Rapport final concernant l'audience d'intérêt public Fynes (CPPM 2011‑004) - Volume 1

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Table des matiÈres

  1. Aperçu
  2. Le processus d’audience
  3. Exposé des faits
  4. Les enquêtes
    1. 4.0 Les personnes visées par la plainte : Rôle, participation et expérience professionnelle
    2. 4.1 L’enquête de 2008
      1. 4.1.1 Enquête sur la mort subite
      2. 4.1.2 Enquête sur la négligence
      3. 4.1.3 Le plan d’enquête
      4. 4.1.4 Les observations finales
      5. 4.1.5 Supervision et tenue des dossiers
      6. 4.1.6 Mandats de perquisition
      7. 4.1.7 Retour des pièces
      8. 4.1.8 L’examen d’assurance de la qualité
      9. 4.1.9 Les conséquences de l’inexpérience
    3. 4.2 La note de suicide laissée par le cpl Langridge
    4. 4.3 L’enquête de 2009 sur le PPPP
    5. 4.4 L’enquête de 2010 sur la négligence criminelle
    6. 4.5 Interactions du SNEFC avec les Fynes
    7. 4.6 Indépendance et impartialité du SNEFC
  5. Conclusions
  6. Recommandations
  7. La Réponse de la Police militaire
    1. 7.0 La Réponse de la Police militaire
    2. 7.1 L’Avis d’action | version PDF (telle que publiée le 10 mars 2015)
  1. Appendices
    1. Glossaires des termes et acronymes utilisÉs dans le Rapport
    2. DÉcision de mener une enquÊte d’intÉrÊt public – 29 avril 2011
    3. DÉcision de tenir une audience d’intÉrÊt public – 6 septembre 2011
    4. DÉcision de recommander le financement de la reprÉsentation juridique des plaignants – 26 octobre 2011
    5. Ordonnance de non-publication – 17 mai 2012
    6. DÉcision sur la requÊte des plaignants pour assigner un tÉmoin À comparaÎtre – 14 juin 2012
    7. DÉcision de recommander le financement de la reprÉsentation juridique des plaignants pour prÉparer les reprÉsentations finales – 30 octobre 2012
    8. DÉcision sur la demande de faire des observations sur le rapport intÉrimaire – 29 novembre 2012
    9. Avis d’action et correspondance connexe | version PDF (telle que publiÉe le 10 mars 2015)

I. Aperçu

Introduction

1. Il y a au moins trois auditoires distincts auxquels s’adresse le présent rapport.

2. Le premier auditoire est constitué des parties, à savoir les plaignants et les personnes visées par la plainte. Leur attention portera sur les constatations et les conclusions auxquelles la Commission en est arrivée pour chacune des 30 allégations formant la plainte.

3. Le second auditoire est constitué du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) et du Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC), qui est le chef de la police militaire, dont fait partie le SNEFC. Bien qu’il fasse évidemment partie de l’auditoire principal visé par les conclusions de la Commission sur chacune des allégations, le GPFC s’intéressera aussi aux recommandations de la Commission faisant suite à ces conclusions.

4. Le troisième auditoire est l’ensemble de la population canadienne. La Loi sur la défense nationale (LDN) permet à la CPPM de tenir une audience d’intérêt public lorsque cela est justifié. Une raison manifeste de procéder ainsi est de renforcer la confiance à l’égard du processus de règlement des plaintes concernant la police militaire par la tenue d’audiences ouvertes et transparentes. Étant donné que les audiences d’intérêt public traitent aussi de questions systémiques importantes pour le public, un rapport sur les délibérations peut promouvoir la sensibilisation aux questions qui sous-tendent des plaintes particulières, expliquer pourquoi elles sont importantes et souligner les conséquences des conclusions de la Commission.

5. Chacun des intérêts respectifs des trois auditoires est abordé dans le corps du rapport. Les conclusions de la Commission sur chacune des allégations sont regroupées dans le chapitre intitulé « Conclusions », qui renferme aussi une brève explication des raisons qui motivent chaque conclusion. Les recommandations de la Commission, qui ciblent toute déficience, lacune ou autre préoccupation identifiée dans les conclusions ou ailleurs dans le rapport, sont présentées dans le chapitre intitulé « Recommandations ». Ce chapitre, organisé par sujet, énumère les recommandations particulières de la Commission sous chaque sujet, accompagnées d’une brève explication. Les faits et les autres informations générales nécessaires à la compréhension des Conclusions et Recommandations se trouvent dans la partie principale du rapport, aux chapitres 2.0 à 4.6, qui sont aussi organisés par sujet. À moins d’indication contraire, le rang des membres des FC mentionné dans le rapport est celui qu’ils avaient lors de l’/des événement/s.

6. Reconnaissant l’utilité potentielle d’une feuille de route et de commentaires explicatifs, la Commission a produit le présent aperçu, qui vise à guider le lecteur au fil du contenu du rapport.

7. Comme le présent aperçu correspond à une feuille de route et un commentaire, il ne peut se substituer à une lecture du rapport lui-même et il ne constitue pas un sommaire au sens habituel d’une synthèse de l’ensemble du contenu. Toutes les questions abordées dans le rapport ne figurent pas dans l’aperçu. Bien que les sections de l’aperçu correspondent à divers titres de chapitres du rapport, certaines questions qui reviennent dans plusieurs chapitres sont regroupées dans une seule et même section de l’aperçu. Certains liens faits explicitement dans l’aperçu peuvent ne sembler qu’implicites dans le rapport, tandis que l’ordre dans lequel les questions apparaissent peut aussi être différent.

8. En prenant connaissance du présent aperçu ainsi que du rapport dans son ensemble, le lecteur devrait garder à l’esprit le champ de compétence de la Commission. Le rôle de la Commission est de faire enquête sur des plaintes particulières au sujet d’enquêtes et/ou du comportement de la police militaire. Dans la présente instance, les plaintes ont été déposées dans le contexte de griefs distincts de la part des plaignants, Shaun et Sheila Fynes, au sujet de ce que les Forces canadiennes ont fait et n’ont pas fait en rapport avec le décès par suicide de leurs fils, le cpl Stuart Langridge. Les Fynes ont déposé auprès du SNEFC un certain nombre de plaintes contre les FC en lui demandant de faire enquête. Leurs plaintes au sujet de la conduite du SNEFC découlent de la façon dont ces plaintes contre les FC ont – ou n’ont pas – été traitées par le SNEFC. Leurs plaintes visant le SNEFC abordent aussi un certain nombre de questions qui se sont posées au fil des divers contacts, communications et autres interactions entre les Fynes et le SNEFC au cours de la période de trois ans qui a suivi le décès du cpl Langridge.

9. Il importe de garder à l’esprit que la préoccupation de la Commission doit en tout temps porter sur les plaintes visant le SNEFC et ses membres. La Commission n’a pas le mandat de faire enquête sur les plaintes de fond contre les Forces canadiennes, qui sous-tendent les plaintes déposées par les Fynes au sujet de la conduite du SNEFC. En revanche, il est inévitable qu’au cours de l’examen du caractère exhaustif, de l’exactitude et de l’impartialité des enquêtes du SNEFC, la Commission doive tenir compte des allégations des Fynes visant les FC. Bien que ces questions sous-jacentes puissent comporter une importance et un intérêt considérables pour le public, il ne revient pas à la Commission d’exprimer une opinion sur leur bienfondé. Tout ce que la Commission peut faire est d’examiner et de faire des commentaires sur ce que le SNEFC a fait en réponse, et sur la façon dont il s’est comporté dans ses interactions avec les plaignants. Étant donné que la Commission en est venue à la conclusion qu’un certain nombre de questions présentées par les plaignants au SNEFC n’ont pas donné lieu à une enquête appropriée, il importe de souligner et même d’insister sur le fait que cette conclusion ne peut être extrapolée pour tirer des conclusions sur l’aboutissement probable d’une enquête qui aurait été menée de façon appropriée.

Les plaintes

10. Le cpl Stuart Langridge a été trouvé mort, pendu à sa ceinture militaire attachée à la barre de traction dans une pièce d’une caserne de l’armée. Le SNEFC a mené trois enquêtes distinctes sur des questions liées à son décès. La première, l’enquête de 2008, visait à faire enquête sur la mort subite et à déterminer s’il y avait des motifs de soupçonner un acte criminel. La seconde, l’enquête de 2009, découle des plaintes déposées par les Fynes au sujet de la décision prise de confier la responsabilité des funérailles du cpl Langridge à quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes. La troisième, l’enquête de 2010, découle de leurs allégations à l’effet que des membres des FC étaient coupables de négligence en rapport avec ce décès.

11. Les plaignants ont allégué que chacune de ces enquêtes comportait des lacunes. Ils ont allégué que certaines ou l’ensemble de ces lacunes étaient liées au manque d’indépendance du SNEFC et au parti pris de ses membres en faveur de l’armée et de sa chaîne de commandement. Ils ont aussi allégué que ces lacunes étaient liées à un manque de savoir-faire, de professionnalisme, de compétence, d’expérience ou de formation des membres du SNEFC en cause. En outre, ils portent plainte au sujet de l’omission du SNEFC de leur divulguer la note de suicide de leur fils, et d’un certain nombre de questions qui découlent de leurs interactions avec le SNEFC tant en qualité de famille d’un soldat décédé que de plaignants dans deux des enquêtes menées par le SNEFC.

Le processus d’audience

12. Les plaintes déposées par Shaun et Sheila Fynes au sujet des enquêtes du SNEFC suite au décès de leur fils, le cpl Stuart Langridge, sont liées à l’essence des fonctions de la Police militaire et soulèvent des questions d’intérêt et d’importance publics qui, de l’avis de la Commission, nécessitaient une audience d’intérêt public (AIP) en bonne et due forme.

13. L’AIP a eu une vaste portée, englobant les témoignages de quelque 90 témoins et le dépôt en preuve de plus de 22 000 pages de documents.

14. Vu l’importance des questions tant pour les plaignants que pour les personnes visées par la plainte, et leurs répercussions plus vastes, il est compréhensible qu’il y ait eu à l’occasion des désaccords, y compris des positions divergentes au sujet du processus et de la procédure, ce qui a donné lieu à des plaidoiries concurrentes des avocats représentant les diverses parties et des avocats de la Commission. Pour la plupart, ces différents ont été résolus à l’amiable et de manière judicieuse et, dans l’ensemble, il y a eu un bon niveau de collaboration sur la plupart des sujets.

15. Une partie des questions touchant au processus était expressément liée à l’audience, mais certaines avaient une portée beaucoup plus vaste, mettant en cause le mandat et la compétence de la Commission et, pour cette raison, elles requièrent une mention spéciale.

Compétence de la CPPM

16. Les personnes visées par la plainte ont présenté un certain nombre d’arguments visant à rétrécir le champ d’intérêt de la Commission dans le cadre de l’audience et du présent rapport. Les personnes visées par la plainte ont fait valoir que la Commission devait se limiter à traiter des allégations d’inconduite professionnelle et ne pouvait examiner de questions reliées aux politiques applicables ou de nature systémique. Elles ont également soutenu que l’examen de la Commission ne pouvait porter que sur des questions liées à la fonction de nature policière de la police militaire et non sur des questions « administratives », et que la Commission n’avait pas le droit d’examiner ou de faire enquête sur le comportement de personnes qui ne sont pas membres de la police militaire.

17. Bien qu’il soit exact que le mandat de la Commission soit centré principalement sur les plaintes particulières déposées contre des personnes particulières dans le contexte d’enquêtes particulières, cela ne signifie pas que, dans le processus d’examen de ces plaintes, la Commission n’a pas le droit de tenir compte du contexte plus vaste dans lequel ces questions se sont posées ou de l’impact de questions reliées aux politiques ou de questions systémiques sur la conduite soumise à l’examen. En outre, lorsqu’une plainte allègue qu’il y a eu des lacunes dans une enquête, il est nécessaire que la Commission tienne compte non seulement de ce qui a été fait, mais aussi de ce qui n’a pas été fait mais qui aurait dû être fait. Afin d’évaluer le caractère exhaustif d’une enquête, il faut comprendre ce qui devait faire l’objet de l’enquête, y compris les renseignements qui auraient pu être à la disposition de la police militaire mais qui n’ont pas été recueillis ou examinés par celle-ci. Au fil du processus, cela peut faire poindre des inférences ou des questions au sujet de la conduite de tiers; mais en définitive, ce sont là les vraies questions sur lesquelles on avait demandé au SNEFC de faire enquête.

« Parler d’une seule voix »

18. Le droit des personnes d’être représentées par un avocat de leur choix ne peut être mis en doute. Néanmoins, la décision prise par le gouvernement dans cette instance de faire représenter de multiples personnes et institutions différentes liées à l’armée et/ou au gouvernement par un seul et même groupe d’avocats soulève des préoccupations. Les avocats du ministère de la Justice ont été mis dans la position de défendre non seulement les intérêts de leurs clients – les personnes visées par la plainte –, mais aussi ceux de l’ensemble du gouvernement, des FC et du SNEFC, de même que les intérêts de divers membres du personnel des FC et du SNEFC ayant qualité de témoins réels ou potentiels. Bien qu’il n’y ait pas nécessairement de conflits entre tous ces intérêts, il semble imprudent de présumer au départ qu’aucune divergence d’intérêts ne pourra surgir subséquemment. En termes de perception du public, le gouvernement risque aussi de donner l’impression qu’il recourt à la représentation unifiée de multiples intérêts pour imposer une conformité de vues là où il n’y en a pas, entraînant un traitement inéquitable des personnes visées par la plainte ou créant des obstacles inutiles au mandat d’établissement des faits de la Commission.

19. En ce qui a trait à la divulgation des documents, le rôle des avocats du gouvernement en tant que procureurs des personnes visées par la plainte et « gardiens » de l’accès aux documents soulève d’autres complexités, ne serait-ce qu’au niveau des apparences.

20. La Commission ne veut aucunement alléguer qu’il y a eu des irrégularités ou des actes répréhensibles lors du déroulement de l’audience, mais elle considère qu’il y a un risque réel de scepticisme parmi le public lorsqu’une même équipe d’avocats représente une multiplicité d’intérêts. L’actuelle Politique sur les services juridiques et l’indemnisation du Conseil du Trésor a pour effet d’imposer par défaut la représentation commune. Afin d’éviter tout problème potentiel et toute apparence potentielle d’irrégularité dès le départ, il serait préférable de prévoir que les personnes visées par une plainte auront accès à des avocats indépendants.

Privilège du secret professionnel de l’avocat

21. Il ne fait aucun doute que le privilège du secret professionnel de l’avocat occupe une place unique dans notre système judiciaire. La protection contre la divulgation obligatoire des affaires discutées entre un client et son avocat est presque absolue. Cependant, il est vrai aussi que la loi établit clairement que le privilège appartient au client, non à l’avocat, et que le client est libre de renoncer à ce privilège comme il le juge à propos.

22. Au cours de la présente audience, le gouvernement a fait valoir que le « client » pour toute communication entre un avocat et un membre des FC, y compris un membre du SNEFC, était le ministre de la Défense nationale, et que seul ce dernier pouvait se prévaloir de ce privilège ou y renoncer. Le ministre a revendiqué un privilège d’application générale sur l’ensemble des communications entre des avocats du gouvernement et des membres des FC. Une telle position a eu pour effet d’empêcher la Commission d’avoir accès à des documents disponibles au SNEFC et pertinents à la façon dont ce dernier a mené ses enquêtes. Cela peut avoir un impact significatif sur la capacité de la Commission d’exercer son mandat, qui est d’évaluer le caractère exhaustif des enquêtes et la validité des conclusions auxquelles ces enquêtes ont abouti.

23. En conséquence, la Commission a demandé au ministre de renoncer à ce privilège pour les documents mis à la disposition du SNEFC dans le cadre de ses enquêtes, ou qui auraient été mis à la disposition du SNEFC s’il en avait fait la demande. La Commission n’a pas et n’aurait pas demandé accès à des communications entre un avocat et son client concernant des consultations entre les personnes visées par la plainte et leurs avocats dans le cadre de l’AIP.

24. La requête de la Commission pour cette renonciation limitée au privilège a été rejetée par le ministre, qui a indiqué que de telles renonciations étaient extrêmement rares, en citant la jurisprudence qui affirme que le privilège du secret professionnel de l’avocat a une importance critique pour l’administration de la justice. La Commission est d’avis que la vraie question qui se pose est de savoir s’il devrait y avoir renonciation à ce privilège lorsqu’une communication est nécessaire pour qu’il y ait une audition complète et équitable de la preuve et qu’il n’y aura pas de préjudice à l’endroit d’une personne visée par la plainte. La Commission estime qu’il n’y a pas de justification en droit ou en principe pour empêcher la divulgation de tels documents, et elle exhorte le gouvernement à revoir sa position pour les instances futures.

25. Au cours de la présente audience, le refus de renoncer à ce privilège n’a pas affecté de façon critique la capacité de la Commission d’en arriver à des conclusions au sujet des enquêtes sous examen. Sur un point, toutefois, cela s’est traduit inutilement par la non-divulgation de renseignements sur une question clé. Dans le contexte de l’enquête de 2010, la preuve montre que les enquêteurs ont demandé un avis juridique peu après leur rencontre avec les plaignants. Aucun autre travail d’enquête n’a ensuite été fait et le dossier a été clos sans aucune enquête factuelle sur les allégations des plaignants. On peut présumer que, d’une certaine façon, les avis juridiques étaient pertinents à la décision de clore le dossier. Il se peut même que le fait de demander un avis juridique aurait pu être utilisé par les personnes visées par la plainte comme une défense entière contre les allégations de manquement dans la conduite de cette enquête. Les personnes visées par la plainte n’ont pas invoqué une telle défense et tout préjudice qui résulte de cette décision ne peut que toucher leurs intérêts.

26. La Commission a été en mesure de conclure que la validité de tout avis juridique obtenu reposerait forcément sur les faits divulgués aux avocats consultés. Puisque les plaignants ont contesté la validité d’un grand nombre de faits et de conclusions dans les documents recueillis par le SNEFC, et à la lumière de la détermination faite par la Commission qu’il y avait des lacunes importantes au niveau de la preuve dans les documents disponibles, en l’absence de toute preuve à l’effet contraire, la Commission a été en mesure de conclure que les avis juridiques obtenus ne pouvaient servir de guide concluant tant et aussi longtemps que les faits sur lesquels ces avis étaient fondés n’avaient pas été corroborés.

27. Le fait que la Commission ait pu en arriver à la conclusion, heureusement et de façon quelque peu fortuite, qu’elle pouvait traiter de la plainte même sans pouvoir consulter certains documents qui auraient été accessibles aux enquêteurs du SNEFC, ne réduit aucunement la portée de la préoccupation en ce qui a trait au privilège invoqué. Les personnes visées par la plainte ont le droit de défendre leurs intérêts en invoquant tous les arguments juridiques à leur disposition. Par contre, le gouvernement ne devrait pas ériger d’obstacles au mandat d’établissement des faits de la Commission.

L’enquête de 2008

28. Lorsqu’il y a mort subite, la police et le coroner (en Alberta, le médecin légiste) ouvrent chacun une enquête pour déterminer la cause du décès et la façon dont il est survenu. Bien qu’il y ait un certain chevauchement, le mandat de la police est d’enquêter sur de possibles infractions. Un aspect primordial que la police doit éclaircir est de déterminer si le décès soulève des soupçons. En ce sens, l’enquêteur principal affecté à l’enquête du SNEFC sur le décès du cpl Langridge a affirmé avec pertinence que l’objet de l’enquête était « d’écarter la possibilité d’un acte criminel ».

29. Les mesures entreprises dans l’enquête de 2008 sur la mort subite ont toutefois fait peu pour élucider les questions nécessaires pour clore l’enquête. L’enquête a plutôt été marquée par une activité sporadique sur une période de trois mois, mais montrant peu de progrès vers son but manifeste. Même si l’enquêteur principal avait raison de garder l’esprit ouvert et d’éviter de porter des œillères, cela ne saurait justifier l’hésitation à utiliser la preuve réunie pour formuler des hypothèses et ensuite tenter de les vérifier à la lumière d’autres faits et preuves recueillis.

30. Les questions soulevées par l’enquête de 2008 commencent avec le traitement de la scène du décès.

31. Les enquêteurs ont pris leur temps, compilant méthodiquement un catalogue détaillé de l’état de la pièce et de son contenu. Le temps pris pour compléter cet exercice, au cours duquel le corps du cpl Langridge est demeuré pendu sur place, a constitué le motif d’une plainte déposée par les Fynes à l’effet que les enquêteurs ont manqué de respect en laissant inutilement le corps pendu et exposé à la vue des passants plutôt que de le dépendre et/ou de le couvrir. Ces plaintes ne peuvent être soutenues. Le temps mis pour le traitement de la scène se situe dans les paramètres habituels et le témoignage des experts a établi qu’il n’aurait pas été approprié de déplacer le corps, de le dépendre ou de le couvrir jusqu’à ce que l’autorisation soit donnée au service chargé d’emporter la dépouille. Le médecin légiste (ML) a accepté de permettre aux enquêteurs de compléter leur travail de traitement de la scène du décès avant d’ordonner l’enlèvement du corps.

32. Néanmoins, certaines des mesures prises par les enquêteurs n’étaient pas nécessaires et/ou auraient pu être réalisées après que le corps ait été enlevé. Ce qui est plus important, les enquêteurs ne semblent pas avoir exécuté leur travail avec une compréhension claire du but visé. La preuve a été traitée mais non analysée et aucune inférence ou conclusion n’en a été tirée. Les enquêteurs ont semblé obsédés par le besoin de garder l’esprit ouvert et ils n’ont pas tenu compte de la valeur probatoire de la déclaration du ML à l’effet que la scène correspondait à un cas classique de suicide par pendaison. En outre, ils n’ont pas reconnu les conséquences de la position du corps, notamment le fait que les pieds du cpl Langridge sont toujours demeurés en contact avec le plancher et qu’il aurait pu se redresser à tout moment et interrompre son geste, la lividité évidente sur le corps et l’absence de pétéchies sur le visage, qui sont autant d’éléments étayant fortement l’hypothèse du suicide, comme l’absence de preuves de lutte ou de toute perturbation du contenu de la pièce.

33. Si les enquêteurs envisageaient sérieusement la possibilité d’un acte criminel, ils n’ont entrepris aucune des procédures d’enquête auxquelles on se serait normalement attendu pour confirmer ou infirmer ces soupçons, y compris l’examen de points d’entrée possibles d’un intrus, ou la recherche d’empreintes digitales. En dépit des précautions élaborées qui ont été prises au début pour préserver l’intégrité des éléments de preuve sur la scène, l’enquêteur principal pourrait finalement avoir perturbé des éléments de preuve pertinents et contaminé la scène lorsqu’il a fait un dernier tour des lieux en ouvrant diverses portes et tiroirs sans porter de gants.

34. Ce qu’il est advenu de la note de suicide est illustratif. La note était adressée à la famille du cpl Langridge et, entre autres choses, elle demandait à ce qu’il y ait de simples funérailles en famille. Elle a été photographiée et enregistrée sur vidéo; son contenu a été enregistré et la note elle-même a été placée avec précaution dans un sac de plastique, en respectant rigoureusement les règles de la continuité de la preuve. Elle a été ensuite remisée comme « élément de preuve ». Elle n’a pas été communiquée à la famille intentionnellement, pour le motif que l’enquête se poursuivait, une décision qui n’a pas permis à la famille de respecter les dernières volontés exprimées dans la note. Néanmoins, rien n’a jamais été fait avec la note, y compris la vérification des empreintes ou l’analyse de l’écriture. Éventuellement, elle a été oubliée par les enquêteurs et ne figurait pas sur la liste des biens personnels envoyés aux FC, et la famille a continué à en ignorer l’existence pendant 14 mois.

35. Le manque d’orientation et l’objet apparemment incertain de l’enquête ressortent aussi du plan d’enquête (PE). Un PE devrait guider la planification des étapes à franchir durant l’enquête afin de répondre aux questions qui doivent être élucidées pour éventuellement clore l’enquête. Dans le cas présent, le PE a simplement consisté en une liste non classée et non structurée de questions, d’observations, de tâches et de notes à soi-même, qui ne pouvaient avoir aucune utilité pour organiser les étapes de l’enquête ou préciser comment elles étaient liées aux buts de l’enquête.

36. Une des questions mentionnées dans le PE est « la possibilité d’actes négligents de la part des FC qui auraient pu entraîner une implication dans le décès ». Un examen subséquent de l’assurance de la qualité (AQ) de l’enquête de 2008, réalisé par le SNEFC, a critiqué les enquêteurs pour avoir exploré la question de la négligence possible qui, selon les auteurs de l’examen, aurait dû faire l’objet d’un examen administratif par une commission d’enquête des FC. Cette critique faisait fausse route. La négligence peut constituer le fondement d’une accusation en vertu du Code criminel ou du Code de discipline militaire. La négligence en rapport avec une mort subite est un sujet approprié d’enquête policière qui relève clairement du mandat et de la compétence du SNEFC.

37. Le problème que soulève la question de la négligence dans l’enquête de 2008 n’est pas la question sous enquête, mais la façon dont l’enquête s’est déroulée.

38. Les enquêteurs se sont intéressés à la question de la négligence possible après avoir entendu dire que le cpl Langridge faisait peut-être l’objet d’une surveillance pour risque de suicide au moment de son décès. Ils ont fait le raisonnement que si le cpl Langridge s’est enlevé la vie en dépit du fait qu’il était sous observation pour risque de suicide, l’incapacité des mesures de surveillance à prévenir le suicide pourrait constituer de la négligence. Après quelques jours, la plupart des activités dans le cadre de l’enquête de 2008 semblent avoir visé principalement à déterminer s’il y avait une surveillance pour risque de suicide, à tel point que cette question étroite a remplacé la véritable question, qui était d’établir s’il y avait des preuves de négligence coupable en rapport avec le décès du cpl Langridge.

39. L’hypothèse limitative selon laquelle il ne pouvait y avoir de négligence que s’il y avait une surveillance pour risque de suicide a empêché les enquêteurs ou leurs superviseurs de s’intéresser aux renseignements recueillis au fil de leurs entrevues qui auraient pu évoquer la possibilité d’une négligence pour des motifs différents. Ils ne se sont pas intéressés aux renseignements qui pourraient avoir suggéré, dans les circonstances, que le fait de ne pas avoir mis en place des mesures de surveillance pour risque de suicide pourrait constituer une preuve de négligence potentielle, comme ce serait le cas de la mise en place de mesures insuffisantes à cet égard. En cherchant exclusivement à déterminer si les faits confirmaient ou infirmaient la thèse de la surveillance pour risque de suicide, ils n’ont pas observé que les conditions contraignantes imposées au cpl Langridge pourraient avoir eu un lien quelconque avec son décès, sans égard à ce qu’elles pourraient révéler sur la présence ou l’absence de mesures de surveillance pour risque de suicide. Plutôt, en l’absence de confirmation de l’hypothèse d’une surveillance pour risque de suicide au terme des entrevues, le volet de l’enquête axé sur la négligence s’est estompé.

40. Que ce soit dans l’optique de la confirmation du suicide pour écarter la possibilité d’un acte criminel, ou dans l’optique de faire enquête sur la négligence possible, ce qui n’a pas été fait durant l’enquête de 2008 est tout aussi important que ce qui a été fait. Des décisions déroutantes ont été prises de ne pas contacter Mme Fynes ou d’interviewer Mme ANote de bas de page 1, que l’armée considérait comme étant la conjointe de fait du cpl Langridge. Ces deux personnes possédaient des renseignements extrêmement pertinents sur la question du suicide et celle de la négligence, que les enquêteurs n’ont pas cherché à obtenir.

41. Aucun médecin traitant ni aucune personne impliquée dans le traitement des problèmes de toxicomanie du cpl Langridge n’a été contacté. Aucune analyse n’a été faite sur les articles recueillis sur la scène du décès, et il n’y a eu aucun suivi de l’information révélée par la scène ou ce qui s’y trouvait. Aucune chronologie des derniers jours du cpl Langridge n’a été établie.

42. Dès le début, les enquêteurs ont procédé à des fouilles sans mandat du véhicule et du casier de rangement du cpl Langridge. Rien n’est ressorti de ces fouilles, mais le témoignage des enquêteurs a révélé un manque alarmant de compréhension des règles juridiques concernant les fouilles et les perquisitions qui s’appliquent dans ces circonstances.

43. Les enquêteurs ont clos le dossier peu après avoir reçu la confirmation du ML que le décès était attribuable à un suicide.

44. Dans la version finale du sommaire du dossier de l’enquête de 2008, les références aux étapes de l’enquête axées sur la question de la surveillance pour risque de suicide ont été retirées. Les observations finales consignées au dossier affirment que le cpl Langridge s’est suicidé, font mention de ses troubles de santé mentale et affirment que ces troubles avaient été causés par ses problèmes de toxicomanie ou étaient subséquents à ceux-ci. La version finale des Conclusions ajoute que le suicide est survenu en dépit des tentatives faites par l’armée pour offrir au cpl Langridge un encadrement et un soutien. Étant donné la façon dont l’enquête s’est déroulée, on peut douter qu’elle ait pu soutenir l’une ou l’autre de ces conclusions, au-delà de conclure au décès par suicide. Suite aux objections vigoureuses des Fynes, ces autres conclusions ont été supprimées par le SNEFC, pour des motifs de « compassion » plutôt que d’inexactitude.

45. L’enquête de 2008 était insatisfaisante autant comme enquête sur une mort subite que comme enquête axée sur la négligence possible en lien avec le décès du cpl Langridge. Même si la conclusion à l’effet que le décès du cpl Langridge est attribuable à un suicide est clairement exacte, peu sinon rien de ce que les enquêteurs ont fait dans l’enquête sur la mort subite a contribué à cette conclusion. En revanche, alors que les enquêteurs avaient raison de considérer la négligence potentielle comme une question d’enquête pertinente, leur compréhension de cette notion était inutilement restreinte et cette partie de leur enquête n’est allée nulle part.

46. Globalement, les lacunes de l’enquête sont imputables à une inexpérience générale des enquêtes sur des morts subites au pays, ainsi qu’à une supervision généralement déficiente. L’inexpérience des personnes qui ont mené l’enquête n’a rien pour surprendre, puisque le SNEFC n’a commencé à faire des enquêtes sur des morts subites au pays qu’en 2005. Étant donné la faible fréquence relative des suicides dans les établissements du ministère la Défense, il est probable que cette inexpérience persiste encore aujourd’hui.

La note de suicide

47. En janvier 2009, après quelques faux départs, les FC ont entrepris une commission d’enquête (CE) sur le décès du cpl Langridge. Vers la fin de cette procédure, le président de la CE a noté un avis sur un formulaire accompagnant le certificat de décès émis par la province de l’Alberta faisant mention d’une note de suicide. Le dossier d’événement général (EG) de l’enquête de 2008 du SNEFC renferme une copie de la note de suicide, mais la preuve indique que ni cette note ni aucune mention de celle-ci ne figurait dans la version expurgée du dossier remis à la CE. Six semaines après en avoir fait la demande, le président de la CE a obtenu une copie de la note de suicide et, après un autre mois complet, il a obtenu la permission de sa chaîne de commandement de communiquer avec les Fynes pour leur divulguer l’existence de cette note et leur en remettre une copie.

48. Même si la note était adressée aux Fynes et renfermait une requête explicite au sujet des funérailles du cpl Langridge, personne n’a informé la famille de son existence ou de son contenu jusqu’à ce que le président de la CE les appelle, le 22 mai 2009, soit 14 mois après le décès du cpl Langridge.

49. Les Fynes étaient ébranlés. Ignorant l’existence de la note ou de son contenu, ils n’avaient pu donner suite à la requête du cpl Langridge d’avoir des funérailles en famille, plutôt que les funérailles militaires complètes qui ont eu lieu. Ils croyaient qu’ils avaient été tenus dans l’ignorance de cette note de façon cruelle, insensible et irrespectueuse. Dans la foulée de la réaction des Fynes, le SNEFC et ses membres ont fourni de nombreuses explications différentes, et souvent incompatibles aux FC, aux Fynes et au public; dans certains cas, elles n’avaient aucun lien avec les faits pertinents à l’affaire. On a affirmé à divers moments qu’il avait été nécessaire de ne pas révéler l’existence de la note en raison de la politique du SNEFC en matière de preuve, que cela avait été fait en tenant compte des intérêts supérieurs de la famille, que cela avait été fait pour protéger l’intégrité de l’enquête, ou qu’on avait eu l’intention de divulguer la note mais que cette intention n’avait pas été exécutée de manière expéditive. On a même soutenu que les Fynes étaient eux-mêmes en cause d’une certaine façon parce qu’ils n’avaient pas fait de requête au sujet d’une note lorsqu’ils ont parlé à l’enquêteur principal durant l’enquête. Un an plus tard, le commandant du Détachement du SNEFC de la Région de l’Ouest (RO) continuait à dire aux Fynes qu’une politique en vigueur à l’époque interdisait de divulguer les notes de suicide, en leur expliquant que la situation aurait été encore plus pénible pour eux si la note avait été divulguée et qu’il s’était avéré par la suite qu’elle n’était pas authentique. Cette justification insensible a aussi été offerte par d’autres membres du SNEFC dans leur témoignage devant la Commission.

50. Les efforts déployés pour formuler des explications semblent avoir été beaucoup plus vigoureux que ceux faits pour découvrir ce qui s’était vraiment passé. Aucune des explications mises de l’avant n’était fondée sur des renseignements provenant des enquêteurs eux-mêmes et la plupart, sinon la totalité, semblaient reposer sur des conjectures. Notamment, il n’existait aucune politique empêchant la divulgation des notes de suicide. Les témoignages des enquêteurs eux-mêmes incitent à penser que si la décision a été prise initialement de ne pas remettre la note de suicide originale à la famille parce que l’enquête en était à ses débuts, aucune considération ne semble avoir été donnée à la possibilité de divulguer l’existence de cette note à la famille. Au fil du temps, la note a tout simplement été oubliée et l’omission de la divulguer ne semble avoir d’autre explication. Lorsque l’enquête a été conclue, la note originale n’a pas été remise à la famille parce qu’il n’y avait pas de processus adéquat en place au niveau du Détachement pour le retour des effets saisis. Lorsque des mesures ont enfin été prises pour remettre les autres effets, la note de suicide n’y figurait pas. Comme elle avait été oubliée depuis longtemps, personne ne s’est rendu compte de son absence. Cette explication simple, mais troublante, ne semble pas avoir été découverte par la chaîne de commandement du SNEFC avant que les enquêteurs ne témoignent à l’audience de la Commission.

51. Très tôt, l’accent mis dans les communications des SNEFC, à l’intention tant des Fynes que du public, est passé de tentatives visant à expliquer ou à justifier le fait que la note n’avait pas été divulguée, à un message évoquant un changement dans les politiques ou les procédures du SNEFC pour prévenir qu’un tel événement se reproduise. Le public a aussi été informé des excuses présentées par le SNEFC.

52. Les Fynes n’ont jamais accepté l’affirmation selon laquelle des excuses officielles leur ont été offertes pour le fait que la note ne leur a pas été divulguée. Bien que l’on puisse débattre du contenu exact de ces excuses, et à qui les diverses excuses ont été adressées, la preuve montre que le SNEFC et les FC ont exprimé leurs regrets et présenté leurs excuses en diverses occasions pour ce qui est arrivé. Cependant, le SNEFC n’a pas présenté ses excuses immédiatement, ni n’a pris l’initiative de remettre la note originale aux Fynes en personne après avoir découvert qu’on avait omis de la divulguer. En fait, lorsque les Fynes ont demandé à voir la note originale, la première réaction du Détachement a été de leur suggérer de présenter une demande officielle d’accès à l’information pour en obtenir une copie, et de les informer qu’il n’envisageait pas de leur remettre l’original.

53. Pour ce qui est du second volet du message, à savoir le changement de procédures au sein du SNEFC pour prévenir une répétition d’un tel événement dans l’avenir, la situation est plus équivoque. La preuve montre que des déclarations à l’effet que des modifications aux procédures avaient été apportées ont été communiquées à plusieurs reprises à compter de 2009, bien que, dans les faits, aucune politique écrite au sujet de la divulgation des notes de suicide n’ait été explicitement adoptée avant juillet 2011. La preuve révèle néanmoins qu’au cours de la période précédant l’adoption d’une politique écrite, il y a eu un changement de procédure sous la forme d’une directive verbale enjoignant à informer les familles dès que possible de l’existence d’une note de suicide et à remettre à la famille ou au plus proche parent (« PPP ») l’original ou une copie de la note le plus rapidement possible. Le QG du SNEFC a aussi assuré un suivi des cas individuels pour faire en sorte que les notes de suicide ne soient pas retenues.

54. La politique écrite telle qu’adoptée précise que le PPP doit être avisé de l’existence d’une note « dès qu’il est pratique de le faire » et que la note doit lui être remise, ou à la personne à qui elle est adressée, « à la conclusion de l’enquête » ou « dès qu’elle n’est plus requise aux fins de l’enquête ». À la lumière de la preuve, cette nouvelle politique ne diffère pas fondamentalement de la pratique en vigueur au moment du décès du cpl Langridge. Il semble que le SNEFC considère l’omission de divulguer la note de suicide du cpl Langridge comme ayant été une erreur de pratique plutôt qu’une erreur de politique. Néanmoins, les témoignages entendus par la Commission révèlent qu’il y avait et qu’il continue d’y avoir un manque de compréhension commune de ce que signifie la divulgation « dès qu’il est pratique de le faire » ou « dès qu’elle n’est plus requise aux fins de l’enquête ». Les opinions de la plupart des témoins du SNEFC en ce qui a trait au moment opportun pour divulguer une note de suicide n’ont pas changé après l’adoption de la « nouvelle » politique. Différents témoins ont livré des comptes rendus divergents quant à leur interprétation du moment où, en pratique, une note de suicide serait divulguée en vertu de l’ancienne pratique et en vertu de la nouvelle politique. Sur la base de ces témoignages, il semble que les mesures mises en place soient insuffisantes pour prévenir une répétition de ce qui est arrivé aux Fynes. Nonobstant la politique écrite, il est loin d’être acquis que, dans l’avenir, les notes de suicide seront communiquées à temps pour que les vœux du soldat décédé concernant ses funérailles puissent être exécutés par la famille.

L’enquête de 2009

55. Immédiatement après le décès du cpl Langridge, les Fynes ont supposé qu’ils s’occuperaient de ses funérailles. Ils ont rapidement été informés qu’en fait, ce serait Mme A, en qualité de conjointe de fait du cpl Langridge, qui prendrait ces décisions parce qu’elle était la première plus proche parente (PPPP) du cpl Langridge. L’officier désigné (OD) a décrit leur réaction en disant qu’ils avaient alors paru « broyés comme des raisins ». Ils ont néanmoins acquiescé, estimant qu’ils n’avaient pas le choix. En réalité, les décisions au sujet des funérailles ont fait l’objet de négociations détaillées entre Mme A et les Fynes.

56. Les Fynes ont découvert par la suite que le cpl Langridge avait rempli un Avis d’urgence personnelle (AUP) les désignant comme premier et deuxième PPP. Cette découverte les a amenés à conclure qu’ils avaient été injustement empêchés de jouer le rôle que le cpl Langridge souhaitait qu’ils jouent, ce qui a aggravé leur colère envers l’armée.

57. Par le truchement du bureau de l’ombudsman du MDN et des FC, les plaintes des Fynes ont été portées à l’attention du SNEFC. Le commandant du détachement SNEFC RO a entrepris une enquête, se désignant lui-même comme enquêteur principal.

58. À l’instar des Fynes, le commandant du détachement a supposé que le PPPP désigné dans le formulaire AUP était la personne appropriée que l’armée devait reconnaître comme PPPP, notamment aux fins de la planification des funérailles et des décisions connexes. Le dossier a été ouvert en décembre 2009 et la décision de procéder à une enquête formelle a été prise en février 2010; par la suite, cependant, peu de progrès ont été réalisés pendant plusieurs mois. L’enquêteur initial travaillant avec le commandant du détachement a été transféré avant que le travail d’enquête ne débute. L’enquêteur nommé pour le remplacer a mené trois entrevues pour tenter d’identifier qui avait pris la décision de reconnaître Mme A comme PPPP. Il a aussi été muté à d’autres fonctions.

59. Un troisième enquêteur (l’« enquêteur ») a été nommé et le commandant du détachement a alors essentiellement cessé toute participation active à l’enquête. Cet enquêteur a pris une approche tout à fait différente. Il a déterminé que le formulaire AUP n’était pas, en soi, un document destiné à créer des droits ou des obligations juridiques; par conséquent, il n’a pas reconnu sa pertinence pour établir qui était réellement le PPP ou le PPPP du cpl Langridge. S’appuyant sur ses propres recherches, il a aussi déterminé qu’il n’existait pas de règle ou d’ordonnance pertinente des FC définissant le PPP ou le PPPP, et il a plutôt invoqué les « coutumes de notre société » pour arriver à la conclusion que le PPP voulait dire le conjoint et que la notion de conjoint englobait celle de conjoint de fait. Ayant décidé que Mme A était la conjointe de fait du cpl Langridge à la lumière des politiques et des règlements de l’armée, il a recommandé de fermer le dossier sans pousser plus loin l’enquête.

60. L’enquêteur n’a jamais interviewé les plaignants ou Mme A, préférant s’en tenir à la preuve documentaire au dossier. Il n’a pas jugé plus nécessaire de poursuivre l’examen pour déterminer qui, au sein des FC, avait pris la décision concernant le PPPP puisqu’il a conclu que le cpl Langridge avait lui-même choisi Mme A comme PPPP lorsqu’il s’était engagé dans une union de fait avec elle.

61. Les superviseurs de l’enquêteur ont initialement manifesté une certaine incrédulité, y compris le commandant du détachement, qui a demandé que d’autres entrevues soient menées à propos des politiques de l’armée sur la question du PPP. En dépit des opinions répétées des « spécialistes de la question » qui ont été interrogés, à l’effet qu’il s’agissait d’une question de droit nécessitant l’intervention d’un juriste, les opinions de l’enquêteur ont prévalu et le dossier a été clos sans autre enquête et sans demander d’avis juridique.

62. Tout au long de sa participation à l’enquête, l’enquêteur a supposé que la plainte des Fynes et, partant, l’objet de son enquête, visait simplement à établir qui était le PPP. Il n’a pas compris que la plainte sur laquelle il faisait enquête concernait le processus décisionnel entourant les funérailles du cpl Langridge. Il a indiqué dans son témoignage n’avoir pris connaissance de cet aspect de la plainte qu’au moment de regarder une conférence de presse organisée par Mme Fynes. Il a traité cet aspect comme une plainte additionnelle, et non comme l’objet véritable de la plainte à l’origine de l’enquête de 2009. À son avis, cette plainte « additionnelle » a trouvé sa réponse dans le fait que les Fynes ont participé aux décisions entourant les funérailles du cpl Langridge.

63. La question de savoir qui a le droit de prendre des décisions au sujet des funérailles d’un militaire est une question complexe en droit. Il est inconcevable aux yeux de la Commission que l’enquêteur, qui n’était pas avocat, ait tenté de résoudre cette question à partir de ses propres recherches, sans solliciter d’avis juridique, et que le commandant du détachement, le responsable du dossier et le reste de l’équipe de supervision du SNEFC RO aient donné leur accord à une telle approche.

64. L’enquêteur a erré dans son interprétation de la nature de la plainte des Fynes. Son examen du droit et de la politique militaire applicables était incomplet. Plusieurs sinon la plupart des hypothèses qu’il a faites étaient probablement inexactes. Sa conclusion au sujet de qui avait la responsabilité décisionnelle est logiquement déroutante, et le fait qu’il se soit appuyé sur sa propre perception des coutumes sociales pour trancher la question juridique du plus proche parent ne saurait être justifié.

65. L’interprétation faite par les Fynes eux-mêmes du formulaire AUP en tant qu’élément déterminant de cette question pourrait aussi être erronée. Cependant, ils ont eu raison d’affirmer qu’en mettant l’accent sur la question de savoir si Mme A était la conjointe de fait du cpl Langridge, l’enquête de 2009 n’a pas répondu à la plainte qu’ils avaient déposée. Les Fynes ont également eu raison de se plaindre que le temps requis pour mener l’enquête de 2009 ait été excessif. Cet aspect de l’enquête de 2009, ainsi que le défaut de tenir les Fynes informés de manière significative de ce qui se passait, étaient aussi injustifiables.

66. En définitive, il est possible que la plainte des Fynes n’ait pu être soutenue. Le cas échéant, ce ne serait pas pour les raisons mentionnées par l’enquêteur, et le travail d’enquête qui a effectivement été fait ne justifierait pas ces conclusions.

L’enquête de 2010

67. En mai 2010, les Fynes ont rencontré le commandant du détachement SNEFC RO pour discuter, entre autres choses, d’une plainte qu’ils voulaient déposer alléguant la négligence de la part de la chaîne de commandement des FC qui avait la responsabilité de prendre soin du cpl Langridge. Au cours de cette longue entrevue, les Fynes ont fait des allégations au sujet du rôle de l’armée dans le décès du cpl Langridge, essentiellement en ces termes.

68. Au début de mars 2008, le cpl Langridge se trouvait dans un hôpital civil après plusieurs tentatives de suicide. Il a demandé d’être envoyé dans un centre de traitement pour l’aider à surmonter ses problèmes de toxicomanie, et l’hôpital avait accepté de le garder sous ses soins jusqu’à ce qu’un transfert puisse être organisé. Les FC ont plutôt ordonné le retour du cpl Langridge à la base où, malgré le fait que les FC étaient au courant de son instabilité, il a fait l’objet de conditions restrictives et humiliantes. Le cpl Langridge a été forcé d’accepter ces conditions pour le motif qu’il serait envoyé en traitement seulement s’il démontrait qu’il se pliait à ces conditions, alors même que les FC avaient déjà pris la décision de ne pas l’envoyer suivre un traitement. Ces conditions visaient à inciter le cpl Langridge à avoir un comportement répréhensible pour justifier l’intention des FC de le renvoyer de l’armée. Le cpl Langridge s’est montré incapable de les respecter, affirmant qu’il s’enlèverait la vie plutôt que de retourner travailler à ces conditions. Suite à un bref séjour à l’hôpital, le cpl Langridge a été renvoyé à la base. Il a de nouveau demandé que les conditions soient assouplies, mais on lui a dit qu’il devait continuer à s’y conformer. Incapable de le faire, le cpl Langridge s’est suicidé.

69. Les Fynes allèguent en outre que les FC étaient informées des tentatives de suicide passées du cpl Langridge et avaient ainsi le devoir de veiller à sa sécurité. Mme Fynes a allégué qu’elle avait reçu l’assurance que le cpl Langridge faisait l’objet d’une surveillance 24 heures sur 24, 7 jours par semaine. À leur avis, soit que le cpl Langridge ait été placé sous surveillance pour risque de suicide mais que celle-ci se soit révélée déficiente, soit qu’il n’ait pas fait l’objet d’une surveillance appropriée alors qu’il aurait dû l’être. Dans un cas comme dans l’autre, l’armée a fait preuve de négligence.

70. Les Fynes étaient d’avis que ces faits formaient l’assise d’une infraction de négligence criminelle en vertu du Code criminel. Dans une lettre officielle remise lors de l’entrevue, M. Fynes a aussi fait allusion aux infractions en vertu du Code criminel sous la rubrique « Défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence » et « Obligation de la personne qui supervise un travail ».

71. Les Fynes ont également affirmé aux enquêteurs qu’ils croyaient qu’il y avait des erreurs et des inexactitudes tant dans le dossier d’enquête de 2008 du SNEFC que dans le rapport de la CE des FC, qu’ils considéraient biaisé.

72. Au cours de la rencontre, le commandant du détachement a indiqué que le SNEFC mènerait une enquête détaillée qui n’adopterait pas d’emblée les conclusions des enquêtes précédentes, y compris celles de la CE, mais qui réexaminerait toute la preuve existante et interviewerait ou ré-interviewerait tous les témoins. Après la rencontre, l’enquêteur principal affecté au dossier a rassemblé les documents, y compris le rapport de la CE et plusieurs éléments provenant du dossier d’EG de 2008, et il a demandé un avis juridique.

73. Il n’y a pas eu d’autre enquête et, à la mi-août 2010, la décision a été prise de clore le dossier sans pousser plus loin l’enquête.

74. Pour justifier la clôture du dossier sans procéder à quelque autre enquête, il aurait été nécessaire de déterminer soit que le SNEFC disposait de preuves solides qui contredisaient de manière concluante les faits requis pour étayer une infraction criminelle ou militaire, soit qu’aucune infraction ne ressortait des faits même s’ils concordaient avec les allégations des plaignants. Puisque le privilège du secret professionnel de l’avocat a été invoqué, la Commission n’a pas été en mesure de connaître la teneur de l’avis juridique fourni au SNEFC ou les éléments sur lesquels il s’appuyait. Néanmoins, l’avis juridique ne saurait être plus exact que les faits sur lesquels il s’appuyait et ces faits se limitaient nécessairement à ceux que possédait le SNEFC.

75. En termes de fondement factuel potentiel, la CE était controversée et ses conclusions ont été remises en question au sein des FC. Nonobstant les représentations faites par le commandant du détachement à l’effet qu’il ne serait pas accepté d’emblée, le rapport de la CE ne pouvait, en soi, constituer une base fiable pour établir si les faits justifiaient une infraction. L’enquête de 2008 n’a envisagé la question de la négligence que dans la mesure où elle cherchait à déterminer si des mesures de surveillance pour risque de suicide avaient été mises en place. Compte tenu de l’enquête limitée qui a eu lieu, les renseignements recueillis et les conclusions auxquelles l’enquête de 2008 a abouti ne pouvaient ni réfuter ni corroborer les allégations des Fynes. À moins que les enquêteurs du SNEFC ou leurs conseillers juridiques aient supposé que l’enquête de 2008 ou les conclusions de la CE réfutaient les allégations faites par les Fynes, il n’y a aucun fondement pour conclure que ces allégations pouvaient être rejetées sans poursuivre l’enquête. Il semble que le fait d’entreprendre une nouvelle enquête en acceptant au départ, sans autre travail d’enquête, les faits et conclusions contestés par les plaignants soit un exercice voué à l’échec dès le début.

76. L’enquêteur à qui on a subséquemment demandé de produire une présentation PowerPoint pour expliquer la décision de fermer le dossier a fait sa propre analyse des éléments des diverses infractions alléguées par les Fynes. L’analyse juridique sur le fonds de ces éléments peut être mise en doute, mais il demeure néanmoins qu’on ne peut établir clairement quels faits robustes ont été ou auraient pu être utilisés pour en arriver à la conclusion que les faits en question ne pouvaient étayer ces éléments. La présentation elle-même se limitait aux infractions au Code criminel mentionnées dans la plainte écrite des Fynes. Une enquête policière ne peut se limiter aux accusations particulières que peut reconnaître un plaignant. La question qui se posait au SNEFC était de déterminer si les allégations des Fynes, dans l’éventualité où elles seraient corroborées, pouvaient aboutir à une infraction au Code criminel ou à une infraction militaire. Il lui incombait, plutôt qu’aux plaignants, de déterminer quelles pouvaient être ces infractions.

77. Différents témoins du SNEFC ont affirmé qu’ils avaient ou auraient éventuellement pris en considération les infractions militaires en plus des infractions au Code criminel. Aucun document ne permet de dire qu’une telle analyse ou prise en considération a eu lieu. Les infractions militaires qui auraient pu être pertinentes sont celles prévues à l’article 124 de la LDN, « L’exécution négligente d’une tâche ou mission de l’armée », ou au paragraphe 129(1), « Conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline ».

78. Toutes les infractions criminelles ou militaires qui pourraient s’appliquer comportent, d’une façon ou d’une autre, comme élément fondamental le devoir de faire ou de ne pas faire quelque chose et un comportement qui contrevient à ce devoir.

79. Les déclarations faites par les Fynes au cours de l’entrevue de mai 2010 font valoir que les FC avaient le devoir d’assurer la sécurité du cpl Langridge, sur la base du fait qu’elles exerçaient un contrôle sur ce dernier. Les autres allégations faites durant l’entrevue qui pourraient étayer la présence d’un devoir ou d’un comportement requis par la loi, sont notamment la connaissance alléguée qu’avaient les FC des tendances suicidaires du cpl Langridge, la décision alléguée de le sortir du cadre hospitalier où il était apparemment en sécurité, ainsi que les déclarations de Mme Fynes alléguant qu’elle avait reçu des garanties à l’effet que le cpl Langridge était en sécurité. Les faits tels que présentés par les Fynes allèguent aussi un manquement au devoir d’assurer la sécurité du cpl Langridge, soit par le défaut de mettre en place une surveillance efficace en raison du risque de suicide, soit par l’imposition de conditions que les FC savaient ou auraient dû savoir qu’elles le déstabiliseraient, et allèguent que ces actes ou omissions auraient contribué à son décès.

80. Même si ces allégations étaient fondées, il est loin d’être sûr qu’une infraction criminelle ou militaire aurait pu en découler. Cela ne signifie pas qu’une accusation aurait été ou aurait dû être déposée. Les faits présentés par les Fynes n’étaient rien d’autre que des allégations et à défaut d’être corroborés, ils ne pouvaient servir d’assise fiable pour porter une accusation. Cependant, jusqu’à ce que ces allégations aient fait l’objet d’une enquête, on ne pouvait savoir si une accusation aurait pu être justifiée.

81. Le dossier du SNEFC en ce qui a trait à l’enquête de 2010 n’aurait pas dû être clos sans qu’il y ait une enquête sur les allégations énoncées par les Fynes lors de l’entrevue de mai 2010.

82. Les Fynes ont aussi allégué au cours de cette entrevue que le commandant du régiment avait commis une infraction en omettant de mettre en place un protocole de prévention du suicide et en omettant de déclencher une enquête sommaire (ES) après chaque tentative de suicide du cpl Langridge. Le SNEFC n’a pas fait enquête sur l’une ou l’autre de ces allégations. Dans le cas de l’omission alléguée de mettre en place un protocole de prévention du suicide, il n’y avait certes aucune raison permettant d’écarter l’allégation de façon sommaire.

83. Dans leur précipitation à clore le dossier, les membres du SNEFC n’ont jamais cherché à faire ce qu’ils avaient promis de faire, soit de découvrir la vérité sur ce qui était arrivé au cpl Langridge, tout en faisant apparemment des choses qu’ils avaient promis de ne pas faire, soit accepter d’emblée les conclusions des enquêtes précédentes et utiliser celles-ci pour justifier le rejet des allégations portées par les Fynes.

84. Il est compréhensible que les enquêteurs aient voulu se montrer prudents face aux allégations formulées par les Fynes. Il ne s’agissait pas d’allégations ordinaires, et une éventuelle décision de déposer des accusations pour des infractions criminelles ou militaires liées à la négligence à la suite de ces allégations pourrait bien avoir constitué un précédent. Cependant, cela ne justifie pas la décision de les écarter du revers de la main sans approfondir l’enquête. Parce qu’un ensemble de faits ne s’est jamais présenté auparavant, ou n’a jamais constitué le fondement d’une accusation, cela ne veut pas dire qu’il ne pourrait fournir les éléments requis pour une infraction. Un précédent ne constitue pas une exigence pour porter une accusation à la lumière d’un nouvel ensemble de faits.

85. Bien qu’il ne soit pas possible de conclure que le défaut de faire enquête démontre la partialité ou le manque d’indépendance du SNEFC, cette omission pourrait indiquer un manque d’imagination et une incapacité de concevoir la possibilité que l’armée puisse porter une part de responsabilité dans le décès du cpl Langridge. À cet égard, la Commission n’est pas en mesure d’exprimer une opinion sur l’aboutissement éventuel d’une enquête appropriée qui aurait fait suite aux allégations. Cependant, elle peut conclure qu’une telle enquête aurait dû avoir lieu et que les allégations faites par les Fynes à l’effet que le SNEFC a omis d’examiner de façon appropriée les infractions criminelles ou militaires qui auraient pu être commises par la chaîne de commandement des FC en rapport avec le décès du cpl Langridge étaient fondées.

Les interactions du SNEFC avec les Fynes

86. Dès le départ, plusieurs plaintes des Fynes et une bonne partie de leur insatisfaction peuvent être reliées à la façon dont le SNEFC a interagi et communiqué avec eux.

87. Les enquêteurs qui ont mené l’enquête de 2008 semblent avoir considéré que les Fynes n’entraient pas dans le cadre de leur enquête. Le seul contact qui a eu lieu avec les Fynes durant cette enquête a été initié par les Fynes sur une autre question. Certes, aucun effort n’a été fait pour obtenir des renseignements pertinents auprès des Fynes ou pour les tenir informés de la progression ou des résultats de l’enquête.

88. L’omission troublante d’informer les Fynes de l’existence ou du contenu de la note de suicide était, comme l’a reconnu par la suite le SNEFC, inexcusable. À bien des égards, ce manquement a ouvert la porte à plusieurs des plaintes qui ont abouti à l’audience publique de la Commission.

89. La réponse du SNEFC à la découverte de la note de suicide a été motivée davantage par le souci de trouver une explication plausible à communiquer aux FC et au public que par le souci de fournir de l’information exacte ou de tenter de réparer les ponts avec les Fynes. Sur cette question aussi, les Fynes semblent avoir été une préoccupation secondaire. Immédiatement après avoir découvert que la note de suicide n’avait pas été divulguée aux Fynes, le SNEFC aurait dû la leur remettre en personne en présentant immédiatement des excuses officielles et en faisant un effort concerté pour déterminer exactement ce qui était arrivé pour être en mesure de fournir une explication valable aux Fynes. Rien de tel n’a été fait. Les excuses présentées un mois plus tard découlent du fait que le commandant du SNEFC a composé le numéro de téléphone des Fynes par erreur en croyant qu’il appelait leur OD.

90. Au cours de la conversation malaisée qu’il a eue avec les Fynes, le commandant leur a donné l’assurance qu’ils recevraient un rapport au sujet de l’enquête de 2008. Quelle qu’ait pu être l’amélioration des rapports avec les Fynes suite à cet engagement, elle a été rapidement dissipée par la livraison d’une copie fortement censurée du dossier d’EG, qui ne représentait que le tiers de sa taille initiale et duquel toutes les notes des officiers, les entrevues avec les témoins et la documentation au sujet de la preuve recueillies avaient été expurgées. Bien que les Fynes aient éventuellement obtenu une copie moins expurgée – quoique toujours incomplète – du dossier, cette saga a contribué à envenimer les choses plutôt qu’à les améliorer et a abouti aux plaintes, corroborées par la Commission, à l’effet que de l’information avait été supprimée sans justification appropriée sur le plan juridique ou des politiques.

91. À la fin de novembre 2009, le SNEFC a finalement organisé une séance d’information avec les Fynes au sujet de l’enquête de 2008. La séance d’information était dirigée par le commandant du détachement SNEFC RO, qui n’avait pas été personnellement impliqué dans l’enquête de 2008, bien qu’il ait joué un rôle important dans les discussions entourant la découverte de la note de suicide. Lors de cette séance d’information, les Fynes ont soulevé plusieurs des questions au sujet de l’enquête de 2008 qui ont par suite constitué l’un des fondements de la plainte qu’ils ont déposée à la Commission. Même s’il n’y a pas de preuve d’une quelconque intention de tromper, le commandant du détachement n’a pas fourni de renseignements précis au sujet de l’enquête et certaines des explications et des réponses données aux questions des Fynes étaient inexactes ou sans lien avec les faits.

92. Alors que la Loi sur la défense nationale impose une procédure obligatoire à la police militaire pour faire rapport au GPFC et à la Commission de toutes les plaintes quelle reçoit, le commandant du détachement a traité les préoccupations des Fynes comme des demandes d’information plutôt que des plaintes à l’égard desquelles il devait agir. Même s’il s’était engagé à fournir des réponses à toutes les questions en suspens, moins de la moitié des questions soulevées et laissées sans réponse durant la séance d’information ont, en fait, été traitées par la suite. Dans son témoignage devant la Commission, le commandant du détachement a mentionné sa propre évaluation du bienfondé (ou de l’absence de bienfondé) des plaintes des Fynes pour justifier le fait qu’il ne les avait pas rapportées ou transmises, nonobstant que les Fynes aient pu exprimer leur insatisfaction à l’égard des explications fournies. Ce raisonnement circulaire, par le biais duquel l’omission de faire enquête se trouve justifiée par un jugement sur le bienfondé de ce qui devrait faire l’objet d’une enquête, est un thème récurrent et injustifiable dans l’approche adoptée par le SNEFC dans le traitement des plaintes déposées par les Fynes.

93. De nombreuses questions laissées sans réponse au cours de la séance d’information de novembre 2009, et certaines questions auxquelles on a répondu mais qui n’ont pas satisfait les Fynes, ont été soulevées à nouveau plus d’un an après dans une lettre adressée à l’officier désigné par les FC pour coordonner les contacts avec eux. Plusieurs des réponses alors fournies par le SNEFC étaient similaires à celles données durant la séance d’information de novembre 2009, ne contenant que des renseignements généraux sans lien avec les faits. Certaines réponses étaient inexactes en regard des faits. Ces réponses semblaient avoir pour but de justifier la façon dont le SNEFC avait traité le dossier, plutôt que fournir des renseignements factuels sur ce qui avait été fait. Si le défaut de fournir des renseignements précis n’était pas intentionnel, le défaut continu de faire des efforts appropriés pour recueillir des renseignements pertinents était inacceptable.

94. Peu après la séance d’information de novembre 2009, le SNEFC a ouvert un dossier d’enquête sur les plaintes des Fynes concernant le Régiment qui avait désigné Mme A pour prendre les décisions au sujet des funérailles du cpl Langridge. Le commandant du détachement et un second enquêteur ont rencontré les Fynes en mars 2010 pour discuter de cette enquête. Une autre entrevue a eu lieu en mai 2010. Les Fynes ont alors soumis d’autres plaintes qui ont mené à l’ouverture d’un dossier d’enquête distinct sur leurs allégations de négligence de la part des FC en rapport avec le décès du cpl Langridge.

95. Au cours des deux entrevues, le commandant du détachement a fait de nombreuses représentations au sujet de la façon dont les enquêtes respectives seraient menées, et il a pris des engagements précis de tenir les Fynes informés au sujet de ces enquêtes par des contacts réguliers et de leur fournir des justifications à l’égard de toute conclusion qui en ressortirait. À vrai dire, ces enquêtes ne se sont pas déroulées selon les représentations faites et aucune mise à jour ou explication valable n’a été offerte aux Fynes. Il n’y a pas eu de contacts avec les Fynes durant de longues périodes.

96. Il n’est généralement pas recommandé de faire des représentations au sujet de la façon dont une enquête se déroulera. Lorsque de telles représentations sont faites, elles ne peuvent être considérées comme des engagements auxquels on ne pourra pas se soustraire. Les circonstances changent, de nouveaux renseignements sont découverts, les conclusions préliminaires sont révisées et des ajustements nécessaires sont apportés. Les décisions au sujet de la conduite des enquêtes de police devraient être dictées par les besoins de l’enquête plutôt que par des engagements antérieurs donnés aux plaignants. Cependant, lorsque de tels engagements sont pris et que des changements se produisent pas la suite, les plaignants devraient être avisés et recevoir une explication valable.

97. Dans le cas présent, contrairement aux représentations du commandant du détachement, les enquêtes de 2009 et de 2010 étaient largement fondées sur des documents existants et non, comme promis, sur des entrevues ou de secondes entrevues avec des témoins pour établir les faits. En dépit des explications antérieures laissant penser que l’enquête de 2009 viserait à établir qui avait pris la décision de reconnaître Mme A comme PPP et sur quelle base, cette enquête a changé de cours pour tenter de confirmer que Mme A était la conjointe de fait du cpl Langridge. Malgré les assurances à l’effet que les conclusions antérieures seraient réexaminées et que les déclarations faites par des témoins lors des entrevues passées seraient mises à l’épreuve par un interrogatoire direct, les rapports et les documents de la CE, de l’ES et de l’enquête de 2008 semblent avoir été acceptés tels quels sans autre mise à l’épreuve ou examen. Malgré les descriptions des techniques d’enquête élaborées et des ressources humaines considérables qui devaient être consacrées à l’enquête de 2010, en réalité aucune enquête n’a eu lieu.

98. Il y a de bonnes raisons de remettre en question le fondement de chacune de ces décisions, mais aucune d’elles n’était interdite simplement parce que le commandant du détachement avait fait des représentations à l’effet contraire. Toutefois, ce qui n’était pas acceptable dans les circonstances est l’abandon total de la promesse faite de tenir les Fynes régulièrement informés. À la lumière du témoignage du commandant du détachement, le défaut de respecter ces engagements n’a pas été délibéré mais résulte plutôt d’une inattention et est survenu, du moins pour une partie de la période en cause, dans le contexte des sérieux problèmes qui ont éprouvé sa propre famille. Bien que cette situation puisse expliquer jusqu’à un certain point le manquement à honorer l’engagement explicite de présenter des mises à jour pertinentes, cela ne constitue pas une excuse. Les Fynes étaient justifiés de conclure qu’encore une fois, ils ont été tenus dans l’ignorance et abandonnés.

99. Une autre dérogation injustifiable aux engagements donnés est le fait de ne pas avoir présenté une explication cohérente et compréhensible des conclusions auxquelles en était arrivée chacune des enquêtes. Lors de l’entrevue de mai 2010, le commandant du détachement a fait la promesse claire et sans réserve que s’il devait en arriver à la conclusion qu’une accusation n’était pas justifiée [traduction] « Je serais en mesure de justifier cette affirmation ». Le plan conçu à l’origine pour informer les Fynes des résultats des deux enquêtes était de leur présenter une séance d’information verbale à l’aide d’un exposé PowerPoint. Bien que la décision de fermer le dossier de l’enquête de 2010 sans pousser plus loin l’enquête ait été prise dès la mi-août 2010, les Fynes n’ont jamais été avisés de cette décision et la séance d’information verbale finale portant sur les deux enquêtes a été fixée en février 2011. Étant donné que les Fynes ont demandé que cette séance d’information verbale se déroule dans le cabinet de leur avocat et en sa présence, la séance a été annulée et, en remplacement, les Fynes ont reçu, en mai 2011, une lettre de trois pages les informant de la décision prise, à savoir qu’aucune accusation n’était justifiée en regard de l’objet de chacune des enquêtes.

100. La lettre n’offre aucune justification de ces conclusions, autre que d’affirmer qu’elles découlaient de [traduction] « deux enquêtes détaillées et exhaustives ». Pour ce qui est de l’enquête de 2009, la lettre précise qu’elle avait permis de déterminer que Mme A était la conjointe de fait du cpl Langridge, mais elle n’offre aucune autre explication de la façon dont cette enquête répondait aux allégations des Fynes à l’effet que Mme A avait été désignée par erreur comme PPPP pour prendre les décisions au sujet des funérailles du cpl Langridge. Pour ce qui est de l’enquête de 2010, la lettre n’offre tout simplement aucune explication.

101. La requête des Fynes en vue de tenir la séance d’information en présence de leur avocat pourrait avoir suscité un malaise compréhensible au sein du SNEFC, mais cela ne libérait pas le commandant du détachement de l’obligation qu’il avait de respecter sa promesse de fournir une justification si l’on en venait à décider que des accusations n’étaient pas justifiées. Les affirmations contenues dans la lettre de trois pages ne constituent pas une explication valable, et encore moins une justification de cette conclusion. Non seulement la lettre n’offre-t-elle aucune explication des étapes de l’enquête et de la façon dont elle a débouché sur les conclusions tirées, mais elle ne permet même pas de soupçonner que les mesures prises étaient totalement incompatibles avec les représentations faites aux Fynes auparavant. Qui plus est, la mention de [traduction] « deux enquêtes détaillées et exhaustives » est, à tout le moins pour l’enquête de 2010, potentiellement trompeuse parce que celle-ci n’a comporté aucun véritable examen des faits.

102. Même en l’absence d’une promesse de fournir une justification pour toute décision à l’effet que des accusations n’étaient pas justifiées, les Fynes auraient dû recevoir une explication valable de ce qui avait été fait durant les enquêtes, y compris la dérogation radicale par rapport aux représentations antérieures. La promesse de fournir une justification n’a fait qu’aggraver le manquement, comme le temps inutilement long mis à compléter chaque enquête en comparaison des mesures réellement prises, y compris en particulier le délai inexpliqué à fournir la lettre d’information finale.

103. Du début de l’enquête de 2008 jusqu’au compte rendu écrit trois ans plus tard, les Fynes n’ont pas été traités par le SNEFC avec le respect et la considération qu’ils étaient en droit d’attendre. Ils ont souvent été ignorés et les renseignements qui leur ont été fournis étaient inadéquats et potentiellement trompeurs. Même si les membres du SNEFC en cause n’ont pas cherché intentionnellement à tromper les Fynes, leurs interactions avec eux ont rendu impossible l’établissement d’un rapport de confiance.

Indépendance et impartialité du SNEFC

104. Le groupe le plus sérieux d’allégations faites dans la plainte des Fynes remet en question la capacité du SNEFC de mener des enquêtes indépendantes et impartiales. La Commission a constaté que chacune des enquêtes menées par le SNEFC comportait diverses lacunes. Les Fynes vont un peu plus loin et allèguent que la raison pour laquelle les enquêtes étaient déficientes est que le SNEFC manque d’indépendance par rapport aux FC et qu’il avait un parti pris en faveur de l’armée et de ses intérêts. Ils soutiennent qu’une influence réelle a été exercée par le biais de diverses interactions et activités coordonnées entre les FC et le SNEFC, et ils allèguent aussi que certains membres étaient motivés par le désir de « protéger l’uniforme ». Si elles étaient corroborées, ces allégations iraient au cœur même de la capacité du SNEFC de s’acquitter de son mandat d’enquêter dans les cas d’infractions graves et délicates qui sont présumées avoir été commises au sein des FC.

105. L’importance de l’indépendance de la police est claire et évidente. L’absence d’indépendance contre toute interférence de l’extérieur soulève la menace d’un État policier où les acteurs politiques ou gouvernementaux peuvent ordonner à la police d’enquêter sur leurs ennemis ou de ne pas enquêter sur leurs amis. Par ailleurs, il doit y avoir des structures en place pour tenir la police responsable et ainsi éviter la menace d’un autre type « d’État policier », dans lequel la police exerce des pouvoirs arbitraires qui ne peuvent être soumis à aucun contrôle. Les risques d’influence indue venant du sommet sont encore plus élevés dans les forces policières internes comme le SNEFC, qui ne possède pas une structure ou une identité organisationnelle distincte et qui, au bout du compte, doit répondre à la chaîne de commandement des FC. La possibilité que se posent de délicates questions d’indépendance est notamment présente lorsque le SNEFC est appelé à enquêter sur des allégations concernant des actions ou des décisions prises ou appuyées par la chaîne de commandement des FC, par opposition à des actes répréhensibles isolés d’un membre des FC. Les allégations au sujet des fautes commises par les FC et ses membres dans les enquêtes de 2009 et de 2010, ainsi que les allégations de dissimulation dans le traitement du dossier d’enquête de 2008 entrent précisément dans cette catégorie.

106. Plusieurs allégations des plaignants concernant la partialité et le manque d’indépendance semblent supposer que le fait qu’une enquête soit déficiente ou que ses conclusions ne soient pas fondées constitue en soi la preuve d’une visée inappropriée. Ce faisant, les plaignants confondent le résultat et l’intention. La Commission n’a trouvé aucune preuve d’une visée inappropriée ou d’une influence extérieure des FC dans la façon dont les enquêtes ont été menées. La grande majorité des problèmes que soulèvent les enquêtes découlent de l’inexpérience, d’une supervision inadéquate, d’hypothèses incorrectes et d’erreurs humaines, sans lien démontré avec la partialité ou le manque d’indépendance.

107. En fait, aucune des allégations des plaignants concernant la partialité et le manque d’indépendance ne peut être corroborée. Incidemment, certains des événements relatés dans les plaintes ne se sont pas déroulés de la façon présentée dans les allégations. Néanmoins, l’indépendance et l’absence de partialité de la police ne sont pas importantes uniquement dans l’optique de l’autonomie réelle et de la liberté réelle contre le risque de parti pris. Étant donné l’importance de maintenir la confiance du public à l’égard de la police, les apparences comptent. Bien que la preuve ne soutienne pas l’existence d’un parti pris ou d’un manque d’indépendance réel, un certain nombre de situations et de problèmes remettent en question l’apparence d’indépendance.

108. En ce qui a trait à l’indépendance, une question particulièrement importante est la relation entre les enquêtes du SNEFC, notamment celles de 2009 et de 2010, et les enquêtes administratives internes menées par les FC sur plusieurs des mêmes questions.

109. L’enquête de 2009 du SNEFC portait sur plusieurs des mêmes questions que l’ES menée par les FC pour examiner l’administration des biens du cpl Langridge. Il a été explicitement affirmé que l’ES avait été entreprise « en prévision d’un litige » et pourrait être interprétée comme ayant eu pour objectif d’aider les FC à défendre leurs intérêts contre la menace d’une poursuite des Fynes. Le commandant du détachement, qui était aussi l’enquêteur principal dans l’enquête de 2009, a reconnu la possibilité que le chevauchement des objets des enquêtes et des listes de témoins puisse avoir un impact négatif sur l’enquête du SNEFC, et il a demandé que l’ES soit reportée. On ignore pourquoi les FC ont refusé de permettre que l’enquête du SNEFC se déroule d’abord, mais il n’y a aucun élément de preuve d’un acte fautif ou d’une intention illégitime dans cette décision. Cependant, le fait de ne pas avoir interrompu l’ES pourrait donner l’impression que l’enquête des FC était jugée plus importante, quel que soit son impact sur l’enquête du SNEFC concernant les allégations d’infractions militaires. En outre, lorsque l’ES a été complétée, le SNEFC a eu accès à son rapport. Les membres du personnel du SNEFC en cause dans cette affaire ont tous indiqué dans leur témoignage que l’ES n’avait eu aucun impact sur l’enquête de 2009. Néanmoins, parce qu’il n’y a pas eu notamment d’entrevues avec plusieurs des principaux témoins des faits, il est incertain que l’enquête du SNEFC a été suffisamment robuste pour dissiper la malencontreuse impression possible que le SNEFC ait été inféodé aux FC, non seulement sur la question du calendrier des enquêtes mais aussi sur leurs conclusions.

110. Les FC ont aussi procédé à une CE sur les circonstances du décès du cpl Langridge. Les Fynes ont été tout particulièrement critiques à l’endroit de la CE et de la façon dont elle s’est déroulée, et ils ont demandé une enquête de police distincte sur leurs allégations de négligence des FC en rapport avec le décès de leur fils. Cela est devenu le fondement de l’enquête de 2010. Dans ce cas également, les enquêteurs du SNEFC ont eu accès au rapport de la CE, qui renfermait un certain nombre de conclusions et de constatations de faits. Ils n’ont toutefois pas obtenu les annexes contenant la preuve sur laquelle s’était appuyée la CE. Il ressort clairement des témoignages qu’il n’aurait pas été approprié que les enquêteurs affectés à l’enquête de 2010 fondent leurs conclusions sur celles de la CE sans procéder eux-mêmes à une évaluation de la preuve. La décision de fermer le dossier de 2010 a été prise sur la base d’une évaluation préliminaire sans que le SNEFC ne procède à aucune nouvelle entrevue ou recherche de faits. Il n’y a pas de preuve concluante que le SNEFC s’est appuyé sur les observations factuelles de la CE. Cependant, les témoins du SNEFC ne semblent pas tous avoir compris clairement qu’une telle façon de procéder serait problématique et, à la lumière de l’activité limitée à laquelle a donné lieu l’enquête de 2010, cela pourrait à tout le moins avoir suscité une apparence défavorable pour ce qui est de la confiance du public à l’égard de l’indépendance du SNEFC.

111. Il n’y a pas de preuve étayant l’allégation des Fynes à l’effet qu’il y a eu des discussions ou des échanges de renseignements inappropriés entre les FC et le SNEFC. Néanmoins, la décision du SNEFC de communiquer avec les Fynes par l’entremise d’un officier désigné des FC pour coordonner la relation entre eux et les FC n’a pas aidé à renforcer l’apparence d’indépendance, comme ce fut le cas de la participation du SNEFC à des contacts avec les médias et à la production de documents de réponse aux médias coordonnée par les FC. Un soin particulier doit être mis pour éviter toute impression que le SNEFC et le MDN parlent « d’une seule voix », ou que l’armée contrôle l’information qui est communiquée au public au sujet des enquêtes du SNEFC.

112. La décision du SNEFC d’annuler la séance d’information verbale prévue avec les Fynes après que ceux-ci aient demandé qu’elle se déroule en présence de l’avocat qui les représentait dans une poursuite potentielle contre les FC soulève des préoccupations. La preuve ne permet pas de dire clairement si l’annulation a été motivée par le désir du SNEFC de protéger les intérêts des FC dans l’éventualité d’un litige, comme le croyaient les Fynes, un des membres impliqués ayant indiqué dans son témoignage que sa préoccupation était liée à son rôle de membre des FC plutôt qu’à celui d’enquêteur du SNEFC. Les membres du SNEFC ne devraient pas agir en tant que membres des FC dans leurs interactions avec des plaignants.

113. Il n’y a pas de preuve que les expurgations faites dans le dossier d’EG de 2008 du SNEFC produit à l’origine pour les Fynes visaient à dissimuler des déficiences de l’enquête. Cependant, on peut s’inquiéter du fait que plusieurs décisions finales au sujet des expurgations n’aient pas été prises par le SNEFC, mais plutôt par un autre service du MDN. Ce processus, encore en place aujourd’hui, doit faire l’objet d’un examen et de modifications.

114. En définitive, la preuve a révélé que, nonobstant les lacunes des diverses enquêtes, les membres du SNEFC en cause ont cherché à accomplir leurs tâches au meilleur de leur capacité et sans vouloir dissimuler quoi que ce soit ou protéger les FC.

115. Les membres du SNEFC reçoivent un enseignement et une formation rigoureux sur la nécessité de mener des enquêtes robustes sur la conduite individuelle de membres des FC, sans égard à leur rang. Mais il n’est pas aussi sûr que l’importance de mener une enquête rigoureuse dans les cas d’allégations visant la conduite ou les décisions des FC en tant qu’institution soit aussi profondément enracinée. Pour faire en sorte que des allégations soient présentées avec confiance, il est nécessaire de démontrer que ces allégations feront l’objet d’une enquête complète et que la conduite des FC sera soumise à un examen critique. Dans le cas présent, les enquêtes pourraient ne pas avoir été suffisamment robustes ou rigoureuses pour éviter d’alimenter les soupçons et les préoccupations au sujet de l’indépendance et de l’impartialité de la police, comme ceux évoqués par les Fynes.

L’avis d’action

L’« avis d’action » en tant qu’élément du processus de règlement des plaintes

116. L’« avis d’action » est un élément distinctif et intégral du processus établi par la loi pour le traitement des plaintes déposées devant la CPPM, lequel prend toute son importance lorsque la Commission décide de tenir une audience d’intérêt public.

117. Au terme d’une audience d’intérêt public, la Commission produit un rapport provisoire qui renferme ses conclusions et recommandations. Ce rapport provisoire est envoyé au ministre de la Défense nationale, au chef de l’état-major de la Défense, au juge-avocat général et au Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC). La Loi sur la défense nationale oblige le GPFC à produire un avis d’action qui renferme les réponses de la Police militaire aux conclusions et recommandations de la Commission. Le GPFC doit y décrire toute action prise ou prévue à l’égard de la plainte. Lorsque la Police militaire décide de ne pas donner suite à une conclusion ou une recommandation, elle doit en préciser les raisons.

118. Lorsqu’elle reçoit l’avis d’action, la Commission produit son rapport final, y compris un examen de l’avis d’action et des réponses à celui-ci.

119. L’importance de l’avis d’action est manifeste. L’objet de la surveillance indépendante établie par la Loi sur la défense nationale sous la forme du processus de règlement des plaintes de la CPPM est de faire ressortir les lacunes dans les pratiques et procédures, de favoriser des mesures correctives à ces lacunes, d’assurer l’obligation de rendre compte de la police et, à la lumière des pouvoirs extraordinaires accordés à la police, de maintenir la confiance du public à l’égard de la réglementation et de la supervision appropriées de la conduite de la Police militaire. Ces valeurs, en particulier celle de la promotion de la confiance du public, requièrent une transparence maximale du régime de surveillance. C’est la raison d’être de l’accès, dans les cas où cela est approprié, au processus d’audience d’intérêt public de la CPPM.

120. La Commission estime que cette transparence doit imprégner l’ensemble du processus d’audience d’intérêt public, du début jusqu’à la publication du rapport final de la Commission.

121. De l’avis de la Commission, l’obligation faite à la Police militaire de produire un avis d’action avant que la Commission ne rédige son rapport final vise à faire en sorte que la Commission, les parties et le public puissent être informés non seulement des lacunes relevées par la Commission et des mesures que celle-ci considère nécessaires pour y remédier, mais aussi, ce qui est crucial, de l’acceptation de ces conclusions par la Police militaire et, le cas échéant, de la façon dont elle se propose de mettre en œuvre les recommandations. À défaut de cette information et de la capacité de la Commission de la rendre publique et de la commenter, le principe de l’obligation de rende compte se trouve compromis, tout comme l’est celui de la transparence, qui est une condition essentielle pour maintenir la confiance du public à l’égard du processus.

L’avis d’action dans cette affaire

122. Dans cette affaire, un avis d’action a été transmis à la Commission quelque sept mois après que celle-ci ait fait parvenir son rapport provisoire à la Police militaire.

123. La Commission est fortement préoccupée par le contenu de cet avis d’action.

124. Il n’y a aucune obligation pour la Police militaire d’accepter l’ensemble – ou même l’une seule – des conclusions et recommandations présentées dans le rapport provisoire de la Commission. L’obligation faite à la Police militaire est de préciser quelles sont les conclusions et recommandations auxquelles elle donnera suite, quelles sont celles qu’elle rejette ou qu’elle n’appliquera pas, ainsi que les raisons de tout rejet. La Commission peut ensuite réagir en produisant une évaluation finale, et les lecteurs du rapport final, dont le gouvernement, les parties concernées et le public, peuvent tirer leurs propres conclusions quant au caractère suffisant des mesures proposées. S’il subsiste des préoccupations, un examen et un débat éclairés peuvent alors avoir lieu dans le cadre du processus démocratique.

125. À une exception près, les recommandations explicitement acceptées dans le présent avis d’action traitent de questions techniques ou d’importance relativement mineure et, même là, les mesures décrites pour mettre en œuvre les recommandations sont parfois vagues.

126. Un nombre légèrement plus élevé de recommandations ont été directement rejetées par la Police militaire. Celles-ci englobent certaines des recommandations que la Commission considère comme étant les plus importantes, notamment les recommandations visant à :

127. La Commission n’est pas satisfaite des raisons offertes dans l’avis d’action pour justifier le rejet de ces recommandations.

Réponses sans engagement

128. Une troisième catégorie de réponses dans l’avis d’action soulève des inquiétudes. Cette catégorie est constituée des réponses ne comportant aucun engagement qui ne rejettent pas explicitement les conclusions et recommandations, mais qui ne les acceptent pas non plus de manière explicite ou implicite.

129. Pour ce qui est des réponses aux recommandations de la Commission, le nombre de réponses non assorties d’un engagement dépasse le nombre total de recommandations qui ont été soit explicitement acceptées, soit explicitement rejetées. Dans le cas des réponses visant les conclusions de la Commission, la totalité des réponses présentées dans l’avis d’action, sauf une, entrent dans cette catégorie.

130. En tant que réponses aux recommandations de la Commission, ces commentaires sans engagement consistent, dans la plupart des cas, en de vagues références à des examens futurs des politiques qui tiendront compte de ces recommandations. En tant que réponses aux conclusions de la Commission, les commentaires non assortis d’un engagement reconnaissent que des observations ont été faites, mais ne renferment aucune indication à l’effet que les lacunes relevées par la Commission ont été reconnues ou acceptées. Parfois, les réponses prennent la forme d’énoncés indiquant essentiellement l’intention de solliciter une seconde opinion, vraisemblablement de manière confidentielle, auprès d’un autre corps de police.

131. De l’avis de la Commission, toutes ces réponses sans engagement reviennent à rejeter les conclusions et les recommandations en question. S’il fallait les interpréter autrement, la Police militaire aurait, en fait, le droit d’ignorer toute conclusion ou recommandation qu’elle choisit de traiter en termes vagues, et ni la Commission ni le public ne saurait jamais si une quelconque mesure a été prise pour corriger les lacunes relevées. L’ensemble du problème serait soustrait à la vue du public. Cela irait carrément à l’encontre de la transparence, pourrait éventuellement permettre d’éviter de rendre des comptes, et aurait essentiellement pour effet d’invalider le processus de surveillance indépendante.

132. Traiter à juste titre ces réponses sans engament comme un rejet met en relief le fait qu’aucune raison n’a été offerte pour expliquer la non-acceptation des conclusions et des recommandations en question.

Tentative pour bloquer la publication de l’avis d’action

133. La Commission a préparé un examen sur le fond plus détaillé des réponses à l’avis d’action qu’elle a reçu. Dans le cours normal des choses, la Commission publierait cette analyse dans un chapitre de son rapport final et joindrait l’avis d’action en appendice.

134. Cependant, dans ce cas, quatre semaines après lui avoir remis l’avis d’action, la Police militaire a envoyé une lettre à la Commission lui donnant instruction de ne pas publier l’avis d’action, ce que la Commission a toujours fait sans problème lors des cas d’intérêt public antérieurs. Cette nouvelle initiative de politique a été appliquée en refusant de retirer la mention « Protégé B » qui avait été inscrite sur l’avis d’action.

135. La mention « Protégé B » est une désignation du système de classification interne du gouvernement du Canada destinée à prévenir la publication de renseignements délicats de nature personnelle, privée ou commerciale dont la divulgation pourrait causer « un préjudice grave ». La Police militaire a également inscrit la mention « Protégé B » sur la lettre donnant instruction à la Commission de ne pas publier l’avis d’action.

136. Dans la lettre énonçant cette nouvelle initiative de politique, la Police militaire a suggéré à la Commission une approche pour traiter de l’avis d’action à la lumière de sa désignation comme document « Protégé B ». La Commission a trouvé que l’approche suggérée était contradictoire, incompatible avec les principes de la transparence et de l’obligation de rendre compte, et impossible à réaliser en pratique. Dans sa réponse aux objections de la Commission, la Police militaire a par la suite offert de retirer la désignation « Protégé B » de l’avis d’action à la condition que la Commission accepte de ne pas joindre l’avis d’action à son rapport final. Cette condition est inacceptable. La Commission ne peut accepter de ne pas publier un document qu’elle considère comme un élément central du processus d’audience d’intérêt public. Étant donné que la Commission ne pouvait accepter l’autocensure proposée, la désignation « Protégé B » apparaissant sur l’avis d’action et la correspondance connexe demeure en place.

137. La Commission estime que les parties en cause et le public ont le droit de prendre connaissance de l’avis d’action. Elle croit également que l’emploi de la désignation « Protégé B », au moyen de laquelle la Police militaire a cherché à censurer le rapport final de la Commission, est non fondé en droit. Cependant, même si elle est en profond désaccord avec cette utilisation de la désignation « Protégé B », la Commission n’a pas l’intention de passer outre à cette initiative en publiant l’avis d’action ou en faisant mention de renseignements précis qu’il renferme.

138. Par conséquent, la Commission a déposé une demande devant la Cour fédérale pour que la Cour déclare que la Police militaire ne peut interdire à la Commission de publier l’avis d’action, et que l’inscription de la désignation « Protégé B » sur l’avis d’action et la correspondance connexe était inappropriée dans ce cas.

139. En attendant la décision de la Cour en réponse à sa demande, la Commission a expurgé le chapitre de son rapport final qui renferme l’analyse sur le fond de l’avis d’action, de même que l’appendice renfermant l’avis d’action et la correspondance connexe. La Commission a décidé plutôt d’ajouter un bref chapitre renfermant une analyse générale de l’avis d’action, sans référence particulière à son contenu. Lorsque la Cour aura rendu sa décision finale, la Commission supprimera les passages censurés en se conformant aux motifs énoncés par le tribunal.

140. La Commission considère que la tentative visant à empêcher la publication de l’avis d’action est incompatible avec les principes de l’obligation de rendre compte et de la transparence, comme c’est aussi le cas des réponses sans engagement données dans l’avis d’action, sinon davantage.

Conclusion

141. La Commission, les parties concernées et le public ont le droit de savoir si la Police militaire reconnaît les lacunes décrites par la Commission dans ses conclusions, et si la Police militaire s’est engagée à mettre en œuvre les recommandations faites par la Commission pour y remédier, et de quelle façon, ou les motifs pour lesquels elle refuse de le faire. Les conclusions et recommandations de la Commission ne sont pas des opinions exprimées au passage que la Police militaire peut examiner et ignorer à sa guise. Elles ne peuvent être simplement rejetées du revers de la main. L’avis d’action n’est pas un élément qui s’inscrit dans un échange privé entre la Commission et la Police militaire. Il découle d’une obligation prescrite par la loi. La Commission le considère comme un volet essentiel de l’information que les membres du public, pour ne pas mentionner les parties en cause, ont le droit de connaître dans le cadre du processus d’audience d’intérêt public. Il n’y a pas raison fonctionnelle pour que l’avis d’action soit tenu secret ou soustrait à l’examen du public.

142. La surveillance indépendante de la police vise à garantir l’obligation de rendre compte, à favoriser l’adoption de mesures pour rectifier les lacunes observées et à promouvoir la confiance du public à l’égard de l’efficacité, de l’objectivité et de la transparence du régime de surveillance. Les refus effectifs que contient l’avis d’action de donner suite aux recommandations et aux conclusions de la Commission, ainsi que la tentative faite par la Police militaire pour empêcher sa publication, sont difficilement conciliables avec ces fins. Ils soulèvent des questions troublantes quant à la mesure dans laquelle la Police militaire est disposée à se soumettre à une surveillance indépendante effective.

II. Le processus d’audience

Historique et aperçu des délibérations

1. Le 18 janvier 2011, la Commission a reçu une plainte de M. Shaun Fynes en son nom et au nom de son épouse, Mme Sheila Fynes, demandant une révision des enquêtes menées par le SNEFC à la suite du suicide de leur fils, le cpl Stuart Langridge.Note de bas de page 2 M. Fynes a allégué que le SNEFC n’avait pas fait preuve de suffisamment d’indépendance et que l’enquête sur le décès du cpl Langridge était empreinte de partialité. Il s’est également plaint de présumées erreurs et lacunes dans le cadre des enquêtes du SNEFC menées après le décès, y compris la dissimulation prétendue de la note de suicide du cpl Langridge pendant plus d’un an.

2. M. Fynes a exprimé sa préoccupation devant le fait que l’enquête ouverte en 2009 pour examiner les allégations selon lesquelles des membres du régiment du cpl Langridge n’avaient pas correctement désigné son « premier plus proche parent » (« PPPP ») demeurait incomplète plus d’un an après. De plus, il s’est plaint du fait qu’après avoir demandé au SNEFC d’étudier la possibilité d’une négligence criminelle en lien avec le décès du cpl Langridge en 2010, il n’y avait eu que peu de progrès à ce jour, au-delà d’un examen juridique de la requête et d’une demande d’instructions auprès de supérieurs. M. Fynes a aussi signalé l’omission alléguée du SNEFC de communiquer avec lui et son épouse à propos des enquêtes.

3. Le 29 avril 2011, le président a rendu la décision de procéder à une enquête d’intérêt public dans la plainte des Fynes.Note de bas de page 3 Cette décision a été prise compte tenu des allégations graves concernant, entre autres, l’indépendance et l’objectivité du SNEFC dans la conduite de l’enquête de 2008 et la formulation des conclusions à propos du décès du cpl Langridge, ainsi que la capacité du SNEFC de mener de façon adéquate et indépendante les enquêtes de 2009 et 2010.

4. Ces allégations vont au cœur de la fonction de maintien de l’ordre au sein des forces armées. De telles questions pourraient soulever des interrogations sur la capacité des membres du SNEFC de s’acquitter de leurs devoirs et, éventuellement, miner la confiance du public à l’égard de leurs enquêtes. Il était aussi important que la Commission fasse une enquête pour contribuer à rétablir la confiance envers le processus qui est à la disposition des plaignants, alors que les Fynes ont affirmé qu’ils se sentaient marginalisés et induits en erreur.

5. Les plaignants n’ayant pas spécifiquement identifié les personnes visées par la plainte, il est devenu nécessaire pour la Commission de le faire après avoir examiné les dossiers d’enquête et procédé à une entrevue avec les plaignants. En outre, les plaignants ont indiqué qu’ils ne croyaient pas que leur plainte initiale et la correspondance et les conversations subséquentes saisissaient en totalité leurs allégations au sujet de l’enquête de 2008, et ils ont ajouté qu’ils pourraient avoir d’autres allégations à formuler une fois informés des résultats des enquêtes de 2009 et 2010. En l’occurrence, une entrevue avec les plaignants a aussi permis de préciser les allégations.Note de bas de page 4

6. Selon les renseignements recueillis durant l’enquête d’intérêt public, la Commission a identifié treize personnes visées par la plainte et leur a communiqué une liste d’allégations officielles.Note de bas de page 5

7. Le 6 septembre 2011, le président a rendu la décision de tenir une audience d’intérêt public.Note de bas de page 6 La Commission a clairement indiqué dès le début de l’audience d’intérêt public qu’elle exigerait une enquête sur des questions systémiques telles que les politiques, les pratiques et l’organisation de la police militaire.Note de bas de page 7 Les allégations contenues dans la plainte mettent en cause la capacité même du SNEFC de mener des enquêtes indépendantes sur la conduite des membres des FC, notamment lorsque des membres de la chaîne de commandement peuvent être en cause.

8. S’il y avait des partis-pris conscients ou inconscients empêchant le SNEFC de découvrir et d’exposer des informations potentiellement préjudiciables pour les FC, ou s’il y avait un manque d’indépendance par rapport aux FC et à leurs intérêts empêchant les membres du SNEFC de prendre des décisions adéquates concernant les questions sous enquête ou de collaborer de façon adéquate avec les plaignants, cela pourrait remettre en cause la capacité même du SNEFC de pouvoir s’acquitter de ses fonctions essentielles. Les allégations allaient au-delà de la partialité pour soulever des préoccupations spécifiques au sujet de l’incompétence et/ou du manque d’expérience requise de la part des enquêteurs du SNEFC. Une audience publique ouverte visant à répondre aux allégations d’une manière transparente, et à entendre ce qui serait forcément une preuve et des observations abondantes a été jugée nécessaire et dans l’intérêt du public.

9. L’audience d’intérêt public Fynes a débuté le 19 octobre 2011 par une conférence préparatoire.Note de bas de page 8 Cette conférence a été convoquée dans le but de présenter les avocats des parties, de fixer un calendrier d’audiences et d’entendre la requête présentée à la Commission par les plaignants afin qu’elle recommande au gouvernement du Canada d’accorder un financement public pour assurer leur représentation juridique.

10. Le 26 septembre 2011, le col (à la retraite) Michel W. Drapeau, l’avocat des plaignants, a déposé une requête écrite demandant formellement à la Commission de recommander au Conseil du Trésor du Canada d’accorder un financement public aux plaignants pour qu’ils puissent être représentés par un avocat au cours de l’AIP.Note de bas de page 9 Le col (à la retraite) Drapeau faisait valoir qu’une représentation juridique était nécessaire pour que les requérants puissent participer pleinement en tant que partie à l’AIP, en notant qu’ils n’avaient pas les ressources financières pour assurer leur représentation sans encourir de graves difficultés.Note de bas de page 10 Le col (à la retraite) Drapeau proposait ses services à un tarif réduit. Un affidavit des plaignants accompagnant la requête décrivait leur situation et leurs moyens.Note de bas de page 11

11. La demande de financement public des plaignants a été contestée par le gouvernement dans des observations écrites des avocats du ministère de la Justice (MJ) représentant le gouvernement du Canada.Note de bas de page 12 Cette position avait de quoi surprendre. Bien entendu, les ressources de l’État ne sont pas illimitées et le financement public des avocats représentant les plaignants lors des audiences d’intérêt public de la CPPM doit être considéré comme exceptionnel plutôt que la norme. Toutefois, le fait que le conseiller juridique du gouvernement ait pris position sur l’opportunité d’accorder ou non du financement peut sembler incongru dans des circonstances où les avocats du gouvernement représentaient aussi les personnes visées par la plainte devant la Commission, et où le gouvernement aurait à décider, en définitive, s’il devait accepter la recommandation de financement présentée par la Commission, le cas échéant.

12. Le 26 octobre 2011, la Commission a présenté une recommandation au gouvernement du Canada l’enjoignant d’accorder un financement pour la représentation juridique des plaignants, au tarif horaire réduit proposé par le col (à la retraite) Drapeau.Note de bas de page 13 Conformément à l’article 250.44 de la Loi sur la défense nationale, les plaignants sont des parties à une AIP tenue par la Commission.Note de bas de page 14 Conformément à la Loi et aux Règles de procédure des audiences de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaireNote de bas de page 15 ils ont le droit, autant que les personnes visées par la plainte, de participer pleinement à l’audience, y compris de contre-interroger des témoins, de présenter des preuves et de faire des observations, y compris des observations finales. La Commission a conclu que, pour que le statut des parties ait une signification, il est inévitable que les plaignants auront besoin d’une forme de représentation au cours de l’audience dans des cas complexes comme celui-ci.

13. Le ministre de la Défense nationale a rendu sa décision d’accorder un financement public pour la représentation juridique des plaignants le 16 mars 2012.Note de bas de page 16 Jusqu’à un certain point, la décision peut avoir été retardée en raison d’une confusion au sujet de l’organisme responsable. La recommandation de financement de la Commission a été présentée à l’honorable Tony Clement, président du Conseil du Trésor du Canada. En janvier 2012, M. Clement a informé la Commission qu’il avait transmis la recommandation au ministre de la Défense nationale, ayant estimé qu’il était plus approprié qu’elle soit traitée par ce dernier en vertu de ses attributions et de son pouvoir discrétionnaire.Note de bas de page 17 Le temps écoulé entre la recommandation de la Commission et la décision de financement du ministre a eu comme conséquence malheureuse de forcer le col (à la retraite) Drapeau à se retirer momentanément comme avocat inscrit au dossier, ce qui l’a empêché de se préparer à l’ouverture imminente de l’audience.

14. Après la conférence préparatoire d’octobre 2011, la Commission a reçu des documents probants et les a divulgués aux parties en prévision des témoignages. Bien que la production de documents n’ait pas toujours procédé en douceur ou sans incident, en fin de compte une documentation suffisante a été recensée et mise à la disposition de la Commission pour lui permettre de mener à bien l’AIP et de s’acquitter de son mandat. Le 27 mars 2012, la Commission a présenté en preuve six collections de documents contenant une grande quantité de matériel fourni à la Commission par les plaignants et par le gouvernement, et qui avait déjà été divulgué en conséquence.Note de bas de page 18 À mesure que d’autres documents ont été identifiés et les expurgations réévaluées, de nouveaux documents et des versions révisées des documents existants se sont ajoutés au dossier de la preuve. À la conclusion de l’audience, la Commission avait déposé en preuve un total de 1 699 documents, représentant plus de 22 000 pages.

15. L’AIP a entendu son premier témoin le 27 mars 2012. L’audience d’intérêt public Fynes a recueilli les témoignages de 90 témoins au cours de 60 jours d’audience, engendrant plus de 12 500 pages de transcription. Le dernier témoin a comparu le 10 octobre 2012.

16. Les observations finales et les répliques des parties ont été déposées le 2 janvier et le 8 janvier 2013, respectivement, et les plaidoiries ont été entendues le 9 janvier 2013.

17. Le 12 octobre 2012, le col (à la retraite) Drapeau a officiellement demandé un financement supplémentaire en prévision de l’imposant travail requis pour préparer les observations écrites finales, les arguments verbaux à présenter à l’audience, ainsi qu’une réplique par écrit.Note de bas de page 19 La Commission a présenté une recommandation le 30 octobre 2012 dans le but d’accorder un financement supplémentaire pour la représentation juridique, aux taux horaires réduits proposés à nouveau par le col (à la retraite) Drapeau.Note de bas de page 20 Le 14 février 2013, le ministre de la Défense nationale a rendu sa décision d’accorder un financement supplémentaire pour la représentation juridique des plaignants, reconnaissant la durée accrue de l’audience, le plus grand nombre de témoins et l’abondante preuve documentaire déposée.Note de bas de page 21

18. Conformément à l’engagement de la Commission de tenir des audiences ouvertes et équitables, à la vue du public, aucune partie de l’audience n’a eu lieu à huis clos. Dans un cas seulement, une ordonnance de non-publication a été imposée sur le contenu de l’audition, et cela concernait les enregistrements vidéo produits par les enquêteurs du SNEFC montrant explicitement la scène du suicide de cpl Langridge et leur travail initial sur les lieux, ainsi que celui de l’enquêteur du ML.Note de bas de page 22 La vidéo a été visionnée à la demande des plaignants. Les représentants des médias ont été autorisés à assister à la présentation de cet élément de preuve, mais ils n’ont pas eu le droit d’enregistrer ou de diffuser des images ou des extraits sonores de son contenu. L’interdiction de publication est permanente.

19. Outre l’importance critique de la divulgation complète et en temps opportun par le gouvernement et les parties de tous les documents pertinents sur les questions visées par l’enquête, la capacité de la Commission de s’acquitter de son mandat est aussi grandement renforcée lorsque le gouvernement adopte une démarche coopérative pour les fonctions de collecte de l’information, telles que l’interrogatoire des témoins. De même, lorsqu’une approche souple est adoptée pour régler des questions juridiques complexes, de sérieuses impasses peuvent être résolues. Tous ceux qui ont participé à l’AIP ont dû faire face à des défis importants et tous, y compris les avocats de la Commission, ont parfois commis des erreurs dans leurs efforts sincères, mais irréalistes, pour respecter les échéances ambitieuses fixées dans le but de donner au public, et en particulier aux parties, les réponses qu’ils méritaient dans un temps opportun.

20. Bien qu’un certain nombre d’obstacles et de questions de procédure aient surgi au cours de cette audience d’intérêt public vaste et complexe, dans bien des cas il a été possible de les surmonter grâce à la coopération entre la Commission, les parties et leurs avocats. Les problèmes de procédure rencontrés découlaient souvent – mais pas toujours – de positions prises par les institutions gouvernementales concernées, notamment en ce qui a trait au secret professionnel et à d’autres obstacles à la divulgation.

21. Cela ne signifie nullement qu’il y ait eu de la mauvaise foi ou un écart de conduite de la part des avocats du gouvernement qui ont comparu devant l’AIP. Tous les avocats ont clairement cherché à mener à bien leurs instructions d’une manière qui témoignait de leurs obligations éthiques et professionnelles. Peu importe sur qui repose la responsabilité pour certains des problèmes décrits dans ce chapitre, celle-ci ne devrait pas être perçue comme incombant aux avocats qui ont représenté leurs clients avec diligence, dans des conditions souvent difficiles.

22. Au bout du compte, et malgré les difficultés et les revers, les objectifs les plus importants de la Commission ont été atteints avec la collaboration de toutes les parties et de tous les avocats impliqués. En définitive, il a été possible de tenir une audience d’intérêt public ouverte et de présenter des conclusions et des recommandations utiles pouvant être partagées ouvertement avec les plaignants, les personnes visées par la plainte, le gouvernement du Canada et le public canadien.

Le rapport provisoire et l’avis d’action

23. Le 1er mai 2014, la Commission a transmis son rapport provisoire au ministre de la Défense nationale, au chef d’état-major de la Défense, au juge-avocat général et au Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC).Note de bas de page 23 Quatre mois plus tard, soit le 5 septembre 2014, la Commission a écrit au GPFC pour savoir quand la Commission pouvait s’attendre à recevoir l’avis d’action.Note de bas de page 24 Le 16 septembre 2014, le chef d’état-major du groupe de la Police militaire des Forces canadiennes (Gp PM FC) a répondu que l’avis d’action était prêt, mais qu’un délai d’environ un mois était prévu avant qu’il ne puisse être envoyé à la Commission parce que le GPFC souhaitait tenir une séance d’information à l’intention de la chaîne de commandement supérieure au sujet de l’avis d’action avant sa distributionNote de bas de page 25 La Commission a été informée que l’avis d’action lui serait transmis après la séance d’information destinée au commandement supérieur.

24. Le 4 novembre 2014, la Commission a reçu un message par courriel du Gp PM FC l’informant qu’il y aurait un délai supplémentaire d’environ six semaines avant que l’avis d’action soit prêt à être transmis à la Commission parce que la séance d’information à l’intention de la chaîne de commandement supérieure avait été reportée à la dernière semaine de novembre 2014.Note de bas de page 26

25. Le 10 décembre 2014, la Commission a été informée d’un autre délai dans la livraison de l’avis d’action : l’avis d’action ne lui serait pas transmis à la mi-décembre tel que prévu.Note de bas de page 27 Dans un message par courriel, le Gp PM FC informait la Commission que, suite à la séance d’information présentée au chef d’état-major de la Défense au sujet du rapport provisoire et de l’avis d’action, le ministre souhaitait également recevoir l’information. Le message expliquait qu’étant donné que la Commission avait remis son rapport provisoire à ces destinataires en vertu de la loi, il fallait s’attendre à ce qu’ils souhaitent également être informés de l’état du dossier avant que l’avis d’action ne soit remis à la Commission. Le Gp PM FC n’a pas donné de précisions supplémentaires quant à la date à laquelle la Commission pouvait s’attendre à recevoir l’avis d’action, mais il a indiqué qu’une fois que la date de la séance d’information à l’intention du ministre serait arrêtée, la Commission en serait informée.Note de bas de page 28

26. Le 11 décembre 2014, la Commission a répondu en exprimant sa préoccupation au sujet du délai inacceptable survenu dans la transmission de l’avis d’action.Note de bas de page 29 À ce moment, plus de sept mois s’étaient écoulés depuis l’envoi du rapport provisoire.

27. Peu de temps après, le GPFC a remis un avis d’action à la Commission. L’avis d’action, daté du 3 décembre 2014, a été reçu le 16 décembre 2014.

28. L’avis d’action portait la mention « Protégé B », une désignation du système de classification interne du gouvernement du Canada destinée à prévenir la divulgation de renseignements délicats de nature personnelle, privée ou commerciale dont la divulgation pourrait causer « un préjudice grave ».Note de bas de page 30

29. Le 22 décembre 2014, la Commission a écrit au GPFC pour accuser réception de l’avis d’action. À cette occasion, la Commission a demandé que la désignation « Protégé B »  soit retirée afin que l’avis d’action puisse être inclus dans le rapport final de la Commission, comme cela avait été fait dans les cas précédents.Note de bas de page 31

30. Le 15 janvier 2015, la Commission a reçu une lettre du Gp PM FC l’informant que l’avis d’action ne pouvait être inclus dans le rapport final de la Commission ou publié d’une autre façon et que le document conserverait la désignation « Protégé B ». La lettre portait elle-même la désignation « Protégé B ». Dans cette lettre, la Police militaire suggérait une approche pour traiter de l’avis d’action à la lumière de cette désignation, mais la Commission a considéré que cette approche était à la fois inacceptable en principe et impossible à réaliser en pratique.

31. Dans un échange de correspondance avec la Police militaire au cours des semaines qui ont suivi,  la Commission a vivement exprimé son objection à la tentative visant à empêcher la publication de l’avis d’action, et elle a demandé des précisions quant aux motifs de cette position sans précédent. Étant donné que la plus grande partie de la correspondance reçue sur cette question porte la désignation « Protégé B », les détails de ces échanges ne sont pas abordés ici.

32. Le 11 février 2015, la Police militaire a transmis à la Commission sa décision finale sur la question, en maintenant son refus de permettre la publication de l’avis d’action.Note de bas de page 32 Dans cette lettre, le GPFC acceptait de remettre à la Commission une version de l’avis d’action ne portant pas cette désignation, mais seulement à la condition que la Commission s’engage à ce que l’avis d’action ne soit pas ajouté en appendice au rapport final. La Commission ne pouvait accepter de telles conditions et, le 12 février 2015, elle a informé le GPFC qu’elle ne lui donnerait pas les assurances demandées.Note de bas de page 33

33. La Commission a entrepris des procédures judiciaires pour demander à la Cour fédérale de déclarer que la Police militaire ne peut empêcher la Commission de publier l’avis d’action, et qu’il était inapproprié d’appliquer la désignation « Protégé B » sur l’avis d’action et la correspondance connexe dans le cas présent. Dans l’attente de la décision de la Cour, la Commission ne peut pas publier l’avis d’action et la correspondance ayant trait à la désignation qui y figure, et elle ne peut faire mention des renseignements particuliers qu’ils renferment. Par conséquent, la Commission a expurgé le chapitre du présent rapport renfermant l’analyse sur le fond de l’avis d’action ainsi que l’appendice renfermant le texte de l’avis d’action et la correspondance connexe. Lorsque la Cour aura rendu sa décision finale, la Commission supprimera les passages censurés en se conformant aux motifs énoncés par le tribunal.

Mandat de la Commission

34. La Commission assure une surveillance civile indépendante de la police militaire. Elle est chargée d’examiner les plaintes pour inconduite (c.-à-d. une plainte concernant la conduite d’un membre de la police militaire) et les plaintes d’ingérence (c.-à-d. une plainte pour ingérence dans une enquête de la police militaire), qui lui ont été soumises.Note de bas de page 34 Les plaintes pour inconduite se réfèrent à des plaintes concernant la conduite des membres de la PM dans l’exercice de leurs fonctions et devoirs de nature policière. Cela comprend la conduite d’une enquête, la gestion de la preuve, la réponse à une plainte, l’application des lois, et l’arrestation ou la détention d’une personne.Note de bas de page 35

35. Créée par une loi, la Commission s’est vue conférer un certain nombre de pouvoirs pour lui permettre de s’acquitter de ses fonctions avec efficacité, équité et indépendance. Le président peut décider de tenir une enquête ou une audience d’intérêt public s’il est « souhaitable dans l’intérêt public » de le faire.Note de bas de page 36 Cette décision est discrétionnaire. La Commission peut ouvrir une enquête, même si la plainte d’origine a été retirée. Le président a la possibilité de définir des règles pour la conduite des enquêtes et des audiences et pour l’exécution des autres tâches et fonctions de la Commission.Note de bas de page 37 La Commission a le pouvoir d’assigner des témoins et de les contraindre à fournir des témoignages sous serment, et à produire des documents ou des choses qui sont sous leur contrôle et que la Commission estime nécessaires à son enquête.Note de bas de page 38

36. Sous réserve de certaines exceptions, la Commission fonctionne selon des règles de preuve assouplies (comme plusieurs organismes administratifs) et peut recevoir et accepter des preuves et de l’information même si elles ne seraient pas recevables devant un tribunal (p. ex. en raison des règles contre le ouï-dire).Note de bas de page 39 La Commission a également une obligation légale de « [...] traiter de toutes les questions devant elle de façon informelle et rapide en autant que les circonstances et les considérations d’équité le permettent ».Note de bas de page 40

37. Les conclusions de la Commission sont non contraignantes et ses rapports ne sont pas légalement exécutoires, mais la direction de la police militaire doit fournir des motifs par écrit si elle refuse de donner suite aux conclusions et recommandations de la Commission. Ainsi, la nature du travail de la Commission s’apparente à une enquête publique et son influence « […] se fait sentir par la persuasion morale ou politique qui découle de la transparence et de la responsabilité publiques plutôt que par l’exercice d’un pouvoir exécutif ou juridictionnel ».Note de bas de page 41 La Commission est juridiquement et administrativement séparée des FC et du ministère de la Défense nationale et n’est pas soumise à la direction du ministre pour l’exécution de son mandat opérationnel. La Commission fonctionne indépendamment du gouvernement et ne fait pas partie de la Couronne. Le personnel juridique de la Commission est employé indépendamment du ministère de la Justice, dont les avocats fournissent la plus grande partie des services juridiques aux organismes gouvernementaux.Note de bas de page 42

Observations sur la compétence de la CPPM

38. Dans leurs observations finales, les personnes visées par la plainte ont fait un certain nombre de déclarations concernant la compétence de la CPPM. Notamment, elles ont fait valoir que : la CPPM ne peut tirer de conclusions que sur des allégations d’inconduite professionnelle; elle ne devrait pas examiner les systèmes

[traduction]
[…] le Parlement n’a pas non plus envisagé que cette Commission allait devenir un véhicule par lequel la conduite des FC en général, ou n’importe qui hors de la PM au sein des FC, ferait l’objet d’une enquête. Le mandat de la Commission ne peut pas être utilisé comme un tremplin pour enquêter sur la conduite des membres des FC n’appartenant pas à la PM ou le gouvernement du Canada, ou pour les critiquer [...].Note de bas de page 43

39. La Commission accepte le principe général selon lequel son mandat en matière de surveillance est axé sur des plaintes précises déposées contre des personnes spécifiques. Toutefois, lorsque la plainte allègue des irrégularités dans une enquête, ce mandat l’oblige à examiner si les enquêteurs ont été diligents, exhaustifs, objectifs et compétents au cours de leur enquête. Cela signifie que le rôle confié à la Commission, dans le mandat que lui a confié le Parlement de surveiller et d’évaluer les décisions de la police militaire au jour le jour, l’oblige à enquêter sur ce que les membres de la police militaire ont examiné ou auraient dû examiner.

40. Cela ne constitue pas une tentative pour étendre ou outrepasser sa compétence, comme l’ont soutenu les avocats des personnes visées par la plainte. Au contraire, pour s’acquitter de son mandat, la Commission doit être en mesure de comprendre l’information à la disposition de la police militaire et, ce qui est plus important, l’information qui aurait pu être à la disposition de la police militaire mais qu’elle n’a pas obtenue ou sur laquelle elle n’a pas enquêté. Affirmer que la Commission ne peut, dans ces circonstances, examiner ce que les membres de la police militaire ont découvert ou aurait dû découvrir au cours de l’enquête sur un décès, un crime potentiel, ou une infraction militaire serait une contrainte artificielle et non appropriée.

41. Les observations finales des personnes visées par la plainte mettent également en garde la Commission d’enquêter, de tirer des conclusions ou de faire des recommandations sur l’administration de la police militaire. Les personnes visées par la plainte notent que les paragraphes 2(1) et 2(2) du Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires renferment une définition des tâches et des fonctions de la police militaire qui peuvent faire l’objet d’une plainte.Note de bas de page 44 Selon le paragraphe 2(2) du Règlement, lorsqu’un membre de la PM s’acquitte d’une tâche ou d’une fonction en lien avec « l’administration, la formation ou les opérations d’ordre militaire qui découlent de coutumes ou pratiques militaires établies », ce ne sont pas des tâches ou des fonctions de nature policière. Les observations finales des personnes visées par la plainte décrivent ainsi ces questions administratives :

[traduction]
Les tâches ou les fonctions liées à l’administration sont celles qui n’ont aucun rapport avec les activités policières fondamentales et qu’un agent de la PM accomplit en qualité de membre des FC. Elles sont par conséquent exclues des « tâches et fonctions de nature policière », qui peuvent faire l’objet d’une plainte et, à plus juste titre, considérées comme des questions « administratives », en se basant sur le bon sens et l’interprétation de la jurisprudence analogue.Note de bas de page 45

42. Pour cette raison, les avocats des personnes visées par la plainte affirment que des questions telles que l’élaboration de réponses aux médias et de stratégies de communication et « l’établissement de priorités en matière de rapports, l’élaboration de politiques et de procédures, ainsi que l’application de la législation sur l’AIPRP en lien avec la divulgation » sont exclues de la compétence de la Commission en matière de surveillance.Note de bas de page 46

43. La Commission accepte le principe général selon lequel il y a des questions touchant à ce que font les policiers militaires qui ne sont pas liées à leur fonction de nature policière, mais qui se posent plutôt dans le contexte de leur statut d’entité administrative au sein des FC. Toutefois, cela ne signifie pas, comme le soutiennent les avocats des personnes visées par la plainte, que certaines fonctions et tâches de la police militaire ne peuvent catégoriquement pas être prises en considération. Un membre du SNEFC qui accomplit une simple tâche administrative ne peut faire l’objet d’une plainte pour inconduite; mais un membre du SNEFC dont la conduite dans le cadre d’une enquête ou d’une autre fonction essentielle de nature policière est alléguée être déficiente donnera lieu à une plainte auprès de la CPPM même si une partie de la plainte se rapporte à la façon dont les questions administratives se sont répercutées sur l’enquête. Enquêter et formuler des conclusions et des recommandations à l’égard de la conduite de la PM dans le cadre d’une enquête relève explicitement de la compétence de la Commission.

44. Alors que les personnes visées par la plainte soutiennent avec vigueur dans leurs observations finales que la question des communiqués aux médias et des stratégies de communication déborde de la compétence de la Commission en matière d’enquête, une des principales plaintes des Fynes est que le SNEFC a manqué d’indépendance dans la façon dont il a approché les enquêtes qu’il a entreprises. Dans la mesure où le contenu de communiqués aux médias ou l’interaction entre les stratégies de communication des FC et du SNEFC confirme ou réfute ces allégations, ces sujets relèvent certes de la compétence de la Commission d’étudier et de formuler des conclusions et des recommandations, le cas échéant.

45. En outre, les interactions entre les membres du SNEFC et les plaignants font partie de leurs fonctions de nature policière qui doivent être examinées par la Commission, et ont été directement mentionnées dans la plainte des Fynes. Dans la mesure où les plaignants ont tenté d’obtenir le dossier du cpl Langridge auprès du SNEFC, la Commission a le mandat d’examiner les problèmes qui ont entouré la divulgation du dossier aux plaignants.

46. De même, si la preuve démontre une lacune dans une étape d’une enquête ou une autre procédure liée à une lacune ou une carence au niveau de la politique ou de la formation de la police militaire, cela relève aussi clairement de la compétence qu’a la Commission de mettre au jour cette carence et de recommander des mesures correctives.

47. Tenter d’établir une distinction entre ce que les membres de la police militaire et le SNEFC font dans le cadre d’un événement ou d’une enquête et les nombreuses activités interdépendantes pouvant avoir une incidence sur ce qu’ils font et comment ils le font revient à proposer une distinction artificielle et irréaliste. Les paragraphes 2(1) et 2(2) du Règlement sur les plaintes portant sur la conduite des policiers militaires ne sont pas des « compartiments étanches ».Note de bas de page 47

48. En ce qui concerne spécifiquement les allégations au sujet de l’indépendance du SNEFC, les personnes visées par la plainte soumettent que [traduction] « [l]a Commission n’a pas de compétence propre pour procéder à un examen de la structure et des moyens par lesquels les FC ont choisi d’assurer la surveillance policière des forces armées ».Note de bas de page 48 La Commission n’accepte pas les termes dans lesquels cet argument est présenté. Les problèmes systémiques touchant à la surveillance des FC et à l’indépendance de la police militaire peuvent affecter la compétence en matière d’enquête et se solder par des enquêtes incorrectement menées. Par conséquent, ces questions entrent directement dans le mandat de la Commission. Lorsque des allégations spécifiques sont portées sur des enquêtes mal conduites, y compris des allégations selon lesquelles les enquêteurs concernés ont fait preuve de partialité ou ont manqué d’indépendance, il incombe à la Commission d’examiner le déroulement de l’enquête, peu importe comment elle a abouti. Les notions de partialité de la police et de vision étroite sont des phénomènes bien compris. Même un parti pris inconscient ou un manque d’indépendance peut compromettre sérieusement le résultat d’une enquête policière, ainsi que la confiance du public envers l’institution.

49. Les personnes visées par la plainte affirment en outre que :

[traduction]
[C]ette Commission doit également veiller à ce que sa procédure ne soit pas détournée de son but ou son mandat outrepassé par des plaintes générales et percutantes contre l’ensemble des FC, comme celles qui ont animé cette audience. La grande majorité des témoins qui ont comparu devant la Commission n’étaient pas des personnes visées par cette plainte, et ils n’étaient pas non plus des policiers militaires. Beaucoup d’entre elles ont été la cible d’accusations très graves de la part des plaignants, y compris des accusations de fautes professionnelles et/ou d’infractions de nature criminelle. Ce n’est pas le rôle de cette Commission d’enquêter, de poursuivre ou de commenter le comportement d’autres acteurs gouvernementaux.Note de bas de page 49 [Caractère gras ajouté]

50. Cette description du rôle de la Commission est inexacte. L’objectif de l’examen de la Commission est d’évaluer la rigueur des enquêtes policières. Si la Commission reçoit des plaintes d’inconduite et/ou de carences en lien avec la rigueur d’une enquête ou la pertinence de ses conclusions, ces plaintes doivent être examinées. On ne peut pas savoir si une enquête a été approfondie et exhaustive à moins d’examiner ce sur quoi il fallait enquêter. Les conclusions tirées au fil du processus peuvent faire ressortir des inférences ou des questions au sujet de la conduite de tiers, mais ce sont là en définitive les vraies questions sur lesquelles le SNEFC devait faire enquête. La capacité de la Commission de déterminer par elle-même ce que les personnes visées par la plainte savaient ou avaient les moyens de savoir et de convoquer des témoins des FC, du MDN ou même d’autres ministères dans le cadre de son enquête sur une plainte devrait être incontestable.Note de bas de page 50

51. Enfin, les personnes visées par la plainte font valoir que :

[traduction]
Cette Commission n’a pas compétence pour formuler des conclusions ou des recommandations concernant les moyens par lesquels les FC ont choisi, en tant qu’institution, de fournir des conseils juridiques à la SNE. Cette Commission n’a pas non plus compétence pour tirer des conclusions au sujet de la conduite individuelle d’avocats du JAG qui ont été cités à comparaître pour témoigner devant la Commission et fait l’objet de graves allégations professionnelles par les Fynes et leur avocat.Note de bas de page 51

52. La Commission réaffirme que sa surveillance des enquêtes de la police militaire requiert un examen des faits et des informations qui sont à la disposition des enquêteurs. Lorsque les enquêteurs s’appuient sur des avis juridiques qui leur ont été fournis, ou sur des avis juridiques fournis à d’autres membres concernant la conduite qui fait l’objet de l’enquête, il revient à la Commission de tenter de comprendre les circonstances de ces communications. Si une lacune dans ces avis (comme une erreur en droit) influe sur la conduite ou les conclusions d’une enquête qui s’est appuyée sur de tels avis juridiques, le constat peut être pertinent à une évaluation du caractère raisonnable de l’enquête policière et peut expliquer la raison de l’issue d’enquêtes faisant l’objet d’une plainte. Il convient de noter que le présent rapport n’a abouti à aucune conclusion de ce genre à la lumière des faits révélés par les témoignages et les documents mis à la disposition de la Commission. Ce résultat ne diminue en rien la légitimité de l’enquête.

Parler d’une seule voix

53. La Commission reconnaît les normes élevées de professionnalisme démontrées par les avocats des plaignants et des personnes visées par la plainte au fil d’un processus d’audience long, complexe et parfois controversé.

54. En particulier, les commentaires exprimés ici ne visent pas le comportement individuel des avocats du ministère de la Justice et des FC agissant pour le compte des personnes visées par la plainte et du gouvernement au cours de l’AIP. La Commission souligne que les avocats eux-mêmes se sont comportés avec intégrité tout au long de la procédure, dans des circonstances souvent stressantes, pour s’acquitter de ce qui, aux yeux de la Commission, semble être une mission presque impossible étant donné les intérêts divergents de leur client « unifié ».

55. Il faudrait néanmoins souligner que la décision prise par le gouvernement dans cette instance de faire représenter de multiples personnes et institutions différentes en lien avec l’armée et/ou le gouvernement par un seul et même groupe d’avocats suscite des préoccupations.

56. Le professeur Kent Roach a témoigné au sujet de la représentation de la police militaire aux enquêtes publiques et a examiné la question dans une étude connexe présentée à la Commission. Il a discuté de la possibilité qu’un conflit d’intérêts surgisse lorsqu’une atteinte à l’indépendance de la police militaire a été alléguée, et que les personnes visées par la plainte sont représentées par des avocats qui représentent aussi les FC et le gouvernement.Note de bas de page 52 Ce problème d’indépendance est aggravé par une politique gouvernementale, parfois désignée par l’expression « parler d’une seule voix », que l’hon. John Major a commenté de façon critique dans le Rapport final de la Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India :

Il ne fait aucun doute que les ministères et organismes, au même titre que les personnes individuellement, ont le droit d’être représentés par un avocat qui exposera leurs actions et leurs intérêts sous un jour favorable. Or, lorsqu’une seule et même équipe de procureurs doit représenter plusieurs clients institutionnels aux points de vue historiquement divergents, sa tâche devient ingérable; l’équipe risque alors de minimiser des divergences bien réelles, et les avantages inhérents à une représentation distincte des points de vue différents se perdent.Note de bas de page 53

57. Dans la présente instance, l’approche « parler d’une seule voix » signifiait qu’en pratique, une seule équipe juridique composée d’avocats du MJ et d’autres avocats du gouvernement ou de l’armée a représenté tout au long de l’AIP les intérêts des parties suivantes :

58. Le ministère de la Justice a joué un rôle central en agissant pour la PM, les FC et le MDN en répondant aux demandes de divulgation de documents. Cela signifie que le ministère de la Justice était chargé de diriger les recherches pour les documents en possession de ses divers clients et de prendre les décisions relatives aux expurgations et aux revendications de privilège avant leur divulgation. Le ministère de la Justice a divulgué ces documents de concert avec le conseiller juridique du GPFC. Cet arrangement place effectivement le ministère de la Justice dans la position où il agit à la fois comme défenseur de ses clients et comme « gardien » pour le compte du gouvernement dans son ensemble dans le processus de divulgation de documents.

59. Bien qu’il soit possible que tous ces intérêts se rejoignent et que toutes ces parties partagent une vision commune des faits et des questions soulevées lors de l’audience, la décision apparente, au niveau de la politique, de procéder en partant de l’hypothèse que toutes ces voix distinctes s’harmoniseront en une perspective unique et cohérente comporte un risque. Cette représentation unifiée risque de créer une impression d’injustice, pour les plaignants ou les personnes visées par la plainte elles-mêmes, et semble dresser des obstacles inutiles à la mission de détermination des faits de la Commission.

60. Au début de la procédure, les avocats de la Commission a exprimé des craintes aux membres de l’équipe juridique du MJ au sujet de l’impact potentiel sur le plan de l’équité, ou du moins sur l’apparence d’équité, au cours dans la présente instance.Note de bas de page 55 Une des préoccupations pratiques était liée à la possibilité que, dans le contexte de sa représentation d’un ensemble d’intérêts, l’équipe juridique obtienne des renseignements provenant de sources comme les entrevues préparatoires à l’audience, qui ne seraient pas disponibles autrement aux autres parties représentées, si ce n’était de la représentation conjointe. Compte tenu de la présomption juridique que les faits connus d’un membre d’un cabinet d’avocats – à plus forte raison un membre d’une équipe d’avocats – deviennent des faits connus de tous les membres du cabinet ou de l’équipe, et compte tenu de l’obligation éthique de l’avocat de partager tout renseignement potentiellement pertinent avec son client, une perception d’injustice pourrait bien se former. Il a donc été suggéré d’envisager d’établir des cloisons éthiques pour isoler les différentes équipes d’avocats du gouvernement les unes des autres. Cela aurait permis que toutes les parties et tous les intérêts soient représentés par le MJ ou d’autres avocats du gouvernement sans apparence possible que des renseignements autrement non disponibles soient partagés. Ces préoccupations ont été reconnues, mais rejetées par les avocats du gouvernement, qui a souligné que la Politique sur les services juridiques et l’indemnisationNote de bas de page 56 du Conseil du Trésor n’envisageait pas de telles initiatives ou cloisons éthiques pour les avocats du gouvernement, en faisant valoir que de telles mesures ne semblaient pas nécessaires ou appropriées dans ce cas.Note de bas de page 57

61. La décision du gouvernement de parler d’une seule voix risque d’apparaître comme un moyen de forcer une conformité des points de vue là où l’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il y ait une telle conformité. Des craintes pourraient surgir face à la possibilité qu’une interprétation particulière de la preuve ou une théorie juridique de l’affaire reflétant le point de vue d’un ou de plusieurs intérêts institutionnels soit avancée de préférence à une approche reflétant plus directement les intérêts ou les points de vue d’une ou plusieurs des personnes visées par la plainte.

62. Pour être clair, il n’est pas dit qu’une telle circonstance a effectivement surgi au cours de la présente audience. Ni la Commission ni le public n’a le droit de connaître les conversations entre des personnes ou des institutions représentées collectivement et les avocats qui les représentent, donc tout ce qui reste ce sont des conjectures et des apparences. Ce qui importe, c’est que la possibilité que de telles circonstances surgissent est inhérente à la politique visant à faire représenter les institutions gouvernementales, les témoins des faits et toutes les personnes visées par la plainte par une même équipe d’avocats. Cette possibilité peut engendrer une apparence d’irrégularité, ce qui est préjudiciable au processus même lorsque, sur le plan factuel, il ne peut absolument pas y avoir d’irrégularité.

63. La confiance du public dans l’intégrité du processus de traitement des plaintes dépend de l’équité, de la transparence et de la légitimité du processus d’audience d’intérêt public. Pour le souligner encore une fois, bien que la Commission n’ait aucune raison de croire que quelqu’un ait agi autrement que de manière appropriée, les apparences et les perceptions comptent. Il y a un risque réel de scepticisme de la part du public dans des circonstances où une seule équipe d’avocats représente une telle multiplicité d’intérêts. Ce scepticisme peut être particulièrement malheureux s’il soulève des doutes sur la capacité ou la volonté d’une personne visée par une plainte d’invoquer des défenses ou des explications qui pourraient se refléter négativement sur des institutions gouvernementales comme l’armée ou sur d’autres témoins représentés par la même équipe juridique.

64. Certes, les clients doivent être libres de choisir un avocat pour les représenter, et rien dans ces commentaires ne doit être compris comme cherchant à nier ce droit. La difficulté est que la Politique sur les services juridiques et l’indemnisation du Conseil du Trésor – citée par l’équipe d’avocats pour motiver le refus de mettre en place des cloisons éthiques qui permettraient de clarifier qui parlait pour quel client – donne aussi l’impression d’exercer une contrainte sur la capacité réelle des personnes visées par la plainte et des témoins d’engager un avocat de leur choix.

65. En pratique, cette politique met les personnes visées par la plainte dans une situation difficile. Elles sont obligées de choisir entre accepter d’être représentées par un avocat du MJ qui est payé par le gouvernement ou s’opposer à un tel arrangement en passant par le processus long et ardu d’obtenir une représentation indépendante (ou en optant pour engager un avocat privé et indépendant à leurs frais). Il serait préférable d’éviter complètement ces problèmes potentiels dès le départ en fournissant un avocat indépendant aux personnes visées par la plainte afin de protéger leurs intérêts sans possibilité d’une perception de loyauté divisée éventuelle. Dans le passé, le conseiller juridique du MJ auprès des Forces canadiennes semble avoir reconnu ce problème en désignant un avocat indépendant pour représenter des personnes visées par une plainte dans le cadre d’une AIP.Note de bas de page 58 Pour l’avenir, il serait préférable de suivre ce processus en fournissant aux personnes visées par une plainte un avocat indépendant dès le début d’une AIP.

Établissement des faits et surveillance efficace

66. Pour assurer une surveillance efficace de la police militaire conformément à son mandat, la Commission doit avoir accès aux faits susceptibles d’être pertinents à une plainte. Ces faits peuvent se trouver dans des documents ou dans les témoignages des témoins. Pour que les auditions se déroulent efficacement, il faut que les renseignements potentiellement pertinents soient disponibles aux avocats de la Commission et des parties suffisamment à l’avance d’un témoignage pour permettre une préparation utile, tant par les avocats de la Commission que par les parties, y compris les plaignants. Dans le processus d’AIP, la pertinence potentielle est déterminée en référence aux questions soulevées dans la plainte déposée auprès de la Commission. Le qualificatif « potentielle » accolé au terme pertinence est important car il est impossible de déterminer la pertinence réelle avant que la preuve ne soit recueillie et examinée. Parfois, lorsque des témoins ou des personnes visées par la plainte refusent de participer à une entrevue préalable à l’audience, la pertinence réelle ne peut être déterminée tant que le témoignage n’a pas eu lieu.

67. Lorsque la plainte renferme des allégations d’erreurs et de carences dans les enquêtes effectuées par le SNEFC, les renseignements potentiellement pertinents englobent, au minimum, les informations qui étaient ou qui auraient pu être à la disposition des enquêteurs, ainsi que le dossier complet de ce qui a été fait pour recueillir ces informations et en tirer des conclusions.

68. Au départ, il faut reconnaître que, dans le cas présent, la collecte des renseignements nécessaires pour obtenir une base factuelle significative était à la fois étendue et intensive. Une grande partie du fardeau de la collecte et du traitement des renseignements a incombé au SNEFC, à diverses branches des FC et à leurs avocats. Compte tenu du volume de matériel en cause, de la complexité de certains éléments de preuve, du risque de controverse associé à certaines des questions juridiques et des contraintes de temps inhérentes au processus, il pourrait avoir été inévitable que des accidents se produisent et qu’il y ait eu des occasions où la nature des renseignements qui devraient ou pourraient être rendus accessibles a suscité un désaccord.

69. Dans ce contexte, il est important de reconnaître les efforts des FC, du SNEFC et de leur équipe d’avocats pour répondre aux besoins de collecte de renseignements de la Commission et travailler avec les avocats de la Commission – et, dans certains cas, l’avocat des plaignants – dans un esprit de coopération pour résoudre les problèmes, ce qui a finalement permis de trouver une solution raisonnable à la plupart des questions.

70. Néanmoins, le processus n’a pas toujours été sans heurt.

Divulgation de documents

71. La Commission apprécie la coopération étendue et remarquable de toutes les personnes ayant participé à l’effort massif requis pour répondre aux demandes de documents d’une AIP vaste et complexe. La compilation de l’imposante collection de documents formant le dossier de la preuve n’a été possible que grâce à la coopération et au travail acharné des parties et de leurs avocats, ainsi que des avocats et du personnel de la Commission.

72. La Commission est consciente de l’énormité de la tâche et du fait que des erreurs sont inévitables, mais les problèmes de divulgation, lorsqu’ils surviennent, portent atteinte à la capacité de la Commission de faire son travail. L’émergence d’un certain nombre de problèmes de divulgation met en évidence des problèmes dans le processus d’audience, d’une part, et illustre la possibilité de résoudre ces problèmes par des discussions ouvertes et des efforts concertés, d’autre part. Il faut espérer que les incidents examinés ci-dessous serviront de leçons pour empêcher, ou du moins réduire au minimum, l’impact des problèmes de divulgation dans le cadre des audiences futures.

73. Lorsque la Commission procède à une audience, la LDN lui confère le pouvoir de contraindre des témoins à comparaître et à témoigner et à produire tous les documents sous leur contrôle que la Commission estime nécessaires à une enquête approfondie et à l’examen des questions qui se trouvent devant elle.Note de bas de page 59 De manière tout à fait appropriée et utile, l’équipe juridique du gouvernement responsable de la divulgation a reçu instruction de transmettre à la Commission, sur demande, tous les enregistrements, qu’elle serait en droit de recevoir, comme si cette dernière avait effectivement délivré une citation à comparaître.Note de bas de page 60

74. Peu de temps après que la décision de procéder à un AIP ait été communiquée, les avocats de la Commission ont demandé au GPFC un certain nombre de documents considérés comme pertinents à la plainte, en plus des dossiers d’EG pour les trois enquêtes déjà produits antérieurement.Note de bas de page 61 La demande initiale couvrait des documents au SNEFC RO et au QG SNEFC concernant le décès du cpl Langridge, les interactions avec les plaignants, les enquêtes de 2008, 2009 et 2010 et les questions soulevées par les plaignants. La demande initiale visait également les documents relatifs à toute réunion où la cause des plaignants a été discutée et tout membre de la police militaire qui était présent, ainsi que des renseignements relatifs à la formation générale des membres du SNEFC en matière d’enquête et, en particulier, la formation spécifique reçue par les 13 personnes visées par la plainte.

75. À mesure que les avocats de la Commission examinaient les documents et commençaient à mener des entrevues préparatoires aux audiences, d’autres demandes de divulgation de documents ont été émises. En février 2012, l’avocat de la Commission a écrit au conseiller juridique du GPFC pour demander que les témoins potentiels représentés par les avocats du MJ consultent leurs dossiers afin de trouver des documents pertinents en leur possession qui n’avaient pas déjà été fournis à la Commission.Note de bas de page 62 Cette demande a été faite après avoir constaté que des témoins aux entrevues préalables à l’audience faisaient mention ou reconnaissaient l’existence de documents pertinents que la Commission n’avait pas vus jusque-là, mettant les avocats de la Commission dans la position d’avoir à les examiner seulement après les entrevues ou, dans quelques cas, peu de temps avant.

76. Le rythme de production de documents et le caractère exhaustif de la divulgation n’ont pas toujours été sans difficulté. En particulier, il y a eu des cas de divulgation de dernière minute de grandes collections de documents envoyées la veille du témoignage et aussi de divulgation tardive de documents qui auraient été extrêmement pertinents pour des témoins qui avaient déjà comparu. Ainsi, au début de l’audience, la Commission a reçu un très grand volume de documents du gouvernement. Les avocats de la Commission ont alors exprimé des préoccupations au sujet de la difficulté qu’impose une telle production de dernière minute.

77. Dans un autre cas, juste avant les témoignages de la Dre Mohr, psychologue à l’emploi des FC, et de M. Perkins, conseiller en toxicomanie à la base, environ 100 pages de nouveaux documents pertinents à ce témoignage ont été produites au dernier moment.Note de bas de page 63 Cette production tardive est survenue en dépit des nombreuses demandes spécifiques visant ces documents et la confirmation répétée que tous les documents pertinents avaient été produits. À cette occasion, les avocats du MJ ont insisté sur le fait que la divulgation tardive n’avait pas été intentionnelle. L’histoire de ces documents nécessite quelques explications, notamment parce que leur production éventuelle a été précédée de nombreuses demandes et confirmations répétées que tous les documents pertinents avaient été produits. Cela soulève de graves préoccupations quant au caractère adéquat des recherches documentaires effectuées.

78. Les avocats de la Commission ont demandé la divulgation du dossier médical complet du cpl Langridge en janvier 2012 suite à l’entrevue préalable à l’audience avec la Dre Mohr, lorsqu’ils ont réalisé que les dossiers pourraient ne pas être complets.Note de bas de page 64 Une première version du dossier a été produite au début de février.Note de bas de page 65 Le 23 février 2012, les avocats de la Commission ont présenté une demande spécifique pour obtenir toutes les notes au sujet d’une conférence de cas qui avait eu lieu le ou vers le 7 mars 2008 à la clinique de la garnison ou à la clinique de santé mentale de la BFC d’Edmonton à propos du cpl Langridge.Note de bas de page 66 Les avocats de la Commission ont été informés qu’aucune note de ce genre n’avait été trouvée.Note de bas de page 67

79. Le 16 mars 2012, les avocats de la Commission ont présenté une demande spécifique pour obtenir le dossier et les archives complets sur la santé mentale du cpl Langridge, car il est apparu que les dossiers en possession de la Commission étaient encore incomplets. D’autres dossiers de santé mentale ont été fournis le 29 mars et la Commission a fait une demande de confirmation que les dossiers étaient maintenant complets et englobaient les dossiers des services d’aide en matière de toxicomanie du cpl Langridge.Note de bas de page 68 Toutefois, en fin d’après-midi le jour précédant celui où la Dre Mohr et M. Perkins devaient témoigner, de nouveaux dossiers du CATB ont été reçus par la Commission – y compris la note précédemment demandée portant spécifiquement sur une conférence de cas le 13 mars 2008 à la clinique de la base à propos du cpl Langridge. Il s’agissait du premier document reçu au sujet d’une conférence tenue deux jours avant le décès du cpl Langridge. Ces documents étaient très pertinents pour le témoignage de M. Perkins, l’un des CATB en question, et celui de la Dre Mohr. En outre, l’un des documents précédemment produits en ce qui a trait au témoignage de la Dre Mohr s’est avéré être le mauvais document, et le bon document n’a été produit que le matin de son témoignage. Ce document contenait plusieurs centaines de pages.Note de bas de page 69

80. Ces documents auraient également été très pertinents pour les témoins qui avaient déjà comparu. Les avocats de la Commission se sont réservé le droit de rappeler certains témoins à comparaître sur ces documents,Note de bas de page 70 ce qui, heureusement, n’a pas été nécessaire.

81. L’avocate principale du MJ a reconnu qu’il n’était ni souhaitable ni acceptable que les documents soient fournis avec tant de retard. Elle a noté que l’équipe juridique du gouvernement avait fait un certain nombre de demandes de renseignements pour s’assurer que les dossiers médicaux complets avaient été produits.Note de bas de page 71 L’équipe croyait que les dossiers médicaux complets avaient été fournis à la Commission en date du 30 mars, mais par inadvertance, il existait d’autres documents qui n’avaient pas été remis à la Commission. Cela a été découvert seulement quelques jours avant le témoignage prévu.Note de bas de page 72 En outre, le document volumineux a été identifié par le témoin comme étant inexact et devant être remplacé uniquement la veille de son témoignage, et cela a été corrigé dès que l’avocate du MJ en a été informée. L’avocate principale du MJ a indiqué clairement qu’elle croyait qu’une recherche approfondie avait été faite, et que la priorité appropriée avait été donnée aux demandes de documents. Elle a promis de faire personnellement les requêtes nécessaires pour s’assurer que tous les efforts de recherche aient été faits, et de faire tout en son pouvoir pour s’assurer que cette situation ne se reproduise pas.Note de bas de page 73

82. La Commission accepte la bonne foi des avocats du MJ dans cette affaire. Toutefois, cela ne diminue pas la frustration et les désagréments occasionnés à la Commission et à toutes les parties en raison des recherches inadéquates menées au nom des Forces canadiennes.

83. En une autre occasion, la Commission a reçu 200 pages supplémentaires de matériel du SNEFC le 8 juin 2012, seulement deux jours ouvrables avant le témoignage du Maj Bolduc, qui était commandant adjoint du SNEFC lorsque les enquêtes en cause se sont déroulées. Ces documents incluaient les communications du sgt Mitchell au Maj Dandurand et étaient clairement visés par la demande de divulgation de la Commission en septembre 2011 pour [traduction] « tout mémoire, note et correspondance (y compris à l’interne) » au QG SNEFC et au SNEFC de la Région de l’Ouest ayant trait aux interactions avec les plaignants ou au décès du cpl Langridge.Note de bas de page 74 La divulgation tardive était encore plus vexante à la lumière d’une lettre de février 2012 des avocats du gouvernement, qui donnait l’assurance que tous les documents en réponse à cette demande avaient déjà été fournis en décembre 2011.Note de bas de page 75

84. Dans un autre cas également, en février 2012, les avocats de la Commission ont demandé des documents ou des renseignements concernant tous les changements ou modifications apportés, suite à l’affaire Fynes, aux politiques et procédures de la police militaire en ce qui concerne la divulgation des notes de suicide.Note de bas de page 76 Deux documents ont été reçus en réponse à cette requête : une révision d’octobre 2010 à une IPO du SNEFC et une révision de juillet 2011 à cette politique.Note de bas de page 77 Suite à une entrevue avec des témoins en avril 2012, les avocats de la Commission ont envoyé une demande de divulgation supplémentaire en vue de faire confirmer la date à laquelle des changements aux procédures applicables à la divulgation des notes de suicide avaient été apportés, et pour obtenir tous les documents pertinents à des politiques ou directives provisoires avant l’entrée en vigueur de ces modifications.Note de bas de page 78 Le 23 avril 2012, l’avocate du MJ a indiqué que le lcol Sansterre avait modifié la politique par le biais des conférences trimestrielles avec les commandants de détachement et des conférences téléphoniques mensuelles autour de juillet 2009. Les avocats de la Commission ont été informés [traduction] « [q]u’il n’y a pas d’autres documents écrits en lien avec ces communications ».Note de bas de page 79 Toutefois, le jour du témoignage du lcol Sansterre consacré à une discussion sur cette politique, des dossiers écrits supplémentaires sur les conférences des commandants de détachement et les conférences téléphoniques ont été fournis à la Commission.Note de bas de page 80 Puis, lors de la production de documents du 8 juin 2012, soit après que le lcol Sansterre ait déjà témoigné sur ces questions, d’autres dossiers directement pertinents à cette demande ont été livrés.Note de bas de page 81

85. Ces incidents révèlent une faille dans les procédures par lesquelles les documents sont recherchés et identifiés, et peut-être une compréhension insuffisante de la pertinence de ces documents de la part des personnes qui les ont en leur possession.Note de bas de page 82 Ces problèmes de divulgation frustrants ont été discutés et figurent dans le registre de l’audience du 11 juin 2012.

86. Un autre exemple de divulgation tardive porte sur la production des documents des personnes visées par la plainte à l’été 2012.Note de bas de page 83 Nombre de ces documents étaient clairement visés par la demande initiale de septembre 2011Note de bas de page 84 et ils étaient directement liés à la conduite des enquêtes du SNEFC et aux activités connexes. Ces documents englobaient des renseignements élémentaires, comme les rapports sur l’état d’avancement des enquêtes, et auraient dû être produits bien avant août 2012. Ils comprenaient également le carnet de notes du sgt Bigelow, qui n’a jamais été numérisé dans le SISEPM et qui aurait été d’une utilité inestimable à la Commission et aux parties lors du témoignage des témoins des faits entendus entre mars et juin 2012.

87. Le retard est particulièrement étonnant compte tenu que les avocats des personnes visées par la plainte avaient initialement insisté pour que tous les témoignages soient terminés au printemps 2012,Note de bas de page 85 soit avant la date à laquelle ces documents ont finalement été produits.

88. Ces incidents constituent quelques exemples d’un processus de divulgation parfois problématique tout au long de l’AIP. Bien qu’il n’y ait ici aucune intention de suggérer qu’une de ces personnes a mal agi ou qu’un de ces retards de divulgation a été délibéré, la Commission était, et demeure, préoccupée parce que la production tardive de documents a un impact sérieux sur sa capacité et celle des parties de se préparer en vue des témoignages.Note de bas de page 86

89. Qu’il existe ou non un droit strict à recevoir les documents à l’avance de la déposition d’un témoin, la réception des documents la veille ou le matin d’un témoignage signifie que les nouveaux renseignements doivent être assimilés de manière précipitée, en risquant de négliger certaines implications ou nuances qui ne ressortent clairement que si l’on a suffisamment de temps pour les étudier et les comparer à d’autres éléments de preuve. L’impact est encore plus grand lorsqu’un document particulièrement pertinent est produit seulement après que les témoins concernés aient déjà témoigné. En définitive, le mandat de recherche de la vérité de la Commission se trouve entravé lorsque des renseignements importants et pertinents ne sont pas mis au jour en temps opportun. Il est inévitable que des erreurs ou des oublis surviennent dans le processus d’examen et de production de milliers de documents, mais des problèmes de divulgation comme ceux décrits précédemment peuvent soulever des doutes sur le caractère exhaustif des recherches et, en particulier, la mesure dans laquelle il est possible de se fier aux assurances fournies à l’effet que tous les documents pertinents ont été produits.Note de bas de page 87

90. Compte tenu de ces préoccupations, le Commission demande instamment que la plus grande diligence soit exercée en réponse aux demandes de divulgation de documents, en menant dans un délai raisonnable des recherches complètes et détaillés. La Commission invite fortement les avocats du gouvernement à obtenir les assurances nécessaires pour confirmer que ces recherches sont achevées avant d’aviser la Commission que tous les documents demandés ont été produits ou qu’aucun de ces documents n’existe.

91. Au-delà du moment opportun et du caractère exhaustif de la divulgation, la Commission a parfois rencontré une résistance à ses demandes de divulgation. Cela mérite une attention parce que ce genre de réaction peut avoir une incidence négative sur la capacité de la Commission d’exercer ses fonctions. Dans un cas, les avocats du GPFC et du conseiller juridique du MDN et des FC ont contesté la pertinence des documents demandés et la compétence de la Commission à les demander.Note de bas de page 88 La Commission a ainsi été invitée à fournir des informations supplémentaires [traduction] « [...] quant à la pertinence des renseignements suivants à la conduite des policiers militaires en cause dans cette affaire [...] ».Note de bas de page 89 Pour n’en nommer que quelques-uns, les documents dits d’intérêt douteux comprennent les documents contenus dans le dossier de santé mentale demandés à la Dre Mohr, les documents relatifs à une surveillance préventive possible du cpl Langridge en décembre 2007, les dossiers ayant trait à la formation en matière de prévention du suicide, les dossiers ayant trait à la conférence de cas de la clinique de la base en mars 2008 et les documents relatifs à l’examen du dossier personnel du cpl Langridge.Note de bas de page 90

92. La Commission est d’accord avec la position exprimée par les avocats de la Commission, à savoir que ces commentaires semblent suggérer qu’il revient au ministère de la Justice et/ou à ses clients de porter un jugement sur ce qui est et n’est pas pertinent à l’enquête de la Commission en réponse aux demandes de documents.Note de bas de page 91

93. Pour les raisons expliquées ci-dessus dans la discussion portant sur la compétence de la Commission, le fait que les documents demandés par la CPPM aient ou non été examinés par la PM n’a aucune pertinence pour ce qui est de déterminer si ces documents devraient ou ne devraient pas être remis à la Commission. De même, les sujets sur lesquels la police militaire a choisi d’enquêter ne peuvent servir à circonscrire les sujets pertinents à la Commission : le rôle de la Commission est de déterminer les questions et les documents sur lesquels les membres de la PM devraient avoir enquêté. Il convient de noter qu’une position similaire a déjà été prise par le ministère de la Justice dans Garrick et al. c. Amnesty International Canada devant la Cour fédérale du Canada, où elle a été clairement rejetée par le juge de Montigny, en ces termes :

[…] il appartient à la Commission, et non au gouvernement, de déterminer quels documents sont pertinents à l’enquête. S’il en était autrement, la Commission serait à la merci de l’organisme faisant l’objet de son enquête. Ce n’était évidemment pas l’intention du législateur.Note de bas de page 92

94. Dans le cas présent, la pertinence des documents ne semble pas avoir été comprise par les personnes responsables de leur collecte et de leur production. Étant donné que la Commission doit se fier aux recherches effectuées par les personnes à qui elle demande des documents, cet écart entre leur compréhension de ce qui est pertinent et celle des avocats de la Commission est manifestement préoccupant.

95. La Commission a également été informée qu’il y avait trois boîtes de documents concernant le cpl Langridge obtenus à la suite de recherches effectuées à la grandeur du MDN et des FC, et bien que l’on ait exprimé l’opinion qu’il était peu probable que ces documents soient pertinents, les avocats de la Commission ont été invités à participer en personne à un examen de ces documents.Note de bas de page 93

96. Malgré l’opinion initiale du conseiller juridique du GPFC et du conseiller juridique des FC/MDN sur la pertinence improbable des documents, l’examen fait en personne par les avocats de la Commission des trois boîtes de documents a donné lieu à une demande visant de plus de 1 600 pages de documents. Certains de ces documents étaient sans doute des copies de documents déjà en possession de la Commission, mais dans l’ensemble ils ont aussi fait ressortir de nouveaux éléments de preuve. Le volume important de documents produits à la suite de cet examen a établi clairement qu’il y avait de bonnes raisons pour que ce soit la Commission et ses avocats qui jugent de ce qui est pertinent pour une audience.

Entrevues avec des témoins

97. Lorsque la Commission décide de tenir une AIP pour enquêter sur une plainte, les informations disponibles par le biais de documents sont complétées par des dépositions orales des témoins.

98. La Commission a le pouvoir de contraindre des témoins à comparaître par sommation mais elle sollicite également la collaboration de témoins à l’avance de leur témoignage en les invitant à participer à des entrevues préalables à l’audience. Ces entrevues sont d’une grande utilité pour recueillir de nouveaux renseignements et permettre à la Commission de se faire une idée des connaissances et des souvenirs des témoins avant leur comparution. Les entrevues aident aussi la Commission à déterminer s’il est, en fait, nécessaire d’appeler un témoin à comparaître à une audience. Les noms de personnes peuvent apparaître sur des documents, ce qui indique qu’elles peuvent posséder de l’information pertinente, mais une entrevue permet souvent d’établir qu’elles sont peu impliquées dans l’affaire ou que leur témoignage n’apporterait aucun renseignement factuel pertinent. Les entrevues préparatoires à l’audience peuvent également contribuer à une utilisation efficace du temps et des ressources en permettant aux avocats de la Commission de concentrer l’interrogatoire principal du témoin lors de l’audience sur les sujets les plus pertinents susceptibles d’aider la Commission. En outre, la conduite d’entrevues préparatoires à l’audience permet aux avocats de la Commission de fournir plus d’information aux parties, à tout le moins sur les domaines que l’on s’attend à couvrir avec les témoins, ce qui en retour aide les parties à se préparer à l’audience.

99. Afin de faciliter la coopération et d’obtenir des renseignements du plus grand nombre possible de témoins, la Commission a approuvé une proposition du MJNote de bas de page 94 pour que les entrevues préalables à l’audience avec des témoins représentés par les avocats du ministère de la Justice (comme les membres des FC et les employés de la Couronne) se déroulent sur une base confidentielle et officieuse.Note de bas de page 95 Cet accord signifiait que les entrevues avec des témoins ne seraient pas enregistrées ou transcrites (mises à part les notes prises par les avocats de la Commission) et que le contenu des entrevues ne servirait pas à contre-interroger ou à attaquer les témoins au cours de leur témoignage. Pour chaque témoin ayant participé à une entrevue préalable à l’audience, une déclaration de témoignage prévu décrivant les sujets généraux devant être abordés au cours du témoignage du témoin a été remise aux parties. Ces conditions ont aussi été appliquées aux témoins non représentés et aux témoins représentés par d’autres avocats.

100. Même si cela n’est peut-être pas idéal en termes d’efficacité, le format de l’entrevue confidentielle préparatoire à l’audience qui a été convenu constitue peut-être un coût inévitable à payer pour obtenir la participation de témoins à une entrevue préalable à leur témoignage et à encourager la franchise au cours de ces entrevues. Mais, en contrepartie, le caractère fermé des entrevues ne suscite pas nécessairement la confiance du public à l’égard de la transparence du processus.

101. Malgré l’accord donné par la Commission pour que ces entrevues soient confidentielles et facilitent ainsi la coopération des témoins, tous les témoins n’ont pas accepté de participer à une entrevue préalable à l’audience. La Commission a proposé que les personnes visées par la plainte soient interrogées dans des conditions similaires à celles des entrevues préalables à l’audience avec les autres témoins non visés par la plainte. Comme c’était leur droit incontestable, les personnes visées par la plainte n’ont pas accepté d’être interrogées avant l’audience.Note de bas de page 96 En outre, plusieurs témoins de la PM et du JAG ont également refusé de participer à des entrevues préalables à l’audience. La M 2 Gazzellone et le Maj Bolduc, deux témoins du SNEFC non visés par la plainte, ont refusé de participer à une entrevue préalable à l’audience,Note de bas de page 97 comme l’ont fait le capc Thomson, le lcol King, le Maj Fowler, le lcol MacGregor et le Maj Reichert, du bureau du juge-avocat général. Les avocats du MJ ont demandé que l’identité des témoins qui ont refusé d’être interviewés soient gardée confidentielle. La Commission n’a pas accepté cette demande.Note de bas de page 98

Expurgations

102. Les expurgations sont des portions de documents caviardées par le gouvernement pour le motif qu’elles ne peuvent être révélées au public en raison d’un privilège de common law ou d’une disposition législative.

103. Les documents peuvent être caviardés par les organismes gouvernementaux afin d’y retirer des renseignements personnels ou des informations protégées à des fins de sécurité nationale (tels ceux énumérés à l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada),Note de bas de page 99 ou d’empêcher la divulgation de communications confidentielles qui jouissent d’une protection spéciale en vertu de privilèges juridiques (comme le privilège du secret professionnel de l’avocat). Lorsque des suppressions sont faites judicieusement et avec soin, un juste équilibre peut être atteint entre la protection de renseignements délicats dont la divulgation pourrait causer un préjudice et le respect du droit du public d’être informé et de tenir le gouvernement responsable.

104. La Commission exhorte à l’exercice d’une grande diligence pour s’assurer que toutes les expurgations faites par l’équipe juridique du gouvernement à des documents avant leur divulgation soient fondées et limitées de manière appropriée afin de garantir la divulgation la plus large possible.Note de bas de page 100 Dans le cas présent, même s’il y a eu quelques cas où les expurgations ont semblé excessives, la majorité des problèmes de caviardage rencontrés au cours de l’AIP ont été résolus par des discussions entre les avocats et grâce à la coopération des avocats concernés en vue de revoir des décisions portant sur des expurgations.

105. Il convient également de noter qu’en majeure partie, les expurgations imposées en raison du privilège relatif à un litige ont été par la suite retirées lorsque les plaignants ont abandonné leur recours civil contre le gouvernement.Note de bas de page 101 D’autres questions liées aux expurgations ont été résolues par des compromis créatifs. Néanmoins, certaines n’ont jamais été résolues.

106. Les problèmes de caviardage les plus frustrants ont surgi dans le contexte de la question problématique des revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat, qui ont été faites de manière généralisée. Étant donné que cette question a pris une importance singulière et a comporté non seulement le caviardage de documents, mais s’est aussi étendue aux témoignages oraux, elle est abordée séparément ci-dessous.

Privilège du secret professionnel de l’avocat

107. Un problème qui est revenu de manière sporadique et qui a suscité beaucoup de friction est celui de la revendication automatique et inconditionnelle par les avocats du MJ du privilège du secret professionnel de l’avocat, au nom du ministre de la Défense nationale, à l’égard de renseignements qui, à l’époque, paraissaient d’une pertinence capitale au mandat de la Commission.

108. Tout d’abord, il importe de reconnaître l’importance fondamentale de la doctrine du privilège du secret professionnel de l’avocat. Le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique à toutes les communications confidentielles qui se déroulent entre un avocat et son client en demandant ou en fournissant des conseils juridiques.Note de bas de page 102 Ce privilège est de nature générique, ce qui signifie qu’il s’applique dans tous les cas présumés de telles communications, et quiconque cherche à faire admettre de l’information privilégiée a le fardeau de démontrer pourquoi la communication ne devrait pas être protégée par ce privilège.Note de bas de page 103 Il n’y a que quelques exceptions limitées où le privilège ne s’applique pas ou sera outrepassé par un tribunal, comme dans le cas des conseils juridiques visant à faciliter la perpétration d’un crime ou d’une fraude ou lorsque le privilège ferait obstacle à des éléments de preuve qui pourraient constituer le seul moyen pour une personne accusée d’établir son innocence.Note de bas de page 104

109. La validité du privilège et la place particulière qu’il occupe dans le système de droit ne sont pas mis en cause. La raison fonctionnelle de la protection extraordinaire que confère le privilège du secret professionnel de l’avocat dans notre régime juridique découle de la nécessité de protéger les communications confidentielles du client dans le contexte de l’administration de la justice dans un système accusatoire.

110. Un client dont les communications confidentielles avec un avocat pourraient être exposées et divulguées contre sa volonté serait réticent à demander un avis juridique ou à se faire représenter par un avocat. Le privilège favorise la franchise entre le client et son conseiller juridique, il permet aux personnes et aux institutions qui ont besoin de conseils de prendre des décisions éclairées sur la façon de mener leurs affaires, et il facilite l’accès au système de justice. Bien que la protection des communications entre un avocat et son client contre la divulgation est presque absolue, ce privilège appartient au client (et non à l’avocat) et le client est libre d’y renoncer s’il le juge opportun, indépendamment de la volonté d’autrui, y compris l’avocat.Note de bas de page 105

111. Il y a trois grandes questions inhérentes aux préoccupations fondamentales de la Commission au sujet de la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat au cours de cette audience.

112. La première question a trait aux conseils reçus au sujet des enquêtes par les membres du SNEFC visés par la plainte. Cela englobe avant tout les conseils qui pourraient être à l’origine de la décision de conclure l’enquête de 2010 sans interviewer aucun témoin.

113. Dans le cadre de la présente audience, il importe de garder à l’esprit qu’il n’a aucunement été suggéré que des personnes visées par la plainte soient tenues de renoncer à leur privilège de confidentialité sur toute communication sollicitant des conseils juridiques en lien avec leurs propres intérêts ou leurs droits juridiques, et certainement pas en ce qui concerne les conseils demandés ou reçus en qualité de personnes visées par la plainte. La capacité des personnes visées par la plainte de compter sur le privilège du secret professionnel de l’avocat en vue de protéger leurs intérêts ne devrait pas être mise en cause et, à tout événement, il serait difficile de justifier que l’on outrepasse ce droit ou que l’on demande aux personnes visées par la plainte de renoncer d’elles-mêmes à ce privilège.

114. Cependant, les personnes visées par la plainte peuvent elles-mêmes, dans certains cas, souhaiter renoncer à ce privilège pour expliquer leurs actions. Il faut préciser que si les personnes visées par la plainte avaient souhaité faire valoir un avis juridique reçu pour expliquer ou justifier leurs actions, les avocats du MJ auraient été placés dans une situation difficile, compte tenu de la position de leurs clients des FC et du MDN, opposés à une telle renonciation de privilège.

115. Considérer que le ministre est le seul client dans l’optique du secret professionnel de l’avocat risque d’engendrer de sérieux problèmes pour les personnes qui, en réalité, ont sollicité ou reçu des conseils juridiques et dont les intérêts sont directement en jeu dans une AIP. Les personnes visées par la plainte semblent effectivement liées aux revendications insistantes du privilège du secret professionnel de l’avocat faites par leurs avocats du MJ parce que ceux-ci représentent simultanément le ministre et d’autres clients du gouvernement. Puisque la Commission n’a, à juste titre, pas le droit de s’enquérir d’aucune conversation survenue entre les personnes visées par la plainte et leurs avocats, elle – tout comme le public – ne peut que s’en remettre aux apparences. Comme il est impossible de savoir précisément quels intérêts sont défendus parmi les nombreux intérêts représentés par les avocats du MJ lorsqu’ils présentent des revendications de privilège, une incertitude peut subsister quant à la possibilité que, dans certains cas, la capacité des personnes visées par la plainte de répondre aux allégations portées contre elles ait été entravée.

116. Étant donné qu’il est absolument clair que ce type d’information va souvent au cœur du mandat de la Commission dans une audience d’intérêt public, il faudra peut-être envisager une solution qui permette à la Commission d’examiner cette information sans la rendre publique afin d’évaluer pleinement et équitablement la conduite des personnes visées par la plainte dans le contexte approprié.

117. La seconde question qui pose une préoccupation a trait aux revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat pour les conseils reçus par des membres des FC au cours des événements visés par l’enquête, et qui étaient connus des membres du SNEFC ou qui auraient dû être connus au terme d’une enquête approfondie. Ce qui a été demandé durant cette audience est d’avoir accès à l’information sur un certain nombre de décisions des FC pertinentes à la plainte des Fynes qui pourraient avoir fait intervenir des considérations juridiques. Parmi ces décisions, il y a la décision des FC de ne pas mettre en place une surveillance en vue de prévenir un suicide et la décision de reconnaître Mme A comme premier plus proche parent (PPPP) du cpl Langridge. Chacune de ces décisions était clairement et directement pertinente aux enquêtes policières visées par la plainte, et toute autre considération juridique serait, de même, pertinente à l’évaluation de la Commission du caractère raisonnable des enquêtes elles-mêmes. Pour la plupart, les renseignements demandés se trouvaient devant les enquêteurs au cours de leur enquête ou auraient pu être mis à leur disposition.

118. Dans le cas présent, le ministre a invoqué un privilège général et catégorique à l’égard de tout renseignement de nature juridique, soit dans des documents – qui ont été caviardés – soit au cours des témoignages oraux.

119. La Commission reconnaît et apprécie l’argument général à l’effet que si le privilège du secret professionnel de l’avocat avait régulièrement fait l’objet de renonciations ou de brèches, cela aurait pu se répercuter négativement sur la capacité du gouvernement d’avoir des discussions franches avec ses conseillers.Note de bas de page 106 Toutefois, la Commission a demandé une exemption limitée uniquement aux FC et au gouvernement du Canada et, en l’espèce, c’est la position prise par les FC et le gouvernement qui est préoccupante. Certains documents privilégiés ont été remis directement aux enquêteurs du SNEFC par les avocats comme étant des conseils juridiques, tandis que d’autres ont été divulgués comme des documents renfermant des conseils juridiques obtenus antérieurement par des membres du régiment. Dans les deux cas, il est probable que cela ait eu l’effet pervers de priver catégoriquement la Commission de l’accès à des documents et des communications qui ont été librement divulgués aux membres du SNEFC.

120. La troisième question concerne les revendications de privilège douteuses présentées lors des témoignages des avocats travaillant pour le bureau du JAG lorsqu’on leur a demandé d’exprimer leur point de vue individuel sur ce que la loi affirme. La portée de l’objection ressort du témoignage du Maj Rodney Fowler dans le cadre des efforts de la Commission visant à comprendre l’interprétation faite par les FC des principes juridiques régissant l’administration des successions des soldats décédés – une question qui est au cœur de la plainte des Fynes au sujet de l’enquête de 2009. En l’instance, la position des avocats du MJ semble avoir été que même le fait de demander au témoin le sens de l’expression « plus proche parent », telle que la concevaient à l’époque les FC dans l’administration des successions militaires des membres des FC, violerait le privilège du secret professionnel de l’avocat.

121. Les avocats du MJ sont allés plus loin en soutenant que même le fait de demander au témoin de fournir des renseignements factuels élémentaires pour savoir si oui ou non les officiers désignés avaient le droit de consulter sa section pour obtenir des conseils juridiques constituait une tentative « indirecte » inappropriée visant à présenter des renseignements privilégiés pour savoir quels conseils ont été donnés, et à qui.Note de bas de page 107 Le point de vue du MJ et du JAG semble être que le fait de répondre à ces questions soulèverait le risque de divulguer indûment tout conseil juridique n’ayant jamais été donné sur le sujet au sein de la branche du JAG. Cette position est illustrée par l’affirmation répétée du Maj Fowler à l’effet que répondre à des questions sur des sujets juridiques relevant de son expertise l’amènerait à « avoir à se prononcer » sur une question de droit, ce qui relève du mandat du JAG en tant que conseiller des FC,Note de bas de page 108 et qu’il ne pouvait ainsi répondre [traduction] « parce qu’il dévoilerait une communication confidentielle entre un avocat et son client ».Note de bas de page 109

122. Le 23 mai 2012, la Commission a entendu les observations sur la question de savoir s’il avait compétence pour rendre des décisions sur des questions touchant au privilège du secret professionnel de l’avocat. L’avocate du MJ a présenté des observations détaillées sur ce point, mais, compte tenu de la portée de la motion débattue, elle n’était pas en mesure de présenter des observations sur la validité des objections qu’elle avait soulevées lors du témoignage du Maj Fowler. Elle a demandé que, dans l’éventualité où la Commission déterminerait qu’elle a compétence pour rendre des décisions sur le privilège du secret professionnel de l’avocat, des observations soient alors entendues sur le bien-fondé de ces objections.Note de bas de page 110

123. La Commission n’a finalement pas rendu de décisions sur cette question et, en conséquence, n’a pas entendu d’observations sur la validité des revendications elles-mêmes. Incidemment, il pourrait y avoir de bonnes raisons justifiant la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat dans cette affaire, dont la Commission n’est pas informée. Toutefois, la Commission éprouve beaucoup de difficulté à accepter sans réserve ces revendications. Certes, le privilège du secret professionnel de l’avocat ne peut s’appliquer à l’interprétation que font les FC de la loi qu’elles appliquaient. On ne peut prétendre que les FC avaient le droit d’administrer les successions militaires en fonction d’interprétations juridiques qui ont été ou qui pourraient être dissimulées au public, donnant ainsi l’impression que les FC avaient le droit d’administrer une « loi secrète » sur les successions militaires qui a des répercussions sur des vies et des familles réelles.

124. De l’avis de la Commission, il n’y a pas de véritable conflit entre le devoir d’un avocat de maintenir le privilège sur les communications confidentielles avec des clients ayant trait à des conseils juridiques et la liberté qu’a l’avocat d’émettre publiquement une opinion générale sur l’état de la loi. Cependant, même si un tel conflit existait, c’est précisément le genre de renseignements qui devraient être exemptés car ils vont au cœur des décisions prises par les enquêteurs du SNEFC et des conclusions auxquelles ils en sont arrivés. Dans les cas où les enquêteurs du SNEFC s’appuient de bonne foi sur des renseignements de nature juridique dans la conduite de leurs enquêtes, ils devraient être en mesure d’invoquer ces renseignements quand ils répondent aux allégations formulées à leur endroit devant la Commission. Peu importe que ces situations se soient produites au cours des diverses enquêtes du SNEFC dans cette affaire, le principe demeure important.

125. Les positions prises à l’appui de ces vastes revendications de privilège semblent très éloignées des fins généralement reconnues comme sous-tendant ce privilège. Plus important encore, dans la mesure où elles entravent l’accès à l’information qui a été ou qui aurait sans doute dû être examinée durant les enquêtes visées par les plaintes, ces revendications systématiques semblent en contradiction directe avec le mandat de surveillance de la Commission. Pour que celle-ci puisse évaluer la rigueur et la compétence technique de ces enquêtes, elle doit avoir accès à l’information qui a été ou qui aurait dû être en possession des enquêteurs.

126. Dans l’esprit des commentaires publics du ministre de la Défense nationale lorsqu’il a réitéré l’engagement du gouvernement à coopérer pleinement avec la Commission, celle-ci lui a écrit le 18 juin 2012 pour chercher un compromis pragmatique à l’impasse.Note de bas de page 111 La Commission a reconnu que la loi autorise le ministre, comme « client » ultime et titulaire, au nom du gouvernement du Canada, du privilège de renoncer à la confidentialité, soit de façon générale soit pour certaines communications spécifiques. Plutôt que d’embrasser le cadre juridique des revendications de privilège, qui comprenaient certaines revendications très étendues et qui risquait d’entraîner de longues procédures contradictoires, la Commission a écrit au ministre de la Défense nationale pour lui demander d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer à la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat sur une base limitée.Note de bas de page 112

127. Dans le passé, le ministre a reconnu l’utilité de cette doctrine, et a effectivement accordé une dérogation pour un avis juridique lié à une affaire entendue devant la Commission afin de faciliter l’exercice du mandat de la Commission dans une enquête d’intérêt public.Note de bas de page 113

128. La renonciation demandée pour la présente AIP se serait appliquée uniquement à des communications allant spécifiquement au cœur du sujet que l’AIP visait à examiner. En raison du préjudice potentiel pour les personnes visées par la plainte découlant de leur incapacité éventuelle à discuter des conseils juridiques qu’elles ont examinés ou sur lesquels elles se sont appuyées, la Commission a aussi expressément demandé au ministre d’envisager de renoncer à toute revendication de privilège à l’égard de renseignements qui pourraient être utiles aux personnes visées par la plainte au moment d’expliquer leurs actions.Note de bas de page 114

129. Le 21 juin 2012, la Commission a reçu la réponse de l’honorable Peter MacKay, alors ministre de la Défense nationale. Le ministre refusait de renoncer à toute revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat en expliquant que, dans l’état de la loi, une telle renonciation était extrêmement rare. Il fondait cette conclusion sur la jurisprudence et affirmait que le privilège du secret professionnel de l’avocat revêtait une importance critique pour l’administration de la justice au Canada, citant une décision de la Cour suprême du Canada, selon laquelle le secret professionnel de l’avocat doit rester « [...] aussi absolu que possible »,Note de bas de page 115 pour justifier des normes rigoureuses en vue d’assurer sa protection. Le ministre est arrivé à la conclusion que la requête de la Commission lui demandant de renoncer à revendiquer le privilège du secret professionnel de l’avocat :

[traduction]
[...] n’était ni justifiée ni opportune dans ce cas. Une telle renonciation ne serait pas conforme à l’état de la loi au Canada ou à la pratique quasi-absolue du maintien de la confidentialité des communications entre un client et son conseiller juridique.Note de bas de page 116

130. Bien que la Commission reste d’avis qu’il n’y avait clairement pas d’obstacle juridique empêchant le ministre, qui revendique seul le statut de « client », de renoncer au privilège, du fait que le client peut le faire à tout moment et pour n’importe quelle raison, la Commission reconnaît par ailleurs qu’il relevait de sa discrétion de décider de refuser la demande de renonciation limitée. Toutefois, alors que le ministre revendique seul le statut de « client » aux fins de la renonciation, la vraie question qui se pose à l’égard de toute communication donnée susceptible de faire intervenir le privilège du secret professionnel de l’avocat est la suivante : devrait-il y avoir une renonciation de privilège si celle-ci est nécessaire pour une audition complète et équitable de la preuve qui ne causera aucun préjudice? Un refus de renoncer au privilège du secret professionnel de l’avocat peut priver la Commission et les parties de nombreux renseignements ayant une importante capitale pour le mandat de la CPPM.

131. Dans le cas où il y a impasse, comme cela est arrivé dans cette instance, le recours légal consisterait à soumettre à la Cour fédérale du Canada, soit directement soit par le biais d’une révision judiciaire, les questions relatives à la compétence de la Commission et à la validité de la revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat. Une telle procédure retarderait considérablement la progression d’une AIP – probablement de plusieurs mois – et son règlement entraînerait des coûts élevés pour la Commission, les parties et le gouvernement. Un tel détour empêcherait inévitablement la Commission de s’acquitter de son mandat statutaire, qui l’oblige « [D]ans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, [à] donner suite aux plaintes dont elle est saisie avec célérité et sans formalisme ».Note de bas de page 117

132. Comme il s’est avéré, des témoignages subséquents ont situé l’importance de certains des renseignements juridiques demandés dans une perspective quelque peu différente. Le sgt Shannon a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas sollicité de conseils juridiques durant l’enquête de 2009 et avait mené ses propres recherches juridiques sur la question du plus proche parent.Note de bas de page 118 Pour ce qui est de l’exposé qu’il a préparé à l’intention de la chaîne de commandement sur les conclusions de l’enquête de 2010, on ne sait pas si le sgt Shannon s’est appuyé sur l’avis juridique déjà obtenu par le cplc Mitchell sur la question des infractions potentielles. Dans la mesure où une analyse juridique externe ou une opinion externe a joué un rôle dans la décision antérieure de fermer le dossier sans procéder à une enquête, elle ne pouvait que s’appuyer sur les renseignements recueillis aux fins du dossier. La Commission a trouvé que ces renseignements étaient incomplets et contenaient de nombreuses erreurs factuelles.Note de bas de page 119 En ce qui concerne l’enquête de 2008, la preuve indique que les enquêteurs qui ont examiné ou auraient pu examiner les éléments de preuve ne se sont jamais penchés sur la question de l’autorité des FC d’exercer une surveillance préventive en raison du risque de suicide ou de toute considération légale qui aurait été pertinente à une telle décision. Qui plus est, ils n’ont interrogé aucune des personnes qui auraient pu recevoir directement un avis juridique sur ces questions.Note de bas de page 120

133. Tous ces facteurs ont contribué à réduire, même s’ils n’ont pas éliminé, l’importance du contenu de toute information juridique reçue par le FC ou le SNEFC dans l’évaluation des trois enquêtes du SNEFC.

134. En dernière analyse, la Commission a été en mesure de s’acquitter adéquatement de son rôle de surveillance dans le cas des plaintes des Fynes, même en l’absence des renseignements juridiques initialement demandés. C’est un aboutissement heureux et quelque peu fortuit, mais qui ne diminue aucunement la préoccupation à l’égard des revendications de privilège. Il aurait quand même été préférable que la Commission dispose de ces informations pour faire un examen plus complet de ces questions, notamment en ce qui concerne l’enquête de 2010. Les renseignements demandés étaient pertinents et importants au mandat de la Commission, et ils le demeurent. Dans l’avenir, un refus systématique similaire de la part du ministre de renoncer au privilège pourrait avoir un impact encore plus grave sur les travaux de la Commission.

135. La Commission continue de croire que le ministre doit examiner les demandes de dérogation au cas par cas et, à moins d’un préjudice réel, le privilège devrait être levé afin de permettre à la Commission de s’acquitter de son mandat de surveillance. Lorsque, comme cela peut parfois être le cas, les risques perçus d’une renonciation sont trop grands, la possibilité de permettre à la Commission de consulter des renseignements sans les divulguer publiquement afin de pouvoir s’acquitter de son mandat ne doit pas être écartée. La « renonciation limitée » au privilège est une notion certes bien comprise dans la loi canadienne, en ce sens que la divulgation d’une communication privilégiée dans un but spécifique ne signifie pas qu’elle peut être utilisée à d’autres fins.Note de bas de page 121 De même, il est possible de divulguer un document confidentiel à des conditions strictes tout en préservant l’intention de ne pas renoncer au privilège.

136. De récents développements législatifs montrent clairement qu’un régime d’exemption limitée est entièrement compatible avec la grande valeur que l’on accorde au privilège du secret professionnel de l’avocat, d’une part, et les fonctions de surveillance de la police, de l’autre. Cette Commission, créée en vertu de la Loi sur la défense nationale, s’inspire du modèle de la Commission des plaintes du public contre la GRC, qui a été créée aux termes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.Note de bas de page 122 La Commission note que le Loi sur la GRC a récemment été modifiée dans le cadre du projet de loi C-42Note de bas de page 123 pour permettre à la Commission des plaintes du public contre la GRC d’avoir accès à des renseignements couverts par le privilège du secret professionnel de l’avocat, et par d’autres revendications de privilèges.Note de bas de page 124 Lorsque ces modifications entreront en vigueur, les paragraphes 45.4(2) et (3) stipuleront que :

2) Malgré la confidentialité des renseignements protégés, la Commission a un droit d’accès à ceux d’entre eux qui relèvent de la Gendarmerie ou qui sont en sa possession, s’ils sont pertinents et nécessaires pour l’examen visé aux articles 45.34 ou 45.35 ou pour une enquête, une révision ou une audience tenue sous le régime de la partie VII.
(3) Le droit d’accès de la Commission comprend le droit de consulter tout ou partie des documents et, sous réserve de l’approbation du commissaire, d’obtenir des copies de tout ou partie de ceux-ci.Note de bas de page 125[Caractère gras ajouté]

137. En vertu de l’article 45.41 de la Loi sur la GRC modifiée, si le commissaire de la GRC refuse d’accorder à la Commission des plaintes du public contre la GRC l’accès à des renseignements privilégiés, il est possible de recourir à un mécanisme de conciliation; ce mécanisme prévoit qu’à la demande de la Commission, le ministre nomme un conciliateur (p. ex. un ancien juge de la cour supérieure d’une province ou de la Cour fédérale).Note de bas de page 126 Le conciliateur examine ensuite les renseignements privilégiés et présente des observations sur ces renseignements ainsi que leur pertinence et leur nécessité pour l’audition de l’affaire qui se trouve devant la Commission. Si, après avoir reçu ces observations, les parties ne peuvent s’entendre sur les renseignements privilégiés, elles peuvent demander une révision judiciaire.

138. La Commission des plaintes du public contre la GRC n’aura pas un accès illimité aux renseignements privilégiés, pas plus qu’il y aura renonciation de privilège en raison de l’accès à des renseignements privilégiés. Conformément à l’article 45.43 de la Loi sur la GRC modifiée, la Commission des plaintes du public contre la GRC ne peut pas utiliser les renseignements privilégiés à d’autres fins que celle pour laquelle l’accès a été accordé et, en vertu du paragraphe 45.47(2), elle ne peut divulguer ces renseignements à quiconque autre que certaines personnes (comme le ministre ou le procureur général si ces renseignements sont requis dans une procédure pénale).Note de bas de page 127 En outre, le nouveau paragraphe. 45.44(2) prévoit que lorsque la Commission des plaintes du public contre la GRC prépare un document ou un rapport destiné à être diffusé, ce document doit être examiné par le commissaire pour s’assurer qu’il ne contient pas de renseignements privilégiés avant d’être publié ou diffusé. Même si ce système est un peu compliqué, voire alambiqué, pour l’examen de renseignements privilégiés entre un avocat et son client, les modifications apportées constituent une reconnaissance explicite de la possibilité de concevoir un mécanisme pragmatique et fonctionnel de renonciation limitée à un privilège dans le but de faciliter le travail d’un organisme de surveillance de la police.

Déclarations et réponses à la CE et à l’ES

139. Il devrait maintenant être évident que le mandat de surveillance de la Commission l’oblige à être en mesure de recevoir et de passer en revue toute information qui était disponible aux enquêteurs dans n’importe quelle affaire où la Commission a été chargée d’enquêter. Pour cette raison, un autre obstacle au niveau de la preuve pour l’AIP a été l’insistance rigoureuse, à la lettre de la loi, des avocats du gouvernement sur l’irrecevabilité absolue des déclarations et des réponses données par les témoins au cours d’une CE ou d’une ES, même si cette information a été fournie aux enquêteurs du SNEFC.

140. Au cours de l’enquête de 2009, le cplc Mitchell a obtenu du SOFT un projet de rapport de la CE examinant les circonstances du décès du cpl Langridge, qui renfermait des conclusions étendues reposant sur la preuve entendue par la CE.Note de bas de page 128 Les conclusions et les faits à l’appui étaient directement liés au témoignage de certains témoins. Le cplc Mitchell a également reçu du SOFT le rapport et les annexes à l’ES menée sur les mesures administratives prises par l’unité après le décès du cpl Langridge.Note de bas de page 129 Ces documents totalisent plus de 575 pages, et y figurent, entre autres, les questions remises par le Maj Chenette (qui a mené l’ES) à un grand nombre de témoins du LdSH concernant les événements qui ont suivi le décès, ainsi que les réponses qu’ils ont fournies.Note de bas de page 130

141. Les documents obtenus par le SNEFC étaient clairement pertinents aux enquêtes de 2009 et 2010, étant donné qu’ils fournissaient une mine d’information sur les personnes visées par la plainte dans ces mêmes cas. Les documents ont été numérisés dans le SISEPM et les enquêteurs affectés à ces dossiers les ont passés en revue. Par conséquent, le rapport de la CE et le rapport et les annexes de l’ES étaient manifestement pertinents et importants pour le travail de la Commission.

142. Le paragraphe 250.41(2) de la Loi sur la défense nationale interdit à la Commission de recevoir ou d’accepter certains éléments de preuve :

  1. des éléments de preuve ou autres renseignements non recevables devant un tribunal du fait qu’ils sont protégés par le droit de la preuve;
  2. les réponses ou déclarations faites devant une commission d’enquête ou dans le cadre d’une enquête sommaire;
  3. les réponses ou déclarations d’un témoin faites au cours de toute audience tenue en vertu de la présente section pour enquêter sur une autre plainte qui peuvent l’incriminer ou l’exposer à des poursuites ou à une peine;
  4. les réponses ou déclarations faites devant un tribunal;
  5. les réponses ou déclarations faites dans le cadre d’une tentative de règlement amiable en vertu du paragraphe 250.27(1).Note de bas de page 131 [Caractère gras ajouté]

143. Le ministère de la Justice a adopté la position qu’aucune information fournie par les témoins de la CE ou de l’ES n’était recevable en vertu du paragraphe 250.41(2) de la LDN. Tous ces renseignements ont été expurgés, ce qui signifie que de grandes portions du dossier d’EG de 2009 étaient essentiellement des pages obscurcies. Les avocats de la Commission ont fait valoir que la disposition de la LDN n’interdisait pas d’admettre cette information dans le but limité de démontrer quels renseignements étaient à la disposition des membres du SNEFC au cours de leurs enquêtes, même si les déclarations elles-mêmes ne pouvaient être utilisées en preuve de ce qu’un témoin avait effectivement dit dans le but de tirer des conclusions. Pendant un certain temps, cette question en est venue à une impasse.

144. Un compromis est finalement survenu pour admettre certains des renseignements en question au moyen de résumés convenus. Un des documents renfermait une liste des questions posées aux témoins au cours de l’ES.Note de bas de page 132 Les avocats du MJ ont convenu avec les avocats de la Commission que cette liste ne devrait pas être expurgée puisqu’elle n’était pas inadmissible en vertu d’aucune disposition de la LDN. Ces questions ont été admises textuellement, sauf lorsqu’une question pouvait permettre d’identifier les réponses fournies par un témoin en particulier. Ces questions étaient importantes en raison de la possibilité que la conduite de l’ES, qui avait eu lieu avant toute enquête du SNEFC sur les mêmes questions, ait contaminé certains témoins en raison de la nature de ces questions.Note de bas de page 133 Le second document renfermait un résumé général de l’information que les témoins de l’ES avaient fournie.Note de bas de page 134 Tout renseignement permettant de dire quel témoin avait fourni quelle information a été remanié ou omis. Ni les avocats de la Commission ni le ministère de la Justice ne considéraient le compromis comme étant en dérogation ou en contradiction de leurs positions opposées respectives sur l’interprétation appropriée du paragraphe 250.41(2) de la Loi sur la défense nationale.

145. Des compromis importants ont été faits en lien avec ce résumé global. Cependant, même si les documents qui en sont issus n’ont satisfait entièrement personne, le compromis a empêché des retards et a permis de recevoir des renseignements importants et pertinents.

146. La lecture faite par le ministère de la Justice de la restriction prévue à l’alinéa 250.41(2)b) de la LDN a eu pour effet, encore une fois, de priver la Commission de la possibilité d’examiner des documents auxquels le SNEFC avait eu accès au cours de ses enquêtes. Plus précisément, la Commission s’est même vue empêchée d’examiner des documents aux fins de déterminer quels renseignements le SNEFC avait eu en sa possession (et non aux fins d’établir la véracité de leur contenu). Ici aussi, le mandat confié à la Commission de traiter informellement et avec célérité les questions qui se trouvent devant elle est pertinent,Note de bas de page 135 parce que l’interprétation proposée de cette disposition peut causer des délais importants et accroître la complexité et hausser les coûts d’une AIP (p. ex. en intervenant de facto comme une « règle de la meilleure preuve », entraînant des frais pour entendre tous les témoignages, même ceux qui sont incontestables). Les interdictions contribuent également à entraver un outil important pour mettre à l’épreuve la fiabilité et la crédibilité d’un témoin, au détriment de la capacité et du devoir de la Commission de découvrir la vérité.

147. Malgré ces aspects problématiques des interdictions de la LDN, le compromis conclu dans la présente affaire illustre les avantages d’une approche coopérative, axée sur la résolution des problèmes, qui atténue en partie l’impact potentiellement préjudiciable de la disposition. La Commission espère bien que la voie du compromis sera empruntée plus souvent et, lors des audiences futures, le gouvernement pourrait adopter une approche plus souple afin de reconnaître la distinction qui existe entre accepter des déclarations pour établir la véracité de leur contenu et les accepter pour confirmer que des déclarations ont été faites.

Problèmes particuliers de gestion des documents découlant du SISEPM

148. La Commission a fait face à un certain nombre de problèmes de gestion documentaire spécifiquement liés au caractère unique et aux particularités de SISEPM, la base de données informatisée de la police militaire dans laquelle les documents d’enquête sont sauvegardés et conservés.Note de bas de page 136 Le SISEPM est un système de gestion des dossiers de police développé par la firme Versaterm, et constitue une version personnalisée d’un système commercial cédé sous licence aux services de police partout en Amérique du Nord.Note de bas de page 137

149. Les problèmes liés au SISEPM sont distincts des questions de production de documents évoqués précédemment dans ce chapitre. Ils pourraient se reproduire dans les procédures d’AIP futures à moins qu’on ne les règle spécifiquement. Beaucoup de temps et d’attention a été consacré à l’audience pour tenter de comprendre la nature de ces problèmes et, dans certains cas, les réponses faisaient toujours défaut malgré les efforts déployés par toutes les parties concernées pour aller à la racine de ces problèmes.

150. Le 26 juin 2012, la Commission a entendu un groupe de témoins appelés à témoigner au sujet du SISEPM et de la gestion et de la divulgation de dossiers d’EG (le « comité sur les dossiers d’EG »).Note de bas de page 138 Bien que l’opinion des membres du comité sur les dossiers d’EG ait été que le système SISEPM était « très fiable »,Note de bas de page 139 des problèmes subsistent sans aucun doute. La preuve amassée par le comité sur les dossiers d’EG a montré qu’entre les imperfections du SISEPM et le simple risque d’erreur humaine (qui peut être inévitable malgré la diligence manifeste de l’officier de liaison CPPM du GPFC et de toutes les personnes responsables des suppressions et de la divulgation en vertu de l’AIPRP), le SISEPM peut produire des résultats imprévisibles. En raison de la nature systémique de cette question, on peut s’attendre à ce que la divulgation de versions potentiellement incomplètes et/ou incohérentes de dossiers d’EG se reproduise dans le cadre de plaintes futures. À moins que ce problème ne soit résolu, il sera difficile pour la Commission d’avoir confiance dans l’intégralité de la divulgation, et pour la Commission et les parties d’apprécier et d’évaluer correctement les faits dans une enquête.

Plusieurs versions de dossiers d'EG

151. Le problème fondamental est qu’il y a un certain nombre de scénarios dans lesquels les pages peuvent ne pas s’imprimer lors de la divulgation d’un dossier d’EG, et qu’il n’y a aucune garantie que ces omissions seront perçues par les personnes qui examinent les dossiers avant de les divulguer à la Commission. Au moins quelques-uns de ces scénarios ont eu un impact sur les documents fournis à la Commission. Tout au long des délibérations, la Commission a reçu plusieurs versions des dossiers d’événements courants pour les enquêtes en question. Il est devenu évident qu’il y avait des différences dans le nombre de pages entre les versions expurgées et non expurgées des dossiers d’EG, et ces différences ne pouvaient s’expliquer simplement par les suppressions qui avaient été faites.Note de bas de page 140 Ces questions ont finalement été résolues par une divulgation subséquente.Note de bas de page 141

152. La Commission a demandé des explications sur les différentes versions des dossiers d’EG pour les trois enquêtes remis à la Commission et aux plaignants.Note de bas de page 142 Le problème n’était pas que des pages avaient été délibérément retenues, mais plutôt qu’elles étaient inexplicablement absentes de la version divulguée.

153. La préoccupation de la Commission est de veiller à ce que le registre de l’audience reflète pleinement tous les documents qui figurent dans le système électronique et qui sont à la disposition des membres de la police militaire ayant participé à l’enquête.Note de bas de page 143 Par conséquent, la Commission a demandé des renseignements sur le fonctionnement du SISEPM, de même que des explications sur les divergences et des précisions sur les mesures mises en place par la police militaire pour s’assurer que les problèmes de divulgations incomplètes ou de pages manquantes ne se reproduisent plus.

154. Selon le processus de divulgation en place, lorsqu’une demande pour un dossier d’EG est reçue, l’officier de liaison du GPFC entre d’abord en contact avec l’unité de la police militaire concernée pour s’assurer que tous les documents liés à ce dossier ont été numérisés.Note de bas de page 144 Une « autorisation » est alors donnée au système. Pour une divulgation destinée à la CPPM, tous les renseignements sauf ceux protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat doivent être inclus. Étant donné que la fonction d’autorisation du SISEPM sélectionne automatiquement tous les documents figurant dans le dossier d’EG en vue de les divulguer, les documents privilégiés doivent être identifiés visuellement et manuellement désélectionnés par l’opérateur.Note de bas de page 145 Cela signifie qu’habituellement, on devrait s’attendre à ce que tous les documents qui peuvent être divulgués à la Commission soient inclus dans la version divulguée.Note de bas de page 146

155. Il y a néanmoins certains problèmes inhérents au processus en ce qui concerne les documents privilégiés. Lorsque des renseignements sont marqués par la personne qui les entrent comme étant protégés en vertu du privilège du secret professionnel de l’avocat, mais qu’ils renferment effectivement une combinaison de renseignements privilégiés et non privilégiés, la Commission craint que, par inadvertance, la totalité de cette entrée ne soit pas imprimée. Le témoignage du comité indique que la totalité d’une zone de texte sera désélectionnée si tout le contenu a trait à un avis juridique.Note de bas de page 147 Cela ouvre la porte à des erreurs de jugement ayant pour résultat que des entrées entières ne seront pas divulguées, même si quelques passages seulement auraient dû être supprimés. En outre, lorsque des zones de texte ou d’autres documents contenant des avis juridiques ont été expurgés manuellement, il est possible de voir clairement que quelque chose a été retiré;Note de bas de page 148 toutefois, dans d’autres cas, les entrées marquées comme étant privilégiées sont désélectionnées aux fins de l’impression, ce qui signifie qu’il n’y a aucune indication que les documents radiés du dossier existent mais n’ont pas été inclus.Note de bas de page 149

156. Même si chaque entrée marquée comme étant privilégiée est examinée par l’agent de liaison pour déterminer si un document a été identifié incorrectement – ou n’a pas été identifié comme étant privilégié alors qu’il aurait dû l’être – toutes les entrées ne sont pas nécessairement examinées par des personnes ayant la formation juridique requise pour déterminer si la revendication de privilège peut ou doit être invoquée.Note de bas de page 150

157. Beaucoup d’autres problèmes liés à la production des dossiers d’EG découlent des particularités du SISEPM. Les entrées dans un dossier d’EG comprennent souvent des documents numérisés ou ajoutés au dossier.Note de bas de page 151 C’est là que les imperfections du système entrent en jeu. Dans bien des cas, les documents numérisés ou ajoutés ne figureront pas dans la version finale imprimée ou dans le fichier PDF divulgué.Note de bas de page 152 En règle générale, la version imprimée comprendra une note indiquant que des pages manquent, et l’opérateur pourra alors les imprimer manuellement.Note de bas de page 153 Cependant, dans certains cas, selon la façon dont le document a été joint au dossier à l’origine, il pourrait n’y avoir aucune indication dans la version imprimée de l’existence d’un document manquant.Note de bas de page 154

158. Cela veut dire que, suivant un certain nombre de facteurs, les dossiers d’EG imprimés sont souvent incomplets, du moins au début. Il semble n’y avoir aucun moyen facile d’assurer l’intégrité du contenu du dossier divulgué. La découverte et la remise de tous les documents manquants supposent des étapes supplémentaires, dont un examen complet du dossier d’EG pour trouver des références aux fichiers ou aux enregistrements manquants.Note de bas de page 155 Le comité sur les dossiers d’EG a affirmé que la plupart des divergences dans les différentes versions des dossiers d’EG fournis à la Commission étaient probablement une conséquence de ces problèmes, en plus du fait que l’on aurait peut-être omis d’intégrer manuellement certaines images manquantes.Note de bas de page 156 Néanmoins, certaines divergences n’ont tout simplement pu être expliquées.Note de bas de page 157

159. Il est difficile de concilier les différences entre les autorisations de divulguer des dossiers d’EG à cause de la façon dont le SISEPM organise les extrants. Lors de l’autorisation d’une divulgation, le SISEPM détermine l’ordre dans lequel les documents seront imprimés et leur attribue des numéros de page.Note de bas de page 158 Cependant, les numéros de pages sont uniquement définis en termes relatifs, en fonction des pages envoyées à l’imprimante et non pas du nombre total de pages figurant dans le dossier d’EG. Cela signifie qu’un document donné peut apparaître sur une page différente dans chaque version divulguée et si, pour une raison quelconque, un fichier n’est pas sélectionné pour l’impression ou si les pages ne s’impriment pas, il n’y aura pas de saut de numéros de page pour indiquer qu’il manque une partie du dossier.

160. En fin de compte, par suite des demandes présentées, la Commission est dans l’ensemble satisfaite que tous les documents des dossiers d’EG des trois enquêtes en cause aient maintenant été produits. Les oublis qui ont fait en sorte que toutes les pages n’ont pas été produites au départ ne sont pas surprenants vu le grand nombre de pages à traiter et le processus de rapprochement des pages sujet aux erreurs humaines. Toutefois, ils font ressortir la perspective décourageante que ces problèmes risquent d’être récurrents, voire systémiques. Sans mettre en faute les personnes concernées, les renseignements révélés par le comité sur les dossiers d’EG ont révélé la malencontreuse réalité que le processus de divulgation est inefficace et vulnérable aux erreurs.

161. Le fait qu’il y ait tellement de possibilités que des pages entières ne soient pas divulguées malgré les efforts de bonne foi et la diligence des personnes concernées est très préoccupant. Dans cette veine, même s’il est clair que les problèmes du SISEPM ne résultent pas de la mauvaise foi ou d’une intention de dissimuler de l’information, les faiblesses du système ont laissé les plaignants avec l’impression que le SNEFC possédait une « double version des dossiers »Note de bas de page 159 parce qu’il y avait des divergences si importantes et inexplicables entre ce qui se trouvait sur les mêmes pages des différentes versions des dossiers d’EG qu’ils ont reçus.Note de bas de page 160 Des efforts pour résoudre ces questions aideraient à éviter toute impression future que le SNEFC cherche à cacher de l’information chez les victimes, les plaignants ou les familles.

SISEPM et « dates connexes »

162. Un autre problème du SISEPM qui risque d’influer sur l’intégrité de la preuve reçue par la Commission a trait aux dates figurant sur les entrées dans les dossiers d’EG. Selon les renseignements fournis par le comité sur les dossiers d’EG, plus d’une date est attribuée généralement à une entrée dans le SISEPM.Note de bas de page 161 Ainsi, un enquêteur peut prendre la déposition d’un témoin, mais ne l’entrer que plusieurs semaines plus tard dans le SISEPM. L’entrée du SISEPM sera automatiquement horodatée à la date du jour de l’entrée, mais l’utilisateur pourra aussi lui attribuer la date à laquelle la déclaration a été reçue. Toutefois, lorsque le dossier d’EG est imprimé, seule la date attribuée par l’utilisateur s’affiche.Note de bas de page 162 Elle apparaît en haut de l’entrée dans le dossier d’EG sous le nom de l’auteur, à la rubrique « date connexe ».Note de bas de page 163

163. Le problème qui se pose est que l’entrée ne donne aucune indication à quiconque examine le dossier d’EG de la date à laquelle l’entrée a été faite. Seule la « date connexe » attribuée est connue. Cela signifie que, du point de vue de la personne qui lit un dossier d’EG divulgué, une entrée peut sembler être plus contemporaine qu’elle ne l’est en réalité. Au cours du témoignage du Matc McLaughlin, par exemple, on lui a demandé de regarder l’entrée qu’il avait faite pour une « activité d’enquête » concernant une rencontre avec l’enquêteur de l’Ombudsman du MDN et des FC, M. Patrick Martel. Le champ « date connexe » pour cette entrée indique le vendredi 18 décembre 2009, soit la date de la rencontre.Note de bas de page 164 Le Matc McLaughlin ne pouvait plus se rappeler quand cette entrée avait été faite.Note de bas de page 165 Des métadonnées du SISEPM fournies à la Commission ont montré que l’entrée avait été faite le 15 janvier 2010,Note de bas de page 166 soit près d’un mois après la tenue de la rencontre.

164. Le Matc McLaughlin a fait cette entrée de mémoire et sans le bénéfice de notes écrites.Note de bas de page 167 L’importance de ce laps de temps est le fait que son souvenir de la rencontre diffère de celui de M. Martel sur certains points importants – en particulier, l’entrée du Matc McLaughlin affirme clairement que M. Martel a identifié le Capt Lubiniecki comme ayant été négligent en nommant le « mauvais » plus proche parent,Note de bas de page 168 tandis que M. Martel nie catégoriquement cela.Note de bas de page 169 Le fait qu’il est impossible de savoir, en consultant simplement l’entrée dans le dossier d’EG, quand ce résumé a été rédigé signifie que l’on pourrait penser à tort que la personne qui a créé le document l’a fait presque immédiatement après les événements décrits, et donc avec un souvenir exact de ce qui s’y était passé.

165. S’il fallait réconcilier des versions contradictoires d’un élément de preuve, il se peut qu’un poids plus important soit attribué à la preuve documentaire (ou au témoignage qui en découle si elle est utilisée pour rafraîchir la mémoire d’un témoin) en se basant sur cette hypothèse erronée, par comparaison avec le poids qui pourrait lui être attribué si on apprenait qu’une entrée a été faite un certain temps après les événements discutés, sans l’aide de notes ou d’un enregistrement. Pour être clair, il n’est pas suggéré ici que le Matc McLaughlin a mal agi d’une quelconque façon. Ce qui importe est que la Commission, en tant qu’organisme de révision, (ou qu’un juge de première instance dans une poursuite pénale) pourrait, par inadvertance, être induit en erreur quand de telles entrées sont divulguées et que le policier n’a aucun souvenir du moment auquel il a fait ces entrées.

166. De même, le Matc McLaughlin a produit un résumé de la plainte pour le dossier d’EG 2009 après que lui-même et le Maj Dandurand se soient entretenus avec les plaignants. Le Matc McLaughlin croit qu’il a fait cette entrée « [...] presque immédiatement après ou le lendemain de »Note de bas de page 170 la rencontre, qui a eu lieu le 28 novembre 2009. L’entrée montre aussi la « date connexe » du 28 novembre 2009. Cependant, sur la base des renseignements provenant des métadonnées du SISEPM fournis à la Commission dans un affidavit de M. Beaulieu (le gestionnaire du Centre national des archives de la police militaire, administrateur du SISEPM et membre du comité sur les dossiers d’EG), le synopsis de la plainte a été effectivement entré le 12 janvier 2010, soit un mois et demi après la rencontre avec les FynesNote de bas de page 171

167. En évaluant la fiabilité ou le poids à accorder à une entrée dans le dossier d’EG, il est très pertinent pour la Commission de savoir combien de temps après les événements l’entrée a-t-elle été faite et quels documents ont été utilisés pour la rédiger. En raison de la façon dont le système imprime les entrées, la Commission n’est pas en mesure de savoir facilement si les entrées sont contemporaines ou si d’autres questions doivent être posées à propos de la nature des documents utilisés pour rafraîchir la mémoire de la personne interrogée. Un témoin de la police militaire pourrait chercher à se rafraîchir la mémoire sur des événements passés à partir d’un document qu’il ou elle croit sincèrement (mais à tort) avoir écrit sur le champ et, à défaut de faire des vérifications supplémentaires onéreuses, il n’y aura aucune indication de la date véritable à laquelle ce document a été rédigé.

168. Les particularités inhérentes à la conception et au fonctionnement du SISEPM soulèvent de graves préoccupations au sujet de l’intégrité et de l’exactitude des dossiers du SISEPM divulgués aux tribunaux, à la Commission ou à des tiers. Il faudrait envisager de travailler avec le concepteur du logiciel sous-jacent afin de répondre à ces préoccupations.

III. Exposé des faits

Premières années et historique de la carrière militaire

1. Stuart Langridge est né à Surrey, en Colombie-Britannique, le 26 mars 1979.Note de bas de page 172 Sa mère et son père biologique ont divorcé quand Stuart avait cinq ans. Sa mère, Sheila a rencontré Shaun Fynes lorsque Stuart avait six ans, et ils se sont ensuite mariés. M. Fynes a été continuellement présent dans la vie de Stuart à partir de ce moment-là, et celui-ci a profité d’une famille biparentale durant la plus grande partie de sa vie. Il avait aussi deux frères avec qui il était proche durant son enfance.Note de bas de page 173

2. La petite enfance de Stuart a été décrite par M. et Mme Fynes comme étant heureuse. Il était un petit garçon énergique au rire contagieux.Note de bas de page 174 Il aimait le plein air et jouer au soccer et il a appris à skier très jeune.Note de bas de page 175 Il a également pratiqué le karaté et le football et fait partie des scouts.

3. L’engagement de Stuart dans l’armée a commencé tôt dans sa vie.Note de bas de page 176 Il avait toujours voulu être militaireNote de bas de page 177 et, à son douzième anniversaire, M. Fynes a amené Stuart au manège militaire local où il a rejoint les cadets de l’Armée des Irish Fusiliers.Note de bas de page 178 Mme Fynes a dit : « À partir de ce moment-là, Stuart était en uniforme vert plus souvent qu’autrement ».Note de bas de page 179 M. Fynes l’a encouragé à rejoindre la réserve dès qu’il a pu le faireNote de bas de page 180 et il s’est inscrit le 4 février 1997.Note de bas de page 181 Quand il a eu 21 ans, il est passé directement de la réserve pour devenir membre à temps plein de l’armée. Il a été affecté au régiment Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians), à Edmonton, le 1er juin 2000.Note de bas de page 182

4. Au cours de son emploi dans les forces régulières, le cpl Langridge a été homme d’équipage.Note de bas de page 183 Un homme d’équipage est un soldat affecté à la conduite et à l’entretien des véhicules blindés de combat, y compris leurs systèmes d’armes et matériel de communication.Note de bas de page 184 Le cpl Langridge a été déployé outre-mer à deux reprises. Du 1er octobre 2002 au 1er avril 2003, il a servi dans le cadre de l’Opération Palladium en ex-Yougoslavie, où il était conducteur de Coyote (véhicule blindé de reconnaissance) au sein d’un groupe d’infanterie de combat.Note de bas de page 185 Du 9 août 2004 au 10 février 2005, le cpl Langridge a participé à l’Opération Athena, à Kaboul, en Afghanistan.Note de bas de page 186 Au cours de cette mission, il a travaillé comme artilleur de véhicule Coyote au sein d’un escadron de reconnaissance.Note de bas de page 187 Il a également participé, du 14 août au 1er novembre 2003, à l’opération Peregrine dont la mission était d’aider le gouvernement de la Colombie-Britannique à lutter contre les incendies de forêt.Note de bas de page 188

5. Le cpl Langridge a très bien fait en tant que soldat. Au moment de son réengagement dans l’armée en décembre 2005, le cpl Langridge a été décrit par son chef de troupe comme ayant [traduction] « performé extrêmement bien » dans ses fonctions antérieures au sein des FC, étant « dévoué, loyal et motivé » et représentant clairement un « atout pour les FC ».Note de bas de page 189 Dans son dernier rapport d’évaluation du personnel pour la période se terminant le 31 mars 2007, le superviseur du cpl Langridge a écrit qu’il était [traduction] « un soldat très fiable, remplissant toutes les tâches qui lui étaient confiées à temps et à un niveau de rendement élevé » et qu’il avait « toujours abordé ses fonctions avec vigueur et professionnalisme, ce qui constituait un bon exemple pour les jeunes soldats ».Note de bas de page 190 Lors du dernier cours de formation qu’il a suivi en mars 2007, mais qu’il n’a pas terminé en raison de problèmes médicaux, l’officier chargé du cours a dit du cpl Langridge qu’il [traduction] « démontrait un potentiel de leadership au-dessus de la moyenne », qu’il « avait une attitude très positive » et que son « rendement en général était excellent ».Note de bas de page 191

Mars 2007 à juin 2007 : le déclin de la santé du cpl Langridge et ses conséquences

6. Jusqu’en mars 2007, le cpl Langridge était généralement un jeune homme en forme et en bonne santé.Note de bas de page 192 Il a été décrit dans son évaluation du personnel pour la période se terminant le 31 mars 2006 comme étant [traduction] « un soldat en bonne forme physique [qui] a l’attitude d’un guerrier et se classe continuellement au sommet de l’escadron lors des compétitions de conditionnement physique et qui a tenté l’épuisante compétition Ex Mountain Man ».Note de bas de page 193

7. Pour ce qui est des problèmes médicaux préexistants, il s’était plaint périodiquement d’éprouver des malaises à la poitrine depuis au moins 2001.Note de bas de page 194 En outre, il s’est rendu à la clinique de santé mentale de la base en décembre 2003, suite à son affectation en ex-Yougoslavie, après avoir reçu des notes sous optimales sur son rapport d’examen amélioré de dépistage postdéploiement.Note de bas de page 195 Plus particulièrement, le rapport affichait des scores de risque moyen pour les facteurs de stress psychosociaux et les problèmes d’alcool en plus d’un score de risque élevé pour ce qui est de l’indice de somatisation.Note de bas de page 196 La somatisation est la conversion de l’anxiété en symptômes physiques. Cependant, le cpl Langridge n’a pas terminé le processus d’évaluation à la clinique et aucun diagnostic n’a été fait.Note de bas de page 197 En juillet 2005, suite à son déploiement en Afghanistan, le cpl Langridge a été évalué une fois de plus et jugé comme étant à faible risque pour ce qui est des problèmes d’alcool et n’éprouvant aucune forme de dépression, de tendances suicidaires, de crises de panique ou d’anxiété généralisée.Note de bas de page 198 Toutefois, il a été noté qu’il éprouvait de sérieux troubles de sommeil.Note de bas de page 199 Aucun rendez-vous de suivi n’a alors été fixé.Note de bas de page 200

8. Dans les derniers mois de 2006, avant que n’apparaissent ses problèmes médicaux graves, le cpl Langridge était à l’emploi de l’escadron du commandement et des services.Note de bas de page 201 Le rôle de l’escadron du commandement et des services est de fournir un soutien, sur le terrain et en garnison, aux autres escadrons qui sont les troupes tactiques qui opèrent les véhicules de combat.Note de bas de page 202 L’escadron du commandement et des services emploie des membres des FC pour occuper, par exemple, des postes de cuisiniers, de commis ou de préposés à l’entretien des véhicules militaires.Note de bas de page 203 Le cpl Langridge a travaillé dans le magasin d’équipement régimentaire, où les soldats peuvent acheter du matériel (p. ex. des bottes, des gants, des couteaux) et divers articles comme des cigarettes et des grignotines.Note de bas de page 204 Son travail dans le magasin d’équipement semble avoir été motivé par l’intention de lui donner un repos des déploiements.Note de bas de page 205

9. À cette époque, le cpl Langridge vivait également une relation stable à long terme avec Mme A. Ils s’étaient rencontrés en octobre 2005Note de bas de page 206 et, au mois de mai de l’année suivante, elle avait emménagé avec lui.Note de bas de page 207 Mme A a décrit les premiers stades de leur relation comme « fantastiques », et le cpl Langridge comme quelqu’un qui « aimait s’amuser », qui était « un homme heureux » et qui « aimait sa vie dans l’armée ».Note de bas de page 208

10. L’apparition des problèmes médicaux sérieux du cpl Langridge semble avoir coïncidé avec le cours Qualification élémentaire en leadership (QEL), qu’il a suivi en mars 2007. La réussite du cours aurait permis au cpl Langridge d’avoir une promotion, l’objectif du cours QEL étant [traduction] « de qualifier le personnel afin qu’il effectue les tâches de caporal-chef pour les Forces Terrestres ».Note de bas de page 209

11. Le cpl Langridge a quitté à la quatrième journée des 34 jours du cours de QEL pour des « raisons médicales »,Note de bas de page 210 dont « des douleurs aiguës à la poitrine ».Note de bas de page 211 Quand il s’est rendu à la clinique de la base à son retour du cours QEL, le cpl Langridge s’est plaint, entre autres, de douleurs thoraciques qui l’incommodaient depuis plus d’un an.Note de bas de page 212 Lors de visites à la clinique au cours des semaines suivantes, le médecin du cpl Langridge, le Dr Sivaprakash Rajoo, a déterminé que les douleurs étaient probablement causées par l’anxiété – le cpl Langridge se plaignait qu’il avait subi [traduction] « beaucoup de stress ces derniers temps » – et il lui a prescrit des médicaments contre l’anxiété et, plus tard, également des antidépresseurs.Note de bas de page 213. La santé du cpl Langridge s’est mise à se détériorer rapidement; il se plaignait d’insomnie et de sueurs nocturnes ainsi que d’une perte d’énergie et de concentration.Note de bas de page 214 Le cpl Langridge a également révélé qu’il consommait de l’alcool de façon excessive parce que cela atténuait la douleur et l’anxiété et le rendait heureux.Note de bas de page 215 Le 30 mai 2007, le Dr Rajoo a écrit dans ses notes cliniques : [traduction] « il faudra peut-être envisager un SSPT ».Note de bas de page 216

12. Le 12 juin 2007, le cpl Langridge a été référé à un psychiatre afin de déterminer s’il souffrait d’un SSPT ou d’un trouble dépressif majeur.Note de bas de page 217 Le Dr Rajoo a écrit dans sa requête que le cpl Langridge souffrait de dépression et d’anxiété et que cela ne s’était pas amélioré avec les médicaments. Il a également fait mention des troubles sous-jacents liés à l’abus d’alcool et de drogues.Note de bas de page 218 Tel qu’il ressort de leurs témoignages, le Dr Rajoo, et plus tard, le psychiatre du cpl Langridge, le Dr Leo Elwell, considéraient ces deux maladies comme un cas de comorbidité nécessitant un traitement simultané.Note de bas de page 219

13. Au courant du mois de mai 2007, le cpl Langridge a été transféré de la boutique d’équipement à l’Escadron B (un escadron de chars d’assaut) en vue d’un déploiement en Afghanistan.Note de bas de page 220 La procédure standard qui s’applique à n’importe quel soldat qui doit être déployé sur un théâtre d’opérations comprend un test de dépistage de drogues pouvant avoir un impact sur le plan de la sécuritéNote de bas de page 221 et le cpl Langridge a été soumis à ce test.Note de bas de page 222 Le 8 juin 2007, le régiment a été informé que le test subi par le cpl Langridge démontrait la présence de cocaïne.Note de bas de page 223

14. En conséquence de ce résultat positif, le cpl Langridge ne pouvait plus être déployé à l’étranger.Note de bas de page 224 Il a été réaffecté à la boutique d’équipementNote de bas de page 225 parce que, à l’époque, l’escadron du commandement et des services n’était pas déployé à l’étranger.Note de bas de page 226 Le cpl Jon Rohmer, un bon ami du cpl Langridge, a laissé entendre que ce dernier avait volontairement échoué le test pour éviter d’être affecté à l’étranger.Note de bas de page 227

15. En général, les soldats au sein du régiment préféraient être employés dans un escadron de véhicules blindés plutôt qu’au sein de l’escadron du commandement et des services.Note de bas de page 228 Selon au moins une de ses propres remarques, il semble que le cpl Langridge considérait qu’une affectation à l’escadron du commandement et des services s’accompagnait d’une stigmatisation. Il a dit au personnel de l’hôpital où il a plus tard été admis qu’il était humilié de devoir travailler dans le magasin d’équipement, parce qu’il avait été jugé inapte à être déployé sur le terrain.Note de bas de page 229 M. Don Perkins, le premier conseiller en alcoolisme et toxicomanie de la base (CATB) du cpl Langridge, a confirmé que les autres soldats avaient « très peu d’estime » pour ceux qui devaient être retirés d’une affectation sur le terrain après avoir échoué un test de dépistage de drogues, et qu’ils considéraient les soldats incapables d’aller en campagne comme [traduction] « les moutons noirs de la famille parce qu’ils ne font pas leur part. [...]Si vous êtes rejetés, d’autres personnes vont devoir le faire à votre place ».Note de bas de page 230

16. Le résultat positif au test de dépistage de drogue a également amené le commandant du LdSH, le lcol Pascal Demers, à recommander que le cpl Langridge soit astreint à un régime de mise en garde et de surveillance.Note de bas de page 231 Tel qu’expliqué par l’adjudant de l’unité, le Capt Mark Lubiniecki, dans son témoignage, lorsqu’un soldat échouait un test de dépistage de drogues avant son déploiement à l’étranger, il était de pratique courante de lui donner l’occasion de se réhabiliter au cours d’une période de probation et de consultation. La réhabilitation devait se faire sur une période de 12 mois au cours de laquelle le soldat suivrait un traitement médical et serait testé au hasard pour usage de drogues. Si, à tout moment au cours de la période de 12 mois, le soldat échouait un test de drogue, une recommandation serait alors faite pour qu’il soit congédié des FC.Note de bas de page 232

17. Le cpl Langridge a formellement nié qu’il consommait de la cocaïne le 17 octobre 2007.Note de bas de page 233 Il y a eu un examen interne limité des résultats des tests le 4 janvier 2008, qui a confirmé le résultat positif initial pour la cocaïne.Note de bas de page 234 Le 14 janvier 2008, le cpl Langridge a demandé que l’échantillon soit analysé à nouveau par un laboratoire civil indépendant,Note de bas de page 235 ce qui a retardé le début de la période de probation et de consultation.Note de bas de page 236 Au moment de sa mort, il n’y avait aucune preuve que la seconde analyse avait été effectuée, et le cpl Langridge n’avait pas encore commencé sa période de probation et de consultation.Note de bas de page 237

18. Le cpl Langridge a été référé au CATB pour la première fois lors de ses rendez-vous du 28 et du 29 mai 2007 avec le Dr Rajoo.Note de bas de page 238 Il s’est entretenu avec M. Don Perkins, un conseiller en alcoolisme et toxicomanie, au cours de trois séances et, dans son évaluation du 13 juin 2007, M. Perkins a écrit qu’il y avait une forte probabilité que le cpl Langridge souffre de dépendance aux drogues.Note de bas de page 239 M. Perkins a déclaré qu’il se souvenait avoir offert au cpl Langridge la possibilité de suivre un traitement en établissement mais, à ce moment-là, le cpl Langridge n’était pas intéressé.Note de bas de page 240 Au lieu de cela, il a accepté de participer à un atelier secondaire d’intervention en toxicomanie d’une durée d’une semaine.Note de bas de page 241

19. Le cpl Langridge n’avait encore été vu par personne à la clinique de santé mentale de la baseNote de bas de page 242 quand il a tenté de se suicider pour la première fois le 22 juin 2007. Il a voulu ingurgiter une surdose de ses médicaments d’ordonnance et d’autres médicaments.Note de bas de page 243 Il a avalé les comprimés suite à une dispute avec Mme A, après qu’elle ait trouvé de la cocaïne dans leur maison. Lorsque Mme A est rentrée le lendemain, selon son témoignage, le cpl Langridge lui a dit qu’il ne se s’était pas bien senti et qu’il avait pris des comprimés additionnels. Elle a affirmé avoir trouvé des pilules partout dans la maison, mais ne pas savoir avec exactitude s’il avait effectivement pris toutes les pilules ou simplement fait un gâchis et que la tentative démontrait qu’il essayait de demander de l’aide.Note de bas de page 244

20. Suite à cette apparente tentative de suicide, le cpl Langridge a assisté à la première journée de l’atelier d’intervention en toxicomanie, le 25 juin 2007.Note de bas de page 245 Le programme visait à sensibiliser les participants à leur consommation d’alcool et de drogue et à leur faire voir jusqu’où cela pouvait mener.Note de bas de page 246 Le cpl Langridge a refusé de revenir après la première journée parce qu’il était [traduction] « mal à l’aise avec l’approche trop familière employée, et qu’il ne souhaitait pas divulguer quelque information que ce soit aux autres participants ».Note de bas de page 247

21. Ce soir-là, le cpl Langridge a tenté de se suicider pour la deuxième fois en trois jours. Il s’est rendu dans un champ, a commencé à boire de façon excessive et a relié un tuyau flexible de l’échappement de son véhicule à l’habitacle. Il a été trouvé par des amis après avoir envoyé des messages texte leur demandant de consoler Mme A.Note de bas de page 248

22. À la suite de cette deuxième tentative de suicide, le cpl Langridge a été admis dans un hôpital civil pour un séjour de courte durée. Son diagnostic lors de son congé, deux jours plus tard, indiquait qu’il avait souffert d’un trouble d’humeur causé par l’alcool et un stress sévère.Note de bas de page 249

Juillet 2007 à novembre 2007 : évaluations médicale et de la santé mentale

23. Après sa deuxième tentative de suicide, le cpl Langridge a pris un congé de maladie et ensuite un congé d’été annuel.Note de bas de page 250 Il est demeuré en contact avec les membres des services de santé mentale et de la clinique médicale de la base.Note de bas de page 251 Il a aussi accepté de faire l’essai d’un counseling individuel en toxicomanie, mais il n’a participé qu’à trois séances avec M. Perkins.Note de bas de page 252

24. À la mi-juillet 2007,Note de bas de page 253 le cpl Langridge a été transféré de la boutique d’équipement pour travailler sous les ordres du s/off des écuries, le cplc William Fitzpatrick.Note de bas de page 254 Son travail consistait à prendre soin de la salle des ordinateurs et à effectuer d’autres tâches assignées au groupe du SMR comme polir le laiton, ramasser les ordures, changer l’huile des carters et remettre les lieux en ordre.Note de bas de page 255 Le cpl Langridge a décrit son travail en ces mots : « pas un bon travail », « ennuyant », « merdique » et « rien à faire ».Note de bas de page 256 Le cplc Fitzpatrick a confirmé dans son témoignage qu’il n’y avait pas beaucoup de travail pour le cpl Langridge et qu’il n’était pas occupé.Note de bas de page 257

25. Le 7 août 2007, le cpl Langridge a eu une consultation avec le Dr Rajoo au cours de laquelle il a été évalué pour déterminer s’il pouvait être placé dans une CatT, ou « catégorie temporaire ».Note de bas de page 258 La CatT est destinée aux soldats qui ne sont pas en mesure de rencontrer les normes minimales correspondant à leur métier militaire en raison d’un mauvais état de santé.Note de bas de page 259 Lorsque l’état de santé du soldat s’améliore, il est retiré de la catégorie temporaire et peut reprendre son métier et assumer la totalité de ses responsabilités.Note de bas de page 260 Dans le cas du cpl Langridge, la période de CatT a été établie à six mois par le Dr Rajoo.Note de bas de page 261 Entre autres choses, la CatT signalait à l’unité que le militaire devait avoir des rendez-vous supplémentaires et être vu plus souvent par les médecins.Note de bas de page 262 Une CatT est également une étape dans le processus d’obtention d’une libération de l’armée pour raisons de santé.Note de bas de page 263 Il y a des preuves indiquant que le cpl Langridge a exprimé périodiquement son intérêt à obtenir une libération pour raisons de santé au cours de la dernière année de sa vie.Note de bas de page 264

26. Le Dr Rajoo a également imposé au cpl Langridge des limitations d’emploi médicales (LEM). Les LEM décrivent notamment les restrictions particulières qui s’appliquent à la façon dont un membre peut être employé par l’unité en raison d’un problème de santé. Elles doivent être respectées par la chaîne de commandement militaire sans modification.Note de bas de page 265 Les LEM du cpl Langridge indiquaient qu’il était « inapte [pour] l’environnement opérationnel militaire », qu’il n’était pas autorisé à utiliser des armes ou à tirer dans des champs de pratique et qu’il avait besoin d’être suivi régulièrement par un spécialiste.Note de bas de page 266 En pratique, cela signifiait qu’il pouvait travailler à la base durant des demi-journées, ou des journées entières en effectuant des travaux de routine, mais qu’il ne pouvait pas aller sur le terrain.Note de bas de page 267

27. En août 2007, le cpl Langridge a été évalué par un psychologue de la base, le Dr William Lai, qui a procédé à une entrevue clinique, administré des tests psychométriques et examiné le dossier médical du cpl Langridge.Note de bas de page 268 Au cours de l’entrevue clinique, le cpl Langridge s’est plaint de se sentir déprimé la plupart du temps et, quand il était stressé, d’avoir de la difficulté à respirer, une vision floue, des étourdissements, des malaises au niveau de la poitrine et des troubles intestinaux. Il a également dit qu’il faisait des cauchemars « horribles », deux ou trois fois par semaine, sans toutefois croire qu’ils étaient liés à ses missions à l’étranger.Note de bas de page 269 Le Dr Lai a fait le diagnostic provisoire suivant dans son ébauche de rapport d’évaluation psychologique :Note de bas de page 270

[traduction]
Diagnostics DSM IV

Axe I : [...] Trouble dépressif majeur, épisode isolé, sévère sans caractéristiques psychotiques. […] Syndrome de stress post-traumatique – chronique, modéré [...] Abus d’alcool.

Axe II : Reporté

Axe III : Douleurs à la poitrine; problèmes gastro-intestinaux; problèmes de genou

Axe IV : Conflits potentiels avec la conjointe de fait et les collègues; préoccupations au sujet de la santé de la mère et du frère

Axe V : EGF 45 actuelle : certaines idées d’automutilation, trouble grave de fonctionnement social et professionnel.Note de bas de page 271 [Caractère gras ajouté]

28. Dans une note de conférence de cas datée du 23 août 2007, le Dr Lai a observé que les résultats des essais psychométriques indiquaient un SSPT, mais aucun incident traumatique spécifique ou événement n’avait été identifié, et l’identification d’un tel événement était nécessaire pour établir un diagnostic de stress post-traumatique.Note de bas de page 272 Selon le témoignage du Dr Lai, il était « probable », à la lumière des informations dont il disposait à ce stade, que le cpl Langridge souffrait d’un SSPT,Note de bas de page 273 mais une exploration plus poussée était requise pour déterminer si un diagnostic de SSPT complet était justifié.Note de bas de page 274 Plusieurs consultations de suivi ont été faites avec le cpl Langridge pour tenter de compléter l’évaluation psychologique, mais, au bout du compte, l’évaluation n’a jamais été finalisée.Note de bas de page 275

29. La relation du cpl Langridge avec Mme A s’était détériorée depuis le début de ses problèmes de toxicomanie et de santé. Selon Mme A, le cpl Langridge a commencé à changer en 2006, mais de façon plus marquée en 2007.Note de bas de page 276 Au fil du temps, leur relation est devenue plus instable, marquée par de bons jours et de mauvais jours, les problèmes de toxicomanie et de santé du cpl Langridge devenant de plus en plus sérieux.Note de bas de page 277 Au printemps de 2007, le cpl Langridge a avoué au personnel médical qui le soignait qu’il avait eu de nombreuses disputes avec Mme A à cause de sa consommation d’alcoolNote de bas de page 278 et, en octobre 2007, il a dit avoir des problèmes à la maison.Note de bas de page 279 Dans ses entretiens avec le Dr Lai, le cpl Langridge a affirmé que Mme A « perdait les pédales » facilement, montrait « beaucoup d’anxiété » et lui avait donné un « ultimatum » pour qu’il arrête de boire. Cependant, le cpl Langridge a aussi indiqué qu’il était déterminé à maintenir et à améliorer sa relation avec Mme A et qu’il voulait l’épouser éventuellement.Note de bas de page 280

30. Le cpl Langridge a tenté de se suicider pour la troisième fois le 29 octobre 2007. Il a pris une quantité inconnue de médicaments d’ordonnance à la maison et a été amené à l’urgence.Note de bas de page 281 À son congé le lendemain, selon le diagnostic alors établi, il souffrait d’un trouble d’humeur induit par l’abus d’alcool.Note de bas de page 282

31. Après son congé, le cpl Langridge a de nouveau rencontré les membres des services de santé mentale et de la clinique médicale de la base.Note de bas de page 283 Les symptômes continuaient sans relâche, les notes cliniques précisant qu’il avait des douleurs nerveuses à la poitrine, qu’il était stressé, fatigué, confus et se réveillait en criant, trempé de sueur.Note de bas de page 284

32. Le 15 novembre 2007, le cpl Langridge a rencontré le Dr Elwell.Note de bas de page 285 Lors du rendez-vous, le Dr Elwell a procédé à une entrevue clinique.Note de bas de page 286 Selon son diagnostic, le cpl Langridge souffrait d’un trouble d’anxiété généralisée, d’un trouble dépressif majeur et d’abus d’alcool, mais qu’il ne s’agissait probablement pas d’un SSPT. Il a aussi identifié les traits d’une personnalité très forte et des facteurs de stress allant de modérés à sévères dans la vie du cpl Langridge.Note de bas de page 287 Il a traité le cpl Langridge en rajustant ses médicamentsNote de bas de page 288 et en proposant des séances de thérapie individuelle.Note de bas de page 289 Le Dr Elwell a fixé un rendez-vous de suivi avec le cpl Langridge le 19 février 2008, mais à cette date, celui-ci était à l’Hôpital de l’Alberta à Edmonton.Note de bas de page 290 Le rendez-vous n’a pas été reporté.Note de bas de page 291

Décembre 2007 à janvier 2008 : déclaration de conjoint de fait et programme de traitement en établissement

33. Le cpl Langridge a continué de visiter régulièrement la clinique de la base et a aussi assisté à des séances de counseling individuel avec une infirmière en santé mentale trois fois au cours de novembre et décembre 2007.Note de bas de page 292 Lors de sa rencontre avec M. Perkins, le 21 novembre 2007, le cpl Langridge a demandé de participer à un programme de traitement en établissement.Note de bas de page 293 En raison de la détérioration de son état, Mme Fynes et Mme A avaient organisé une intervention ce même mois afin qu’il réduise ou cesse sa consommation abusive de substances.Note de bas de page 294 Le cpl Langridge a avoué à M. Perkins qu’il perdait le contrôle; une fois qu’il commençait à boire, il était incapable de s’arrêter.Note de bas de page 295 Des dispositions ont été prises pour que le cpl Langridge suive un programme de traitement en établissement au début de janvier 2008.Note de bas de page 296

34. Le 7 décembre 2007, l’un des jours les plus heureux de leur relation,Note de bas de page 297 le cpl Langridge et Mme A ont signé une déclaration d’union solennelle des FC.Note de bas de page 298 Mme A a affirmé que le cpl Langridge lui demandait de signer la déclaration depuis juillet.Note de bas de page 299 La déclaration exigeait qu’ils prennent un rendez-vous, se rendent à la base, fournissent une pièce d’identité ainsi qu’une preuve qu’ils avaient vécu ensemble depuis un an, puis signent la déclaration devant un officier des FC.Note de bas de page 300 Selon la déclaration, le cpl Langridge et Mme A [traduction] « s’engagent à se soutenir mutuellement en tant que mari et femme ».Note de bas de page 301 La déclaration accordait à Mme A les bénéfices que l’armée offre aux conjoints, par exemple l’assurance médicale et l’assistance voyage.Note de bas de page 302 Plus important encore, Mme A a accepté de signer la déclaration parce qu’elle lui permettait de participer au programme de conjoint au centre de traitement en établissement Edgewood.Note de bas de page 303 Mme A a affirmé dans son témoignage que [traduction] « cela me permettrait d’être avec lui pendant son traitement à Edgewood, ce qui était vraiment important parce que Stuart s’était engagé à ce que je puisse participer à son traitement du début jusqu’à la fin ».Note de bas de page 304

35. Peu de temps après Noël, le cpl Langridge a fait une consommation excessive de cocaïneNote de bas de page 305 et, de l’avis de M. Perkins, cela l’a effrayé. À la demande du cpl Langridge, M. Perkins a pu devancer d’une semaine le traitement en établissement. Le cpl Langridge avait donné sa carte d’identité, les clés de sa voiture et ses cartes de crédit à Mme A, et M. Perkins a noté que le cpl Langridge était « motivé à obtenir de l’aide ».Note de bas de page 306

36. La mesure dans laquelle le cpl Langridge a reconnu sa consommation d’alcool et de drogues a beaucoup varié, mais quand il a été admis au centre de traitement, il a avoué qu’il consommait de l’alcool de façon excessive deux à cinq fois par semaine depuis plusieurs années. Il a aussi déclaré qu’il avait pris environ deux grammes de cocaïne par jour pendant au moins quatre mois. En outre, il a reconnu fumer de la marijuana quotidiennement depuis douze ans.Note de bas de page 307

37. Le cpl Langridge est arrivé au centre de traitement Edgewood à Nanaimo, en Colombie-Britannique, le 4 janvier 2008, mais n’y est resté que six jours.Note de bas de page 308 Il a abandonné le traitement après avoir quitté les séances de thérapie de groupe.Note de bas de page 309 Cela a amené Mme A à prendre une partie de ses effets, à quitter leur maison et se rendre au condominium de ses parents avant que le cpl Langridge ne soit de retour à Edmonton.Note de bas de page 310

Janvier 2008 à mars 2008 : déclin rapide du cpl Langridge

38. Les problèmes de toxicomanie du cpl Langridge ont continué après son départ précipité d’Edgewood. À son retour au régiment, le cpl Langridge n’a pas revu M. Perkins.Note de bas de page 311 Le test de dépistage de drogue demandé par les autorités médicales le 22 janvier 2008 a donné un résultat positif pour la marijuana.Note de bas de page 312 Les tests faits à l’hôpital le 2 février 2008, après sa quatrième tentative de suicide, ont aussi donné des résultats positifs pour la cocaïne et la marijuana.Note de bas de page 313Il a produit un test positif pour la cocaïne et la marijuana le 7 mars 2008.Note de bas de page 314 Bien qu’il ait tenté, à plusieurs reprises dans les dernières semaines de sa vie, de réduire sa consommation d’alcool et de drogues, et qu’il recherchait un traitement et souhaitait être traité, la lutte du cpl Langridge contre ses dépendances a évidemment persisté jusqu’à son décès.

39. Le cpl Langridge était aussi sans aucun doute bouleversé par l’état de sa relation avec Mme A, puisqu’il a dit à ses cliniciens qu’il avait du mal à affronter le fait que sa petite amie le quitte, et qu’il était en instance de divorce.Note de bas de page 315 Cependant, en dépit de leur brouille, le cpl Langridge et Mme A ont continué à avoir des contacts. Quand les choses allaient bien, Mme A retournait vivre à la maison avec le cpl Langridge, mais quand les choses tournaient mal, elle prenait quelques vêtements et s’en allait chez ses parents.Note de bas de page 316 Dans les notes cliniques de l’époque, le cpl Langridge affirmait que Mme A l’appelait constamment et que peu de choses avaient changé, sauf qu’ils ne vivaient pas ensemble.Note de bas de page 317 En outre, malgré le retrait rapide du cpl Langridge du traitement en établissement et malgré le caractère instable de leur  relation, Mme A a tout de même assisté au programme de conjoint à Edgewood. Selon son témoignage, le programme approfondissait les problèmes de codépendance et, en raison de son contenu émotif personnel, cela avait été [traduction] « probablement l’une des choses les plus difficiles que j’ai jamais faite de toute ma vie ».Note de bas de page 318

40. Après son retour d’Edgewood, le cpl Langridge a été, à sa demande, transféré dans un escadron de reconnaissance.Note de bas de page 319 Le cpl Langridge a demandé qu’on lui donne l’occasion de travailler aux côtés de ses pairs et de démontrer qu’ils pouvaient avoir confiance en lui.Note de bas de page 320 Il voulait être « un soldat efficace au sein des Strathcona ».Note de bas de page 321 Le transfert a été de courte durée, soit moins d’une semaine.Note de bas de page 322 Les témoignages sont contradictoires sur la question de savoir si le transfert n’a pas fonctionné parce que le commandant de l’escadron n’a pas considéré que le cpl Langridge était un soldat productif,Note de bas de page 323 ou parce que le cpl Langridge a senti mentalement qu’il n’était tout simplement pas à la bonne place et que l’escadron de reconnaissance n’était pas le meilleur endroit pour lui.Note de bas de page 324 Quelle que soit la raison, le cpl Langridge a été ramené à l’escadron du commandement et des services sous les ordres du cplc Fitzpatrick.Note de bas de page 325 Le cpl Langridge a occupé ce poste jusqu’à sa mort.

41. La santé du cpl Langridge s’est alors détériorée encore davantage.Note de bas de page 326 Selon les notes cliniques, il a dit à son infirmière en santé mentale qu’il « pensait souvent à se blesser en soirée pour ne pas avoir à retourner au travail ».Note de bas de page 327

42. La quatrième tentative de suicide connue du cpl Langridge date du 31 janvier 2008, alors qu’il a tenté de se pendre à la maison.Note de bas de page 328 Il est allé à la clinique de la base le lendemain matin où on a constaté qu’il était [traduction] « larmoyant, recroquevillé en position fœtale, sans contact visuel, avec des idées suicidaires actives comportant un plan et des moyens pour y parvenir ».Note de bas de page 329 Il a été admis à l’Hôpital Royal Alexandra (HRA) pour un séjour de courte durée, le diagnostic d’admission indiquant un [traduction] « comportement paranoïaque bizarre ».Note de bas de page 330 Alors qu’il était hospitalisé, il a essayé de se suicider pour une cinquième fois, le 3 février 2008, en tentant de s’étrangler.Note de bas de page 331 Le cpl Langridge a reçu son congé le lendemain, apparemment contre l’avis des médecins.Note de bas de page 332 Son diagnostic indiquait des troubles d’humeur induits par l’alcool et la cocaïne, l’abus d’alcool et de cocaïne, un trouble de la personnalité limitrophe, des traits antisociaux, ainsi que des facteurs de stress graves.Note de bas de page 333

43. Mme Fynes a affirmé qu’elle croyait que le cpl Langridge recevrait enfin une aide adéquate après sa tentative de suicide à l’hôpital; elle a donc été abasourdie de constater, à son arrivée à l’HRA le 4 février, que le cpl Langridge était prêt à partir. Elle a décrit la marque rouge sur le cou du cpl Langridge causée par le nœud.Note de bas de page 334 Elle avait une piètre opinion du traitement offert par l’HRA, le décrivant comme étant [traduction] « un programme de prise en charge et de renvoi » où « les gens arrivent en état d’ébriété, drogués ou autrement intoxiqués, sont désintoxiqués, puis renvoyés. En trois jours, le cas est réglé ».Note de bas de page 335 Les dossiers de l’HRA indiquent que le congé allait à l’encontre de l’avis des médecins parce que le cpl Langridge voulait partir, mais que [traduction] « sa mère ne voulait pas [l’]amener à la maison [avec] elle ​​ou en être responsable ».Note de bas de page 336 Mme Fynes a déclaré qu’elle ne voulait pas que le cpl Langridge quitte l’hôpital et elle estimait que l’hôpital l’avait expulsé.Note de bas de page 337 Elle a dit à la Commission, [traduction] « [s’]ils avaient voulu qu’il reste, alors il n’aurait pas été sur le point de quitter ».Note de bas de page 338 Cependant, le cpl Langridge a insisté pour partir.Note de bas de page 339 Mme Fynes a témoigné qu’elle a ensuite accompagné le cpl Langridge à l’Unité de santé et sous les soins de l’aumônier.Note de bas de page 340 L’aumônier et quelques membres de l’équipe de santé mentale de la base craignaient que l’état du cpl Langridge ne soit vraiment pas stable,Note de bas de page 341 et Mme Fynes s’est souvenu qu’ils ont pris des dispositions pour qu’un autre soldat reste avec le cpl Langridge afin de veiller sur sa sécurité.Note de bas de page 342 Le 5 février 2008, tout juste un jour après sa sortie, le cpl Langridge s’est rendu lui-même à l’Hôpital de l’Alberta à Edmonton où il a été admis pour un séjour de 30 jours sur une base involontaire.Note de bas de page 343

44. Après avoir été admis à l’hôpital, Mme A et son ami, le cpl Rohmer, sont allés à la maison où vivait le cpl Langridge. Mme A a dit avoir trouvé des pilules, des médicaments, des canettes de bière vides et des bouteilles d’alcool partout dans la maison. Plus inquiétant, elle a aussi déclaré avoir trouvé la baignoire à moitié remplie d’eau avec [traduction] « des couteaux partout » et « entre trois à cinq nœuds coulants fabriqués à partir de différentes choses qu’il avait manifestement utilisés pour tenter de se pendre » dans le sous-sol.Note de bas de page 344

45. À la mi-février 2008 cette maison, que le cpl Langridge et Mme A ont partagé au cours de leur relation, a été abandonnée et le bail a été résilié.Note de bas de page 345 Selon le témoignage de Mme A, le bail a dû être annulé parce qu’ils n’avaient plus les moyens de payer le loyer,Note de bas de page 346 tandis que Mme Fynes a déclaré que le cpl Langridge souhaitait retourner vivre sur la base,Note de bas de page 347 Mme A a récupéré tous ses effetsNote de bas de page 348 et Mme Fynes, avec l’aide de l’aumônier de la base et de plusieurs autres soldats, a rassemblé les biens du cpl Langridge, lesquels ont été entreposés à la base.Note de bas de page 349

Connaissance par l’armée de l’état du cpl Langridge

46. Le régiment n’a pas été tenu au courant des détails de l’état de santé du cpl Langridge à mesure que celle-ci se détériorait. Les autorités médicales partagent très peu d’information avec la chaîne de commandement.Note de bas de page 350 La chaîne de commandement a reçu un avis au sujet des restrictions d’emploi pour raisons de santé ainsi que du congé de maladie, mais le système médical militaire ne sollicite pas l’approbation de la chaîne de commandement pour envoyer des membres des FC en traitement.Note de bas de page 351

47. La chaîne de commandement de l’armée aurait été au courant de l’horaire de travail réduit du cpl Langridge attribuable à la détérioration de son état de santé. Le cpl Langridge était souvent en congé de maladie ou avait un horaire de travail réduit. Lorsque son état de santé lui permettait de travailler, il ne travaillait presque jamais plus que des demi-journées et, à quelques exceptions près, seulement trois jours par semaine.Note de bas de page 352 Dans son témoignage, le Dr Rajoo a convenu que, pour se rétablir, le cpl Langridge devrait arrêter de travailler ou travailler selon un horaire réduit.Note de bas de page 353 Bien que les notes cliniques ne soient pas tout à fait claires, il semble qu’en aucun temps après le 30 mai 2007 – neuf mois avant son éventuel suicide – le cpl Langridge n’ait été en assez bonne santé pour travailler plus de quatre jours entiers consécutifs.Note de bas de page 354

48. Il y a également des preuves indiquant que des membres de la chaîne de commandement du régiment auraient pu être au courant de toutes les tentatives de suicide du cpl Langridge, sauf la première.

49. La chaîne de commandement était sans aucun doute au courant de la deuxième tentative de suicide du cpl Langridge. Les amis du cpl Langridge qui ont reçu son message texte et qui l’ont trouvé dans sa Jeep étaient des membres des FC et, après avoir reçu le message, ils ont contacté la police militaire ainsi que leur superviseur, qui à son tour a contacté la chaîne de commandement.Note de bas de page 355 La tentative a donné lieu à une enquête administrative militaire (c-à–d une enquête sommaire) sur les faits et les causes. Le rapport d’enquête sommaire renfermait des recommandations sur la façon dont le régiment pourrait contribuer de façon continue au traitement et au rétablissement du cpl Langridge.Note de bas de page 356

50. En ce qui concerne sa troisième tentative de suicide, il y a eu participation de l’armée au transport du cpl Langridge à l’hôpital. Dans la matinée du 29 octobre 2007, le SMR Douglas Ross a demandé à la sgt Anick Murrin, shérif du LdSH,Note de bas de page 357 de se rendre à la résidence du cpl Langridge.Note de bas de page 358 Le cpl Langridge ne s’était pas présenté au travail ni à un rendez-vous médical prévu ce matin-là, ce qui signifie qu’il était absent sans permission (ASP).Note de bas de page 359 Les notes cliniques mentionnent qu’il avait téléphoné à l’unité pour dire qu’il n’irait pas travailler parce que Mme A l’avait quitté.Note de bas de page 360 La sgt Murrin l’a trouvé endormi à son domicile. Après quelques tentatives, le cpl Langridge semblait incapable de se réveiller; la sgt Murrin a alors contacté la clinique de la base et on lui a dit qu’il devrait aller à un hôpital civil.Note de bas de page 361 Elle a appelé le 911 et a attendu avec lui que l’ambulance arrive et qu’il soit transporté à l’hôpital.Note de bas de page 362 Elle a informé le SMR du LdSH, l’adjuc Ross, de la situation.Note de bas de page 363 Dans son témoignage, la sgt Murrin a affirmé catégoriquement qu’elle n’avait pas répondu à une tentative de suicide et qu’elle ne croyait pas que le cpl Langridge était suicidaire.Note de bas de page 364 Cependant, l’unité militaire du cpl Langridge était au courant qu’il avait été admis à l’unité psychiatrique de l’HRA et a même averti la clinique de la base.Note de bas de page 365

51. Le cpl Langridge a tenté de se suicider pour la quatrième fois à la fin de janvier 2008, et de nouveau à l’hôpital, quelques jours plus tard, au début de février 2008. Le Capt William Hubbard, l’aumônier du régiment, a indiqué dans son témoignage que Mme A l’avait appelé et lui avait fait part de la tentative de suicide en janvier 2008 et que, par conséquent, le cpl Langridge avait été transporté à l’hôpital.Note de bas de page 366 Selon le témoignage du Capt Hubbard, il s’est personnellement adressé aux membres de la chaîne de commandement du régiment et les a informés de cette tentative de suicide.Note de bas de page 367 Il y a des éléments de preuve contradictoires de la part des membres de la chaîne de commandement quant aux renseignements (le cas échéant) qu’ils ont reçus du Capt Hubbard.Note de bas de page 368 Le Capt Lubiniecki ne se rappelait pas avoir été informé de la tentative de suicide de janvier, mais il a confirmé avoir été informé de la tentative de suicide subséquente lorsque le cpl Langridge se trouvait à l’hôpital.Note de bas de page 369

Derniers jours du cpl Langridge

52. Du 5 février au 5 mars 2008, le cpl Langridge a été hospitalisé à l’Hôpital de l’Alberta à Edmonton (HAE) dans l’unité de soins psychiatriques intensifs pour adultes.Note de bas de page 370 Son admission à l’hôpital était l’aboutissement de plusieurs tentatives de suicide au cours des dix mois précédents (y compris une tentative de suicide datant de quelques jours seulement à l’Hôpital Royal Alexandra),Note de bas de page 371 d’abus continus de stupéfiants et d’alcool, et de graves problèmes non résolus de santé mentale. Bien qu’il soit allé de son gré à l’hôpital, il a été admis pour un séjour de 30 jours sur une base involontaire parce que son comportement était imprévisible.Note de bas de page 372 Il a été admis dans un état d’anxiété et de dépression suicidaire.Note de bas de page 373

53. Durant son hospitalisation, les progrès du cpl Langridge ont été mitigés. Il a participé aux programmes offerts par l’hôpital,Note de bas de page 374 par exemple le groupe de rétablissement de toxicomanie,Note de bas de page 375 les AANote de bas de page 376 et Narcomanes Anonymes.Note de bas de page 377 Mais sa participation n’était pas assidue et il n’était pas particulièrement engagé.Note de bas de page 378 Il a parfois eu accès à de la drogue durant son séjour,Note de bas de page 379 utilisant ses privilèges de quitter les lieux pour rendre visite à son trafiquant de drogue.Note de bas de page 380 À mi-chemin de son séjour, il a avoué au personnel qu’il continuait de consommer de la cocaïne et que lorsqu’il commençait à ne plus ressentir les effets de la drogue, ses idées suicidaires s’accentuaient.Note de bas de page 381 Dans les premières heures du 19 février 2008, le cpl Langridge a envisagé de se suicider ou a effectivement tenté de se pendre avec une ceinture, mais il a alors approché le personnel de l’hôpital pour obtenir de l’aide.Note de bas de page 382 Il a déclaré qu’il voulait cesser de prendre de la drogue, mais que cela lui était très difficile en raison de sa forte dépendance.Note de bas de page 383 Il a alors été placé sous étroite surveillanceNote de bas de page 384, ce qui signifie qu’il ne pouvait pas quitter l’unité et qu’une infirmière venait le voir toutes les 15 minutes.Note de bas de page 385 Toutefois, lorsque ces restrictions ont été levées,Note de bas de page 386 on a soupçonné qu’il avait recommencé à prendre de la drogueNote de bas de page 387 et le cpl Langridge a été de nouveau placé sous étroite surveillance jusqu’à son départ de l’hôpital.Note de bas de page 388 Son psychiatre traitant, le Dr Bernard Sowa, a affirmé que bien qu’il y ait eu quelques problèmes avec le cpl Langridge, cela n’était pas inattendu dans son traitementNote de bas de page 389 et que des progrès avaient été accomplis au niveau de son humeur tandis que sa colère se dissipait.Note de bas de page 390

54. Alors que le cpl Langridge était à l’hôpital, un rapport psychologique a été rédigé sur la base des entretiens cliniques et des tests psychométriques. Le rapport arrivait à la conclusion suivante :

[traduction]
L’histoire et la présentation de Stuart concordent avec le syndrome de stress post-traumatique accompagné de crises de panique de nature situationnelle (c-à–d aller travailler pour l’armée). Actuellement, il est également aux prises avec un trouble dépressif majeur et il montre des traits d’anxiété sociale. Stuart affiche aussi des traits de trouble de personnalité limitrophe et narcissique. En ce moment, il a de très mauvaises capacités d’adaptation, recourant principalement à la consommation abusive de drogues et d’alcool avec une perception minimale de ses difficultés psychologiques.Note de bas de page 391 [Caractère gras ajouté]

55. La Dre Lori Harper, psychologue clinicienne supervisant le résident en psychologie qui a rédigé le rapport, a affirmé que le cpl Langridge présentait des symptômes compatibles avec un syndrome de stress post-traumatique et qu’on ne pouvait exclure ce diagnostic.Note de bas de page 392 Comme dans les conclusions d’août 2007 du Dr Lai, aucun événement traumatique n’a été identifié par le cpl Langridge, bien qu’il ait fait allusion à un tel événement, et ainsi aucun diagnostic définitif de SSPT ne pouvait être rendu.Note de bas de page 393

56. Mme Fynes était présente au début du traitement du cpl Langridge à l’HAE. Elle a déclaré que « Stuart a vraiment bien fait au cours des premiers jours et il commençait à faire des plans sur ce qui allait se passer ensuite ».Note de bas de page 394 Il a dit qu’il se sentait en sécurité à l’hôpital et a exprimé son intérêt à revenir à la base. Mais peu de temps après, il semblait presque trop heureux. Mme Fynes a senti que quelque chose n’était [traduction] « pas normal, que ça ne cadrait pas. [...] Je me souviens être retournée à l’hôtel en pensant, « Il y a quelque chose qui ne va pas ici ».Note de bas de page 395 Elle a téléphoné au poste de garde et dit à une infirmière qu’elle soupçonnait que Stuart avait eu accès à des drogues parce que son humeur et son comportement avaient changé rapidement. Bien que réticente à croire que cela pouvait se produire à l’HAE, l’infirmière a demandé un test et de la cocaïne a été détectée dans son système.Note de bas de page 396

57. Pendant son séjour à l’hôpital, Mme A et le cpl Langridge ont continué à être en contact de façon permanente. Mme A l’avait encouragé au téléphone pour qu’il se rendre à l’HAE et elle est restée en ligne avec lui pendant qu’il attendait son admission.Note de bas de page 397 Mme A a déclaré avoir rendu visite au cpl Langridge autant que possible au cours de cette hospitalisation. Cependant, il y a aussi eu des occasions où le cpl Langridge a expressément demandé au personnel médical de ne pas permettre à Mme A de lui rendre visite.Note de bas de page 398

58. Vers la fin de son hospitalisation, le cpl Langridge a exprimé son intérêt à participer à un programme de réadaptation pour les toxicomanes.Note de bas de page 399 Cette démarche avait l’appui du Dr Sowa, qui a déclaré lors de son témoignage [traduction] « c’était quelqu’un qui avait certainement besoin d’être traité pour ses problèmes de toxicomanie », et il a été encouragé par l’initiative dont faisait preuve le cpl Langridge.Note de bas de page 400 Cette démarche était aussi approuvée dans le rapport d’évaluation psychologique, qui recommandait [traduction] « bien que la perception de Stuart soit quelque peu limitée, il pourrait bénéficier d’un traitement de la toxicomanie en milieu hospitalier, comme les services offerts à l’AADAC ou à Henwood ».Note de bas de page 401 À deux reprises, le cpl Langridge a contacté Leo Etienne, un CATB des FC, pour lui demander s’il pouvait rester à l’hôpital volontairement lorsque son séjour de trente jours prendrait fin, et procéder directement à un programme de réadaptation en établissement.Note de bas de page 402 Le cpl Langridge a contacté la base, parce que, en tant que membre de l’armée, il devait rendre des comptes sur ses allées et venues aux FC.Note de bas de page 403 En outre, les FC auraient à assumer le coût du programme de réadaptation.Note de bas de page 404 M. Etienne a dit au cpl Langridge qu’une conférence de cas aurait lieu avec l’équipe de traitement des FC à la base pour formuler des recommandations sur la poursuite des soins qui lui étaient prodigués.Note de bas de page 405

59. L’équipe de traitement des FC voulait que le cpl Langridge revienne à la base pendant un certain temps avant de participer à un programme de réadaptation. Le cpl Langridge a dit au Dr Sowa, qu’il devait passer deux semaines à la base après son congé.Note de bas de page 406 Le Dr Sowa a contacté la base pour confirmer que c’était bien le cas.Note de bas de page 407 Ce retour à l’unité a été mentionné dans les notes de la clinique de la base comme un [traduction] « ‘essai de bonne conduite’ pour voir si [il était] capable d’aller à [un] centre de traitement de la toxicomanie».Note de bas de page 408 La préoccupation du personnel médical de la base était que le cpl Langridge avait continué à avoir accès à de la drogue pendant son hospitalisation et qu’il devait être stable et « quelque peu sobre » avant de pouvoir suivre un traitement de la toxicomanie.Note de bas de page 409 On pensait alors que le cpl Langridge était prêt pour une gestion de cas externe et qu’il assisterait à des séances de counseling individuel et de groupe pendant qu’il se trouvait à la base.Note de bas de page 410 Dans leur témoignage, les membres du personnel médical de la base ont soutenu que rien ne laissait supposer que le cpl Langridge ne serait pas envoyé dans un établissement de réadaptation éventuellement, mais qu’il devait d’abord être stabilisé, capable de suivre une certaine routine, et désireux de participer au programme.Note de bas de page 411

60. Le cpl Langridge a manifesté une anxiété considérable à propos de son retour au régiment, avouant au personnel infirmier qu’il avait peur de quitter l’hôpital.Note de bas de page 412 Le Dr Sowa a décrit les événements qui ont précédé le congé du cpl Langridge de l’hôpital dans le sommaire de congé en ces termes :

[traduction]
Notre plan était de le garder à l’hôpital jusqu’à ce qu’il puisse retourner directement à l’armée. Le [cpl Langridge] n’était certainement pas admissible à un certificat médical à la fin des premiers certificats. Il avait accepté de rester à l’hôpital en tant que patient volontaire jusqu’à ce que des dispositions puissent être prises pour qu’il participe à un programme de réadaptation pour les toxicomanes.

Malheureusement, l’armée a appelé pour nous informer [...] qu’elle [...] voulait effectivement le ramener à la garnison et se chargerait de prendre des dispositions pour qu’il soit inscrit à un programme de désintoxication. Cela nous a plutôt surpris car Stuart avait manifesté sa volonté de rester avec nous à l’hôpital jusqu’à ce que cela puisse se faire. Cependant, à la suite de cette requête, il a été escorté le lendemain de la date d’expiration de ses certificats directement à la garnison militaire et remis à son sergent, ce qui est survenu le 5 mars 2008.Note de bas de page 413 [Caractère gras ajouté]

61. Alors que le Dr Sowa n’avait pas d’objection médicale à ce que le cpl Langridge quitte l’hôpital, il a souligné qu’il n’a pas pris l’initiative d’un retour du cpl Langridge à la base.Note de bas de page 414 Le plan était que le cpl Langridge reste à l’hôpital sur une base volontaire. Le Dr Sowa se rappelle d’un message de la base disant essentiellement : [traduction] « Nous le voulons » et « Nous avons notre programme ici ».Note de bas de page 415 La preuve indique également que le cpl Langridge croyait qu’il n’avait pas le choix de quitter l’hôpital et de retourner à la base s’il voulait participer au programme de traitement qu’il recherchait.Note de bas de page 416 Malgré le souhait exprimé par le cpl Langridge de demeurer à l’hôpital volontairement et d’être transféré directement à un programme de traitement en établissement,Note de bas de page 417 le choix qu’appuyait son médecin traitantNote de bas de page 418 et son angoisse à l’idée de devoir quitter l’hôpital,Note de bas de page 419 le cpl Langridge est retourné à la base des FC dans la matinée du mercredi 5 mars 2008.Note de bas de page 420

62. On en sait très peu au sujet des mesures prises véritablement par les FC en vue du retour du cpl Langridge à la base, malgré le fait que le Dr Elwell, psychiatre traitant du cpl Langridge à la base, ait affirmé dans son témoignage [traduction] « nous étions techniquement responsables de veiller sur lui ».Note de bas de page 421 La preuve est contradictoire quant à l’endroit où il a vécu à son retour, même si une chambre de caserne lui a été assignée à la base.Note de bas de page 422 Mme A a témoigné qu’il aurait pu venir vivre avec elle dans l’appartement de ses parents, mais il est plutôt revenu à la base parce que l’armée lui avait dit qu’il devait le faire.Note de bas de page 423 On ne sait pas si le cpl Langridge a été obligé de travailler, bien que les notes cliniques de l’hôpital indiquent qu’il a été informé par son CATB qu’il ne commencerait pas à travailler immédiatement et participerait plutôt à des groupes de traitement de la toxicomanie.Note de bas de page 424

63. En raison de l’instabilité du cpl Langridge, un effort a été fait pour organiser ce que certains membres des FC ont appelé une « garde contre le suicide ».Note de bas de page 425 Il s’agissait de dresser une liste de noms des membres des FC qui seraient prêts à « garder un œil » sur le cpl Langridge 24 heures par jour.Note de bas de page 426 Toutefois, la liste et la garde potentielle n’ont jamais été mises en œuvre, en partie parce que le cpl Langridge se serait opposé à une telle surveillance.Note de bas de page 427 Ces mesures ont également été annulées parce que le Maj Earl Jared, commandant de l’escadron du commandement et des services où travaillait le cpl Langridge, n’était pas d’accord avec celles-ci.Note de bas de page 428 Malgré cela, Mme Fynes et Mme A ont déclaré avoir reçu l’assurance du CATB du cpl Langridge que ce dernier serait surveillé 24 heures par jour.Note de bas de page 429

64. Aucun autre détail concernant ce qui était attendu du cpl Langridge ou le plan de traitement mis en place pour le stabiliser n’est connu. Ce que l’on sait, c’est que le cpl Langridge a eu quatre rendez-vous à l’Unité de santé mentale de la base dans les deux jours qui ont suivi son retour de l’hôpital, mais il ne s’est pas présenté à trois d’entre eux.Note de bas de page 430 La preuve indique qu’il a vu le CATB Dennis Strilchuk entre trois et cinq fois au cours de la période suivant sa sortie de l’hôpital et que celui-ci lui a fourni un counseling individuel.Note de bas de page 431 La dernière rencontre du cpl Langridge avec M. Strilchuk a été le vendredi 7 mars 2008, deux jours après sa sortie de l’hôpital. M. Strilchuk a noté que le cpl Langridge n’avait « aucunement respecté » les restrictions qui lui avaient été imposées et qu’il avait été [traduction] « envoyé à son unité pour une surveillance étroite ».Note de bas de page 432 Le cpl Langridge a admis au personnel médical qu’il avait consommé de l’alcool et d’autres drogues depuis qu’il avait été libéré.Note de bas de page 433 À la lumière de ces faits, M. Strilchuk a affirmé qu’il ne travaillerait plus avec le cpl Langridge, estimant qu’il ne pouvait plus l’aider.Note de bas de page 434

65. Suite à sa dernière rencontre avec le cpl Langridge, M. Strilchuk l’a référé au chirurgien de la base, le Capt Richard Hannah, qui l’a rencontré le matin même. Le cpl Langridge était contrarié. Il s’est plaint au Capt Hannah des conditions restrictives auxquelles il était soumisNote de bas de page 435 Il n’y a pas de détails dans le dossier documentaire sur les conditions dont le cpl Langridge se plaignait. Il a dit au Capt Hannah qu’il voulait revenir à l’HAE pour suivre le traitement; le Capt Hannah a contacté l’HAE et a appris que l’établissement était « occupé à pleine capacité » et n’acceptait pas de renvois.Note de bas de page 436 Le cpl Langridge a refusé d’aller à l’HRA à la place. Des consultations entre le Capt Hannah, des membres de la clinique de santé mentale et des membres du régiment, en particulier l’adjuc Ross, sergent-major régimentaire, ont donné lieu à une série de limitations d’emploi médicales et selon, les mots de l’adjuc Ross, des « mesures de contrôle » ont été « imposées » au cpl Langridge.Note de bas de page 437 Ces mesures de contrôle comprenaient l’obligation de résider au Centre de service régimentaire, de dormir dans la chambre des contrevenants, de garder la porte de cette pièce ouverte en tout temps, de respecter un couvre-feu à 21 h, l’obligation de se rapporter à l’agent de service toutes les deux heures quotidiennement et de fournir un numéro de téléphone où le rejoindre s’il quittait l’édifice Harvey (où se trouve le Centre de service).Note de bas de page 438 Le cpl Langridge était également tenu d’assister à tous les rendez-vous médicaux, de s’abstenir de consommer de l’alcool et des drogues, de travailler du lundi au vendredi de 8 h à 16 h 30 (ce qui était une demi-heure de plus que pour les autres soldats)Note de bas de page 439 et de porter son uniforme pendant les heures normales de travail.Note de bas de page 440

66. Selon l’adjuc Ross, l’intention derrière ces conditions était de fournir au cpl Langridge un encadrement et non de le punir, bien que l’adjuc Ross ait avoué que le travail supplémentaire imposé [traduction] « était simplement parce que je le voulais, pour le dire honnêtement ».Note de bas de page 441 Si le cpl Langridge ne respectait pas ces obligations, il pouvait être accusé en vertu de la loi militaire car les conditions étaient considérées comme des ordres.Note de bas de page 442 La chambre des contrevenants, où le cpl Langridge devait dormir, servait aux membres des FC en punition et, dans le cadre de leur peine, ceux-ci étaient tenus de suivre un horaire de travail et de rapport rigoureux et spécifique pendant une certaine période de temps.Note de bas de page 443 Bien que les conditions imposées au cpl Langridge aient été, à certains égards, similaires à celles imposées aux contrevenants, le Capt Hannah et l’adjuc Ross ont tous deux reconnu que le cpl Langridge n’était pas un contrevenant.Note de bas de page 444

67. L’adjuc Ross et le Capt Hannah ont aussi affirmé que ces conditions ont été acceptées par le cpl Langridge et, en fait, bien accueillies par lui.Note de bas de page 445 Les conditions étaient censées lui donner l’encadrement nécessaire pour qu’il redevienne un soldat.Note de bas de page 446 Il n’y avait pas de limite de temps à l’application de ces conditions. Au contraire, les conditions devaient demeurer en place jusqu’à ce que le cpl Langridge [traduction] « démontre qu’il pouvait bien se comporter ».Note de bas de page 447

68. Si le cpl Langridge a d’abord accepté ces conditions, l’accord a été de courte durée car, très rapidement, il les a trouvées pénibles, lourdes et restrictives. Le mardi 11 mars 2008, moins d’une semaine après son retour de l’HAE, le cpl Langridge s’est rendu à la clinique de la base en se plaignant d’être replongé dans un abime et n’avoir aucune idée du sens que prenait sa vie.Note de bas de page 448 Il a déclaré que les conditions qu’on lui avait imposées étaient trop dures et qu’il voulait qu’elles soient changées.Note de bas de page 449 Cependant, il a été informé qu’il [traduction] « devait retourner dans son unité et continuer à travailler et voir comment il s’en tirait » et, si tout allait bien, son admission à un programme de traitement en établissement serait prise en considération.Note de bas de page 450 Face à un retour à son unité, le cpl Langridge a déclaré au médecin de la clinique qu’il avait des idées suicidaires et qu’il [traduction] « préférait se suicider plutôt que de retourner à son unité ».Note de bas de page 451 Il a été emmené à l’urgence de l’Hôpital Royal Alexandra où les notes indiquent qu’il était déprimé, anxieux et suicidaire.Note de bas de page 452 Plus particulièrement, il [traduction] « ne peut plus endurer les choses liées à l’armée ».Note de bas de page 453 Il s’est plaint de ne pas avoir dormi depuis deux jours, d’être encore plus anxieux, d’humeur troublée et d’avoir recours aux drogues plus souvent.Note de bas de page 454 Il a été placé sous étroite surveillance.Note de bas de page 455 Le cpl Langridge a dit au personnel du Royal Alexandra qu’il voulait retourner à l’Hôpital de l’Alberta à Edmonton parce que le traitement qu’il y avait reçu au cours de son séjour lui avait été bénéfique.Note de bas de page 456 Le cpl Langridge est resté à l’Hôpital Royal Alexandra deux jours seulement, jusqu’au jeudi 13 mars 2008, où il a pris congé de l’hôpital malgré l’avis de son médecin traitant.Note de bas de page 457

69. Dans les jours précédant sa mort, la preuve indique que le cpl Langridge faisait don de ses biens personnels.Note de bas de page 458 Il a également été démontré qu’il cherchait toujours à obtenir que ses « restrictions soient allégées »,Note de bas de page 459 en particulier que l’obligation de se rapporter passe de deux à trois heures.Note de bas de page 460 L’adjuc Ross a refusé de modifier cette condition, indiquant au cpl Langridge qu’il devait d’abord démontrer qu’il pouvait bien se comporter.Note de bas de page 461 Néanmoins, selon l’adjuc Ross, avant le 11 mars 2008, le cpl Langridge s’était conformé sans problème aux conditions qui lui étaient imposées,Note de bas de page 462 et le Capt Lubiniecki, adjudant du régiment, a maintenu que la chaîne de commandement [traduction] « étaient satisfaite de la performance du [cpl Langridge] et de la façon dont il s’était comporté jusque-là ».Note de bas de page 463

70. On ignore dans quelle mesure le cpl Langridge s’est effectivement conformé aux conditions, ou dans quelle mesure il a fait l’objet d’un contrôle et d’une supervision. Même si l’adjuc Ross a déclaré que le personnel de service était parfaitement au courant de ces conditions,Note de bas de page 464 la preuve incite à penser qu’il ne l’était pas. Selon le sgt Trent Hiscock, qui était l’officier de service le jour de la mort du cpl Langridge, les seules conditions réellement écrites et transmises d’un officier de service à un autre se trouvaient dans une note écrite à la main au sujet de l’obligation du conducteur de service d’amener le cpl Langridge à tous ses rendez-vous et de l’y débarquer.Note de bas de page 465 Les autres conditions ont été transmises oralement, et toutes n’étaient pas connues du personnel de service.Note de bas de page 466 Il y avait même une incertitude au sujet de l’obligation qui lui était faite de se rapporter personnellement toutes les deux heures, ou s’il ne pouvait pas plutôt se rapporter simplement par téléphone.Note de bas de page 467 En fait, plusieurs membres estimaient que le cpl Langridge pouvait simplement appeler toutes les deux heures.Note de bas de page 468 De son propre aveu, le cpl Langridge ne respectait pas les restrictions à la consommation d’alcool et de drogues.Note de bas de page 469 Étant donné que les fiches de présence les jours précédant son suicide n’ont jamais été retrouvées et que peu d’autres documents existent, sa conduite et ses allées et venues n’ont pu être vérifiées. Bien que l’activité du cpl Langridge ait été limitée dans une certaine mesure, Mme A a dit à la Commission qu’il avait réussi à lui rendre visite à la maison de ses parents et à d’autres endroits au cours de cette période.Note de bas de page 470 Plus précisément, elle a indiqué que le cpl Langridge l’avait rencontrée quelques fois en [traduction] « échappant à ses gardiens ».Note de bas de page 471 Elle a également révélé à la Commission que lors de ses absences, le cpl Langridge avait bu.Note de bas de page 472

71. Tout au long de cette période, le cpl Langridge et Mme A ont continué à se voir et à s’appeler. Parfois, le cpl Langridge retrouvait Mme A là où elle était, d’autres fois ils planifiaient leur rencontre.Note de bas de page 473 Cependant, la relation a continué à être imprévisible, et Mme A a déclaré que l’humeur du cpl Langridge était très instable.Note de bas de page 474 Quelques jours avant la mort du cpl Langridge, Mme A a communiqué avec le Capt Lubiniecki afin de savoir si, à la suite de la signature de la déclaration d’union de fait, elle serait responsable du paiement des dettes du cpl Langridge en cas de défaut de paiementNote de bas de page 475 Selon le témoignage du Capt Lubiniecki, Mme A lui a dit qu’elle aimait toujours le cpl Langridge, mais qu’elle avait besoin de prendre une pause.Note de bas de page 476 Le Capt Lubiniecki a affirmé que Mme A lui a demandé si l’armée était en mesure d’imposer au cpl Langridge une ordonnance de non-communication et il lui a indiqué que cela n’était pas possible, en lui fournissant toutefois le nom d’un avocat.Note de bas de page 477 Le Capt Lubiniecki a également déclaré qu’à la suite de sa conversation téléphonique avec Mme A, il avait parlé au cpl Langridge pour lui expliquer que Mme A avait besoin de prendre une pause, et que le cpl Langridge avait accepté de lui donner l’espace dont elle avait besoin.Note de bas de page 478 Dans son témoignage, Mme A a reconnu qu’elle avait discuté d’une période de séparation avec le cpl Langridge, mais elle a déclaré qu’il n’était pas de son intention qu’ils se séparent définitivement.Note de bas de page 479 Elle a aussi affirmé qu’elle ne se souvenait pas d’avoir discuté de la question d’une ordonnance de non-communication avec quiconque à cette époque.Note de bas de page 480 Il y a une mention dans le dossier médical du cpl Langridge à l’effet qu’il l’avait apparemment harcelée.Note de bas de page 481 Mme A a déclaré qu’elle et le cpl Langridge ont continué à faire des plans concernant leur avenir jusqu’à la veille de sa mort, y compris pour que Mme A rende visite au cpl Langridge une fois que les FC auraient fait des arrangements pour qu’il soit admis à un deuxième centre de traitement en établissement.Note de bas de page 482 Les dossiers médicaux du cpl Langridge révèlent qu’il s’est rendu à la clinique de la base et qu’il a renouvelé six ordonnances le 14 mars. Le médecin prescripteur inscrit était le Dr Robin Lamoureux.Note de bas de page 483

72. Le samedi 15 mars 2008, le cpl Langridge s’est enregistré au Centre de service à 7 h et de nouveau à 9 h 05.Note de bas de page 484 La fiche d’enregistrement indique qu’il était dans la chambre qui lui avait été assignée dans les logements simples (familièrement appelés les « cabanes »).Note de bas de page 485 Les éléments de preuve sur ses activités sont contradictoires, mais ils montrent que le cpl Langridge était d’humeur radieuseNote de bas de page 486 et qu’il aurait peut-être, de sa propre initiative, pelleté le trottoir avant de l’édifice Harvey car il neigeait à ce moment-là.Note de bas de page 487 À 11 h, il s’est rapporté à nouveau et a eu une conversation avec l’agent de service, le sgt Hiscock.Note de bas de page 488 Le cpl Langridge a dit au sgt Hiscock qu’on avait changé ses médicaments. En outre, il a déclaré que les médicaments ne l’avaient pas empêché de faire des cauchemars la nuit dernière et que, par conséquent, il était très fatigué.Note de bas de page 489 Il avait aussi parlé d’un film que le sgt Hiscock avait vu.Note de bas de page 490 Le cpl Langridge est ensuite retourné à sa chambre dans les cabanes.Note de bas de page 491

73. La journée du 15 mars 2008, de nombreux membres des FC ont assisté aux funérailles du soldat Hayakaze, tué en Afghanistan,Note de bas de page 492, mais le cpl Langridge est resté au LdSH et s’est rendu aux cabanes, apparemment pour faire la lessive.Note de bas de page 493 Les inscriptions sur la feuille d’enregistrement montrent que le cpl Langridge s’est à nouveau rapporté au bureau de service à 12 h 35.Note de bas de page 494 Quand il ne s’est pas présenté au prochain enregistrement, on a tenté de communiquer avec lui par téléphoneNote de bas de page 495 et en frappant à la porte de sa chambre dans les cabanes.Note de bas de page 496 N’ayant pas de réponse, la clé passe-partout a été obtenue, et ils sont entrés dans la chambre.Note de bas de page 497 À 15 h 20, le cpl Langridge a été retrouvé mort, pendu à la barre de traction dans sa chambre.Note de bas de page 498 Il avait laissé sur son bureau une note de suicide qui se lisait comme suit :

[traduction]
Désolé, mais je n’en peux plus. Je vous aime maman, Shaun, James, Mike, grand-maman, tante, Tom. Sachez que je devais faire cesser la souffrance.
xoxo Stu
P.-S. Je ne mérite pas de funérailles spéciales, juste la famille. Merci.Note de bas de page 499

La mort de Stuart Langridge : les répercussions

74. M. et Mme Fynes ont été informés de la mort du cpl Langridge par un appel téléphonique du lcol Demers,Note de bas de page 500 dans la soirée du 15 mars 2008. L’avis a été communiqué conformément au formulaire d’Avis d’urgence personnelle (AUP) rempli par le cpl Langridge et se trouvant dans les dossiers du régiment.Note de bas de page 501 Le cpl Langridge avait nommé ses parents pour les contacts d’urgence et, également, en tant que plus proches parents.Note de bas de page 502 Peu de temps après l’appel téléphonique, les Fynes ont été informés en personne par une équipe de notification des FC.Note de bas de page 503

75. Mme A a aussi été informée du décès de façon officielle. Contrairement aux Fynes, elle n’avait pas été identifiée par le cpl Langridge comme contact ou plus proche parent sur le formulaire d’AUP du régiment.Note de bas de page 504 Le régiment a cependant déterminé qu’elle devrait être contactée.Note de bas de page 505 Comme elle était à Edmonton, le lcol Demers l’a avisée en personne après avoir contacté les Fynes.Note de bas de page 506

76. Lorsqu’ils ont été avisés, ni les Fynes ni Mme A n’ont été informés que le cpl Langridge avait laissé une note de suicide. La note a été trouvée dans la chambre du cpl Langridge par les membres du SNEFC qui se sont rendus sur la scène. Pendant 14 mois, les Fynes n’ont jamais été informés de l’existence d’une note de suicide.Note de bas de page 507

77. Peu de temps après l’avis, des officiers désignés (OD) ont été nommés par les FC pour aider les Fynes et Mme A. Le rôle de l’OD était d’assurer la liaison avec l’armée et d’aider la famille à s’y retrouver dans le système de prestations et de règles de l’armée en cas de décès. Cela englobait de l’information sur les avantages offerts par les FC pour les funérailles.Note de bas de page 508 M. et Mme Fynes vivaient à Victoria et leur OD était le Maj Stewart Parkinson, qui se trouvait aussi en Colombie-Britannique.Note de bas de page 509 L’OD de Mme A était le Slt Adam Brown, basé à Edmonton, qui faisait partie du LdSH.Note de bas de page 510

Nomination du plus proche parent

78. Lors des préparatifs, l’armée a présumé que le « premier plus proche parent » (PPPP) était en droit de planifier les funérailles du cpl Langridge.Note de bas de page 511 (Bien que juridiquement distincts, les documents et les témoignages lors des audiences se réfèrent parfois simplement au « plus proche parent » [PPP], qui peut aussi être le premier plus proche parent [PPPP].) Initialement, les Fynes ont été identifiés comme étant le PPPP et le DPPP (« deuxième plus proche parent ») du cpl Langridge dans la correspondance circulant au sein des FC,Note de bas de page 512 ainsi que lors du briefing initial reçu par le Maj Parkinson en tant qu’OD des Fynes.Note de bas de page 513 Ils étaient aussi identifiés comme PPPP et DPPP sur le formulaire d’AUP au régiment. Les Fynes ont commencé à donner au Maj Parkinson des directives sur les funérailles.Note de bas de page 514 Cependant, le 17 mars 2008, deux jours après la mort du cpl Langridge, ils ont été informés par le Maj Parkinson que le régiment avait décidé que Mme A était le PPPP du cpl Langridge.Note de bas de page 515 M. et Mme Fynes ont été profondément bouleversés et attristés par cette décision,Note de bas de page 516 alors qu’ils ont été informés que les décisions finales concernant la planification des funérailles incombaient maintenant à Mme ANote de bas de page 517 qu’ils considéraient simplement comme l’ex-petite amie du cpl Langridge.Note de bas de page 518

79. On ne sait pas précisément comment le régiment a pris la décision d’attribuer le statut de PPPP à Mme A, mais il semble qu’elle ait été fondée sur la déclaration d’union de fait que le cpl Langridge et Mme A avaient signée en décembre 2007. Un courriel du lcol Demers dans la matinée du 17 mars 2008 indique que [traduction] « Compte tenu de la documentation au dossier, il semble que [Mme A] soit le PPPP; nous devons donc donner suite à ses souhaits ».Note de bas de page 519 Lors d’une réunion de coordination tenue peu de temps après en présence de hauts responsables du régiment et d’un avocat militaire (assistant du juge-avocat général, ou AJAG), d’autres discussions ont eu lieu pour savoir qui était le PPPP.Note de bas de page 520 Plus tard ce jour-là, le Capt Lubiniecki a écrit dans un courriel [traduction] « [L’] OD à Victoria informera [les] parents que [Mme A] est la PPPP ».Note de bas de page 521 Bien que les Fynes et Mme A aient été encouragés à collaborer,Note de bas de page 522 il est clair qu’à partir de ce moment-là, s’il y avait désaccord sur des décisions concernant les funérailles, le régiment respecterait les volontés de Mme A.Note de bas de page 523

80. En octobre 2008, plusieurs mois après les funérailles, les Fynes ont découvert que le cpl Langridge les avait expressément désignés comme PPPP et DPPP sur le formulaire d’AUP, qui se trouvait entre les mains du régiment.Note de bas de page 524 Ce formulaire faisait partie du dossier du cpl Langridge lorsque la décision concernant le PPPP a été rendue.Note de bas de page 525 Suite à cette révélation, les Fynes étaient confus et bouleversés parce qu’ils ont crû que le régiment avait délibérément ignoré les souhaits écrits explicites de leur fils pour que ce soit les Fynes – et plus particulièrement M. Fynes – qui agissent comme PPPP et, ainsi, planifient ses funérailles.Note de bas de page 526

Les documents « trouvés »

81. Le 20 mars 2008, trois jours après la décision relative au PPPP, quatre documents administratifs partiellement complétés et jusque-là inconnus concernant le cpl Langridge ont été trouvésNote de bas de page 527 derrière un classeur au cours d’un nettoyage de routine.Note de bas de page 528 Chacun des documents « trouvés » concernait l’administration des affaires du cpl Langridge après son décès. Les documents « trouvés » étaient une nouvelle version d’un formulaire d’AUP,Note de bas de page 529 un formulaire de désignation des récipiendaires de la Croix du Souvenir,Note de bas de page 530 un testamentNote de bas de page 531 et un formulaire de prestations supplémentaires de décès (PSD).Note de bas de page 532 Aucun de ces formulaires n’était complètement rempli.

82. Avant la découverte de ces documents « trouvés », le régiment avait en main une série de formulaires complétés et valides appartenant au cpl Langridge, dont le formulaire d’AUP, un formulaire de PSD et un testament.Note de bas de page 533 Les documents « trouvés » étaient importants car le cpl Langridge avait changé d’exécuteur testamentaire, remplaçant son ami David White par M. Fynes, et de bénéficiaire de ses PSD, passant de Mme A à Mme Fynes; en outre, il nommait de nouveau ses parents comme PPP sur le formulaire d’AUP.Note de bas de page 534

83. Les documents « trouvés » ont été remis au Capt Lubiniecki le 21 mars 2008,Note de bas de page 535 puis transmis au Bureau du directeur des successions à Ottawa le 26 mars 2008.Note de bas de page 536 Le Capt Lubiniecki a été informé par Suzanne Touchette, une agente des services de succession et d’options du JAG, que les documents « trouvés » étaient [traduction] « sans valeur parce qu’ils n’étaient pas signés ».Note de bas de page 537 Quelques mois plus tard, cette position initiale a été renversée et le testament « trouvé » désignant M. Fynes comme exécuteur testamentaire a été jugé valide par le MDN en vertu de l’Alberta Wills Act.Note de bas de page 538

84. Les Fynes ont été informés de l’existence d’un deuxième testament dans un courriel du Maj Jared le 26 mars 2008, mais ils ont seulement été avisés que Mme Fynes était bénéficiaire.Note de bas de page 539 M. Fynes n’a pas été informé qu’il y avait eu un changement d’exécuteur testamentaire avant le 17 juin 2008,Note de bas de page 540 près de trois mois après que le second testament ait été trouvé. Dans une lettre datée du 19 juin 2008, M. Fynes a été officiellement informé que le testament « trouvé » était valide et qu’il était effectivement l’exécuteur testamentaire de la succession.Note de bas de page 541

Planification des funérailles

85. En ce qui concerne la planification des funérailles du cpl Langridge, Mme A s’est rendue à un salon funéraire local avec son OD , le Slt Brown, et leur ami commun, le cpl Rohmer.Note de bas de page 542 Le directeur du salon funéraire a précisé qu’il incombait à l’exécuteur testamentaire de planifier les funérailles.Note de bas de page 543 Selon le premier testament, l’exécuteur testamentaire était M. White. Dans une conversation téléphonique, il a dit au directeur du salon funéraire qu’il ne voulait pas être impliqué dans la planification des funérailles.Note de bas de page 544 Lorsque le directeur du salon funéraire s’est enquis auprès de Mme A du rôle des parents du cpl Langridge, elle lui a dit que le père de ce dernier n’était pas impliqué et que sa mère vivait hors de la province et ne se déplacerait pas pour faire les arrangements funéraires.Note de bas de page 545 Le Slt Brown a informé le directeur du salon funéraire que Mme A était la conjointe de fait du cpl Langridge,Note de bas de page 546 et le directeur du salon funéraire s’est contenté du fait que Mme A et le cpl Langridge avaient cohabité pendant deux ans.Note de bas de page 547 Selon le témoignage du directeur du salon funéraire, le Slt Brown lui a dit à propos des arrangements funéraires que « C’est avec [Mme A] que vous allez traiter ».Note de bas de page 548

86. Le directeur du salon funéraire a également obtenu des renseignements, peut-être du Slt BrownNote de bas de page 549 ou de Mme A,Note de bas de page 550 qu’il a utilisés pour compléter l’enregistrement du décès.Note de bas de page 551 Toutefois, les renseignements qu’il a reçus étaient inexacts. Cela a donné lieu à plusieurs versions différentes de l’enregistrement du décès produites au cours des semaines qui ont suivi, chacune renfermant des renseignements un peu différents, mais toujours inexacts sur les faits ou sur le plan légal.Note de bas de page 552 Enfin, plus d’un an après, les Fynes ont réussi à faire corriger les renseignements figurant sur l’enregistrement du décès en ce qui a trait à l’état civil du cpl Langridge, son lieu de résidence et le nom de l’informateur au moyen d’une ordonnance ex parte du tribunal.Note de bas de page 553

87. Lors de la planification des funérailles, Mme A a consulté les Fynes afin d’obtenir leur avis sur certaines décisions.Note de bas de page 554 Toutefois, les décisions finales ont été prises par Mme A. En particulier, les Fynes ont adhéré au choix de Mme A concernant le drapeau qui devait être drapé sur le cercueil, afin que Mme A accepte que la dépouille du cpl Langridge soit enterrée plutôt qu’incinérée.Note de bas de page 555 Les Fynes avaient aussi formulé d’autres demandes, notamment que le cercueil soit fermé, mais ils ont finalement acquiescé au souhait de Mme A que la dépouille soit exposée avant l’enterrement.Note de bas de page 556 Il a été particulièrement pénible pour les Fynes, alors qu’ils avaient demandé et reçu le béret et les médailles du cpl Langridge,Note de bas de page 557 que ce soit Mme A qui reçoive le drapeau de son cercueil.Note de bas de page 558

88. Les funérailles du cpl Langridge ont eu lieu le 26 mars 2008 à la chapelle de la base.Note de bas de page 559 Étant donné que ni les Fynes ni Mme A n’étaient au courant que le cpl Langridge avait laissé une note de suicide demandant de simples funérailles en famille, il a obtenu de grandes funérailles militaires.Note de bas de page 560 L’inhumation du cpl Langridge, à laquelle ont participé, entre autres, les Fynes et Mme A a eu lieu le 29 mars 2008, à Victoria.Note de bas de page 561 Les relations entre M. et Mme Fynes et Mme A se sont détériorées lentement, et, à la fin de l’enterrement, toute communication entre eux était irrévocablement rompue.Note de bas de page 562

Les plaintes des Fynes et les réponses des FC

89. Après la mort du cpl Langridge, trois enquêtes du SNEFC ont été menées. La première a commencé immédiatement après le décès du cpl Langridge et a porté sur les circonstances de sa mort.Note de bas de page 563 La deuxième enquête du SNEFC a commencé à la fin de 2009 et visait à déterminer si la direction du LdSH avait fait preuve de négligence dans l’accomplissement de son devoir militaire en attribuant le statut de PPPP à Mme A après la mort du cpl Langridge.Note de bas de page 564 La troisième enquête a débuté en mai 2010 et visait à déterminer si la chaîne de commandement du LdSH et la communauté médicale avaient été négligents en omettant de donner un traitement médical et des soins appropriés au cpl Langridge, contribuant ainsi à son décès.Note de bas de page 565

90. Il y a eu d’autres procédures administratives en lien avec le décès du cpl Langridge. Il était obligatoire, après la mort du cpl Langridge, qu’une enquête administrative interne des FC soit menée.Note de bas de page 566 Dans le cas présent, il y a eu à la fois une commission d’enquête (CE) et une enquête sommaire (ES). Il s’agit de processus internes des FC visant à établir les faits qui comportent la collecte de documents et l’interrogation de témoins et, dans le cas d’une CE, l’obligation pour les témoins de témoigner.Note de bas de page 567 En règle générale, une commission d’enquête est un processus plus formel visant à faire enquête sur des questions plus importantes.Note de bas de page 568

91. La commission d’enquête a été convoquée avec beaucoup de retard,Note de bas de page 569 soit le 13 janvier 2009,Note de bas de page 570 près de dix mois après la mort du cpl Langridge. Le mandat de la commission d’enquête était [traduction] « d’enquêter sur les causes et les facteurs qui peuvent avoir contribué (sic) à la mort du cpl Langridge et d’identifier les mesures de prévention applicables ».Note de bas de page 571 Les Fynes ont assisté à l’audience de la CE et ils étaient fermement d’avis qu’elle était entachée de partialité en faveur de l’armée et qu’elle n’a pas abordé de nombreuses questions pertinentes à la mort du cpl Langridge.Note de bas de page 572 La commission d’enquête a établi des faits et formulé des recommandations, exonérant généralement les FC de toute responsabilité en rapport avec le décès du cpl Langridge.Note de bas de page 573 Alors que le rapport de la CE a initialement été soumis en vue d’obtenir les approbations requises le 1er juin 2009,Note de bas de page 574 à ce jour il n’a pas encore reçu l’approbation finale du chef d’état-major de la Défense.

92. C’est à la suite d’une requête du président de la commission d’enquête que l’existence de la note de suicide du cpl Langridge est apparue au grand jour.Note de bas de page 575 Il y eu un retard de plusieurs semaines entre la requête initiale et la communication de l’existence de la note de suicide aux Fynes, le 22 mai 2009.Note de bas de page 576 Les Fynes ont été informés de l’existence de la note de suicide par le président de la CE, et non par le SNEFC, qui l’avait classée comme « élément de preuve » et qui en avait par la suite apparemment oublié l’existence.Note de bas de page 577

93. Le mandat de l’ES a été émis le 22 juin 2009.Note de bas de page 578 Il précise que l’ES était menée « en prévision d’un litige ».Note de bas de page 579 À ce stade, les Fynes avaient déjà retenu les services d’un avocat afin de tenter de régler leurs revendications en suspens avec l’armée, et ils avaient rencontré les représentants juridiques des FC en présence de leur avocat.Note de bas de page 580

94. Le mandat de l’ES était centré sur l’examen des procédures administratives suivies par le LdSH après la mort du cpl Langridge.Note de bas de page 581 Le rapport concluait généralement que les formulaires ou les procédures existantes des FC ne révélaient rien d’anormal.Note de bas de page 582 En qualité de responsable de l’examen du rapport de l’ES, le BGén K.A. (André) Corbould a écrit :

[traduction]
Je suis d’accord avec les conclusions auxquelles est parvenu l’agent chargé de faire enquête, à l’effet que les différentes erreurs administratives possibles qui sont survenues après la mort du caporal Langridge n’ont pas été causées par une négligence intentionnelle ni qu’aucun document a été mal géré par un membre du personnel du Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians) (LdSH RC) en violation de la réglementation en vigueur.Note de bas de page 583

95. Les Fynes avait été informés de la possibilité qu’une ES ait lieu dans un courriel du Maj Lubiniecki daté du 29 avril 2009, indiquant qu’il comprenait qu’une enquête sommaire serait menée par le régiment.Note de bas de page 584 Ils n’ont plus entendu parler d’une ES jusqu’à leur entrevue du 5 mai 2010 avec le Maj Dandurand et le cplc Mitchell du SNEFC, lorsque le Maj Dandurand a affirmé que l’ES avait examiné les questions administratives après la mort du cpl Langridge. M. Fynes a alors dit : [traduction] « Désolé, et je vous remercie tous les deux de partager cela avec nous, parce qu’après deux ans, et vous pouvez comprendre notre frustration, personne ne nous a jamais informés ou dit quoi que ce soit au sujet de cette enquête sommaire ».Note de bas de page 585

96. L’ES avait été désignée comme étant protégée par le privilège du secret professionnel de l’avocat et elle ne devait pas être publiée ou divulguée à qui que ce soit hors des FC.Note de bas de page 586 Incidemment, le BGén Corbould a écrit [traduction] « ce sujet a été assez exploré, et [je] ne crois pas qu’il y ait un avantage à divulguer quoi que ce soit de l’ES à la famille du cpl Langridge [parce que] cela ne les aiderait tout simplement pas ni ne les consolerait d’une manière quelconque ».Note de bas de page 587 Les Fynes n’ont ​​pas reçu de copie du rapport de l’ES avant l’audience publique de la CPPM.

97. Au fil du temps, les Fynes ont éprouvé une frustration croissante devant ce qu’ils estimaient être un manque de réponses concernant la mort du cpl Langridge et le suivi administratif subséquent. Ils ont soulevé un certain nombre de questions, notamment au sujet du caractère approprié des soins médicaux que le cpl Langridge avait reçus et de son traitement par l’armée, de l’entreposage et la restitution des biens personnels du cpl Langridge, de la non-divulgation  de la note de suicide du cpl Langridge et de la mauvaise gestion de ses papiers personnels.Note de bas de page 588 Ils ont demandé, et éventuellement obtenu, une divulgation du contenu du dossier de l’enquête de 2008 sur la mort subite, mais ont exprimé des préoccupations au sujet de son contenu et des suppressions faites sur la copie qu’ils avaient reçue.Note de bas de page 589

98. Les Fynes ont contacté l’ombudsman du MDN/FC pour obtenir de l’aide.Note de bas de page 590 Ils ont maintenu le contact avec le régiment et la brigadeNote de bas de page 591 et ont reçu de l’aide concernant leurs préoccupations en suspens de la part du Soutien aux blessés du MDN,Note de bas de page 592 et ils ont  rencontré le SNEFC dans le cadre des enquêtes en cours.Note de bas de page 593 À l’exception de leur contact avec l’ombudsman, la plupart, sinon la totalité de ces interactions ont été problématiques du point de vue des Fynes.

99. Le 31 août 2009, les Fynes ont réussi à faire corriger l’enregistrement du décès du cpl Langridge.Note de bas de page 594 Ils ont demandé à leur avocat de tenter d’obtenir des FC le remboursement des frais juridiques qu’ils avaient engagés pour parvenir à ce résultat.Note de bas de page 595 En septembre 2010, l’avocat des Fynes a reçu une lettre de l’avocat des FC avisant les Fynes de ne plus [traduction] « avoir de contact direct avec les membres des Forces canadiennes, le ministère de la Défense nationale ou le ministère de la Justice à l’égard de toute question ayant trait aux revendications que [Mme Fynes] avait présentées à la Couronne ».Note de bas de page 596 Cela a incité Mme Fynes à se rendre à Ottawa pour y tenir une conférence de presse au cours de laquelle elle a dénoncé l’absence de progrès dans le règlement des questions en suspens relativement à la mort de son fils.Note de bas de page 597 Le chef d’état-major de la Défense a réagi en s’excusant publiquement du retard de la divulgation de la note de suicide ainsi que des mauvaises communications avec les Fynes concernant la succession du cpl Langridge.Note de bas de page 598 Il a précisé par la suite que ses excuses ne portaient pas expressément sur les soins médicaux que le cpl Langridge avait reçus des FC.Note de bas de page 599

100. À l’automne de 2010, un officier supérieur, le col Gérard Blais a été nommé par le ministre de la Défense nationale pour agir en tant que point de contact unique pour répondre aux Fynes (et aux autres familles) qui avaient [traduction] « exprimé des préoccupations au sujet des CE et des enquêtes du SNE et autres, ainsi que des préoccupations en lien avec la mort d’un être cher ».Note de bas de page 600 Le col Blais a tenté de fournir des renseignements aux Fynes sur l’ensemble de leurs préoccupations en suspens;Note de bas de page 601 toutefois, à leur avis, les réponses reçues ne répondaient pas adéquatement à leurs questions.Note de bas de page 602 Les Fynes ont poursuivi en déposant une plainte auprès de la CPPM en janvier 2011 concernant des lacunes présumées dans les trois enquêtes du SNEFC sur les événements antérieurs et postérieurs à la mort du cpl Langridge.Note de bas de page 603 Cette plainte a conduit à l’audience d’intérêt public qui constitue le fondement du présent rapport.

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