des enjeux politiques, le Mgén (retraité) Fortin a répondu par la négative. Il a ajouté qu’il ne s’attendait pas à ce qu’une telle ingérence soit ouvertement documentée nulle part, soulignant que la plupart des notes disponibles des cadres supérieurs des Forces canadiennes avaient été caviardéesNote de bas de page 69.
154. Le 25 octobre 2023, le Mgén (retraité) Fortin a fourni à la CPPM une copie du « dossier certifié du tribunalNote de bas de page 70 » de son procès pour agression sexuelle, qui contient des extraits des carnets du Gén (alors Lgén) Eyre, CEMD par intérim, et du Bgén (retraité) Mulawyshyn, chef d’état-major du CEMD, au moment de l’incident.
Examen des notes de police et d’autres notes
155. Selon les notes des enquêteurs du SNEFC RC, soit la Lt McMillan et le M 2 McLachlan, une réunion a eu lieu le 17 mars 2021 avec plusieurs officiers supérieurs du SNEFC au cours de laquelle l’enquête a été discutée. Cette rencontre a eu lieu moins d’une semaine après la réception de la plainte contre le Mgén (retraité) Fortin au SNEFC. Les notes du M 2 McLachlan sur la réunion du 17 mars 2021 indiquent que le GPFC avait informé le CEMD par intérim de l’enquête, qui devait ensuite informer le sujet.
156. Ni les notes de police de la Lt McMillan ni celles du M 2 McLachlan ne mentionnent de pression externe concernant la conduite de l’enquête. Selon les notes, le Maj Eric Périard (cmdtA du SNEFC), le Maj Charles Neufeld (commandant d’officier du SNEFC RC), l’Adj Warren Groeneveld (chef de l’équipe A du SNEFC RC) et l’inspecteur Pallister de la GRC ont également assisté à la réunion.
157. Pendant son EIP, la CPPM a demandé au Bureau des NP de divulguer une copie de toutes les notes prises par les participants à la réunion du 17 mars 2021, ainsi qu’une copie de toutes les notes relatives à l’enquête du SNEFC. Le Bureau des NP a répondu en indiquant que le Maj (maintenant Lcol) Périard avait répondu qu’il n’avait pas de notes concernant cette réunion. Les notes de l’inspecteur Pallister ont été fournies et examinées. Bien qu’il y ait une entrée pour le 17 mars 2021, les notes sont composées de quelques mots, ne contiennent aucune information détaillée sur la réunion ou l’enquête du SNEFC, et ne font aucune mention de pression externe.
158. En ce qui concerne les notes de police du Maj Neufeld et de l’Adj Groeneveld, le Bureau des NP a initialement informé la CPPM en mai 2024 que ces derniers avaient tous deux été libérés des FC et que le bureau du GPFC n’avait donc pas accès à ces renseignements. À la suite d’une demande de précisions, en juillet 2025, concernant la période de conservation des carnets des membres retraités de la PM ainsi que l’endroit où les carnets des membres du SNEFC sont conservés après leur retraite, le Bureau des NP a répondu qu’ils sont conservés par le responsable des pièces à conviction de l’unité de la PM (en l’occurrence le SNEFC), et ce, pendant au moins sept ans après la conclusion d’une enquête judiciaire ou administrative active conformément à l’ordre de la PM FC 2-301, intitulé « Notes de la police ». Cet ordre contient des directives sur les cahiers de notes de la police. Le Bureau des NP a ensuite indiqué qu’il avait contacté le SNEFC RC pour savoir si les cahiers du Maj Neufeld et de l’Adj Groeneveld s’y trouvaient, ce à quoi le SNEFC a répondu qu’« [traduction] il ne semblait pas y avoir de notes pour le Maj Neufeld et l’Adj Groeneveld. »
159. Je souligne qu’au lieu d’informer la CPPM que les notes n’étaient pas détenues par le bureau du GPFC, le Bureau des NP aurait dû communiquer avec l’unité du SNEFC lorsque la CPPM a initialement fait la demande en avril 2024. En outre, la réponse de la PM concernant les carnets de note de la police de ces deux membres retraités est préoccupante. L’ordre de la PM FC 2-301 requiert que tous les membres de la PM qui exercent des fonctions policières conservent et tiennent à jour un carnet de notes de la police pour refléter leur participation dans les enquêtes policières ainsi que les tâches qui en découlentNote de bas de page 71. Il est étonnant qu’il n’y ait pas de notes pour le Maj Neufeld et l’Adj Groeneveld compte tenu de la politique de la PM et de la période de rétention de sept ans.
Recommandation no 16 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes s’assure que la politique concernant les « notes de la police » soit mise à jour pour que les carnets de police soient conservés lorsque les membres de la police militaire prennent leur retraite des Forces canadiennes. (Non acceptée par la GPFC)
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Mesures déjà prises. La politique/procédures de la PM traitent actuellement de cette question. »
- Je ne considère pas cette recommandation comme acceptée. Bien que la GPFC ait reconnu la recommandation, la réponse manque de détails et ne précise pas quelles politiques et procédures de la police militaire traitent actuellement la question.
- Cette décision a conclu que l’ordre PM FC actuel n’a pas été respecté en pratique, puisque les notes policières du Maj Neufeld et de l’Adj Groeneveld n’ont pas été conservées à leur départ à la retraite, contrairement à la politique de la PM qui exige une période de conservation de sept ans. Afin de renforcer la responsabilisation et d’assurer le respect constant des procédures appropriées, l’ordre concernant les notes de la police devrait être mis à jour comme recommandé.
160. La CPPM a également demandé au Bureau des NP de divulguer une copie des notes du Bgén Trudeau, du Gén Eyre et du Bgén (retraité) Mulawyshyn concernant une réunion à laquelle ils ont assisté le 19 mars 2021, au cours de laquelle il a été question de l’enquête du SNEFC, ainsi que tout document en leur possession concernant cette enquête. Le Bgén Trudeau a fourni trois pages de notes manuscrites concernant deux réunions qu’il a eues avec le Gén Eyre, le 19 mars 2021 et le 25 mars 2021. Le Gén Eyre et le Bgén (retraité) Mulawyshyn ont tous deux déclaré lors de leur entrevue avec la CPPM que les notes contenues dans le dossier certifié du tribunal représentaient toutes les notes qu’ils avaient sur l’affaire.
Informations fournies lors des entrevues de la CPPM
161. Les témoins clés ont fourni les renseignements suivants concernant l’allégation selon laquelle des considérations externes avaient influencé l’enquête du SNEFC. Tous les témoins ont été jugés crédibles, car leurs récits étaient directs, détaillés, sans contradictions ni incohérences. Leur version des faits concordait également avec les éléments de preuve.
162. La CPPM a passé en entrevue le Bgén (retraité) Mulawyshyn le 22 mai 2024. Il a expliqué que lorsqu’une telle allégation était faite contre un officier supérieur, son rôle était d’accompagner le CEMD, d’être sa deuxième paire d’oreilles, un appui pour sa réflexion et son conseiller, de prendre des notes et de représenter les intérêts du CEMD. Il ne se souvient d’aucune directive à l’époque qui aurait pu influencer l’enquête du SNEFC.
163. La CPPM a passé en entrevue la sous-ministre (SM) [retraitée] Jody Thomas le 6 juin 2024. Elle a décrit ouvertement l’environnement au sein des FC de l’époque, indiquant que de nombreux cadres et officiers supérieurs militaires faisaient l’objet d’allégations d’inconduite sexuelle, et que les FC, en tant qu’institution, étaient « [traduction] sous le choc ». Elle a déclaré avoir pris connaissance de l’allégation contre le Mgén (retraité) Fortin le 19 mars 2021. Le SNEFC ne l’en a pas informée. Elle pense avoir entendu parler de l’allégation par le biais des Affaires publiques ou du CEMD. Elle en a informé le greffier du Conseil privé, car le Mgén (retraité) Fortin occupait un poste important, très élevé et à grande visibilité. Elle croit que le ministre a été informé par le président de l’ASPC de l’époque. Elle n’a reçu aucune information du GPFC ou du SNEFC au cours de l’enquête. Elle a posé des questions sur l’affaire, mais n’a reçu aucune information et ne savait donc pas grand-chose de l’enquête. Elle a ajouté que ses questions n’avaient pas pour but d’influencer ou de diriger l’enquête, ce qui, selon elle, aurait constitué une ingérence, mais qu’il était de son devoir d’être informée. À sa connaissance, aucun membre du gouvernement, y compris elle-même, n’a donné de directives ou de conseils aux FC ou au bureau du procureur de la Couronne concernant l’enquête du SNEFC ou la décision d’inculper ou de poursuivre le Mgén (retraité) Fortin.
164. La CPPM a passé en entrevue le Gén Eyre le 16 juin 2024. Il a dit aux enquêteurs de la CPPM qu’il savait peu de choses sur l’enquête du SNEFC, puisqu’il avait gardé ses distances. Il a également déclaré que la plupart de ses notes portaient sur des mesures administratives qui pouvaient être prises à l’époque relativement à l’emploi du Mgén (retraité) Fortin.
165. Les enquêteurs de la CPPM ont passé en entrevue le Bgén Trudeau le 10 octobre 2024. Il a déclaré qu’il n’avait jamais senti de pression de la part du CEMD pour faire ou ne pas faire quoi que ce soit concernant une allégation ou une enquête. À sa connaissance, il n’y a eu aucune influence politique sur l’enquête du Mgén (retraité) Fortin ou sur les poursuites intentées contre lui. Il ne l’aurait pas permis.
166. Le Capt Paré a dit aux enquêteurs de la CPPM que son unité n’avait reçu aucune communication externe ni pression de la part des Forces canadiennes ou du gouvernement concernant l’enquête. Il a ajouté que l’Adj Hachey a peut-être ressenti une certaine pression, étant donné qu’il s’agissait de l’une de ses premières enquêtes sur les agressions sexuelles, mais qu’elle était une personne qui ne devenait pas facilement nerveuse et gérait bien le stress.
167. L’Adjum Parent a dit à la CPPM qu’il ne se souvient d’aucun membre des Forces canadiennes ou du gouvernement qui aurait contacté son unité au sujet de l’enquête et tenté de diriger ou d’influencer l’enquête.
168. Me Legault, la procureure qui a engagé des poursuites contre le Mgén (retraité) Fortin, a déclaré lors de son entrevue avec la CPPM, le 12 novembre 2024, que la police, soit les enquêteurs du SNEFC, n’a pas tenté d’influencer sa décision d’inculper ou de poursuivre le Mgén (retraité) Fortin.
Examen des notes dans le dossier certifié du tribunal avec des témoins clés
169. Les notes personnelles incluses dans le dossier certifié du tribunal ont été examinées avec le Gén Eyre, le Bgén (retraité) Mulawyshyn et le Bgén Trudeau ainsi que la SM (retraitée) Thomas lors de leur entrevue avec la CPPM. Les notes sont reproduites ci-dessous, en partie, pour aider le lecteur à comprendre les commentaires subséquents fournis par ces témoins.
170. Comme il a été mentionné précédemment dans le présent rapport, tous les témoins étaient crédibles et ont répondu ouvertement aux questions de la CPPM. Au cours de leurs entrevues avec la CPPM, ils ont déclaré que les notes et les commentaires découlaient de discussions sur le rôle à haute visibilité du Mgén (retraité) Fortin au sein de l’ASPC à l’époque et sur la meilleure façon de naviguer dans ce rôle à la lumière de la plainte au contre lui. Bien que des renseignements sommaires aient été communiqués sur la nature de la plainte, les détails de l’enquête elle-même n’ont pas été mentionnés.
171. En ce qui concerne ses notes faisant référence à la « SM », le Gén Eyre a déclaré que la SM avait alors exprimé des préoccupations quant à la façon dont le public pourrait réagir à la plainte contre le Mgén (retraité) Fortin, étant donné son poste important à haute visibilité au niveau national dans la distribution du vaccin. Ses commentaires étaient de nature administrative et n’avaient rien à voir avec l’enquête criminelle. De même, sa note sur la « pression politique » découlait d’une discussion au cours de laquelle ils étaient en train d’échanger des idées sur ce qui se passerait si le Mgén (retraité) Fortin était retiré de son poste. La pression concernait surtout la question suivante : « Serait-il mieux de le changer de poste ou de le laisser dans son poste actuel? »
172. En ce qui concerne la note sur la communication avec le commissaire de la GRC, le Gén Eyre a indiqué que, s’il se souvient bien, il se demandait quels renseignements d’autres services de police pourraient partager avec leur quartier général pour des considérations ou des mesures administratives. Quoi qu’il en soit, le GPFC était « [traduction] assez catégorique concernant l’intégrité de l’enquête » et n’a divulgué aucun détail.
173. Les commentaires du Bgén Mulawyshyn concernant les notes du dossier certifié du tribunal étaient similaires à ceux du Gén Eyre. Il a également fait les commentaires suivants : Puisque le Mgén (retraité) Fortin avait été détaché à l’ASPC au moment des allégations, les décisions n’étaient pas de nature purement militaire et toutes les parties auraient dû être impliquées. Des discussions ont eu lieu au sujet de la distribution du vaccin au plus fort de la pandémie de COVID 19, et à un moment où la confiance des Canadiens envers le gouvernement était ébranlée. C’est à ça que faisait référence l’inscription « optique politique » dans ses notes.
174. Le Bgén Trudeau a indiqué que la référence dans les notes du Gén Eyre à « une pression croissante sur nous d’agir » était liée à la pression sur les FC d’intervenir. Elle ne visait pas l’enquête criminelle, et c’est d’ailleurs ce qui explique la mention que l’enquête ne devait pas être précipitée.
175. La SM (retraitée) Thomas a indiqué qu’elle était « [traduction] de plus en plus inquiète » de la confiance du gouvernement envers le ministère et de ce qui se passait au sein des Forces canadiennes, tant d’un point de vue extérieur que du point de vue des subordonnés des Forces canadiennes, et de leur confiance en leurs supérieurs. Selon elle, aucune des notes qui la mentionnaient dans le dossier certifié du tribunal n’avait quoi que ce soit à voir avec l’enquête du SNEFC.
176. La CPPM reconnaît qu’il y a eu des préoccupations concernant une ingérence potentielle dans l’enquête du SNEFC, ce qui justifie cet examen minutieux. Cependant, d’après un examen de tous les renseignements obtenus au cours de cette EIP, y compris les notes de la police, les témoignages et les entrées dans le dossier certifié du tribunal du Mgén (retraité) Fortin, la preuve ne permet pas de conclure que des considérations externes ont influencé de façon inappropriée l’enquête du SNEFC. Bien que les cadres et officiers supérieurs du MDN aient posé des questions au sujet de l’enquête, la preuve indique que ces questions n’avaient pas pour but d’influencer son résultat, et rien n’indique qu’elles aient eu un tel effet.
Conclusion n° 2 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire conclut que, selon la prépondérance des probabilités, aucune considération externe n’a influencé l’enquête du SNEFC RE (dossier de l’Événement général 2021-5656) sur la plainte d’agression sexuelle déposée contre le Mgén (retraité) Fortin.
- Dans la notification, la GPFC a indiqué ce qui suit : « [traduction] Aucune mesure identifiable requise. »
Observations finales
177. La présente enquête d’intérêt public a mis en évidence de graves lacunes dans la conduite de l’enquête du SNEFC sur la plainte contre le Mgén (retraité) Fortin. Bien que la preuve n’appuie pas l’allégation d’influence externe indue, elle révèle une enquête compromise par une vision en tunnel, un manque de supervision et un manquement au respect des principes fondamentaux d’enquête. Il ne s’agit pas d’erreurs administratives mineures, mais de défaillances qui risquent de compromettre l’intégrité du système de justice militaire ainsi que la confiance du public.
178. Les conclusions et recommandations du présent rapport visent donc non seulement à corriger les lacunes précises des membres en question, mais aussi à remédier aux faiblesses systémiques au sein du SNEFC qui ont permis à ces défaillances de se produire. La véritable responsabilisation nécessite à la fois un apprentissage individuel et une réforme institutionnelle. Cependant, les réponses de la GPFC aux recommandations de la CPPM étaient laconiques et manquaient de clarté ou de détails nécessaires pour démontrer un engagement réel à les mettre en œuvre, ce qui soulève des préoccupations quant à l’engagement de l’organisation d’apporter des changements significatifs. Il est impératif que la GPFC mette rapidement en œuvre ces recommandations pour s’assurer que toutes les enquêtes futures sont menées selon les normes élevées de rigueur, d’impartialité et de professionnalisme auxquels s’attendent les Canadiennes et Canadiens et que méritent les membres des Forces canadiennes.
Ⅳ Résumé des conclusions et des recommandations
Conclusion n° 1 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire conclut que, selon la prépondérance des probabilités, les enquêteurs du SNEFC RE n’ont pas mené une enquête approfondie et rigoureuse (dossier de l’événement général 2021 5656) sur la plainte d’agression sexuelle déposée contre le Mgén (retraité) Fortin, et que leur enquête souffrait de vision en tunnel et présentait des signes de partialité.
Conclusion n° 2 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire conclut que, selon la prépondérance des probabilités, aucune considération externe n’a influencé l’enquête du SNEFC RE (dossier de l’Événement général 2021-5656) sur la plainte d’agression sexuelle déposée contre le Mgén (retraité) Fortin.
Recommandation n° 1 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes donne les instructions formelles suivantes à tous les enquêteurs de la police militaire, et en particulier à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard :
- Toutes les entrevues d’enquête, qu’elles soient menées en personne, par téléphone ou par vidéoconférence, doivent être enregistrées.
- Lorsque l’enregistrement n’est pas possible, une justification claire et documentée doit être incluse dans le dossier d’enquête.
- Les superviseurs doivent évaluer ces justifications dans le cadre de leurs responsabilités de surveillance. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 2 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes prenne des mesures supplémentaires pour s’assurer que les membres de la police militaire documentent systématiquement dans les dossiers d’enquête tous les exercices de pouvoir discrétionnaire importants, y compris les raisons pour lesquelles un témoin potentiel n’a pas été interrogé, et que cette documentation fasse l’objet d’un examen par un superviseur. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 3 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes exige que les enquêteurs de la police militaire préparent des résumés ou des transcriptions d’entrevues complets, exacts et détaillés. Ces documents doivent clairement indiquer les faits essentiels, les témoins potentiels et les pistes d’enquête, et être correctement documentés et annotés dans le dossier d’enquête. Cette pratique doit être imposée comme norme de responsabilité en matière d’enquête et faire l’objet de l’examen régulier par un superviseur. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 4 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes mette en œuvre des mesures supplémentaires s’assurer que les superviseurs de tous les niveaux documentent systématiquement leurs observations et leurs directives dans le Système d’information – Sécurité et police militaire, sous le titre « Commentaires du superviseur » dans chaque dossier d’enquête. Ces entrées doivent comprendre des directives claires, précises et applicables pour les enquêteurs, conformément à l’ordre 2-500 de la Police militaire des Forces canadiennes, afin de renforcer la responsabilisation, d’assurer une supervision significative et de préserver l’intégrité du processus d’enquête. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 5 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes élabore et mette en œuvre une politique officielle qui définit clairement les situations et les infractions nécessitant une gestion des cas graves. Cette politique doit garantir que tous les membres de la police militaire reçoivent une formation continue sur la gestion des cas graves tout au long de leur carrière. (Non acceptée)
Recommandation n° 6 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes élabore et mette en œuvre un programme structuré de mentorat et de développement du leadership pour les enquêteurs de la police militaire, en mettant particulièrement l’accent sur les enquêtes complexes et délicates. Bien que la pratique actuelle consistant à détacher des policiers expérimentés provenant de services de police civils offre un soutien précieux, ce programme devrait officialiser et élargir les possibilités de mentorat, en s’appuyant à la fois sur des policiers civils détachés et sur des membres expérimentés de la police militaire. Le programme devrait comprendre des critères de sélection clairs pour les mentors, des rôles et des attentes formels ainsi que des mécanismes pour assurer la continuité entre les affectations. Il devrait être appuyé par une politique écrite et faire l’objet d’un suivi quant à son impact sur la qualité des enquêtes, la cohérence et le transfert des connaissances institutionnelles. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 7 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes mette en œuvre une formation obligatoire et continue, sur les enquêtes tenant compte des traumatismes pour tous les membres du SNEFC qui mènent des enquêtes dont les plaignants pourraient avoir subi des traumatismes. Cette formation devrait comprendre de l’information sur les effets des traumatismes sur la mémoire, la distinction entre la crédibilité et la fiabilité, et la façon d’aborder les incohérences lors des entrevues d’une manière qui soit à la fois impartiale et fondée sur des données probantes. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 8 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes établisse des protocoles d’enquête clairs pour guider les membres du SNEFC dans la façon de documenter, de soulever et d’évaluer les incohérences dans les déclarations des plaignants. Ces protocoles devraient contribuer à garantir que les divergences sont examinées de manière impartiale et qu’elles sont traitées de manière appropriée avant d’envoyer des affaires aux procureurs. Toutes ces évaluations devraient être documentées dans le dossier d’enquête afin de favoriser la transparence et la surveillance. (Non acceptée)
Recommandation n° 9 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes rappelle à tous les membres de la police militaire, mais en particulier à l’Adj Hachey, leur obligation de s’assurer que tous les courriels liés à une enquête en leur possession sont rapidement numérisés et ajoutés dans le dossier d’enquête en question dans le Système d’information – Sécurité et police militaire. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 10 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes rappelle aux enquêteurs du SNEFC, et en particulier à l’Adj Hachey, qu’ils sont tenus d’obtenir tous les éléments de preuve potentiellement probants, y compris les notes contemporaines des plaignants et des témoins, le plus tôt possible au cours d’une enquête. (Acceptée)
Recommandation n° 11 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes ordonne à tous les membres de la police militaire d’identifier et de documenter dans le dossier d’enquête toute divergence dans les déclarations susceptibles de révéler de nouvelles pistes d’enquête. Les directives ou les décisions des superviseurs liées à ces divergences doivent également être clairement documentées afin de soutenir la responsabilisation et la surveillance. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 12 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes mette en œuvre une formation ciblée pour tous les membres de la police militaire sur les préjugés inconscients, les biais cognitifs et la vision en tunnel, en accordant une attention particulière au renforcement de l’objectivité de l’enquête et de la pensée critique dans la prise de décision. Les membres de la police militaire visés par la plainte devraient être tenus de participer à cette formation. La formation devrait outiller les membres à détecter, à évaluer de façon critique et à atténuer les effets de ces préjugés tout au long du processus d’enquête afin de maintenir l’impartialité, de préserver l’intégrité de l’enquête et de respecter les normes professionnelles de police. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 13 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes fournisse à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard une formation de mise à jour sur les entrevues de témoins et les techniques d’entrevue. (Acceptée)
Recommandation n° 14 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes demande à l’Adj Hachey et au Sgt Léonard de revoir les ordres de la police militaire des Forces canadiennes 2 126.7 (Rédaction de sommaires de cas et de sommaires de la poursuite) et 2-126.8 (Remarques finales) afin de renforcer leur connaissance des procédures appropriées pour la rédaction des sommaires de cas et des remarques finales dans le Système d’information – Sécurité et police militaire. (Acceptée)
Recommandation n° 15 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes modifie les ordres de la police militaire des Forces canadiennes 2-126.7 (Rédaction de sommaires de cas et de sommaires de la poursuite) et 2-126.8 (Remarques finales) pour inclure un contrôle de la qualité obligatoire. Cette procédure doit exiger que le superviseur responsable vérifie officiellement et atteste électroniquement dans le Système d’information – Sécurité et police militaire que l’enquêteur principal désigné a personnellement rédigé le sommaire du cas et les remarques finales. (Partiellement acceptée)
Recommandation n° 16 :
La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire recommande que la Grande Prévôt des Forces canadiennes s’assure que la politique concernant les « notes de la police » soit mise à jour pour que les carnets de police soient conservés lorsque les membres de la police militaire prennent leur retraite des Forces canadiennes. (Non acceptée)
Ottawa, le 27 novembre 2025
Document original signé par :
Me Tammy Tremblay, M.S.M., C.D., LL.M.
Présidente
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