Troisième examen des modifications de la Loi sur la défense nationale, en application de l'article 273.601 de ladite loi : Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire présentations à l'autorité d'examen indépendante

Date : le 7 janvier 2021

TABLE DES MATIÈRES

  1. AVANT-PROPOS
  2. INTRODUCTION
  3. NOS PROPOSITIONS
    1. ACCÈS ACCRU À L’INFORMATION
      1. Introduction
      2. Exigences en matière de divulgation de documents
      3. Accès aux témoins : élargissement du pouvoir d’assignation
      4. Accès aux renseignements sensibles
      5. Accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat
      6. Assouplir certaines restrictions sur la preuve dans les audiences d’intérêt public
      7. Ajout de la CPPM à l’annexe II du Règlement sur la protection des renseignements personnels
    2. DES PROCÉDURES PLUS ÉQUITABLES ET EFFICACES
      1. Introduction
      2. Pouvoir d’identifier et de classer les plaintes
      3. Droit de révision accordé à ceux faisant l’objet d’une plainte pour inconduite
      4. Élargir le processus de plainte à tous ceux affectés à des postes de la police militaire
      5. Élargir la disponibilité du règlement à l’amiable
      6. Délais de demande en révision et de communication de la notification
      7. Plaintes déposées par le président
      8. Pouvoirs discrétionnaires supplémentaires de régler des plaintes
      9. Prolongation du mandat des membres portant sur des cas en cours
      10. Élargir la portée des plaintes pour ingérence
      11. Le GPFC fait rapport au CPPM de la mise en œuvre des recommandations
      12. Consultation législative avec la CPPM
    3. INDÉPENDANCE DE LA POLICE MILITAIRE
      1. Rapports hiérarchiques GPFC-VCEMD
  4. LISTE DES PROPOSITIONS
  5. ANNEXE A - TABLEAU DU PROCESSUS DE TRAITEMENT DES PLAINTES
  6. ANNEXE B - RÉPONSE DU GOUVERNEMENT À LA PÉTITION
  7. ANNEXE C - OBSERVATIONS DE LA CPPM EN CE QUI CONCERNE LE PROJET DE LOI C‑15

AVANT-PROPOS

La Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire (Commission ou CPPM) salue cette occasion de participer au troisième examen de la Loi sur la défense nationale (LDN), réalisé maintenant sous l’autorité de l’article 273.601 de la Loi. Établie par les modifications de la Loi sur la défense nationale de 1998 (L.C. 1998, ch. 35), qui s’inscrivaient tout d’abord dans le projet de loi C-25 de la 1re session de la 36e législature du Canada, la CPPM est une intervenante importante qui possède une expérience directe de l’application de la législation, en particulier pour ce qui est du régime des plaintes contre la police militaire que crée la partie IV de la Loi. Le contexte de la création de la Commission ainsi que son mode de fonctionnement actuel sont présentés dans le document d’accompagnement intitulé « Foundational briefing » (Information de base).

Au cours des deux dernières décennies, la manière dont le public conçoit l’application de la loi, et sa compréhension de la nécessité d’établir des régimes de surveillance solides, ont considérablement évolué. De tels changements sont souvent survenus à la suite d’enquêtes publiques sur des événements précis et controversés, comme l’enquête Braidwood de la Colombie-Britannique sur le décès par pistolet électrique (Taser) de Robert Dziekanski à l’aéroport international de Vancouver en 2008-2010; et l’enquête fédérale de 2004-2006, menée par le juge O’Connor, sur le rôle des agents de la sécurité nationale de la GRC dans l’extradition de Maher Arar par les États‑Unis vers la Syrie, ainsi que les sévices et tortures qu’il a subis de la part des autorités syriennes (enquête Arar). Plus récemment, des épisodes controversés concernant l’utilisation de la force par la police ont suscité de fortes réactions sociales et politiques, en particulier aux États-Unis, mais aussi, et de plus en plus, chez nous. Le mouvement « Black Lives Matter » (La vie des Noirs compte) en est peut-être l’exemple le plus marquant.

Le régime législatif pour les plaintes à l’encontre de la police militaire (PM) prévu à la partie IV de la Loi sur la défense nationale s’inspire largement du régime des plaintes du public contre les membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) aux parties VI et VII de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la GRC). En 2013 toutefois, ultérieurement au dernier examen indépendant de la LDN, la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada a considérablement remanié la Loi sur la GRCNote 1 et constitue un élément important de la réponse du gouvernement du Canada aux recommandations de l’enquête Arar.

Les organes de surveillance dans d’autres domaines, comme le Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada, créé en 2007, ont également reçu de solides pouvoirs leur permettant d’exécuter leurs mandats.

La CPPM a aujourd’hui plus de 20 ans. Les deux décennies qui ont suivi sa création, les provinces aussi bien que le gouvernement fédéral ont créé de nouveaux organes indépendants de surveillance de la police, ou les ont considérablement remaniés. Invariablement, ces nouveaux organes ont dépassé la CPPM en termes de pouvoir de surveillance. Tandis que se poursuivent les réformes et les changements dans la surveillance, la CPPM accuse un retard croissant, en même temps que ses pouvoirs légaux, relativement modestes, deviennent de plus en plus dépassés.

INTRODUCTION

Difficultés propres au processus de plainte concernant la police militaire

Le processus de traitement des plaintes pour inconduite de policiers militaires est mixte, soit interne et externe. Le Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC) est le premier responsable du traitement d’une plainte. Si un plaignant est insatisfait du résultat d’une enquête des Normes professionnelles du GPFC, il peut demander un examen par la Commission, organisme d’examen civil sans affiliation policière ou militaire, excepté qu’elle rend compte au Parlement par l’intermédiaire du ministre de la Défense nationale. L’examen de la Commission peut aller au-delà de l’examen du caractère adéquat de l’enquête interne de la police et constituer une enquête de novo. À la réception du rapport provisoire de la Commission, la seule obligation légale imposée aux autorités de la police militaire est de répondre à ses conclusions et recommandations, et de fournir les raisons pour n’y pas donner suite si ces autorités décidaient de ne pas les appliquer.

Ce modèle de contrôle commun, interne et externe, a été recommandé en 1997 par l’ancien juge en chef Brian Dickson qui, à l’issue de l’enquête sur la Somalie, a dirigé un groupe consultatif spécial mis sur pied pour examiner les problèmes cernés et recommander des réformes du système de justice militaire. Le rapport déclare entre autres ce qui suit :

« À l’heure actuelle, la tendance dans les services de police du monde entier est d’adopter un processus de contrôle combinant un mécanisme d’examen interne et un mécanisme d’examen externe. Pour qu’un chef de police soit tenu responsable, il doit d’abord avoir eu la possibilité de régler le conflit à l’interne. Cela lui permet de décider de la priorité à attribuer aux ressources d’enquête; et il peut s’appuyer sur des enquêteurs internes qui connaissent à fond l’organisation policière. Il est d’une importance capitale que le service de police puisse imposer la discipline à ses membres en leur faisant comprendre et en faisant comprendre au public que l’inconduite ne sera pas tolérée. Il est également essentiel de disposer de moyens indépendants de vérification pour que le système de justice militaire jouisse de confiance et de respect. »

En outre, ce modèle reconnaît que la police militaire, contrairement aux services de police civile, est un service policier qui s’inscrit dans une organisation hiérarchique plus large, à savoir les Forces armées canadiennes. Cela signifie que le régime de surveillance, faisant partie de la force militaire, doit prendre acte que la chaîne de commandement de la police militaire est responsable des questions de rendement et de discipline dans une plus grande mesure que ses homologues de la police civile. Cela implique l’assujettissement à un système pénal interne distinct, sous la forme du Code de discipline militaire (à la partie III de la LDN), qui peut infliger des peines criminelles véritables à tous les membres des forces armées. De plus, le GPFC est chargé de faire respecter le Code de déontologie de la police militaire, et c’est lui qui contrôle ou conserve les titres de compétence de la police militaire.

Il serait anormal, dans ce contexte militaire, qu’un organisme civil dirige et discipline des policiers militaires dans l’exercice de leurs fonctions.

La situation s’apparente à celle de la GRC et de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP). Toute plainte visant un membre de la GRC est d’abord traitée par la GRC elle-même. Si le plaignant est insatisfait du règlement de sa plainte, il peut la soumettre à la CCETP pour examen. La GRC se considère depuis toujours comme une organisation paramilitaire, dotée d’une structure de commandement semblable à celle des militaires. Elle avait également son propre code pénal interne qui imposait de véritables peines pénales.Note 2 Ce n’est que récemment que la GRC a été autorisée à se syndiquer, à l’instar de ses homologues provinciaux et municipaux. De tout temps, l’un des rôles de la GRC est celui de police de réserve en cas de grève de la police locale. Ainsi, pour des raisons analogues à celles de la police militaire, le système de plainte de la GRC est également en deux étapes, les plaintes étant d’abord traitées à l’interne et seulement ensuite renvoyées à un organisme civil externe, qui ne fait que formuler des recommandations.

Cette double procédure interne/externe de plainte, prévue à la partie IV, n’est toutefois pas exempte de difficultés.

La question de compétence est omniprésente au stade de la réception des plaintes, de la planification et conduite de toute enquête, ainsi que de la rédaction de nos rapports. Aucun autre organe de surveillance de la police ne connaît cette difficulté, soit un processus de plainte et une surveillance externe applicables à certaines fonctions seulement des membres de la police sous sa supervision. Cela dit, au bout de vingt ans, la CPPM et le GPFC sont parvenus à démêler de nombreuses zones d’ombre dans la répartition des compétences. Mais le dialogue, et quelques désaccords, se poursuivent. C’est pourquoi la CPPM propose qu’on lui confie la tâche de décider (sous réserve du pouvoir de contrôle de la Cour fédérale) si le régime de plaintes de la PM à la partie IV de la LDN s’applique ou non dans une affaire (voir la proposition n° 7 ci‑dessous).

Une autre particularité de la CPPM est que, contrairement aux organismes locaux et provinciaux de surveillance de la police, son champ d’action est national, voire mondial. En outre, étant donné qu’ils sont des militaires, les policiers militaires visés par des plaintes, ainsi qu’un bon nombre de nos plaignants, sont fréquemment redéployés en différents lieux. Cela complique inévitablement la logistique des enquêtes sur les plaintes.

Théoriquement, aux fins de plaintes pour inconduite, la CPPM est conçue essentiellement comme un organe d’examen. Mais en réalité elle a occupé un rôle beaucoup plus dynamique et intensif dans la résolution des plaintes pour inconduite.

Certains dossiers sont nettement plus complexes et plus volumineux que d’autres, mais ils ont tous le même poids aux fins statistiques. Bien que peu nombreuses, nos audiences d’intérêt public ont souvent nécessité des ressources aussi importantes qu’une enquête publique. Par exemple :

  • CPPM 2008‑042 – Audience d’intérêt public (Amnistie internationale Canada et l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique) – Audience d’intérêt public sur une plainte lancée par des tiers contre des membres du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) et du GPFC pour avoir omis d’enquêter sur les décisions des commandants des forces opérationnelles canadiennes de transférer la garde de détenus afghans à des forces de sécurité afghanes, connaissant le risque élevé de torture ou autres sévices aux mains de ces forces de sécurité. Comme il est indiqué ailleurs, cette cause a subi des retards importants en raison de l’absence de la CPPM à l’annexe de la Loi sur la preuve au Canada, et de la réticence du procureur général à procéder à un accord de divulgation de renseignements de nature délicate conformément à l’article 38.031 de cette Loi. Au total, la CPPM évalue à quelque 20 mois le délai de réception des documents demandés par assignation en vertu du paragraphe 250.41(1) de la LDN. L’audience d’intérêt public a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire infructueuse de la part de certains des sujets de la plainte.Note 3 En fin de compte, les audiences, qui se sont déroulées avec 40 témoins entendus sur 47 jours d’audience, ont traité de nombreuses requêtes. Parmi les témoins figuraient ceux qui fournissent de l’information générale sur la structure de la FAC et de la PM, et un groupe d’experts en droit international. Des témoins ont aussi témoigné afin d’expliquer les lacunes et les problèmes apparents dans la production de documents. Cette cause visait des milliers de pages de documents. L’examen complet de ce dossier a pris quatre ans, ce qui a fort préoccupé la Commission. La plainte était datée du 12 juin 2008 et les audiences sur le fond ont commencé le 6 avril 2010 (avant cette date, seuls des éléments de preuve contextuels, ainsi que des requêtes préliminaires, avaient été entendus). Le rapport final a par la suite été publié le 27 juin 2012.
  • CPPM 2011-004 – Audience d’intérêt public (Fynes) – Ce cas découlait d’une plainte de la famille d’un membre des FAC décédé par suicide à la BFC Edmonton en 2008. La plainte mettait en cause le professionnalisme et l’objectivité de diverses enquêtes de la PM sur le suicide, et la responsabilité possible de la chaîne de commandement de son unité pour ne pas avoir correctement répondu à ses besoins en santé mentale, en plus de questions relatives au traitement de sa succession. Cette affaire a nécessité l’examen de quelque 22 000 documents et la déposition de 90 témoins sur 62 jours d’audience. La CPPM a formulé 96 recommandations dans cette affaire.

Par ailleurs, certaines de nos enquêtes d’intérêt public, voire même des examens ordinaires de plaintes pour inconduite, ont atteint ce niveau. Quelques exemples illustreront ce point.

  • CPPM 2007-003 – Enquête d’intérêt public (Attaran) – Il s’agit d’une enquête d’intérêt public sur une plainte d’un tiers alléguant des blessures aux détenus afghans alors qu’ils étaient sous la garde des FAC en Afghanistan. Cette enquête a nécessité l’examen de quelque 5 500 pages de documentation et l’audition de 35 témoins; elle a également vu l’établissement, à la demande de notre président de l’époque, Peter Tinsley, d’un protocole unique entre la CPPM et le SNEFC qui, par la coordination des entrevues des témoins et du partage d’information, a permis à la CPPM d’entamer son enquête sur la plainte alors même que l’enquête criminelle du SNEFC sur les événements sous-jacents était en cours. Il est tout à fait inhabituel qu’une enquête administrative comme la nôtre se déroule en tandem avec une enquête policière. Nous avons pu ainsi mener à bien notre enquête beaucoup plus tôt que normalement. Le protocole dans cette affaire fournit un exemple de la créativité de la CPPM et de sa capacité à trouver une voie à suivre une fois confrontée à des obstacles possibles.
  • CPPM 2008-018 – Enquête d’intérêt public – Cette plainte portait sur le traitement de détenus pour des raisons de santé mentale par la PM. Environ 25 témoins ont été entendus dans cette enquête d’intérêt public, qui offre aussi un exemple d’enquête du CPPM comportant un examen des « meilleures pratiques ». La CPPM a examiné les politiques et les pratiques de divers autres services de police en matière de traitement des personnes détenues pour raison de santé mentale; nous avons pu ainsi comparer les politiques de la police militaire à celles d’autres services de police, et formuler des recommandations plus judicieuses. Ces examens des meilleures pratiques font souvent partie de nos examens des plaintes et de nos enquêtes, car nous cherchons à tirer le plus grand profit possible de chaque cas.
  • CPPM 2015-005 (Anonyme) – Enquête d’intérêt public – Il s’agit d’une enquête d’intérêt public en cours sur une plainte liée à des allégations de mauvais traitements infligés à des détenus par des policiers militaires en Afghanistan en 2011. Cette enquête a nécessité 71 entrevues, outre l’examen et l’analyse de plus de 3 000 pages de documentation. Elle a également nécessité un effort considérable pour négocier l’inspection de centaines de boîtes de dossiers relatifs au déploiement, conservées au quartier général du Commandement des opérations interarmées du Canada, ce qui a donné lieu à plusieurs semaines d’examen par le personnel de la CPPM en quête de documents pertinents. La CPPM achève actuellement son rapport provisoire.
  • CPPM 2016-040 (Beamish) – Enquête d’intérêt public – Il s’agit de l’enquête du SNEFC sur des allégations historiques de mauvais traitements infligés à des stagiaires des FAC en 1984, mauvais traitements allégués qui étaient intenses et ne répondaient apparemment pas aux normes de formation applicables. Un certain nombre de participants, dont le plaignant, affirment que l’incident a causé leur TSPT ou y a contribué. Pour cette enquête, la CPPM a mené 35 entrevues et examiné plus de 3 000 pages de documentation. La CPPM prépare actuellement son rapport provisoire sur ce cas.
  • CPPM 2011-046 – Examen d’une plainte pour inconduite – Ce cas concerne l’enquête du SNEFC sur la disparition et le décès d’un élève-officier du Collège militaire royal. En principe, ce dossier était un examen ordinaire de plainte pour inconduite. Toutefois, la divulgation était de loin beaucoup plus volumineuse que la moyenne, car le cas avait déjà fait l’objet de plusieurs enquêtes par d’autres organismes, notamment le bureau du coroner, l’OPP (police provinciale de l’Ontario) et la GRC. En plus de 39 entrevues avec des témoins, la CPPM a dû examiner quelque 200 000 pages de documentation (70 gigaoctets de données).

Cependant, et contrairement aux enquêtes publiques, il ne nous est pas possible de consacrer toutes nos ressources à une seule affaire importante et complexe : nous devons continuer à traiter tous les autres dossiers de plainte alors ouverts (sans parler des constants rapports d’entreprise aux agences centrales, qui sont le prix de notre indépendance vis-à-vis du MDN).

Enfin, la suffisance de la première étape de traitement des plaintes par le bureau des normes professionnelles du GPFC a également posé problème au fil des ans. Lorsque la CPPM reçoit une demande de réexamen, il saute souvent à l’évidence que les Normes professionnelles n’y ont pas correctement donné suite : témoins non interrogés, allégations négligées, dossiers non examinés, etc. Parfois, la décision des Normes professionnelles est sans rapport avec la plainte (par exemple la plainte est mal interprétée, ou le champ de responsabilité pour les actions contestées de la PM est indûment circonscrit).

Le récent dossier de plainte pour inconduite CPPM 2016-027 en fournit un exemple extrême. Cette plainte découlait d’une enquête du SNEFC sur l’incendie d’une maison dans une unité de logement de la base, enquête qui conclut à un incendie accidentel, et ne donna donc pas lieu à des poursuites. La cause ne fut jamais transmise à un procureur, et le plaignant déposa une plainte pour inconduite. Les Normes professionnelles du GPFC sanctionnèrent l’enquête du SNEFC et rejetèrent la plainte. Le plaignant demanda une révision par la CPPM. Après examen de l’enquête du SNEFC (et du rapport du commissaire aux incendies, qui ne figurait pas dans le dossier d’enquête du SNEFC qui nous a été divulgué, et que le SNEFC ne semblait pas s’être procuré pour son enquête), la CPPM a conclu que l’enquête du SNEFC présentait des problèmes importants – à tel point que la CPPM a jugé nécessaire de mettre fin à son examen et de renvoyer l’affaire au GPFC, avec la recommandation de poursuivre l’enquête policière sur l’incendie. Ce qui a été fait, avec pour résultat qu’un accusé est actuellement en procès pour tentative de meurtre et incendie criminel.

Il est arrivé que les Normes professionnelles écartent une plainte pour des raisons expressément politiques. Récemment, par exemple, conformément à ces Normes, on a refusé d’examiner des allégations présentées par le plaignant comme des violations de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), voire même des allégations susceptibles d’être ainsi présentées. Si ces Normes ne constituent pas un tribunal compétent au sens de l’article 24 de la Charte, rien ne leur interdit de se pencher sur la convenance de la conduite sous-jacente, sans prétendre rendre une décision en vertu de la Charte. C’est ainsi que la CPPM voit les choses. On ne doit pas pénaliser les plaignants pour avoir décrit en termes juridiques une inconduite de la PM.

Compte tenu de ce qui précède, en pratique la CPPM fait donc souvent plus qu’un simple examen « sur papier ». Même un examen purement sur dossier peut s’avérer très exigeant en termes de main-d’œuvre, comme dans le cas du dossier CPPM 2016-027 discuté plus haut.

Pour remédier au problème, la CPPM propose aujourd’hui qu’on lui confie le pouvoir de renvoyer les plaintes aux Normes professionnelles, assorties d’instructions contraignantes quant à la nécessité d’une enquête plus approfondie (voir la proposition n° 18 ci-dessous). Si elle est adoptée et mise en œuvre, cette réforme permettrait à la CPPM de mieux gérer sa charge de travail et d’en finir avec les enquêtes de novo sur les plaintes pour inconduite, pour lui permettre de concentrer ses ressources sur les cas d’intérêt public et d’ingérence.

Nos propositions

Les propositions de la CPPM ont pour thème général la nécessité de renforcer le système de surveillance civile de la police militaire afin de s’assurer de la confiance des plaignants, des personnes visées par les plaintes et du public en général. À l’heure actuelle, le système se prête trop facilement aux critiques qui affirment qu’il n’est pas suffisamment solide pour assurer la confiance nécessaire envers le professionnalisme, l’intégrité et l’indépendance de la police militaire.

Cela dit, la CPPM ne remet nullement en cause le caractère essentiel de son mandat de surveillance, qui est consultatif plutôt que juridictionnel ou directif. L’absence d’autorité contraignante doit toutefois être compensée par un système de surveillance plus solide, offrant un meilleur accès à l’information ; un système de surveillance adapté à la nature des cas sur lesquels il est appelé à enquêter. Une bonne collaboration entre la direction de la police militaire et la Commission est importante, mais un régime de surveillance crédible ne devrait pas en dépendre autant qu’il le fait actuellement.

En plus d’encourager un accès meilleur et plus rapide à l’information, les propositions de la CPPM cherchent à améliorer l’efficacité et l’équité du processus de traitement des plaintes. Dans l’ensemble, les changements que nous proposons visent à harmoniser davantage la Commission avec les meilleures pratiques actuelles en matière de surveillance de la police.

La CPPM ne voyant aucune raison qui empêche que le processus d’examen législatif soit interactif, elle se réjouit que ses propositions soient commentées par d’autres parties à la partie IV de la Loi sur la défense nationale, ainsi que par l’autorité d’examen indépendante, et qu’il y ait un dialogue ou une discussion commune sur des domaines d’intérêt mutuel. Lors des précédents examens législatifs, un certain nombre de nos propositions semblent n’avoir pas été prises en compte, ou avoir été rejetées sans raison ou discussion avec nous. À titre d’exemple, lors du dernier examen législatif, nous avons eu une rencontre avec le juge Lesage au sujet de nos propositions de juin 2011, où il s’est montré très intéressé par la proposition de nous conférer le pouvoir de classer les plaintes selon qu’elles relèvent ou non de la partie IV de la LDN (voir la proposition actuelle n° 7). À tel point qu’il nous a demandé de fournir un projet de texte législatif pour l’application de notre proposition, ce que nous avons fait. Or, dans son rapport daté du 31 décembre 2011 (mais publié seulement en juin 2012), cette proposition est essentiellement passée sous silence, sans aucune explication. D’autres propositions de la CPPM semblaient plaire au juge Lesage à cette rencontre, mais n’ont pas été avancées – et souvent pas même mentionnées – dans son rapport. Il semble avoir changé d’avis sur ces questions pour une raison ou une autre, mais aucune préoccupation ne nous a été signalée, et nous n’avons pas eu la possibilité de répondre aux difficultés ou aux objections qui ont pu se présenter. La CPPM demande donc respectueusement la possibilité de répondre à toute réserve ou critique concernant ses propositions avant que l’autorité d’examen remette son rapport final au ministre.

Document original signé par

Hilary C. McCormack
Présidente
Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire

Ottawa, le 7 janvier 2021

NOS PROPOSITIONS

I ACCÈS ACCRU À L’INFORMATION

A. Introduction

1. En clair, les pouvoirs légaux dont dispose la CPPM pour accéder aux données nécessaires au suivi, à l’examen et à l’instruction efficaces et crédibles des plaintes sont depuis longtemps insuffisants. Ces pouvoirs sont trop peu nombreux, leur portée est trop étroite et ils dépendent trop de la bonne volonté des dirigeants du service de police surveillé. Un accès plus sûr et plus étendu aux données pertinentes est nécessaire pour que la CPPM puisse assurer un contrôle civil crédible et efficace de la police militaire, en particulier dans les situations controversées où le contrôle externe est plus que crucial pour gagner la confiance du public.

2. Les enjeux sont de taille. La police militaire exerce d’importantes responsabilités de maintien de l’ordre au Canada; elle est aussi la seule autorité policière pour le personnel militaire canadien déployé à l’étranger. Comme l’a montré la longue et intensive mission en Afghanistan, les types de cas où elle intervient peuvent facilement mettre à l’épreuve à tout le moins l’intégrité et le professionnalisme apparents de la police militaire, et de la justice militaire en général. Cette perception de la part de la communauté militaire dans son ensemble, et du public canadien, est essentielle au maintien de l’État de droit, et souvent même au succès ou à l’échec d’une mission.

3. La police militaire des Forces armées canadiennes se qualifie comme la « force policière canadienne de première ligne », et il en est ainsi. Tout à la fois soldat et agent de la paix, ses membres doivent assurer la réussite des missions opérationnelles de la chaîne de commandement et maintenir l’État de droit. En tant qu’élément de la chaîne de commandement militaire, ils sont par ailleurs censés user d’un jugement indépendant dans l’exercice de leurs fonctions de nature policière. Les membres de la PM doivent pouvoir enquêter et, dans certains cas, arrêter et inculper d’autres militaires de rang supérieur. Il va sans dire que des tensions surgissent entre ses fonctions de soldat et de policier. Concilier ces responsabilités est sans doute souvent une tâche peu enviable.

4. La police militaire nécessite et mérite un organe de contrôle capable de traiter en toute indépendance et crédibilité les plaintes pour inconduite concernant des policiers militaires ou d’ingérence, de cerner les problèmes et les solutions possibles, et de mettre fin aux allégations et soupçons non fondés.

5. Un tel organe de surveillance de la police, ou tout organe de surveillance crédible, doit posséder deux qualités fondamentales : 1) l’indépendance opérationnelle par rapport à l’organisation surveillée; 2) une autorité législative claire lui permettant d’exiger l’accès à l’information pertinente de l’entité surveillée.

6. C’est en matière d’accès autorisé à l’information que la CPPM estime que des améliorations s’imposent; à cette fin, elle a préparé quelques propositions particulières d’amélioration de son accès à l’information. Il existe déjà des précédents pour bon nombre de ces pouvoirs législatifs de surveillance de la police fédérale, notamment les pouvoirs conférés à la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relativement à la Gendarmerie royale du Canada (Commission de la GRC) par les modifications apportées en 2013 à la Loi sur la GRC à la suite des recommandations de l’enquête Arar.

7. La CPPM n’a pas le pouvoir d’imposer sa volonté à la direction de la police militaire, et ne fait que formuler des conclusions et des recommandations non contraignantes. Elle ne cherche pas non plus à obtenir un tel pouvoir. On pourrait considérer que de forts pouvoirs d’accès à l’information contrebalanceraient de façon appropriée son manque de pouvoir de s’immiscer dans les relations de la chaîne de commandement militaire.

B. Exigences en matière de divulgation de documents

8. À l’heure actuelle, la loi accorde à la CPPM le droit d’obtenir des renseignements à l’appui de ses responsabilités d’enquête et de surveillance uniquement en cas de demande d’examen d’une plainte pour inconduite (Loi sur la défense nationale, al. 250.31(2)b)), ou lorsqu’elle exerce son pouvoir d’assignation dans le cadre d’une audience d’intérêt public (Loi sur la défense nationale, art. 250.41). Anomalie importante, il n’y a pas de droit légal à l’information en cas de plainte pour ingérence ou d’enquête d’intérêt public. Il n’existe pas non plus de droit légal d’accès aux documents détenus par les Forces armées canadiennes, au sens large, ou par le ministère de la Défense nationale. La CPPM a dû s’en remettre à la bonne volonté des Normes professionnelles de la police militaire pour la divulgation des renseignements touchant les plaintes pour ingérence et les enquêtes d’intérêt public. Cela est inadmissible pour un organisme de surveillance indépendant et établi par la loi. Comme l’a déclaré la Cour fédérale au sujet de la CPPM : « Si la Commission n’a pas entièrement accès aux documents pertinents, lesquels sont essentiels aux enquêtes, elle ne peut pas mener une enquête complète et indépendante. »Note 4

9. En outre, les tribunaux ont noté qu’il ne convient pas de faire usage d’un pouvoir discrétionnaire d’audience publique dans le seul but d’obliger la coopération en vue de la divulgation de renseignements pertinents.Note 5

10. On aiderait aussi la CPPM à mieux s’acquitter de son mandat si on lui accordait l’accès aux dossiers de la police militaire à différents stades du traitement des plaintes (annexe A‑Tableau du processus de traitement des plaintes), comme le fait la Commission de la GRC.Note 6 L’accès aux dossiers au stade antérieur, soit celui du suivi du processus de plaintes pour inconduite (c’est-à-dire lorsqu’une plainte est reçue pour la première fois ou est traitée par le bureau des normes professionnelles de la police militaire), permettrait à la CPPM de mieux suivre le traitement interne des plaintes par la police militaire; cela lui permettrait également de prendre des décisions plus opportunes et éclairées sur l’exercice de son pouvoir d’intérêt public, soit prendre en charge le traitement d’une plainte du Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC), ce que la présidente est autorisée à faire « à tout moment » selon le paragraphe 250.38(1) de la Loi sur la défense nationale. Des décisions plus rapides et plus éclairées, permettant au CPPM d’intervenir dans l’intérêt public, permettraient d’économiser du temps et de réduire les doubles emplois (comme dans le cas de la CPPM et du GPFC).

11. La mise à disposition en temps utile de l’information pertinente à une plainte aiderait aussi la Commission à remplir son obligation de traiter toutes les questions dont elle est saisie avec célérité et sans formalisme, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent.Note 7 Le règlement rapide d’une plainte peut être considéré comme faisant partie d’un « droit général à l’équité procédurale indépendamment de l’application de la loi ».Note 8 Dans le cas des causes soumises à la Commission, un retard excessif est injuste pour le plaignant qui souhaite voir les résultats d’un examen impartial le plus rapidement possible, ainsi que pour le policier militaire visé par la plainte, dont la réputation, les possibilités de déploiement et de carrière sont à risque tant qu’une plainte pèse sur lui.

12. L’accès aux dossiers de la police militaire après la conclusion du processus de plainte permettrait à la CPPM de surveiller la mise en application, par le GPFC, des réformes promises dans la notification prévue à l’article 250.51 de la Loi sur la défense nationale. Ces connaissances aideraient la CPPM à formuler des recommandations utiles dans des cas ultérieurs.

13. La CPPM estime que le pouvoir conféré à la Commission de la GRC au paragraphe 45.39(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada est un bon modèle de dispositions, du type qu’elle propose. Ce paragraphe déclare que la Commission « a un droit d’accès aux renseignements qui relèvent de la Gendarmerie ou qui sont en sa possession et qu’elle considère comme pertinents à l’égard de l’exercice des pouvoirs et fonctions que lui attribu[e] [... la présente Loi]. » 

14. Un point notable de cette disposition est qu’elle affirme que c’est l’organisme de contrôle qui décide de la pertinence des renseignements. La Cour fédérale a déjà préconisé que les exigences de divulgation à la CPPM obéissent aux critères de pertinence de la CPPM;Note 9 il serait néanmoins utile d’inscrire ce principe dans la législation, pour éviter les incessants litiges au sujet de la pertinence – avec le GPFC, les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale – qui ne font que miner la crédibilité du processus de surveillance.

1) La CPPM propose une modification de la partie IV de la Loi sur la défense nationale qui exige que le Grand Prévôt des Forces canadiennes, les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale communiquent à la CPPM tous les documents sous leur contrôle susceptibles, selon la CPPM, d’être pertinents à l’exécution de son mandat.

C. Accès aux témoins : élargissement du pouvoir d’assignation

15. Venant s’ajouter à son incapacité d’accéder aux preuves documentaires, la CPPM a un pouvoir extrêmement limité d’assignation des témoins pour leur déposition. Si elle peut délivrer une citation à comparaître à une audience d’intérêt public,Note 10 la CPPM n’a cependant aucun pouvoir légal de contraindre les témoins à déposer, et dépend de la volonté de coopération de ceux qui ont connaissance des plaintes. Cette absence de pouvoir de contraindre à témoigner ne peut être justifiée au nom de la protection des témoins contre les conséquences juridiques potentielles de leur témoignage, la Commission étant une instance administrative, et non un organe disciplinaire. Comme pour l’accès aux dossiers de la police militaire, on ne devrait pas recourir au pouvoir discrétionnaire de la CPPM sur l’audience d’intérêt public, avec l’augmentation concomitante des formalités et des coûts des procédures que cela impliquerait, dans le seul but d’obtenir la coopération forcéeNote 11. Après tout, la loi ordonne à la CPPM d’œuvrer avec célérité et sans formalisme, dans la mesure où l’équité le permet.Note 12

16. On a accordé à l’autre organe de surveillance de la police fédérale du Canada, la Commission de la GRC, le pouvoir d’assigner des témoins pour toute plainte qu’elle traite, quel que soit le processus, et non seulement pour ses audiencesNote 13. Le Comité externe d’examen des griefs militaires a, en ce qui concerne l’examen d’un grief dont il est saisi, les pouvoirs « [d’] assigner des témoins, les contraindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire les documents et pièces sous leur responsabilité et qu’il estime nécessaires à une enquête et étude complètes. »Note 14 Un exemple supplémentaire est celui du Commissariat à l’intégrité du secteur public qui dispose de tous les pouvoirs d’un commissaire énoncés à la partie II de la Loi sur les enquêtes.Note 15

17. La capacité légale de contraindre à témoigner mettrait la Commission dans une position similaire à celle du GPFC. Le Code de déontologie de la police militaire impose aux membres de la police militaire de coopérer aux enquêtes du GPFC. En vertu de son article 8, aucun policier militaire n’est dispensé de répondre à une question relative à une enquête au sujet d’une violation au Code, à moins que le membre soit l’objet de l’enquête ou l’officier désigné pour l’aider. On trouve une autre obligation de coopération dans l’ordonnance administrative de la défense et dans la directive 5047-1, Bureau de l’ombudsman. L’annexe A de cette directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) contient une directive ministérielle qui impose à tout le personnel des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale l’obligation de coopérer aux enquêtes menées par l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes. Le refus ou le manque d’assistance à l’ombudsman peut donner lieu à la présentation d’un rapport de l’ombudsman au ministre de la Défense nationale.

18. Les témoignages forcés s’accompagnent de protections juridiques. À titre d’exemple, le paragraphe 45.65(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit que la déposition ou le document ou la chose exigés par la Commission et la preuve qu’ils établissent ne peuvent être utilisés ni admis contre le témoin, sauf dans une procédure pour parjure.Note 16 Dans l’état actuel des choses, les témoins qui offrent volontairement de fournir des preuves à la Commission s’exposent à voir ces preuves utilisées contre eux dans d’autres procédures.

2) La CPPM propose une modification de la partie IV de la Loi sur la défense nationale qui lui confère le pouvoir d’assigner les témoins et de les contraindre à comparaître devant elle, à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire tous les documents et éléments que la CPPM juge pertinents à l’enquête, à l’audition et à l’examen complets d’une plainte.

D. Accès aux renseignements sensibles

19. En raison du mandat policier de la PM, la CPPM s’est trouvée devant la nécessité professionnelle d’accéder à ce que l’on désigne comme étant des renseignements sensiblesNote 17 ou renseignements potentiellement préjudiciables.Note 18 En 1998, le Parlement s’était attendu à ce que la CPPM ait accès aux renseignements sensibles lorsqu’ils sont pertinents à son mandat. L’alinéa 250.42a) de la Loi sur la défense nationale prévoit que la CPPM peut exceptionnellement tenir ses audiences d’intérêt public à huis clos si elle s’attend à recevoir des renseignements « dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives ». La Commission dispose à la fois d’installations sécurisées et de personnel possédant l’habilitation de sécurité voulue pour traiter les renseignements sensibles.

20. Au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, le Parlement a adopté les articles 38 à 38.16 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC), qui instaurent un régime spécial de contrôle de l’accès aux renseignements de ce genre qui sont « potentiellement préjudiciables » aux « relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales ». Chaque participant à une procédure est tenu d’informer le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation de renseignements qu’on estime sensibles ou potentiellement préjudiciables. Si ces renseignements ne doivent pas être divulgués, le procureur général peut toutefois, à tout moment et aux conditions qu’il juge à propos, en autoriser la divulgation en tout ou en partie.Note 19 Bien qu’une partie ou un tribunal cherchant à accéder à ces renseignements puisse contester la prétention du procureur général du Canada voulant que leur divulgation serait préjudiciable à des intérêts nationaux (comme la sécurité nationale), la procédure principale en est toutefois retardée pendant que la question de la divulgation est plaidée devant les tribunaux.

21. Au lieu de cela, on peut ajouter le nom d’un organisme à l’annexe des entités désignées dans la Loi sur la preuve au Canada, comme le prévoient l’alinéa 38.01(6)d) et le paragraphe 38.01(8). Les restrictions sur la divulgation sont alors inapplicables et l’organisme peut recevoir les renseignements sensibles en question. La possibilité que certains organismes puissent accéder aux renseignements sensibles est discutée par le juge O’Connor dans le contexte de l’enquête Arar. Dans ses recommandations touchant un organe de surveillance de la GRC, le juge O’Connor déclare que cet organe « doit avoir accès à toute l’information pertinente et on ne devrait pas refuser de lui fournir au motif qu’elle est secrète ou sensible. »Note 20 L’obligation corollaire pour les organismes d’enquête recevant des renseignements sensibles était de mettre en place de strictes exigences de non-divulgation. Les organes de contrôle bénéficiant d’un accès complet à tous les renseignements comprennent le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. Selon l’information fournie au juge O’Connor, ces deux organismes de contrôle n’ont jamais enfreint les obligations en matière de sécurité.

22. Ainsi, la Commission de la GRC, organisme de surveillance « jumeau » de la CPPM pour la police fédérale, a été rajoutée à l’annexe de la LPC en tant qu’entité désignée en 2013, en fonction des recommandations issues de l’enquête Arar. Les autres entités désignées sont le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire à l’information et le Commissariat à l’intégrité du secteur public.Note 21

23. Il ressort de la liste des entités actuellement désignées qu’un organisme doit avoir une probabilité raisonnable de traiter de tels renseignements sensibles, et avoir mis en place des garanties suffisantes contre une divulgation publique incontrôlée de ces renseignements. Si un organisme estime nécessaire de rendre publics des renseignements sensibles, les garanties normales entrent en jeu, cette divulgation doit alors être négociée ou débattue devant la Cour fédérale avec le procureur général du Canada.

24. En pratique, le fait d’être une entité désignée aux fins de l’annexe de la LPC retarde donc plus qu’il ne supprime les protections spéciales de divulgation applicables à ces renseignements sensibles. Pourtant, ce changement aurait d’immenses retombées en termes d’efficacité des procédures en question. D’une part, l’inscription à l’annexe de la LPC réduirait considérablement, voire éliminerait, le champ des renseignements dont la divulgation au public nécessiterait une négociation ou un litige. En effet, l’accès immédiat aux renseignements permettrait nécessairement à la CPPM, au cours de son enquête, de se faire une idée plus juste des documents réellement pertinents à la résolution de la plainte dont elle est saisie. Il pourrait parfois se révéler inutile de renvoyer à des renseignements sensibles dans son rapport; dans ce cas, l’inscription de la CPPM à l’annexe de la LPC éviterait tout simplement l’obligation de recourir à la Cour fédérale. Dans d’autres cas, la CPPM pourrait publier un rapport final provisoire sur une plainte en expurgeant certains renseignements, en attendant les résultats du litige devant la Cour fédérale.

25. L’accès de la CPPM à des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables n’est pas une question théorique ou spéculative. Ces dispositions ont été invoquées à l’audience d’intérêt public de la CPPM au sujet du traitement des détenus afghans (CPPM 2008-042). En l’occurrence, l’accès aux documents n’a été acquis qu’à l’issue de longues négociations avec le gouvernement et de poursuites judiciaires. Le gouvernement avait pour position que la CPPM ne pouvait recevoir des documents qu’après qu’il les avait examinés et expurgés. En pratique, la CPPM a subi d’importants retards de plusieurs mois pour obtenir les documents nécessaires au déroulement de ses audiences. Ainsi, pendant les vingt mois entre mars 2008 et novembre 2009, la CPPM n’a reçu aucun document; de plus, le président Stannard de l’époque a été contraint en 2010 d’ajourner de plusieurs semaines l’audience en raison de nouveaux problèmes de production de documents. Le gouvernement a refusé les offres de la Commission d’aider à déterminer les documents potentiellement pertinents, et ainsi d’accélérer le processus de contrôle. La CPPM a aussi dû appeler des témoins et consacrer un temps précieux à l’audience sur des questions de production et de contrôle des documents. On pourrait en fait, et à juste titre, soutenir que les différends et les retards liés à la production de documents ont largement monopolisé le processus d’audience. Tout cela a énormément compliqué et prolongé l’exécution du mandat de la Commission, et aurait pu être largement évité si la CPPM avait été inscrite à l’annexe de la Loi sur la preuve au Canada.

26. Ces problèmes de production de documents potentiellement sensibles n’étaient pas propres à l’audience d’intérêt public sur les détenus afghans, particulièrement sensible sur le plan politique. Plus récemment, lors de l’enquête d’intérêt public en cours Anonyme (fondée sur une plainte anonyme concernant un entraînement prétendument illégal dirigé par des PM dans le centre de transfert des détenus en Afghanistan en 2011), la CPPM a subi un délai de neuf mois avant de recevoir la divulgation du GPFC. Tout comme pour la justice, le délai de surveillance nécessaire peut équivaloir au déni de surveillance.

27. De plus, au vu de la compétence policière de la PM des Forces armées canadiennes, il n’est que trop facile de songer à d’autres scénarios de relations internationales ou de renseignements militaires sensibles. Ainsi, une enquête de la police militaire sur la conduite opérationnelle des membres des unités des forces spéciales des Forces armées canadiennes porterait aussi très probablement sur des renseignements sensibles. Par exemple, le Service national des enquêtes des Forces canadiennes a enquêté sur la conduite des membres de la FOI 2 (force opérationnelle interarmées 2) durant les opérations menées en Afghanistan.Note 22 La CPPM n’a pas reçu de plaintes concernant ces enquêtes, mais si cela avait été le cas, on a peine à voir comment la CPPM aurait pu les traiter en l’absence d’un accès à ce type de renseignement.

28. À l’issue de l’audience d’intérêt public sur l’Afghanistan faisant suite à une plainte déposée par Amnestie internationale/Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique, la CPPM a recommandé d’être ajoutée à l’annexe de la Loi sur la preuve au Canada, tant dans son rapport provisoire de décembre 2011 que dans son rapport final de juin 2012 (CPPM 2008-042). Cette recommandation a été rejetée, mais la CPPM a persisté dans ses efforts d’avancement de ce dossier. L’actuel président a inclus dans le rapport annuel 2015 de la CPPM la recommandation de faire ajouter la CPPM à l’annexe de la Loi sur la preuve au Canada. Cette recommandation a été réitérée dans les rapports annuels ultérieurs.

29. Des particuliers (un professeur de droit et un député) ont également adressé au Parlement des pétitions en faveur de l’inscription de la CPPM à l’annexe de la LPC. Le ministre de la Justice et procureur général a déclaré, en réponse à l’une de ces requêtes, que ce qui suit fait obstacle à l’ajout de la CPPM à cette liste :

Bien que le mandat de la CPPM lui permet de tenir une instance à huis clos si elle estime qu’au cours de celle-ci seront probablement révélés des renseignements prévus à l’article 250.42 de la Loi sur la défense nationale, les renseignements que la CPPM est en mesure de protéger, en vertu de l’article 250.42, ne vise pas de façon exhaustive l’étendue des « renseignements délicats » ou des « renseignements potentiellement préjudiciables. »…Note 23

30. La solution est en deux étapes : (1) Modifier l’article 250.42 de la LDN pour y adjoindre pleinement les « renseignements sensibles » et les « renseignements potentiellement préjudiciables », ce qui serait conforme à l’intention du Parlement lors de la création de la CPPM en 1998; (2) Ajouter la CPPM à l’annexe de la LPC (Annexe B – Réponse du gouvernement à la pétition). Il appartient au gouvernement, plutôt qu’à la Commission, d’assurer les pouvoirs législatifs nécessaires, notamment touchant la conduite des audiences, qui permettraient d’ajouter la Commission à l’annexe en toute sécurité. C’est en fait comment ont procédé le gouvernement et le Parlement à l’égard de la Commission de la GRC lors des modifications de 2013 à la Loi sur la GRC.

31. Dans son rapport de 2011, Autorité indépendante chargée du deuxième examen, l’ancien juge Lesage a refusé d’appuyer l’ajout de la CPPM, proposé par celle-ci, à l’annexe de la LPC. Il était motivé par la délicatesse et la complexité de la question, et par l’absence de représentations plus complètes sur le sujet.Note 24 À noter cependant que le rapport du juge Lesage a été remis avant la publication du rapport final de la CPPM concernant l’audience d’intérêt public sur l’Afghanistan, avec sa recommandation connexe concernant les annexes de la LPC, et avant les pétitions au Parlement précitées. À noter aussi que l’ajout de la Commission de la GRC à l’annexe de la LPC, et les modifications correspondantes des procédures d’audience et de traitement des preuves de la LPC par l’adoption du projet de loi C-42 en 2013, n’avaient pas encore eu lieu. La politique publique et le contexte légal ont donc changé depuis que le juge Lesage a publié son rapport en décembre 2011.

3) La CPPM propose qu’on ajoute son nom à l’annexe de la Loi sur la preuve au Canada par voie de modification préalable de l’article 250.42 de la Loi sur la défense nationale, afin de répondre pleinement aux critères d’audience et de traitement établis pour recevoir des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables »; deuxièmement, qu’elle soit ajoutée à l’annexe des entités désignées en vertu de l’alinéa 38.01(6)d) et du paragraphe 38.01(8) de la Loi sur la preuve au Canada.

E. Accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat

32. À l’heure actuelle, la CPPM ne peut accéder aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat du GPFC, cela même si le GPFC a accès à de tels renseignements lors du traitement initial de la plainte; une différence de traitement qui sape la notion même de droit à un examen indépendant des plaintes. Malgré cette restriction légale actuelle, il reste que les conseils juridiques demandés, et fournis aux membres de la police militaire, sont souvent très pertinents à la résolution des plaintes.

33. La CPPM reçoit de nombreuses plaintes concernant des actions s’appuyant sur les conseils juridiques de procureurs militaires ou civil, à savoir : des perquisitions et saisies, des arrestations, et le dépôt (ou non) d’accusations. Les deux principales catégories de plaignants sont : 1) ceux accusés d’infractions qui s’estiment inculpés à tort; 2) les victimes présumées qui ne comprennent pas que des accusations ne soient pas portées contre l’auteur présumé du crime.

34. S’inspirant de leur expérience, de nombreux plaignants dans de tels cas doutent de la compétence professionnelle et de l’indépendance de la police militaire. La CPPM estime qu’on ne peut expliquer pleinement et équitablement les décisions de déposer ou non des accusations par des membres de la police militaire à moins d’avoir une quelconque connaissance des consultations préalables entre ces membres et les conseillers juridiques civils ou militaires. Si l’on peut généralement supposer que l’inculpation décidée par les membres fait suite aux conseils juridiques qu’ils ont reçus au préalable, la situation actuelle ne permet pas à la CPPM de confirmer qu’un membre de la police militaire a fourni une description précise des preuves au procureur, ou que les conseils juridiques ainsi obtenus ont été correctement pris en compte.

35. Il ne convient pas non plus que la CPPM se contente de substituer sa propre évaluation des motifs d’une décision d’inculpation, ou de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre, à celle des membres de la police militaire. De tels exercices du pouvoir discrétionnaire et du jugement indépendants d’un membre ne sont révisables qu’en fonction de la norme du caractère raisonnable, plutôt que celle de la décision correcte. S’il est vrai que le simple fait de suivre un conseil juridique ne constitue pas une défense complète contre les actions ou décisions corrélatives d’un membre de la police militaire, il est d’importance capitale pour déterminer le caractère raisonnable de la décision du membre.

36. Par conséquent, refuser à la CPPM l’accès à des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans ce type d’affaires compromet sa capacité d’examiner ces plaintes avec efficacité et équité. Par ailleurs, la CPPM estime qu’un tel accès n’est pas susceptible d’inciter les membres de la police militaire à ne pas être francs avec leurs conseillers juridiques ou à tout simplement éviter de demander un avis juridique.

37. Outre le défi posé à la crédibilité et à l’équité de son processus de traitement des plaintes par le manque d’accès à l’information protégée par le secret professionnel de l’avocat, il faut aussi compter l’important fardeau supplémentaire des litiges avec le GPFC touchant la portée ou l’applicabilité de ce privilège à une situation donnée.

38. Il est par exemple bien connu que si, en cours de litige, une partie invoque les conseils juridiques reçus en justification de sa position, elle est réputée, par souci d’équité, renoncer à ce privilège aux fins dudit litige. Toutefois, la position adoptée par les conseillers juridiques du juge-avocat général vis-à-vis du GPFC est que tout privilège s’attachant aux conseils juridiques fournis aux membres de la police militaire dans l’exercice de leurs fonctions de police appartient au ministre de la Défense nationale, et que seules les actions du ministre peuvent entraîner la perte ou renonciation de ce privilège. À la lumière de cette analyse, le GPFC lui-même ne pourrait pas divulguer les conseils juridiques reçus par l’un de ses PM même s’il le souhaitait. En fait, et de façon générale, le mode de revendication du privilège dans le processus de plainte des policiers militaires semble davantage vouloir l’obscurcissement de la participation du juge-avocat général et d’autres conseillers juridiques de la Couronne, que l’encouragement à la franchise des policiers militaires lorsqu’ils demandent un conseil juridique.

39. Un autre point litigieux est l’utilisation par le GPFC du privilège du secret professionnel de l’avocat sur les rapports au procureur – une collection de documents présentant les résultats d’une enquête de la police militaire, qui est transmise au procureur de la Couronne (ou à un procureur militaire) et ensuite divulguée à un accusé au moment de porter l’accusation. La CPPM recevait auparavant ces rapports au procureur à l’occasion de la divulgation régulière du GPFC sur les dossiers de plainte. Le rapport au procureur est destiné à permettre à un procureur de formuler des conseils à l’intention du policier militaire chargé de l’enquête pour décider s’il convient de porter des accusations et, dans l’affirmative, lesquelles. Si on demande aux procureurs d’évaluer s’il existe des motifs d’inculpation au criminel ou au titre de la Loi sur la défense nationale en fonction des éléments de l’infraction ou des infractions, ce rapport est par ailleurs préparé et envoyé au procureur en vue d’obtenir des conseils sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la police de déposer des accusations : en clair, à supposer que des accusations puissent être portées, convient-t-il de les porter? Les facteurs pertinents sont ici de savoir si le cas offre une possibilité raisonnable de condamnation et si une poursuite est dans l’intérêt public. Il s’agit là de questions strictement politiques, plutôt que de conseils juridiques. Dans les cas où des accusations sont portées, le dossier de la Couronne constitue la base de la divulgation fournie à l’accusé.

40. Abstraction faite des conseils donnés sur l’exercice de la discrétion de poursuivre, le rapport au procureur peut en soi s’avérer une source d’information importante pour la CPPM. Il peut répondre directement aux allégations des plaignants voulant que les conseils à la PM en faveur d’une mise en accusation résultent de renseignements incomplets, inexacts ou tendancieux fournis par les enquêteurs de la PM. Le premier cas d’audience d’intérêt public de la CPPM, dossier CPPM n° 2005-024, donne un exemple parlant de l’utilité de l’accès de la CPPM aux dossiers de la Couronne. Il s’agissait d’une plainte déposée par le parent d’un jeune faisant l’objet d’une enquête pour agression sexuelle contre un camarade cadet dans un camp de cadets. La plainte portait sur la conduite des principaux enquêteurs du SNEFC. En l’espèce, l’accès de la CPPM au dossier de la Couronne (sur lequel le GPFC n’avait pas invoqué le secret professionnel de l’avocat) a permis au CPPM de noter et signaler le fait que les enquêteurs du SNEFC avaient omis d’importants éléments de preuve disculpatoires du dossier de la Couronne. Le rapport final de la CPPM dans cette affaire est consultable à l’adresse suivante : https://www.mpcc-cppm.gc.ca/public-interest-investigations-and-hearings-enquetes-et-audiences-dinteret-public/final-reports-rapports-finals/hearing-audience-2005-024-final-report-rapport-final-fra.html (voir la partie V).

41. Le Parlement semble avoir accepté les arguments en faveur de l’accès aux communications privilégiées à des fins de surveillance par la police, puisqu’il a déjà élargi l’accès aux renseignements confidentiels entre avocat et client à un organe de surveillance de la police. Le projet de loi C-42 a conféré à la Commission de la GRC de vastes pouvoirs d’accès à l’information, y compris l’information confidentielle entre avocat et client, afin de remplir son rôle de surveillance. Qui plus est, ces pouvoirs s’étendent au mandat initial de la Commission de la GRC en matière de plaintes contre la police, soit celui qu’elle partage avec la CPPM, ainsi qu’à ses rôles plus récents de surveillance de la sécurité nationale et d’examen actif. Comme l’exprime le paragraphe 45.4(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada : « Malgré la confidentialité des renseignements protégés, la Commission a un droit d’accès à ceux d’entre eux qui relèvent de la Gendarmerie ou qui sont en sa possession, s’ils sont pertinents et nécessaires pour l’examen... ». Malgré plusieurs autres mises en garde, le principe de l’accès à des renseignements confidentiels dans le cadre d’une enquête pertinente sur la conduite de la police est acquis.

42. L’ancien chef de la Commission des plaintes du public contre la GRC a expliqué l’un des facteurs poussant le Parlement à accorder à la Commission de la GRC l’accès à des renseignements confidentiels relevant du secret professionnel de l’avocat. Il a souligné que l’une des raisons de l’ouverture de l’enquête Arar était que l’organe de surveillance de la GRC de l’époque n’avait pu obtenir des renseignements essentiels à son mandat. Si l’organe de surveillance disposait de droits d’accès étendus, comme ceux dont dispose l’enquête publique, on pourrait éviter la nécessité de créer des commissions d’enquête ad hoc.Note 25

43. À noter que nous ne cherchons pas le sacrifice complet du secret professionnel de l’avocat par cette brèche sélective du privilège, qui demeurerait intact par rapport à d’autres procédures. C’est ici qu’intervient le concept de renonciation limitée, qui signifie qu’on peut faire usage de renseignements normalement privilégiés à des fins, ou dans le cadre, d’une procédure particulière, mais que ce privilège demeure intact vis-à-vis d’autres parties ou instances.Note 26 De plus en plus admise, la doctrine de la renonciation limitée remet en question l’adage traditionnel, mais surestimé et dépassé, selon lequel la renonciation à un renseignement équivaut nécessairement à la renonciation à tous les renseignements.

44. On peut créer et définir une renonciation limitée au secret professionnel de l’avocat selon trois façons. L’une de ces façons est par une loi particulière. Certaines lois exigent la divulgation de renseignements dans un but précis prescrit par la loi; une fois ces renseignements fournis, la loi précise que cela ne revient pas à une renonciation générale au secret professionnel de l’avocat. Le paragraphe 36(2.2) de la Loi sur l’accès à l’informationNote 27 en fournit un exemple : le responsable d’une institution gouvernementale peut être tenu de communiquer au commissaire à l’information un document contenant des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, mais le paragraphe 36(2.2) précise que cette divulgation ne constitue pas une renonciation au secret professionnel ou au privilège. De même, la Loi de 1998 sur les services d’aide juridiqueNote 28 de l’Ontario peut forcer la divulgation de renseignements privilégiés à Aide juridique Ontario, son paragraphe 89(3) précisant que « La divulgation de renseignements privilégiés à la Société [Aide juridique Ontario] qu’exige la présente loi n’a pas pour effet de nier l’existence d’un privilège ni ne constitue une renonciation à celui-ci. » 

45. Une renonciation limitée au secret professionnel de l’avocat peut également être créée et définie par accord. Solidement protégé par la loi, le secret professionnel de l’avocat néanmoins appartient en fin de compte au client, qui est libre d’y renoncer volontairement et de fixer les conditions et limites de cette renonciation.

46. Enfin, les circonstances donnant lieu à la perte du privilège à l’égard de certains renseignements en dictent souvent d’elles-mêmes l’étendue et les limites. Si, dans une procédure donnée, l’équité exige la levée du privilège pour certains renseignements, ce privilège peut toutefois être maintenu vis-à-vis d’autres parties dans d’autres instances.

47. La CPPM estime nécessaire, à l’égal de la Commission de la GRC, qu’on lui accorde un accès légiféré aux renseignements protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, lorsque cela est nécessaire pour trancher une plainte. Le cabinet du juge-avocat général s’est montré peu enclin à conseiller de renoncer au privilège et, comme nous l’avons déjà mentionné, il estime que seule une action du ministre peut entraîner la renonciation au privilège. Qui plus est, nous avons souvent des divergences de vues sur la portée des renseignements qui sont réellement privilégiés (les rapports au procureur, mentionnés ci-dessus, en sont un exemple). Pire encore, l’examen des documents de la PM divulgués à la CPPM en vertu de la partie IV de la LDN est effectué par du personnel dépourvu de formation juridique, qui tend à expurger toute référence concernant un conseiller juridique. Le personnel de la CPPM a ainsi dû s’engager dans de nombreuses discussions et négociations avec les conseillers juridiques du GPFC afin de faire réviser et (parfois) corriger les expurgations. Pour aplanir ces problèmes, la CPPM avait en fait mis en place un groupe de travail conjoint avec les conseillers juridiques du GPFC sur les expurgations de ces divulgations. Mais nous parvenons ou non à réduire et rationaliser les expurgations largement en fonction de l’attitude du ou des juges-avocats généraux qui conseillent le GPFC à tout moment donné.

48. La CPPM s’est souvent efforcée au fil des ans de résoudre ou contourner la question du privilège, de manière à respecter son importance tout en autorisant l’accès à des fins restreintes dans certains cas. La présidente a tenu une rencontre personnelle sur cette question avec le contre‑amiral Bernatchez, ainsi qu’avec son prédécesseur. Dans une lettre datée du 6 juin 2018, faisant suite à sa rencontre avec le contre-amiral Bernatchez, la présidente a soulevé la question de l’accès restreint de la CPPM aux renseignements protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat, ainsi que de la nécessité pour la CPPM d’accéder dans certains cas à des renseignements sensibles, par voie de son inscription à l’annexe de la Loi sur la preuve au Canada. Le 21 mai 2020, la présidente a écrit au juge-avocat général et au GPFC concernant l’accès de la CPPM aux rapports au procureur et attend actuellement une réponse. Pour apaiser leur crainte d’une perte totale du privilège dans les avis juridiques de la PM, la CPPM a partagé les résultats de ses recherches juridiques sur la doctrine de la renonciation limitée au privilège. La CPPM a également élaboré, et partagé avec le GPFC (le 26 juillet 2019), un modèle de lettre de demande de renonciation certifiant que la présidente est convaincue de la nécessité des renseignements privilégiés, et exposant les conditions, limites et garanties applicables au partage sécurisé des renseignements pertinents. Nous sommes en attente de la réponse du GPFC et avons assuré un suivi à plusieurs reprises avec le juge-avocat général qui est le conseiller juridique du GPFC. Mais en l’absence d’un droit d’accès légiféré de base, nous estimons que des mesures de ce genre ne peuvent qu’atténuer ce problème dans une certaine mesure.

4) La CPPM propose une modification de la partie IV de la Loi sur la défense nationale qui lui permette d’accéder à des renseignements confidentiels liés au secret professionnel de l’avocat, dans les cas ils sont pertinents à un traitement équitable de la plainte.

F. Assouplir certaines restrictions sur la preuve dans les audiences d’intérêt public

49. Lors d’une audience d’intérêt public, la CPPM est autorisée par l’alinéa 250.41(1)c) de la Loi sur la défense nationale à « recevoir et accepter les éléments de preuve et renseignements qu’elle estime indiqués, qu’ils soient ou non recevables devant un tribunal. » Un tel assouplissement des règles de la preuve traditionnelles est typique pour les tribunaux administratifs, notamment ceux ayant un mandat d’enquête plutôt que juridictionnel, comme c’est le cas de la CPPM. L’accent est porté aujourd’hui sur les principes de fiabilité et de nécessité de la preuve, plutôt que sur les règles de preuve traditionnelles qui peuvent entraîner l’exclusion de précieux éléments de preuve.Note 29

50. Le paragraphe 250.41(2) de la Loi sur la défense nationale énumère des exceptions à ce principe général. Il interdit à la CPPM d’accueillir à l’audience les catégories de preuve suivantes :

  1. des éléments de preuve ou autres renseignements non recevables devant un tribunal du fait qu’ils sont protégés par le droit de la preuve;
  2. les réponses ou déclarations faites devant une Commission d’enquête ou dans le cadre d’une enquête sommaire;
  3. les réponses ou déclarations d’un témoin faites au cours de toute audience tenue en vertu de la présente section pour enquêter sur une autre plainte qui peuvent l’incriminer ou l’exposer à des poursuites ou à une peine;
  4. les réponses ou déclarations faites devant un tribunal;
  5. les réponses ou déclarations faites dans le cadre d’une tentative de règlement amiable en vertu du paragraphe 250.27(1).

51. Si la proposition discutée à la section précédente (E) était adoptée, il faudrait modifier le paragraphe a) ci-dessus sur la question du secret professionnel de l’avocat. La CPPM n’a rien à redire aux restrictions prévues aux paragraphes c) ou e); cependant, elle estime que les restrictions en gras aux paragraphes b) et d) ci-dessus sont trop étendus, et donc inutiles.

52. Ces deux dispositions ont pour but de protéger les témoins, contraints de témoigner dans d’autres procédures, contre l’admission de ces déclarations à une audience d’intérêt public de la CPPM. Mais une telle interdiction générale risque d’exclure des renseignements très pertinents d’une audience de la CPPM, sauf par le recours, souvent longs et lourd, de faire comparaître ces témoins en vue d’obtenir directement leur témoignage. Ce n’est guère le type de procédure rapide et sans formalisme envisagé à l’article 250.14 et à l’alinéa 250.41(1)c) de la Loi sur la défense nationale. Ces interdictions ont une portée excessive dans la mesure où elles ne se limitent pas aux déclarations antérieures incriminantes pour le témoin. En tout état de cause, les procédures de la CPPM étant non criminelles, non disciplinaires et même non juridictionnelles, on peine à comprendre comment quiconque pourrait se trouver véritablement incriminé dans une de ses procédures. En outre, les interdictions s’appliquent aussi bien aux faits contextuels non contestés qu’aux faits contestés. Dans la mesure où elles excluent un contre-interrogatoire sur ces déclarations antérieures, ces interdictions réduisent les outils disponibles pour évaluer la fiabilité des témoins, et entravent ainsi la capacité de la CPPM – et celle des parties aux audiences – de découvrir la vérité.

53. L’origine et l’objet des alinéas 250.41(2)b) ou d) ne sont pas clairs, et leur rigidité va à l’encontre de l’avertissement donné à la CPPM de traiter tous les cas dont elle est saisie avec toute l’informalité et la célérité qu’autorisent les circonstances et les considérations d’équité. Dans d’autres cours et tribunaux, les déclarations faites devant d’autres organes juridictionnels sont recevables, pour autant qu’on puisse prouver leur authenticité. Le poids accordé à ces déclarations est une question à part, mais il appartient à l’organe qui évalue la déclaration extrajudiciaire de procéder à cette évaluation et de ne pas la faire exclure totalement de l’examen. La capacité de la CPPM à évaluer elle-même les preuves est énoncée à l’alinéa 250.41c) de la Loi sur la défense nationale, qui accorde à la Commission le pouvoir de recevoir et d’accepter les éléments de preuve et renseignements qu’elle estime indiqués.

54. S’il est question de fiabilité des déclarations faites en dehors d’une audience de la Commission, les alinéas 250.41(1)a) et b) de la Loi sur la défense nationale donnent à la CPPM le pouvoir d’assigner un témoin et de le contraindre à témoigner sous serment. On peut recourir à ce pouvoir en cas de doute sur l’acceptation en preuve d’un témoignage antérieur. En outre, l’article 250.44 de la Loi sur la défense nationale offre aux plaignants et à ceux assujettis à une audience la possibilité de présenter des éléments de preuve, d’y contre-interroger les témoins et d’y faire des observations. On peut se servir de ces pouvoirs au besoin pour empêcher l’usage abusif de déclarations provenant de procédures antérieures.

55. On n’observe aucun parallèle dans d’autres lois fédérales avec les restrictions sur la preuve prévues aux alinéas 250.41(2)b) ou d), notamment à la partie VII de la Loi sur la GRC concernant le pouvoir de la Commission de la GRC de recevoir des preuves lors de ses audiences d’intérêt public. La disposition équivalente, dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, à l’interdiction de recevoir en preuve toute déclaration faite devant une commission d’enquête ou une enquête sommaire (alinéa 45.45(8)b)), se borne aux renseignements incriminants. La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada n’offre absolument aucune disposition équivalente à l’alinéa 250.41(2)(d) de la Loi sur la défense nationale, qui interdit à la CPPM de recevoir en preuve toute réponse ou déclaration faite devant une cour de justice ou un tribunal.

5) La CPPM propose que soit modifiée la partie IV de la Loi sur la défense nationale de manière à modifier les restrictions sur la preuve prévues à l’alinéa 250.41(2)a) de ladite Loi à l’égard du secret professionnel de l’avocat, et à abroger les alinéas 250.41(2)b) et d).

G. Ajout de la CPPM à l’annexe II du Règlement sur la protection des renseignements personnels

56. Une difficulté spéciale pour la CPPM est l’absence de cloison administrative entre le Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes et les Forces armées canadiennes/le ministère de la Défense nationale en général. L’une des conséquences est que les renseignements et les dossiers non scannés par les membres de la police militaire dans le Système d’information – Sécurité et police militaire (SISEP) peuvent échapper au contrôle du GPFC, car celui-ci ne contrôle pas les systèmes globaux de gestion et de technologie de l’information des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale.

57. En conséquence, le GPFC peut ne pas être en mesure de divulguer à la CPPM des renseignements pertinents de la police militaire, même s’ils sont stockés sur des réseaux ou dispositifs informatiques sur les lieux de travail. Les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale en général ne s’estiment pas liés par les obligations de divulgation du GPFC à la partie IV de la Loi sur la défense nationale. Comme ces documents contiennent forcément des renseignements personnels, les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale se sentent tenus de s’opposer à la divulgation de ces renseignements à la CPPM, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cela a conduit à ce que des renseignements pertinents ne soient pas mis à la disposition de la CPPM, ou du moins à des retards importants dans la transmission de ces renseignements.

58. Ce facteur a ainsi joué dans l’enquête d’intérêt public en cours à Beamish (CPPM 2016‑040), où le plaignant a pu obtenir, par voie d’une demande en vertu de la Loi sur la protection de la vie privée, des renseignements non inclus dans ceux divulgués à la CPPM par le GPFC. La raison invoquée pour cette disparité est que des membres de la police militaire avaient omis de scanner les courriels pertinents dans leur dossier d’enquête, les plaçant ainsi hors du contrôle du GPFC, même s’ils figuraient sur les serveurs du MDN.

59. De plus, on envisage sans peine d’autres situations où des dossiers contenant des renseignements personnels qui échappent au contrôle du GPFC seraient pertinents à l’enquête de la CPPM. Des dossiers sur un policier militaire qui se trouvent sous le contrôle d’une autre partie du ministère de la Défense nationale pourraient être pertinents. Il pourrait même s’agir de dossiers sur la police militaire qui sont sous le contrôle du GPFC, mais que celui-ci hésite à communiquer, par exemple des dossiers disciplinaires. Les dossiers sur les membres des forces armées canadiennes ne faisant pas partie de la police militaire peuvent être très pertinents aux enquêtes sur des plaintes pour ingérence, qui concernent souvent des éléments des forces armées non-membres de la police militaire. Pour les opérations à l’étranger, les dossiers relatifs aux membres ou opérations de la police militaire peuvent être détenus par Affaires mondiales Canada. Dans le cas d’opérations nationales, les dossiers peuvent être détenus par le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. Dans le cas d’opérations policières conjointes, les dossiers peuvent être détenus par la GRC.

60. Dans les cas où les demandes de dossiers auprès du Groupe de la police militaire des Forces canadiennes n’ont pas abouti, ou ont entraîné un retard important, on a informé la CPPM que l’accès à ces documents aurait été possible si elle avait été un organisme d’enquête visé à l’alinéa 8(2)e) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, lequel autorise la communication de renseignements personnels à un organisme d’enquête déterminé par règlement, sur demande par écrit de l’organisme, aux fins de faire respecter des lois fédérales ou provinciales ou pour tenir des enquêtes licites, pourvu que la demande précise les fins auxquelles les renseignements sont destinés et la nature des renseignements demandés. Les organismes d’enquête habilités à recevoir des renseignements personnels sont inscrits à l’annexe II du Règlement sur la protection des renseignements personnels.

6) La CPPM propose qu’on ajoute son nom à la liste des organismes d’enquête inscrits à l’annexe II du Règlement sur la protection des renseignements personnels.

II. DES PROCÉDURES PLUS ÉQUITABLES ET EFFICACES

A. Introduction

61. La CPPM non seulement recherche des pouvoirs juridiques plus solides et modernes pour accéder à l’information, mais de plus entrevoit divers moyens d’actualiser les procédures de traitement des plaintes sous l’angle de l’efficacité et de l’équité.

B. Pouvoir d’identifier et de classer les plaintes

1) Aperçu du problème

62. La partie IV de la Loi sur la défense nationale est muette sur le moment du déclenchement du processus de plainte pour inconduite de la PM, y compris du mandat de surveillance de la CPPM. Le droit de déposer une plainte pour ingérence est limité aux membres de la police militaire qui mènent une enquête, ou qui se trouvent dans la chaîne de commandement supervisant l’enquête. Ces processus sont faciles à identifier, outre que les plaignants pour ingérence connaissent mieux le processus de plainte et la façon de s’y engager. Cela étant, la question de classification et d’identification des plaintes concerne largement les plaintes pour inconduite.

63. Est valide une plainte pour inconduite qui porte sur la conduite d’un membre de la PM dans l’exercice, ou l’exercice supposé, de ses « fonctions de nature policière », définies comme suit à l’article 2 du Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires (le Règlement) :

2.  (1) Pour l’application du paragraphe 250.18(1) de la Loi, « fonctions de nature policière » s’entend des fonctions ci-après lorsqu’elles sont accomplies par un policier militaire :

  1. enquêter;
  2. prêter assistance au public;
  3. exécuter les mandats ou autres actes de procédure judiciaire;
  4. gérer les éléments de preuve;
  5. porter des accusations;
  6. participer à l’instance;
  7. faire respecter la loi;
  8. donner suite aux plaintes; et
  9. arrêter ou détenir des personnes.

(2) Il est entendu que les fonctions exercées par le policier militaire qui se rapportent à l’administration ou à la formation, ou aux opérations d’ordre militaire qui découlent de coutumes ou pratiques militaires établies ne sont pas comprises parmi les fonctions de nature policière.

64. Une telle définition est bien sûr nécessaire, car le policier militaire est tout à la fois soldat et policier. Il exerce une variété de fonctions qui ne renvoient pas, et ne devraient pas renvoyer, au régime de surveillance spécial établi à la partie IV de la Loi sur la défense nationale pour les fonctions de police.

65. Le problème de classification et d’identification des plaintes se pose également, au moins en partie, parce que la CPPM n’est pas l’unique portail pour les plaintes portant sur la conduite des PM, qu’on peut également soumettre au juge-avocat général, au GPFC ou à tout policier militaire. Si un autre destinataire d’une plainte pour inconduite ou ingérence décidait que cette plainte n’était pas valable, il pourrait opter unilatéralement de ne pas en transmettre une copie à la CPPM et de ne pas enclencher le processus prévu à la partie IV de la Loi sur la défense nationale.

66. De tels cas se sont produits en fait. Il est arrivé que le GPFC omette d’informer la CPPM des plaintes reçues, parce qu’elles n’avaient pas été adressées tout d’abord à l’un des destinataires de plaintes autorisés par l’article 250.21 de la LDN (cette question est traitée au paragraphe suivant), ou parce qu’on avait décidé (unilatéralement) qu’elles ne concernaient pas des « fonctions de nature policière ». Parfois, la CPPM n’était informée de ces plaintes que lorsque le plaignant demandait un réexamen au titre de l’article 250.31 de la LDN. Il est évident que cela pose un problème pour le contrôle. Ainsi, des plaintes qui seraient normalement soumises à l’examen de la CPPM peuvent ne pas bénéficier de cette possibilité, et la CPPM peut ne pas avoir connaissance de plaintes qui devraient déclencher un examen d’intérêt public en vertu de l’article 250.38 de la LDN.

67. Une autre solution pourrait consister à exiger que toute plainte pour inconduite soit adressée à la CPPM, mais une telle réforme est déconseillée pour plusieurs raisons.

68. Premièrement, elle ne permettrait pas de déterminer avec l’autorité voulue si une plainte est ou non une plainte pour inconduite valable. Les Normes professionnelles du GPFC pourraient à l’égard d’une plainte avoir une opinion différente de celle de la CPPM, les Normes professionnelles ne procédant donc pas dans ce cas à l’examen initial ou à l’enquête sur la plainte. Il en résulterait souvent que la CPPM doit entreprendre une enquête complète sur une plainte, plutôt que de simplement l’examiner en bénéficiant de l’enquête des Normes professionnelles, comme le veut la législation.

69. Deuxièmement, il faut admettre qu’une norme ou tradition culturelle au sein de l’armée interdit de soumettre tout problème à des organismes ou institutions externes. En fait, il est interdit aux membres des forces armées canadiennes de faire ce que l’on qualifie de « commentaires inappropriés », interdiction énoncée dans les termes suivants : « Aucun officier ou militaire du rang ne doit faire ni ne doit dire quoi que ce soit qui... vu ou entendu par un membre du public, pourrait jeter le discrédit sur les Forces canadiennes ou sur l’un de ses membres. ».Il est également ordonné aux membresNote 30 des Forces armées canadiennes de ne pas entrer en communication avec d’autres ministères à moins d’y être autorisé.Note 31

70. Cela étant, il est suggéré de conserver les destinataires autorisés actuels des plaintes pour inconduite, définis au paragraphe 250.21(1) de la LDN.

2) Classification des plaintes : S’agit-il de « Fonctions de nature policière » (art. 250.18(1) de la LDN / art. 2 du Règlement)?

71. À l’heure actuelle, si nous sommes généralement d’accord avec les Normes professionnelles du GPFC touchant la classification des plaintes par rapport aux époques précédentes, il faut éviter de laisser ces questions fondamentales à la merci de la personnalité des titulaires de postes au QG du groupe de la PM des FC et de leurs conseillers juridiques. En outre, il subsiste des points de désaccord sur la nature d’une « fonction de nature policière », par exemple le mode d’enquête des Normes professionnelles du GPFC et la responsabilité des superviseurs de la PM dans les enquêtes. Savoir si une plainte relève ou non de la partie IV de la LDN soulève d’incessants désaccords et discussions, et la CPPM apprécie le point de vue du GPFC sur cette question. Mais il faudrait, sous réserve d’un contrôle judiciaire, que quelqu’un dans le processus de la partie IV de la LDN soit chargé de trancher si une affaire est ou non une plainte relevant en fait de la partie IV de la LDN.

72. La CPPM estime qu’elle est la seule candidate logique pour le rôle de gardien de l’intégrité de la surveillance indépendante. Laisser les membres du service de police qui est surveillé prendre une telle décision donne au moins l’impression d’un conflit d’intérêts. Certains secteurs au Canada ont pris des mesures d’évitement de ce problème : dans les secteurs où la recevabilité d’une plainte, ou le rôle de l’organe de surveillance externe, dépend de la façon dont la plainte est présentée, c’est toujours à l’organe de surveillance que cette responsabilité est confiée.Note 32 Il semble que la seule exception soit le processus de plaintes contre la police militaire à la partie IV de la Loi sur la défense nationale.

73. Il saute aux yeux qu’il est illogique et inapproprié, du point de vue de la surveillance, qu’un service de police surveillé ait pour rôle de décider quelles plaintes contre ses membres sont et ne sont pas soumises à un examen extérieur. Cela est impensable. Pour éviter les craintes de fausse identification, ou d’identification contestée, des plaintes déposées en vertu de la partie IV de la Loi sur la défense nationale, le plus logique est de confier la détermination de la question à la CPPM, sous réserve du pouvoir de surveillance de la Cour fédérale.

74. La participation de la CPPM à la classification et à l’interprétation des plaintes dès le début s’accompagnerait d’autres avantages. Les divergences d’interprétation d’une plainte, par exemple entre les Normes professionnelles du GPFC et la CPPM, seraient probablement moins prononcées, réduisant ainsi le nombre de cas où les membres visés par la PM doivent être désignés membres visés au stade de l’examen, alors qu’au départ ils n’étaient pas considérés comme tel par les Normes professionnelles du GPFC – ce qui est au demeurant plus juste pour ces sujets. Cela s’est en fait produit récemment dans trois cas d’examen de conduite, à savoir les CPPM 2016-037, 2018-022 et CPPM 2019-038.

3) Plaintes reçues indirectement (art. 250.21 de la LDN)

75. Passant à l’article 250.21 de la LDN, on note encore un problème d’identification des plaintes, lié à leur mode de réception par les destinataires désignés au paragraphe 250.21(1). On connaît des cas de plaintes, manifestement au sujet du comportement de la police militaire exerçant des « fonctions de nature policière », que les Normes professionnelles du GPFC ont néanmoins traité comme des plaintes « internes » non visées par la partie IV de la LDN : la raison est que les plaintes n’ont pas été reçues directement du plaignant par un des destinataires du paragraphe 250.21(1). Dans ces cas, les plaignants qui n’avaient pas connaissance du processus de la partie IV de la LDN ont adressé leurs plaintes au ministre de la Défense nationale, au chef d’état-major de la Défense ou à leur député.

76. Les plaintes de cette nature sont systématiquement transmises au GPFC afin qu’il prenne action. La CPPM estime que, quel que soit leur mode d’acheminement, elles devraient être traitées comme des plaintes pour inconduite de la part de la police militaire, conformément à l’article 250.18 de la LDN. Au surplus, le Parlement a clairement voulu le plus large éventail possible de plaignants. Le terme « quiconque » employé au paragraphe 250.18(1) de la LDN englobe certainement ceux qui, pour quelque raison, ont adressé leur plainte en premier lieu à un destinataire autre que ceux désignés au paragraphe 250.21(1). Aucune raison de principe n’oblige à traiter ces plaintes comme extérieur au champ d’application de la surveillance de la CPPM. Au contraire, le plaignant s’étant donné la peine de faire appel à des autorités externes de haut niveau, il y a toute raison de veiller à inclure ces plaintes dans le processus prévu à la partie IV de la LDN. Dans l’esprit à tout le moins de ces plaignants, leurs plaintes soulèvent des questions d’intérêt public, qui devraient donc faire l’objet du processus de plaintes du public, y compris la surveillance indépendante par la CPPM.

77. La solution législative nécessaire à ce problème pourrait se borner à élargir la portée du paragraphe 250.21(1) de la LDN aux plaintes reçues directement ou indirectement.

4) Classification des plaintes : plaintes « internes » contre plaintes « publiques »

78. La catégorie des plaintes « internes » pose elle-même un autre problème. La CPPM admet la nécessité légitime d’une catégorie de plaintes « internes » pouvant être traitées entièrement par les Normes professionnelles du GPFC. Il s’agirait des plaintes portant sur la conduite et le rendement de la PM soulevées par la chaîne de commandement de la PM, et par son intermédiaire. Naturellement, la conduite et le rendement de la PM sont constamment soumis à un contrôle et à une évaluation par les superviseurs et le reste de la chaîne de commandement de la PM; les Normes professionnelles du GPFC effectuent également des audits périodiques des unités de la PM. La conduite et le rendement de la PM sont donc, de multiples façons, commentés et rapportés au sein de la chaîne de commandement du Groupe de la PM des FC. Il n’est ni pratique, ni dans l’intérêt public, d’insérer la surveillance du GPPM dans les systèmes de gestion du commandement et du rendement de la PM.

79. Dans cette optique, il convient de créer une catégorie « interne » de questions à traiter par les Normes professionnelles du GPFC, qui ne relève pas du processus « public » inscrit à la partie IV de la LDN. D’ailleurs une telle catégorie a toujours existé en fait; mais comme il s’agissait d’une catégorie purement de fait, et qu’elle était entièrement gérée par les Normes professionnelles du GPFC, la catégorie des plaintes « internes » est devenue un dépôt de données non surveillé pour toutes les plaintes que les Normes professionnelles du GPFC ont jugé, souvent unilatéralement, ne pas relever de la partie IV de la LDN pour quelque raison.

80. Selon la CPPM, l’intégrité du régime de surveillance public établi à la partie IV de la LDN exige que la Loi guide l’utilisation de la classification des plaintes « internes » par le GPFC. Comme indiqué ci-dessus, cela devrait se borner aux questions de conduite ou de rendement qui ont été soulevées par la chaîne de commandement de la PM. Il faut de plus préciser que, comme indiqué ci-dessus, la CPPM devrait être responsable en dernier ressort de décider si une question relève véritablement de la définition législative proposée pour la classification des plaintes « internes ».

5) Recommandation-cadre pour le GPFC

81. Les deux examens indépendants précédents ont recommandé que le GPFC soit tenu d’élaborer un cadre qui établisse si les plaintes pour inconduite déclenchent la compétence de la CPPM. Avec égard, cette recommandation est illogique dans le contexte d’un régime de plaintes de la CPPM comportant une surveillance externe. La notion que le service de police surveillé fixe le rôle de l’organe de surveillance va à l’encontre du concept même de surveillance indépendante. De plus, il semble évident, à la lecture de cette recommandation dans son contexte, qu’elle est malheureusement mal faite, reposant sur une fausse compréhension des questions sous-jacentes. La présente sous-section le prouve.

82. Dans son rapport sur le premier examen indépendant, dans un paragraphe intitulé « Plaintes donnant lieu à une surveillance publique », l’ancien juge en chef Lamer recommande ceci :

[...] que le prévôt des Forces canadiennes conçoive un système fixant les critères que ce prévôt doit appliquer pour déterminer si l’inconduite faisant l’objet d’une plainte relève de la compétence de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire.Note 33

83. Ce cadre avait pour but d’aider le GPFC à distinguer entre les questions de conduite de la PM qui « relèvent de la CPPM » et celles qui devaient relever « uniquement du bureau du prévôt »Note 34 en ce qui concerne les plaintes internes. La question découle du fait que le juge en chef Lamer note que le bureau des Normes professionnelles du GPFC et la CPPM avaient des statistiques différentes sur les plaintes des PM. Avec tout le respect que je dois à l’ancien juge en chef, il semble avoir mal attribué la cause de l’écart entre les chiffres des plaintes. Le juge en chef Lamer semble avoir supposé que les Normes professionnelles du GPFC classassent les problèmes de conduite des PM de moindre gravité comme des plaintes « internes » (par opposition aux plaintes « publiques », soumises à la surveillance de la CPPM). En effet, il poursuit comme suit :

Par ailleurs, de nombreux manquements à la politique administrative constituent des infractions au Code de discipline militaire par le jeu de l’article 129 de la LDN. Il serait donc impossible de séparer parfaitement les plaintes qui donnent lieu à une surveillance indépendante des autres. En conséquence, je pense que le prévôt pourrait concevoir un système de classification qui décrirait les plaintes qui concernent incontestablement des manquements de nature administrative et qui permettrait d’adopter des critères servant à déterminer si une plainte pour inconduite est soumise à une surveillance indépendante.Note 35

84. Si l’observation de l’ancien juge en chef est pertinente quant à la portée potentielle et littérale du système de justice militaire, y compris de la police militaire, elle est hors de propos par rapport à la répartition des plaintes entre « interne » et « publique ». En fait, cette distinction entre les deux types de plaintes au sein des Normes professionnelles du GPFC, concerne l’origine de la plainte, et non sa gravité. Tout problème de conduite de la PM soulevé par la chaîne de commandement de la PM, quelle que soit sa nature ou sa gravité relative, est traité comme une plainte « interne », alors qu’une plainte sur la conduite de la PM émanant d’un membre du « public » (qui, dans ce contexte, peut signifier du personnel civil ou militaire) est traitée comme une plainte, à proprement parler au sens du paragraphe 250.18(1) de la LDN, et soumise au contrôle du CPPM – ici encore, indépendamment de sa gravité relative.

85. Deux points ressortent clairement de cette recommandation, interprétée dans son contexte exact. Premièrement, elle visait exclusivement le GPFC, pour application interne aux plaintes potentiellement « internes ». Il n’est nullement suggéré qu’elle devrait s’appliquer à la CPPM. Deuxièmement, elle portait sur la gravité de la conduite sous-jacente, objet de l’enquête par les PM, plutôt que sur la nature de la conduite du PM. Il est hors de doute qu’un policier peut commettre des fautes graves (falsification de dossiers ou preuves, abus d’autorité) alors qu’il enquête sur une faute insignifiante, comme un contrôle routier pour infraction mineure. Cette recommandation n’est donc pas cohérente, même correctement limitée à l’aspect plainte « interne » par rapport à plainte « publique », par opposition à l’application de la définition des « fonctions de nature policière ».

86. Ainsi, le cadre proposé par l’ancien juge en chef n’avait pas pour but de décider si une plainte relevait de la surveillance de la CPPM en fonction de son objet ou de son fond. Cette appréciation est renforcée du fait que le juge en chef Lamer a traité de la définition de « fonctions de nature policière » dans un paragraphe distinct de son rapport (aux pages 75-77). Sur la question de la classification des plaintes par objet (c’est-à-dire si une plainte concerne l’exercice par le PM de « fonctions de nature policière »), le juge en chef Lamer s’est borné à observer qu’il était « porté à croire » que le traitement des plaintes par le bureau des normes professionnelles du GPFC était effectivement une « fonction de nature policière » (point de désaccord de longue date entre le GPFC et la CPPM), mais a refusé de se prononcer définitivement sur la question avant que la LDN définisse la position et le rôle du GPFC.Note 36

87. L’autorité indépendante chargée du deuxième examen a malheureusement adopté la recommandation du rapport Lamer précité, presque sans commentaire ou analyse.Note 37 Pire encore, et avec tout le respect dû à l’ancien juge Lesage, ce dernier a confondu la question de la plainte « interne » contre « publique » (source de la plainte) avec celle de la classification par objet – c’est-à-dire l’application de la définition de « fonction de nature policière » pour décider si une plainte est pour inconduite au sens de l’article 250.18 de la LDN et du règlement précité.

88. Mais comme nous l’avons vu plus haut, il y aurait conflit d’intérêts, qui attenterait à l’intégrité du système de surveillance de la PM, si les PM décidaient eux-mêmes quand la partie IV de la LDN s’applique à une plainte, et quand la compétence de la CPPM entre en jeu. Comme indiqué ci-dessus, cette façon de faire irait à l’encontre des normes qui régissent actuellement la surveillance civile de la police.

7) La CPPM propose que soit modifiée la partie IV de la Loi sur la défense nationale de manière qu’elle prescrive ce qui suit :

  1. Il appartient à la CPPM de décider si une communication reçue par une autorité visée au paragraphe 250.21(1) de la Loi sur la défense nationale constitue une plainte pour inconduite ou ingérence au sens de la partie IV de ladite Loi;
  2. Le paragraphe 250.21(1) s’applique aux plaintes reçues, directement ou indirectement, par les responsables qui sont désignés destinataires des plaintes pour inconduite;
  3. Les plaintes « internes » relevant du GPFC, et non soumises au processus de plaintes visé à la partie IV de la Loi sur la défense nationale, se bornent à celles qui se produisent à l’intérieur de la chaîne de commandement de la PM.

C. Droit de révision accordé à ceux faisant l’objet d’une plainte pour inconduite

89. À l’occasion des visites des bases des Forces armées canadiennes et des unités de la police militaire relevant du programme de sensibilisation, une plainte récurrente des membres de la police militaire, concernant le système actuel de plaintes pour inconduite, est que seul un plaignant insatisfait a droit de demander une révision à la suite d’une décision initiale du GPFC. Beaucoup de membres de la police militaire voient là une question d’équité.

90. La CPPM comprend le raisonnement qui sous-tend la décision législative d’accorder le droit de révision uniquement aux plaignants. Un policier militaire sanctionné de quelque façon, à la suite d’une plainte pour inconduite jugée fondée par le GPFC, dispose des moyens internes de la police militaire et des Forces armées canadiennes pour contester ces sanctions (Conseil de révision des attestations de police militaire, système de règlement des griefs des Forces armées canadiennes, etc.), moyens auxquels un plaignant n’a pas accès.

91. Si d’autre part les membres de la police militaire peuvent se prévaloir de mécanismes internes de contestation des sanctions imposées, ces mécanismes ne s’appliquent pas nécessairement aux conclusions du GPFC, qui se bornent à faire déconsidérer la conduite d’un membre, sans donner lieu à d’autres mesures. Un droit de révision offrirait aux intéressés la possibilité de contester les conclusions défavorables quant à leur conduite, indépendamment de toute contestation des mesures correctives prises à leur encontre.

92. Il est d’importance capitale que la Commission soit considérée comme indépendante des Forces armées canadiennes en général et du commandement de la police militaire en particulier, pour des raisons de respect et d’acceptation des décisions de la Commission. Si une partie à une plainte sera sans doute déçue par la décision de la Commission, cette dernière a pour objectif de voir à ce que les deux parties conviennent de l’équité du processus menant au résultat obtenu. La perception d’équité sera renforcée si le tribunal est considéré non seulement indépendant, mais aussi impartial. Accorder aux sujets de plaintes le droit de demander un réexamen par la Commission permettrait d’assurer l’équilibre du traitement des plaintes.

93. De plus, le droit de demander la révision pour les objets de plaintes remonterait le moral des membres de la police militaire. Un système qui ne permet pas à la Commission d’obliger à fournir des preuves n’incite guère les membres de la police militaire à le faire s’ils ne sont pas autorisés à saisir eux-mêmes la Commission. Si la Commission ne leur donne aucun recours, on peut penser qu’ils seront moins motivés à participer.Note 38 Ces conclusions ne revêtent pas la forme de sanctions légales, mais elles peuvent être lourdes de conséquences si elles ternissent la réputation d’un membre de la police militaire. Le stress d’attendre une décision sur l’exercice de leurs fonctions peut aussi peser sur les membres concernés. Toute impression que la Commission, ou du moins son mandat législatif, penche en faveur des plaignants ne peut qu’ajouter à ce stress.

94. La notion de droit de l’objet d’une plainte pour inconduite (devant le GPFC) de demander la révision a été adoptée par le premier examen indépendant. La recommandation 66 de l’ancien juge en chef Lamer était de modifier la Loi sur la défense nationale de façon qu’une fois une plainte pour inconduite résolue par le GPFC des Forces canadiennes, le plaignant ou le membre de la police militaire dont la conduite faisait l’objet de la plainte aurait le droit de demander une révision.

8) La CPPM propose que le droit de lui demander la révision d’une plainte pour inconduite soit étendu au policier militaire faisant l’objet d’une plainte.

D. Élargir le processus de plainte à tous ceux affectés à des postes de la police militaire

95. La définition actuelle de « police militaire » au regard du processus de plainte est énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur la défense nationale. Cette disposition, en conjonction avec l’article 156 de la Loi et l’article 22.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), renvoie aux membres des Forces armées canadiennes affectés à des postes de police militaire, qui possèdent un insigne de la police militaire et une carte d’identité de la police militaire, collectivement désignées « attestations de police militaire ». Cette définition est adaptée aux fins générales de la Loi sur la défense nationale, mais il vaudrait la peine de l’élargir au moins à ceux qui sont détachés à des postes de la police militaire.

96. Deux raisons principales incitent la CPPM à juger souhaitable un tel changement. La première est que les policiers civils, régulièrement détachés à des postes de la police militaire au sein du SNEFC, sont souvent affectés aux cas les plus difficiles et délicats, et sont donc idéalement placés pour détecter une entrave dans les enquêtes et se présenter comme des plaignants pour ingérence en vertu du paragraphe 250.19(1) de la Loi sur la défense nationale. Mais la définition actuelle de « police militaire » le leur interdit.

97. La deuxième raison d’élargir la définition de « police militaire » est qu’il semble injuste pour tous les intéressés que quiconque exerce les fonctions d’un membre de la police militaire ne puisse, pour des raisons d’ordre technique, faire l’objet d’une plainte pour inconduite. Cela est injuste pour le plaignant qui peut faire appel à un enquêteur à l’égard d’une plainte, mais pas d’une autre, alors que les sujets ont exercé les mêmes fonctions. Au cas où l’officier détaché et un membre de la police militaire de la Force régulière sont tous deux impliqués dans la conduite reprochée, cela serait en outre injuste envers le membre de la Force régulière, qui peut faire face à des allégations d’inconduite dans une plainte alors que son partenaire détaché, qui y a participé, y échappe. Ce serait injuste aussi pour la chaîne de commandement de la PM, privée de la possibilité de résoudre des problèmes d’inconduite individuelle ou systémique de ses subordonnés pour la seule raison qu’ils sont des membres détachés.

98. Le fait que les policiers détachés ne soient pas considérés des « policiers militaires » les prive également des droits accordés aux sujets membres de la police militaire, comme l’envoi de rapports de situation sur l’avancement d’une enquête et la réception du rapport final de la CPPM. Les membres concernés ont toujours la possibilité de s’entretenir avec les enquêteurs de la Commission et de donner ainsi leur version des faits faisant l’objet d’une plainte. À noter que même si un agent de police détaché fait l’objet d’une plainte auprès de la CPPM, il demeure soumis aux mesures disciplinaires que son service d’attache peut vouloir prendre, puisque la CPPM n’est pas un organe disciplinaire.

99. Dans le premier examen indépendant, la recommandation 71 voulait que « la Loi sur la défense nationale soit modifiée afin de prévoir que les personnes détachées auprès de la police militaire ou travaillant pour la police militaire sont réputées être des policiers militaires aux fins de la partie IV de la Loi sur la défense nationale ». Dans le deuxième examen indépendant, la recommandation 51 voulait que le paragraphe 250.19(1) de la Loi sur la défense nationale soit modifié de manière à autoriser quiconque est détaché à un poste de la police militaire de déposer une plainte pour ingérence.

9) La CPPM propose une modification de la Loi sur la défense nationale qui élargisse la définition de « police militaire », aux fins de la partie IV de ladite Loi, à quiconque est détaché à un poste de police militaire.

E. Élargir la disponibilité du règlement à l’amiable

100. La CPPM est favorable au règlement à l’amiable des plaintes en vertu de la partie IV de la Loi sur la défense nationale. À l’heure actuelle, l’article 3 du Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires interdit au GPFC de régler à l’amiable les plaintes pour inconduite relevant des catégories suivantes :

  1. excès de force;
  2. corruption;
  3. infraction d’ordre civil ou militaire;
  4. problèmes relatifs aux orientations de la police militaire des Forces canadiennes;
  5. arrestation d’une personne;
  6. parjure;
  7. abus d’autorité; ou
  8. inconduite donnant lieu à une blessure.

101. La CPPM estime qu’il faut réexaminer ces restrictions, qui sont trop larges. De nombreuses plaintes pour inconduite portent sur des comportements de la police militaire qu’on peut dire liés aux politiques de la PM (point (d) ci-dessus). De plus, les interdictions générales de règlement à l’amiable des plaintes « d’excès de force » et « d’arrestation d’une personne » peuvent recouvrir des situations qui ne sont pas graves au point d’exclure la possibilité d’un règlement à l’amiable. Enfin, la catégorie exclut des plaintes concernant un « abus d’autorité peut être interprétée comme couvrant des plaintes relativement mineures liées à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la police, par exemple infliger des contraventions de stationnement ou de circulation.

102. Toutefois, le recours accru au règlement à l’amiable des plaintes pour inconduite ne doit pas se faire au détriment de la nécessaire surveillance du traitement des plaintes pour inconduite de la police militaire. On doit continuer à informer la CPPM de toutes les plaintes, y compris celles réglées à l’amiable, ainsi que des modalités de ces règlements. En vertu du paragraphe 250.27(6) de la Loi sur la défense nationale, le GPFC doit informer la CPPM qu’une plainte a été réglée à l’amiable, mais rien n’est précisé quant à la communication des conditions du règlement. Le mode de règlement d’une plainte est important, car même si les plaignants individuels en sont satisfaits, des préoccupations systémiques plus larges peuvent nécessiter des mesures supplémentaires; de plus, le mandat d’intérêt public de la CPPM ne dépend pas de la continuation de la participation du plaignant au processus (le paragraphe 250.38(2) de la Loi sur la défense nationale permet au président de faire tenir une enquête malgré le retrait de la plainte). En outre, la Commission de la GRC est expressément tenue de recevoir une copie des conditions et de l’accord signifié pour toute plainte réglée à l’amiable (voir le paragraphe 45.56(3) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada). Il faut mettre la CPPM dans la même position.

103. La CPPM estime aussi qu’elle devrait posséder le pouvoir explicite de régler à l’amiable les plaintes d’ingérence. Dans plusieurs cas de plaintes pour ingérence ayant déclenché des enquêtes et des rapports officiels de la CPPM, des problèmes de communication entre les parties à la plainte, et de mauvaise compréhension des motivations et des intentions du commandement aussi bien que des devoirs et responsabilités de la police militaire, ont clairement contribué au dépôt de la plainte. Dans les cas qui s’y prêtent, la possibilité d’une discussion informelle entre les intéressés pourrait accroître la compréhension et l’appréciation mutuelles des rôles, des responsabilités et des intentions, et dans certains cas éviter la nécessité d’enquêtes et de conclusions formelles.

104. Le rapport du deuxième examen indépendant soutient la position de la CPPM sur le règlement à l’amiable. Voici la recommandation 52 de ce rapport : « Les catégories d'affaires qui ne peuvent faire l’objet d'un règlement à l’amiable devraient être réduites. Pour ce qui est des plaintes qui font l’objet d'un règlement à l’amiable, je recommande d'informer la CPPM des conditions du règlement à l’amiable. » 

10) La CPPM propose que soit modifié l’article 3 du Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires par la réduction des catégories de plaintes pour inconduite exclues du règlement à l’amiable.

11)  La CPPM propose que lui soient notifiées les conditions de tout règlement à l’amiable de plaintes pour inconduite.

12) La CPPM propose qu’elle soit expressément autorisée à recourir au règlement à l’amiable des plaintes pour ingérence.

F. Délais de demande en révision et de communication de la notification

105. L’article 250.2 de la Loi sur la défense nationale prescrit un délai d’un an (après l’acte ayant donné lieu à la plainte) pour déposer une plainte pour inconduite ou ingérence, délai qui peut être prolongé par le président s’il le juge raisonnable dans les circonstances. Toutefois, il n’y a pas de délai de demande en révision d’une plainte pour inconduite à la suite d’une décision par le GPFC. La CPPM estime qu’il conviendrait de fixer un délai par défaut pour toute demande de révision de la décision du GPFC sur une plainte pour inconduite en vertu de l’article 250.31 de la Loi sur la défense nationale, sous réserve du pouvoir discrétionnaire du président de la CPPM de prolonger ce délai si on le juge raisonnable.

106. Au vu de la mobilité des plaignants et des sujets potentiels des Forces armées canadiennes, et de leur risque d’un déploiement de plusieurs mois partout au monde dans des milieux difficiles et dangereux, il convient d’accorder un délai par défaut relativement généreux par rapport, par exemple, aux 30 jours pour une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un conseil ou d’un tribunal fédéral prévue au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les cours fédérales. Le paragraphe 45.7(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada exige qu’un plaignant qui n’est pas satisfait de la décision de la Gendarmerie concernant sa plainte renvoie celle-ci à la Commission de la GRC dans les 60 jours, s’il souhaite qu’elle soit révisée.

107. Les premier et deuxième examens indépendants ont tous deux avalisé l’idée d’une limitation du délai de demande de révision. L’ancien juge en chef Lamer propose, à la recommandation 66 du premier examen indépendant, que le plaignant et le sujet aient tous deux 60 jours pour demander une révision; si elle n’était pas demandée dans ce délai, le cas serait réputé clos. À la recommandation 53 du deuxième examen indépendant, l’ancien juge Lesage estime qu’il faut fixer une prescription de 90 jours pour demander l'examen d'une plainte pour inconduite après que le GPFC ait ouvert une enquête à son sujet. La Commission recommande un délai de 90 jours.

108. Une autre étape de la procédure dont les délais ne sont pas actuellement réglementés est l’envoi de la notification en réponse au rapport provisoire de la CPPM. La CPPM ne peut procéder à son rapport final et conclure son processus sans avoir préalablement examiné la notification.

109. À l’égard de toute plainte pour inconduite, la notification en réponse aux rapports provisoires de la CPPM est préparée par le GPFC, sauf s’il est lui-même visé par la plainte. Le chef d’état-major de la défense est chargé de la notification des plaintes pour inconduite dirigées contre le GPFCNote 39, et de toutes les plaintes pour ingérence lorsque qu’elles visent un membre des Forces armées canadiennes.Note 40 Si une plainte pour ingérence vise un haut fonctionnaire du ministère de la Défense nationale, le sous-ministre est responsable de la notification.Note 41 Enfin, si la plainte pour ingérence vise soit le chef d’état-major de la Défense, soit le sous-ministre, l’examen du rapport provisoire de la CPPM et la préparation de la notification incombent au ministre.Note 42

110. L’application d’un tel délai de production de la notification nécessiterait le règlement de plusieurs détails : durée du délai autorisé; savoir si le délai devrait être le même pour tous les fonctionnaires tenus de produire des notifications (ou si les plus hauts fonctionnaires du ministère – le chef d’état-major de la défense, le sous-ministre et le ministre – devraient automatiquement disposer d’un délai plus long); savoir si l’on devrait pouvoir obtenir une prolongation du délai auprès de la CPPM; et quelles devraient être les conséquences du non-respect du délai. Toutefois, la priorité, pour cet examen ou révision, devrait être de fixer le principe d’un délai de production de la notification, afin que les représentants du service de police supervisé ne puissent pas retarder inutilement le rapport final de la CPPM. La Commission recommande un délai de 90 jours pour la production de la notification, sous réserve d’une prolongation par le président. La Commission est d’avis que si le délai n’est pas respecté et qu’aucune demande de prolongation n’est reçue, la Commission devrait être autorisée à publier son rapport final.

111. Ce qui s’est passé avec la Commission de la GRC illustre les risques de ne pas exiger une notification dans un délai fixe. Comme pour la CPPM, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ne fixe pas de délai de réponse du commissaire de la GRC aux rapports intérimaires de la Commission de la GRC.Note 43 Dans le rapport annuel 2019-2020 de cette Commission, la présidente se dit consternée de la longueur du délai de réponse du Commissaire de la GRC aux rapports intérimaires de la Commission de la GRC, le délai moyen étant passé à 17 mois (le délai normal du GPFC est loin d’être aussi long). Cette question la préoccupe beaucoup, car de longs délais ne font qu’obscurcir la transparence, affaiblir les effets des conclusions et réduire ou éliminer la valeur des recommandations.Note 44 La présidente ajoute que les Canadiens sont en droit de savoir si les conclusions et recommandations de la Commission de la GRC ont été acceptées et si les politiques, les procédures et la formation de la GRC ont été adaptées en conséquence.

13) La CPPM propose l’adoption d’un délai de 90 jours pour demander la révision d’une plainte pour inconduite, sous réserve de prolongation par le président de la CPPM.

14) La CPPM propose l’imposition d’un délai de 90 jours pour la production de la notification, sous réserve de prolongation par le président de la CPPM. En l’absence d’une notification dans le délai imparti, ou d’une demande de prolongation, la CPPM peut procéder à la publication de son rapport final.

G. Plaintes déposées par le président

112. La CPPM estime détenir le pouvoir implicite de déposer des plaintes de sa propre autorité, du fait que « quiconque » peut, en vertu de l’article 250.18, déposer une plainte pour inconduite. La Commission cherche à clarifier cette importante question et demande une autorisation explicite pour le faire, afin de bénéficier du même pouvoir en ce sens que celui de la Commission de la GRC, organe « frère » de la CPPM.

113. Il arrive que des incidents publiés dans les médias donnent une mauvaise image de la police militaire, mais que pour quelque raison (par exemple manque de connaissance de la procédure de plainte), les individus en cause dans ces incidents ne se donnent pas la peine de déposer une plainte. Cela est plutôt frustrant pour la CPPM, étant donné que notre mandat, selon nous, est d’aider à maintenir la confiance du public dans la police militaire. D’importants problèmes liés à la police militaire peuvent surgir dans la sphère publique, problèmes qui gagneraient à être pris en charge par un organe indépendant et impartial. Mais on peut faire valoir que la CPPM doit s’appuyer sur des plaintes de particuliers pour s’engager dans une voie de contestation du mode d’agir de la PM.

114. Un organisme de surveillance est mieux capable de discerner les problèmes systémiques qu’un plaignant individuel, lequel peut discerner un problème dans un événement, tandis que le tribunal peut déterminer que ce problème est commun à de multiples événements. C’est grâce à une plainte déposée par le tribunal qu’il devient possible d’étudier une question plus large de politique ou de formation.

115. Actuellement, l’autorité du président de la Commission à appeler à une enquête d’intérêt public n’est pas aussi claire que pour d’autres tribunaux. On peut interpréter le paragraphe 250.38(1) de la Loi sur la défense nationale (LDN) comme exigeant une plainte préalable avant que le président puisse appeler à une enquête d’intérêt public. Cette impression est renforcée par le paragraphe 250.38(3), qui exige que le président informe le plaignant et le sujet de la plainte si une enquête d’intérêt public doit être tenue. D’autre part, comme indiqué au début, puisque « quiconque » peut déposer une plainte pour inconduite en vertu du paragraphe 250.18(1) de la Loi, le président – ou tout autre membre du personnel de la CPPM – pourrait bien en fait être autorisé à déposer une plainte pour inconduite.

116. En outre, le processus de plainte de la LDN à la partie IV ne prévoit rien de particulier pour une plainte déposée par le président. Elle serait traitée comme toute autre plainte, ce qui peut poser problème. On peut par exemple soutenir que les dispositions exigeant qu’un règlement à l’amiable soit envisagé et permettant au GPFC d’écarter certaines plaintes comme étant inadaptées au processus de plainte (les paragraphes 250.27(1) et 250.28(2) respectivement de la LDN) ne devraient pas s’appliquer à une plainte déposée par le président de la CPPM. Pourtant, dans le processus actuel de la partie IV de la LDN, la plainte du président serait traitée à l’égale de celle de « quiconque ».

117. Cette situation contraste avec celle du président de la Commission de la GRC. Outre l’autorisation expresse accordée de déposer une plainte au paragraphe 45.59(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la GRC), la Loi sur la GRC exempte les plaintes déposées par le président de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP) de l’article 45.61 de la Loi sur la GRC, l’équivalent du paragraphe 250.28(2) de la LDN (prévoyant l’exclusion des plaintes jugées futiles et vexatoires, etc.).

118. En Colombie-Britannique, le commissaire aux plaintes formulées contre la police peut ordonner une enquête si l’on porte à son attention un comportement qui, s’il était avéré, constituerait une inconduite, qu’une plainte soit déposée ou non.Note 45

119. D’autres organes de surveillance non policiers ont également un pouvoir bien défini de déposer eux-mêmes des plaintes.Note 46

120. Le pouvoir de déposer des plaintes est normal pour le bureau d’un ombudsman et, selon un groupe de travail de 2007, a été recommandé comme élément de la surveillance indépendante de la GRC, afin d’éviter d’avoir à créer un service d’ombudsman distinct.Note 47.

121. Un système entièrement axé sur les plaintes dépend de la volonté des plaignants de se manifester et d’apposer leur nom à une plainte. C’est peut-être trop demander s’il s’agit d’un subordonné se plaignant de son supérieur, tout particulièrement dans une organisation hiérarchique comme les Forces armées canadiennes.

122. Un exemple concret de l’importance de clarifier le pouvoir du président de déposer plainte pour inconduite est la première plainte déposée par la Commission de sa propre initiative (dossier CPPM 2020-013 (greffière CPPM)). Le fond de cette enquête d’intérêt public fut porté à l’attention de la Commission à l’occasion d’une plainte pour ingérence. L’examen des faits de cette plainte par un enquêteur de la Commission l’avait mis au fait de points importants à soulever concernant la conduite de certains membres de la police militaire et de leurs superviseurs. Mais cette conduite n’avait pas fait l’objet d’une plainte devant la Commission et n’avait jamais été susceptible d’être portée devant elle. L’un des plaignants potentiels était médicalement incapable de déposer une plainte, tandis que l’autre avait été fragilisé par les événements, de sorte qu’il aurait peu probablement porté l’affaire devant la Commission. En conséquence, la Commission a eu connaissance d’une éventuelle faute professionnelle des membres de la police militaire, mais n’avait reçu aucune plainte des intéressés directs. Pour remplir son mandat d’enquête sur la conduite de la police militaire, dans l’exercice de ses fonctions de nature policière, la Commission a alors décidé, pour la première fois, de déposer sa propre plainte pour inconduite.

123. Les plaintes déposées par le président s’inscrivent sans doute dans les pouvoirs que le Parlement a accordés à la Commission. Le paragraphe 250.18(1) de la Loi sur la défense nationale précise que « quiconque » peut déposer une plainte pour inconduite, tandis que le paragraphe 250.18(2) prévoit qu’une plainte pour inconduite peut être déposée même en l’absence de préjudice pour le plaignant. En outre, lorsque la Commission reçoit une plainte pour inconduite, le paragraphe 250.32(2) de la Loi sur la défense nationale habilite le président à enquêter sur toute question relative à la plainte. À tout moment, le président peut déclarer qu’une plainte constitue une question d’intérêt public et peut même tenir une enquête d’intérêt public malgré le retrait de la plainte.Note 48

124. Le Parlement a donc d’ores et déjà accordé à la Commission le pouvoir d’agir dans l’intérêt public. Il irait dans le sens de cette attribution que le Parlement accorde au président le pouvoir exprès de déposer une plainte, comme il l’a fait pour la Commission de la GRC. Cela garantirait la légitimité des plaintes déposées par la CPPM et donnerait l’occasion d’apporter les aménagements nécessaires au traitement des plaintes, comme décrit ci-dessus.

125. Dans le premier examen indépendant, l’ancien juge en chef Lamer déclare « Le fait que le président de la CPPM a le pouvoir de déposer une plainte pour inconduite est conforme à l’objectif de surveillance indépendante », ajoutant que « ce pouvoir doit être exercé judicieusement ». La recommandation 62 du rapport Lamer prescrivait ceci : « Je recommande que la Loi sur la défense nationale soit modifiée afin de permettre au président de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire, s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de le faire, de déposer une plainte pour inconduite afin que le prévôt des Forces canadiennes fasse enquête ».

15) La CPPM propose que soit modifiée la partie IV de la Loi sur la défense nationale de manière à prévoir expressément les plaintes pour inconduite déposées par le président de la CPPM, et que les paragraphes 250.27(1) et 250.28(2) de ladite Loi ne s’appliquent pas à ces plaintes.

H. Pouvoirs discrétionnaires supplémentaires de régler des plaintes

1) Pouvoir d’écarter les plaintes pour inconduite au stade de l’examen

126. Dans le cas des plaintes pour inconduite de la police militaire, c’est le GPFC qui, en l’absence d’une déclaration d’intérêt public de la CPPM, est chargé de les traiter en premier lieu.Note 49 L’une des options offertes au GPFC pour le traitement d’une plainte est de refuser de la traiter au motif que :

  1. la plainte est futile ou vexatoire ou a été portée de mauvaise foi;
  2. il est préférable de recourir à une procédure prévue par une autre loi fédérale ou une autre partie de la présente loi; ou
  3. compte tenu des circonstances, il est inutile ou exagérément difficile de procéder à l’enquête ou de la poursuivre.Note 50

Une telle disposition est révisable par la CPPM à la demande du plaignant.Note 51

127. Relativement aux plaintes pour ingérence, la CPPM dispose de la même autorité de contrôle que le GPFC sur les plaintes pour inconduite.Note 52 La CPPM n’a cependant pas le pouvoir, du moins pas explicitement, d’écarter les plaintes pour inconduite au stade de la révision.

128. Une fois la plainte au stade de la révision par la CPPM, on doit considérer que le GPFC a déjà examiné les critères de contrôle susmentionnés et rejeté leur application à cette plainte. Mais cela ne diminue en rien la nécessité pour la CPPM de réexaminer la question au stade de la révision. Les nouveaux renseignements produits par l’enquête du GPFC, ou le contenu de la demande de révision du plaignant, peuvent présenter la plainte sous un jour différent qu’il paraissait à sa présentation initiale. Dans de tels cas, les restrictions sur le gaspillage de temps et de ressources sur des plaintes qui n’en valent pas la peine demeurent applicables.

16) La CPPM propose qu’on lui confère le pouvoir d’écarter les plaintes pour inconduite au stade de l’examen.

2) Rapports « qui satisfont »

129. Il existe une autre catégorie de cas qui justifie une moindre dépense d’efforts et de ressources de la part de la CPPM, soit celle où – après examen de la plainte, de sa disposition par le GPFC et de la demande de révision – la CPPM est satisfaite de la disposition décidée par le GPFC, sans voir la nécessité d’autres mesures. Dans ce cas, la possibilité doit être offerte à la CPPM de conclure l’examen de la plainte par un bref rapport ou une lettre indiquant qu’elle est satisfaite du traitement de la plainte par le GPFC. Ce rapport « qui satisfait » serait la décision finale de la CPPM sur la plainte, évitant d’avoir à produire un rapport intermédiaire, puis d’attendre la notification avant de produire le rapport final.

130. À la GRC, comme pour le traitement de plaintes de la PM, les plaintes d’inconduite d’un membre sont d’abord examinées par la GRC elle-même; si le plaignant n’est pas satisfait de l’examen de sa plainte par la GRC, il peut la soumettre à la Commission de la GRC pour révision. En vertu du paragraphe 45.71(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, si, après examen d’une plainte, la Commission de la GRC est satisfaite du rapport du commissaire, elle prépare et envoie un rapport écrit à cet effet aux différentes parties, y compris le plaignant et le membre ou quiconque dont la conduite fait l’objet de la plainte. La CPPM estime qu’on devrait lui confier le pouvoir d’exprimer qu’elle est satisfaite d’un rapport du GPFC, semblable au pouvoir déjà conféré à son organe de surveillance « frère ».

17) La CPPM propose qu’on l’autorise à disposer d’une plainte pour inconduite au moyen d’un rapport signalant qu’elle est satisfaite du mode de disposition de cette plainte par le GPFC.

3) Pouvoir de renvoyer une plainte pour inconduite au GPFC, pour enquête complémentaire

131. La partie IV de la Loi sur la défense nationale déclare que le GPFC doit être le principal responsable du traitement des plaintes pour inconduite. Au stade de l’examen, la CPPM « peut, en cours d’examen, enquêter sur toute question concernant la plainte ».Note 53 Toutefois, la législation vise clairement à ce que la CPPM soit normalement en mesure de mener à bien son examen d’une plainte pour inconduite sans reprendre l’enquête depuis le début. Mais il arrive régulièrement, en pratique, que le travail d’enquête du GPFC soit limité par une interprétation trop étroite soit de la plainte, ou soit de son mandat par rapport à la plainte.

132. Là où la CPPM dispute l’interprétation plus étroite d’une plainte par le GPFC, son seul choix actuellement est de combler elle-même, par sa propre enquête, le vide laissé par l’enquête – ou absence d’enquête – du GPFC. Mais cette méthode, appliquée systématiquement, peut conduire la CPPM à consacrer à son mandat de révision plus de ressources – y compris temps et heures-personnes – que prévu par le Parlement.

133. Une solution consisterait à conférer à la CPPM le pouvoir, au stade de la révision, de renvoyer au GPFC une plainte pour inconduite, ou un aspect de celle-ci, pour complément d’enquête. Si la CPPM optait de ne lui renvoyer qu’une partie de la plainte, elle aurait la possibilité de réviser alors uniquement les aspects non renvoyés de cette plainte.

18) La CPPM propose qu’on lui confère le pouvoir, au stade de l’examen, de renvoyer une plainte pour inconduite au GPFC, en lui donnant des indications sur des aspects ou pistes d’enquête supplémentaires.

4) Pouvoir discrétionnaire de poursuivre le traitement d’une plainte malgré son retrait

134. La partie IV de la Loi sur la défense nationale est actuellement ainsi structurée que le plaignant a le droit entier de retirer sa plainte par le simple envoi d’une notification écrite à cet effet au président de la CPPM.Note 54 Passé ce stade, le seul moyen pour la CPPM de poursuivre le traitement de la plainte est d’invoquer ses autorités d’enquête ou d’audition d’intérêt public.Note 55

135. Cette situation n’est guère souhaitable. Des raisons autres que l’importance d’une plainte pour l’intérêt public peuvent inciter la CPPM à mener à bien la révision d’une plainte pour inconduite ou une enquête sur une plainte pour ingérence. Un cas évident serait la crainte par la CPPM que la décision de retirer une plainte soit indûment influencée par des pressions, des incitations ou des considérations extérieures non fondées sur l’intérêt public. Un autre motif serait un retrait survenu si tard dans le processus qu’il équivaudrait à un fort gaspillage des ressources et des efforts de la CPPM si on ne l’autorisait pas à mener à bien son traitement de la plainte. Cette situation s’est d’ailleurs présentée dans une affaire récente (CPPM 2017-026).

136. La CPPM estime qu’il ne devrait pas lui être nécessaire d’affaiblir sa conception de l’importance de l’intérêt public, conformément au paragraphe 250.38(1) de la Loi sur la défense nationale, pour maintenir son pouvoir de mener à bien une enquête. Il est aussi à noter que la Commission de la GRC détient déjà le pouvoir d’enquêter sur une plainte même si celle-ci a été retirée. Le paragraphe 45.55(5) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prescrit que malgré son retrait, une plainte peut être le sujet d’une enquête, d’une révision ou d’une audience dirigée par la Commission de la GRC.

19) La CPPM propose qu’on lui confère le pouvoir, quand elle le juge à propos dans les circonstances, de mener à bien le traitement d’une plainte pour inconduite ou ingérence, même si le plaignant a affirmé vouloir la retirer.

I. Prolongation du mandat des membres portant sur des cas en cours

137. La CPPM juge inefficace et injuste pour les parties que des membres de la Commission affectés à des dossiers soient mutés en cours d’exercice, ou doivent refaire certaines étapes du processus, en raison de l’expiration avant terme de leur mandat. La CPPM estime qu’il serait juste, efficace et pertinent que les mandats des membres soient automatiquement prolongés, à la discrétion du président, pour les dossiers en cours dont ils sont encore saisis à l’expiration de leur mandat. Cette question est particulièrement préoccupante dans le contexte des dossiers d’audience d’intérêt public, et d’autres enquêtes complexes, relatifs à des plaintes qui en sont à un stade avancé quand arrive la fin du mandat d’un membre.

138. De plus, une telle disposition renforcerait l’intégrité des procédures de la CPPM en écartant tout sentiment d’ingérence politique. On trouve un précédent fédéral pour une telle disposition législative au paragraphe 8(3) de la Loi sur les transports au Canada, qui autorise le président de l’Office des transports du Canada à permettre à un membre de cet Office de continuer à entendre toute question dont il était saisi à l’expiration de son mandat.

139. Le premier et le deuxième examens indépendants ont appuyé la prolongation du mandat des membres si des cas sont en cours d’examen. La recommandation 70 du premier examen indépendant voulait que la Loi sur la défense nationale soit modifiée afin de permettre aux membres de la CPPM dont le mandat avait expiré de mener à terme les dossiers qui leur avaient été confiés. La recommandation 55 du deuxième examen indépendant était que « Le mandat des membres de la CPPM devrait être prolongé d'office à l’égard des dossiers de plainte qui leur sont confiés avant que l'avis les informant que leur mandat ne sera pas renouvelé ne leur ait été donné ».

20) La CPPM propose que le mandat des membres de la Commission soit prolongeable, à la discrétion du président, à l’égard des dossiers de plainte dont ils sont saisis à l’expiration de leur mandat.

J. Élargir la portée des plaintes pour ingérence

140. À l’heure actuelle, une plainte pour ingérence ne peut être déposée qu’en cas d’ingérence présumée dans une « enquêteNote 56 [de la police militaire] ». Si le concept « d’enquête » se prête à une interprétation large, il importe que la législation ne donne pas l’impression qu’une ingérence indue dans d’autres fonctions de police soit est appropriée, soit ne justifie pas une plainte à la CPPM. À titre d’exemple, l’ingérence dans le traitement des preuves, les tentatives d’ingérence dans les décisions de la police militaire relatives au dépôt d’accusations, ou les tentatives d’ingérence dans le témoignage attendu d’un membre de la police militaire dans une procédure judiciaire peuvent toutes avoir de graves répercussions sur la capacité de la police militaire à remplir ses fonctions.

141. On doit pouvoir recourir au processus de plaintes pour ingérence à la partie IV à l’égard des situations qui semblent déborder les limites d’une enquête. Il convient de protéger l’indépendance et l’intégrité du pouvoir discrétionnaire et du jugement des membres de la police militaire à tous les stades du processus.

142. L’élargissement de la portée d’une plainte pour ingérence a eu le soutien de l’ancien juge Lesage dans le rapport du deuxième examen indépendant, dont la recommandation 51 porte, en partie, que le paragraphe 250.19(1) de la Loi sur la défense nationale devrait être modifié pour inclure l’ingérence dans une fonction de nature policière.

21) La CPPM propose que soit modifiée la portée d’une plainte pour ingérence, définie au paragraphe 250.19(1) de la Loi sur la défense nationale, de manière à autoriser les plaintes pour ingérence dans toute fonction de nature policière exercée par un policier militaire.

K. Le GPFC fait rapport au CPPM de la mise en œuvre des recommandations

143. La principale caractéristique de la responsabilité externe du traitement des plaintes de la PM, au regard de l’organisation de la police militaire, est que le GPFC doit informer avec précision la CPPM des mesures qu’il prend, ou entend prendre, en réponse à une plainte inscrite dans la notification, et que la CPPM doit être ensuite en mesure d’évaluer cette réponse dans son rapport final. La CPPM doit, pour bien tenir le GPFC responsable, pouvoir compter sur celui-ci pour exécuter l’engagement qu’il prend dans la notification. La CPPM doit aussi pouvoir supposer, sauf notification contraire, que les recommandations acceptées ont été, ou seront, mises à exécution. Si pour quelque raison une recommandation acceptée n’est pas appliquée, ou ne l’est pas sous la forme proposée et acceptée, la CPPM doit en avoir connaissance, avec sa cause, lorsqu’elle envisage de futures recommandations, pour faire en sorte que ses recommandations soient judicieuses et utiles. Des renseignements précis sur la mise à exécution des recommandations de la CPPM sont également importants pour évaluer l’influence de la CPPM sur la police militaire.

144. La CPPM n’est naturellement pas en mesure de suivre la mise en œuvre des engagements pris par le GPFC touchant les modifications des ordres, des politiques, de la formation, etc., de la PM. Il est donc logique de faire obligation au GPFC de fournir à la CPPM des détails sur la mise en œuvre des recommandations qu’elle a acceptées, tant en termes d’échéances que de contenu.

145. L’actuel GPFC s’est beaucoup efforcé de tenir la CPPM informée des mesures prises en réponse à une plainte, que ce soit à la suite d’une de nos recommandations ou de sa propre initiative. Toutefois, cette information ne doit pas dépendre de la bonne volonté du GPFC en fonction.

22) La CPPM propose que le GPFC soit tenu de conseiller la CPPM sur le calendrier et les modalités de mise en œuvre des recommandations de la CPPM acceptées par le GPFC.

L. Consultation législative avec la CPPM

146. La CPPM est considérée une composante du portefeuille de la Défense nationale, mais cette position ne lui donne aucun droit de regard sur les décisions prises au sujet de sa législation habilitante. La CPPM n’a aucun pouvoir interne (c’est-à-dire au sein du portefeuille) de faire adopter ses propres propositions législatives, ni même de plaider pour l’adoption des recommandations de l’examen indépendant précédent (précisons que la CPPM n’a aucun contrôle sur quelles recommandations de l’examen indépendant ont été mises en œuvre, et quelles ne l’ont pas été), autre qu’un recours direct au Parlement et au public. La CPPM l’a fait à l’occasion, au moyen de son rapport annuel et d’autres publications, ainsi que d’interventions parlementaires. La CPPM n’a jamais été consultée sur les différents projets de loi soumis en vue d’appliquer les précédents examens législatifs indépendants, ou de modifier de toute autre manière la partie IV de la Loi sur la défense nationale : projet de Loi C-7, projet de Loi C-41, projet de Loi C-45, projet de Loi C-15. Même le début de la procédure d’examen indépendant nous a été dissimulé jusqu’à la dernière minute, malgré nos demandes de renseignements régulières à ce sujet.

147. Or l’absence de toute modalité ou formule de consultation avec la CPPM préalable au dépôt d’un projet de loi la concernant pose problème, tant au ministère de la Défense nationale qu’à la CPPM. Pour attirer l’attention sur d’éventuelles améliorations de la législation, la CPPM est obligée de lancer un appel public après coup et de se mettre en position de contester le programme législatif du Ministère.

148. L’absence de consultation de la CPPM sur les projets de loi qui concernent son fonctionnement va à l’encontre de politiques gouvernementales comme la Directive du Cabinet sur l’activité législative. Ce document déclare que la « décision de procéder par projet de loi ou de règlement revient au Cabinet, sur la foi de l’information que les fonctionnaires du ministère intéressé mettent à sa disposition ». Pour fournir ces renseignements, un ministère est invité à consulter toutes les parties intéressées. Dans le cas d’un projet de loi, le principal moyen de communiquer cette information est le mémoire au Cabinet, qui doit préciser, le cas échéant, le genre de consultations publiques que le ministre a menées ou envisage de mener.

149. La directive du Cabinet sur la réglementation est un document d’accompagnement de la politique pangouvernementale, qui précise que les ministères et organismes ont la responsabilité d’identifier les parties concernées touchées par le règlement, et de les consulter et mobiliser de manière significative tout au long de l’élaboration, de la gestion et de l’examen d’un règlement. Pour ce faire, ils doivent respecter les politiques et les lignes directrices du gouvernement du Canada en matière de consultation et de mobilisation. On devrait appliquer ces directives aux projets de loi ou aux règlements proposés qui concernent la Commission. Une consultation véritable du personnel de la Commission garantirait que ceux qui en connaissent le mieux le fonctionnement puissent contribuer aux propositions susceptibles d’influer sur le mode d’exécution de son mandat.

150. Le fonctionnement du Ministère, du moins en ce qui concerne la CPPM, semble déphasé par rapport aux meilleures pratiques en matière d’élaboration de lois.

23) La CPPM propose que le ministère de la Défense nationale soit tenu de consulter la CPPM avant de déposer un projet de loi ou de promulguer un règlement qui touche particulièrement la CPPM ou la partie IV de la Loi sur la défense nationale.

III. INDÉPENDANCE DE LA POLICE MILITAIRE

A. Rapports hiérarchiques GPFC-VCEMD

151. L’article 18.5 de la Loi sur la défense nationale établit en loi le rapport hiérarchique entre le GPFC et le Vice-Chef d’état-major de la défense (VCEMD). Il convient parfaitement que le GPFC rende compte à un très haut gradé des Forces armées canadiennes de la conduite générale de la police militaire, et qu’il en relève : c’est le cas depuis la création du bureau du GPFC en 1997. Avant les modifications de 2013 inscrites dans le projet de Loi C-15, toutefois, on jugeait malséant que le VCEMD publie des directives portant sur une enquête donnée de la police militaire. Cette interdiction a été officialisée par écrit dans le Cadre de reddition de comptes du VCEMD et du GPFC de 1998, signé par le VCEMD et le GPFC de l’époque.

152. Confirmant que le VCEMD pouvait « donner des ordres et une orientation générale au GPFC afin que les services de police soient fournis avec professionnalisme et efficacité... », le Cadre prévoyait expressément que « [l]e VCEMD ne doit pas donner de directives au GPFC en ce qui a trait aux décisions opérationnelles de la police militaire qui se rapportent à des enquêtes » et que « [l]e VCEMD ne doit pas participer directement aux enquêtes individuelles en cours, mais il recevra de l’information du GPFC de façon à pouvoir prendre les décisions de gestion qui s’imposent ». Le Cadre ajoutait que le GPFC surveillerait les enquêtes individuelles et fournirait au VCEMD un aperçu général des enquêtes, mais qu’il était du ressort du GPFC de décider quels renseignements à communiquer au VCEMD.

153. Cet aspect du Cadre a été abrogé par l’adoption du paragraphe (3) de l’article 18.5 de la LDN, le VCEMD étant expressément autorisé à donner au GPFC des instructions sur des enquêtes particulières de la PM. Cette disposition n’a pas encore été invoquée, mais elle est de toute évidence préoccupante pour l’indépendance des enquêtes de police. Le paragraphe 18.5(3) va directement à l’encontre non seulement du Cadre de reddition de comptes, mais aussi de la pratique et du droit canadiens en matière d’enquêtes policières en général. Dans son arrêt R. c. Campbell de 1999, la Cour suprême a affirmé que lorsqu’ils sont engagés dans des enquêtes sur des infractions, les policiers ne sont « redevables » que devant la Loi et n’agissent pas au nom du gouvernement au sens large.Note 57 La déclaration de la Cour voulant que le principe de l’indépendance de la police dans la conduite des enquêtes soit « à la base de la primauté du droit »Note 58, bien que significatif en soi, l’est d’autant plus que dans sa décision rendue quelques mois auparavant, Renvoi relatif à la sécession du Québec, la même Cour a indiqué que « la primauté du droit » était lui-même un principe constitutionnel non écrit impératif.Note 59

154. La Commission s’est toujours opposée à l’adoption du paragraphe 18.5(3) de la LDN (dans les projets de Loi C-45, puis C-41, et enfin C-15) qui a reçu la sanction royale en 2013. Le président de la Commission de l’époque a présenté des observations aux commissions parlementaires qui étudiaient le projet de loi et a comparu devant le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants (CPDNAC) de la Chambre des communes sur cette question; une copie est jointe à titre de référence, avec un avis de recherche indépendant du professeur Kent Roach, qui a été commandé par la CPPM (annexe C – Observations de la CPPM).

155. L’autorité conférée au VCEMD vise spécifiquement et exclusivement le cœur des fonctions de police militaire, c’est-à-dire l’enquête sur une infraction. Le fait que les membres de la police militaire aient un double rôle de policier et de soldat ne diminue nullement l’applicabilité du principe juridique de l’indépendance policière de la police militaire lorsqu’elle mène des enquêtes de maintien de l’ordre. S’il en était autrement, il faudrait se demander pourquoi le Parlement a créé les modalités de plainte pour ingérence dans les modifications de 1998 à la Loi sur la défense nationale, lesquelles ont créé la Commission.

156. Il est vrai que l’autorité du premier examen indépendant a recommandé que le poste de GPFC soit créé et décrit dans la LDN, tout comme celui d’autres figures clés du système de justice militaire.Note 60 Cependant, le juge en chef Lamer l’a fait par souci « de mettre à l’abri de toute influence ou ingérence »Note 61 l’indépendance du GPFC. Le juge en chef a examiné le VCEMD et le Cadre de reddition de comptes du GPFC de 1998, en partie pour mieux comprendre l’étendue des fonctions et du rôle du GPFC. La seule préoccupation qu’il a exprimée au sujet du Cadre est que son statut non législatif ne protège pas suffisamment l’indépendance du GPFC en matière policière et qu’il « n’énonce pas clairement le but visé par le Parlement en créant le rôle du prévôt, ce qui, en pratique, crée des difficultés lorsqu’il faut interpréter les lois et les règlements qui s’y appliquent ».Note 62 Le juge en chef Lamer n’a rien dit dans son rapport d’une quelconque nécessité pour le GPFC d’être soumis à des directives pour des enquêtes spécifiques du VCEMD ou de qui que ce soit d’autre, bien au contraire. Par conséquent, il ne peut en aucun cas être soutenu que le paragraphe 18.5(3) de la LDN a été créé dans le but précis de mettre en application les recommandations de l’ancien juge en chef Lamer.

24) La CPPM propose que soit abrogé le paragraphe 18.5(3) de la Loi sur la défense nationale, qui autorise le VCEMD à donner des instructions au GPFC à l’égard d’une enquête en particulier de la police militaire.

IV. LISTE DES PROPOSITIONS

Les précédents examens indépendants de la LDN ont déjà avalisé plusieurs des propositions de la CPPM ci-dessous (à savoir les propositions 8, 9, 10, 11, 13, 15, 20, 21), mais la CPPM se sent obligée de les formuler à nouveau, puisqu’elles n’ont pas encore été mises en œuvre. Les propositions qui s’inscrivent dans cette catégorie apparaissent ci-dessous en italique.

  1. La CPPM propose une modification de la partie IV de la Loi sur la défense nationale qui exige que le Grand Prévôt des Forces canadiennes, les Forces armées canadiennes et le ministère de la Défense nationale communiquent à la CPPM tous les documents sous leur contrôle susceptibles, selon la CPPM, d’être pertinents à l’exécution de son mandat.
  2. La CPPM propose une modification de la partie IV de la Loi sur la défense nationale qui lui confère le pouvoir d’assigner les témoins et de les contraindre à comparaître devant elle, à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire tous les documents et éléments que la CPPM juge pertinents à l’enquête, à l’audition et à l’examen complets d’une plainte.
  3. La CPPM propose qu’on ajoute son nom à l’annexe de la Loi sur la preuve au Canada par voie de modification préalable de l’article 250.42 de la Loi sur la défense nationale, afin de répondre pleinement aux critères d’audience et de traitement établis pour recevoir des « renseignements sensibles » et des « renseignements potentiellement préjudiciables »; deuxièmement, qu’elle soit ajoutée à l’annexe des entités désignées en vertu de l’alinéa 38.01(6)d) et du paragraphe 38.01(8) de la Loi sur la preuve au Canada.
  4. La CPPM propose une modification de la partie IV de la Loi sur la défense nationale qui lui permette d’accéder à des renseignements confidentiels liés au secret professionnel de l’avocat, dans les cas ils sont pertinents à un traitement équitable de la plainte.
  5. La CPPM propose que soit modifiée la partie IV de la Loi sur la défense nationale de manière à modifier les restrictions sur la preuve prévues à l’alinéa 250.41(2)a) de ladite Loi à l’égard du secret professionnel de l’avocat, et à abroger les alinéas 250.41(2)b) et d).
  6. La CPPM propose qu’on ajoute son nom à la liste des organismes d’enquête inscrits à l’annexe II du Règlement sur la protection des renseignements personnels. (p. 31)
  7. La CPPM propose que soit modifiée la partie IV de la Loi sur la défense nationale de manière qu’elle prescrive ce qui suit :
    1. Il appartient à la CPPM de décider si une communication reçue par une autorité visée au paragraphe 250.21(1) de la Loi sur la défense nationale constitue une plainte pour inconduite ou ingérence au sens de la partie IV de ladite Loi;
    2. Le paragraphe 250.21(1) s’applique aux plaintes reçues, directement ou indirectement, par les responsables qui sont désignés destinataires des plaintes pour inconduite;
    3. Les plaintes « internes » relevant du GPFC, et non soumises au processus de plaintes visé à la partie IV de la Loi sur la défense nationale, se bornent à celles qui se produisent à l’intérieur de la chaîne de commandement de la PM.
  8. La CPPM propose que le droit de lui demander la révision d’une plainte pour inconduite soit étendu au policier militaire faisant l’objet d’une plainte.
  9. La CPPM propose une modification de la Loi sur la défense nationale qui élargisse la définition de « police militaire », aux fins de la partie IV de ladite Loi, à quiconque est détaché à un poste de police militaire.
  10. La CPPM propose que soit modifié l’article 3 du Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires par la réduction des catégories de plaintes pour inconduite exclues du règlement à l’amiable.
  11. La CPPM propose que lui soient notifiées les conditions de tout règlement à l’amiable de plaintes pour inconduite.
  12. La CPPM propose qu’elle soit expressément autorisée à recourir au règlement à l’amiable des plaintes pour ingérence.
  13. La CPPM propose l’adoption d’un délai de 90 jours pour demander la révision d’une plainte pour inconduite, sous réserve de prolongation par le président de la CPPM.
  14. La CPPM propose l’imposition d’un délai de 90 jours pour la production de la notification, sous réserve de prolongation par le président de la CPPM. En l’absence d’une notification dans le délai imparti, ou d’une demande de prolongation, la CPPM peut procéder à la publication de son rapport final.
  15. La CPPM propose que soit modifiée la partie IV de la Loi sur la défense nationale de manière à prévoir expressément les plaintes pour inconduite déposées par le président de la CPPM, et que les paragraphes 250.27(1) et 250.28(2) de ladite Loi ne s’appliquent pas à ces plaintes.
  16. La CPPM propose qu’on lui confère le pouvoir d’écarter les plaintes pour inconduite au stade de l’examen.
  17. La CPPM propose qu’on l’autorise à disposer d’une plainte pour inconduite au moyen d’un rapport signalant qu’elle est satisfaite du mode de disposition de cette plainte par le GPFC.
  18. La CPPM propose qu’on lui confère le pouvoir, au stade de l’examen, de renvoyer une plainte pour inconduite au GPFC, en lui donnant des indications sur des aspects ou pistes d’enquête supplémentaires.
  19. La CPPM propose qu’on lui confère le pouvoir, quand elle le juge à propos dans les circonstances, de mener à bien le traitement d’une plainte pour inconduite ou ingérence, même si le plaignant a affirmé vouloir la retirer.
  20. La CPPM propose que le mandat des membres de la Commission soit prolongeable, à la discrétion du président, à l’égard des dossiers de plainte dont ils sont saisis à l’expiration de leur mandat.
  21. La CPPM propose que soit modifiée la portée d’une plainte pour ingérence, définie au paragraphe 250.19(1) de la Loi sur la défense nationale, de manière à autoriser les plaintes pour ingérence dans toute fonction de nature policière exercée par un policier militaire.
  22. La CPPM propose que le GPFC soit tenu de conseiller la CPPM sur le calendrier et les modalités de mise en œuvre des recommandations de la CPPM acceptées par le GPFC.
  23. La CPPM propose que le ministère de la Défense nationale soit tenu de consulter la CPPM avant de déposer un projet de loi ou de promulguer un règlement qui touche particulièrement la CPPM ou la partie IV de la Loi sur la défense nationale.
  24. La CPPM propose que soit abrogé le paragraphe 18.5(3) de la Loi sur la défense nationale, qui autorise le VCEMD à donner des instructions au GPFC à l’égard d’une enquête en particulier de la police militaire.

V. ANNEXE A - TABLEAU DU PROCESSUS DE TRAITEMENT DES PLAINTES

Cheminement des plaintes

Format de rechange

L'image illustre le processus de règlements des plaintes de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire du Canada (CPPM) et explique les deux processus, à savoir la plainte pour inconduite et la plainte pour ingérence.

  • Plainte pour inconduite
    • Examen par le GPFC
      • Enquête
        • Plaignant(e) insatisfait(e)
      • Règlement à l'amiable (ne s’applique pas aux plaintes relevant des catégories précisées par le règlement)
      • Refus d'enquêter
        • Plaignant(e) insatisfait(e)
    • Examen par la présidente (pour des motifs d’intérêt public, la présidente peut à toute étape s’approprier la plainte et demander à la CPPM de faire enquête (article 250.38 de la LDN))
    • Plaignant(e) insatisfait(e)
      • Révision par la présidente
        • Examen documentaire du dossier du GPFC
        • Enquête par la présidente (pour des motifs d’intérêt public, la présidente peut également faire tenir une enquête par la CPPM ou convoquer une audience (article 250.38 de la LDN))
    • Rapport provisoire de la présidente (dans le cas d’une audience, le rapport provisoire est préparé par la CPPM)
    • Notification au ministre et à la présidente (selon la nature de la plainte, le statut ou le rang du sujet de la plainte, la personne qui notifie est le grand prévôt, le chef d’état major de la Défense, le sous ministre ou le ministre (articles 250.49 et 250.5 de la LDN))
    • Rapport final de la présidente
  • Plainte pour ingérence
    • Examen par la présidente (pour des motifs d’intérêt public, la présidente peut à toute étape s’approprier la plainte et demander à la CPPM de faire enquête (article 250.38 de la LDN))
      • Refus d'enquêter
        • Notification par la présidente
      • Enquête
        • Enquête par le GPFC (exceptionnellement, la présidente peut confier l’enquête au GPFC)
        • Enquête par la présidente (pour des motifs d’intérêt public, la présidente peut également faire tenir une enquête par la CPPM ou convoquer une audience (article 250.38 de la LDN))
    • Rapport provisoire de la présidente (dans le cas d’une audience, le rapport provisoire est préparé par la CPPM)
    • Notification au ministre et à la présidente (selon la nature de la plainte, le statut ou le rang du sujet de la plainte, la personne qui notifie est le grand prévôt, le chef d’état major de la Défense, le sous ministre ou le ministre (articles 250.49 et 250.5 de la LDN))
    • Rapport final de la présidente

VI. ANNEXE B - RÉPONSE DU GOUVERNEMENT À LA PÉTITION

VII. ANNEXE C - OBSERVATIONS DE LA CPPM EN CE QUI CONCERNE LE PROJET DE LOI C-15

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